CHAPITRE 6 - DIEGO
19.09.17,
The Monster Club | MANHATTAN – 2:40 AM.
C'est sombre mais à la fois aveuglant, à cause des nombreux néons de couleurs différentes accrochés un peu partout au plafond. Les projecteurs près du DJ balayent la foule d'une lueur blanche, mais je n'y prête pas attention. La musique, très forte, fait tambouriner mon cœur dans ma cage thoracique à cause des basses puissantes de ce style particulier d'électro. Une odeur entêtante de sueur et de parfums pour homme me fait tourner la tête, en plus des nombreux shots que j'ai avalés depuis que je suis arrivé.
Je n'avais jamais mis les pieds au Monster, même si la réputation de cette boîte n'est plus à faire depuis des années. Ici, pas une seule femme. En revanche, j'y aperçois des hommes, de tout âge et de toutes ethnicités confondues. Des ados, des jeunes adultes, des adultes. Des blonds, des bruns, des roux. Des grands, des petits, musclés ou fins. J'apprécie. Je sursaute quand une main entreprenante vient se poser sur ma cuisse.
- Bonsoir.
- Salut.
Mes yeux se posent immédiatement sur la bouche de mon interlocuteur : un adulte, d'une quarantaine d'années, parfaitement musclé. Robuste. J'apprécie sa barbe qui cache des lèvres que je devine parfaites.
- Tu es tout seul ? , me demande-t-il.
- Oui.
Sa grande main calleuse vient presser mon entrejambe et je suis gêné d'avouer que je bande comme un chien depuis qu'un type est venu se frotter contre moi, quelques minutes plus tôt. Dans les enceintes, la musique change pour quelque chose d'encore plus entêtant.
- Tu veux descendre ?
Il me fixe, le regard carnassier, tandis que mon ventre se tord à l'intérieur. J'en meurs d'envie, mais en réalité je suis mort de trouille à l'idée de descendre au sous-sol avec lui. Il n'a pas l'air d'être le genre d'homme qui se laisse baiser. Et je n'ai aucune envie de me faire baiser.
- Non, désolé.
- Tu bandes, mon ange.
Il dépose un baiser dans mon cou tout en glissant sa main dans mon pantalon. Je suis surpris par son côté entreprenant, si bien que je manque de tomber de mon tabouret. Mon verre de vodka au creux de ma main manque de tomber par terre. Je frissonne, quand il libère mon érection de sa prison de tissus. Mon boxer et mon jean commençaient à se faire étroits.
- Je peux ?
Mon regard plongé dans celui si profond de mon amant d'un soir, j'oublie tout ce qui se trouve autour de moi. Je hoche simplement la tête, oubliant simplement le fait que je suis sur le point de me faire sucer au beau milieu d'une boîte gay. Personne ne semble le remarquer cependant : tous sont occupés à danser, à discuter, tandis que je me trouve dans un coin obscur, pris au piège.
Sa gorge est un doux refuge pour ma queue, si peu soulagée depuis si longtemps. Elena et ses pipes incroyables ne comptent pas : c'est une fille. Là, c'est un homme. Ce sont des doigts d'homme qui me pompent et une bouche à l'haleine de tabac et de café qui me suce. C'est encore plus plaisant que les prouesses d'Elena et son odeur florale-vanille.
Ma main libre vient se glisser dans les cheveux du quadragénaire. Sous sa chemise blanche, je jurerais pouvoir voir les muscles de son dos rouler sous sa peau. Je tire ses cheveux lorsqu'il me prend en gorge profonde. C'est dément : je me cambre sur mon tabouret. Sa main libre – celle qui ne me pompe pas – vient se glisser sous mon t-shirt : il vient pincer mon téton et, là, je perds la tête. Il s'arrête en m'entendant gémir, certainement surpris.
- Sigue... Por favor...
Je ne sais pas s'il comprend l'espagnol ou s'il voit juste la détresse dans mon regard, mais il s'y remet. Il s'y remet plus fort, et je m'abandonne. Je ferme les yeux. Je ne sais pas si cela dure de longues secondes ou quelques minutes, mais au bout d'un moment je ne sens plus sa bouche sur ma queue. Sa main me pompe toujours cependant et, alors que je m'apprête à ouvrir les yeux, je sens son souffle chaud sur mon cou. Il y dépose une pluie de baisers fougueux avant de murmurer à mon oreille :
- Jouis pour moi... tu es très beau... vas-y... maintenant.
Pense-t-il vraiment que je suis beau ? Au milieu de toute cette situation bizarre, ce sont ces paroles là qui me marquent le plus. Son pouce ripe sur mon gland et je jouis, au creux de sa main. « Tu es très beau » ça tourne dans ma tête, mais je n'y crois pas un seul instant.
- C'est bien. Brave garçon.
Je reste comme un con, le regardant s'éloigner au milieu de la foule. Ma bouche est entrouverte, mon souffle court, et je réalise à peine ce qui vient d'arriver. Ma queue ramollie repose sur mon bas ventre, au milieu de quelques gouttes de sperme, et je m'empresse de me rhabiller.
Je lance un regard paniqué autour de moi alors que je commence à reprendre peu à peu mes esprits. Stressé à l'idée que quelqu'un – n'importe qui – ait pu m'observer en train de me faire sucer, je détaille les garçons à proximité de ma table. Aucun ne semble me remarquer, bien trop occupés ailleurs. Aucun, sauf un. Et quand je remarque ses magnifiques cheveux blonds et sa bouche pulpeuse, légèrement entrouverte en signe de surprise, mon sang ne fait qu'un tour : Dylan Campbell.
X X X
Après l'avoir cherché une demi-heure durant à travers la foule, je le retrouve finalement dehors alors qu'il s'apprête à partir. La rue est déserte et, alors qu'il me tourne le dos, je le surprends par derrière. Il sursaute tandis que je l'attire un peu trop brusquement par le poignet, dans un coin obscur près d'énormes poubelles.
- Lâche-moi ! , il panique.
- Désolé... je... excuse-moi.
Je vois qu'il essaie de prendre la fuite, et ça m'attriste : il a peur de moi. Moi Diego Flores, le gars des gangs de Brooklyn violent et froid avec tout le monde. Je le lâche immédiatement.
- Dylan attends, s'il-te-plaît. Je veux juste... te parler.
Je suis conscient que c'est l'une des premières fois où je parle aussi calmement avec un inconnu. Je n'ai pas envie de le faire fuir, lui : ma réputation en dépend.
- Qu'est-ce-que tu veux, Flores ?
- Diego, je rectifie d'un ton bourru. Je... ne le dis à personne, s'il-te-plaît.
Il semble se radoucir, bien moins agité qu'auparavant. Il hausse un sourcil, tandis qu'un petit sourire étire ses lèvres. Il a l'air... ému ? Je ne sais pas trop, et c'est bizarre. Il revient s'appuyer le dos contre le mur de la boîte, bras croisés contre son torse. Je profite du silence entre nous pour le détailler : une chemise denim rose pale et un short en jean qui moule ses cuisses parfaites. Ses jambes fines semblent douces, récemment rasées et sa bouche trop pulpeuse, presque esthétique, me donne envie de l'embrasser. Je me sens ridicule.
- Je ne savais pas que tu fréquentais ce genre d'endroits, constate-t-il.
- Eh bien... maintenant tu sais. Je peux compter sur ta discrétion ?
Il sourit et ricane, gêné. Je sais à cet instant là que je l'impressionne, car il semble s'excuser de ricaner de la situation. Il se tourne un moment vers le mur pour allumer une cigarette à l'abri du vent. Je détaille ses fesses, bombées et musclées dans son short. Dios, que j'aimerais y glisser ma queue. Je secoue la tête pour chasser cette idée de mon esprit embrumé.
- Bien sûr. Ce ne sont pas mes affaires. T'inquiète.
- Merci.
Il fait un pas en avant pour s'en aller, mais je ne me décale pas. Je n'y arrive pas. J'ai honte d'avouer que, en fait, je suis plus impressionné par lui que par n'importe qui d'autre.
- Tu sais, c'est à toi de choisir où et quand tu veux que ça se sache. Personne n'a le droit d'enlever ça à qui que ce soit. Je ne dirai rien, tu peux me faire confiance.
En guise de remerciement, sans la moindre gêne et confiant, je m'approche doucement de lui. Dans un premier temps, surpris, il se laisse faire. Ma main puissante se pose sur sa joue douce et parfaite, tandis que je bloque son corps fin entre le mien et le mur. Je sens son érection contre ma cuisse, et il pose ses mains sur mes pectoraux. Je louche sur sa bouche et, un court instant, je suis pris d'un vertige : je suis bourré, complètement stone, et j'en suis conscient.
- J'ai toujours voulu faire ça... , j'avoue.
- Quoi donc ? , sa voix trahit sa peur.
- T'embrasser.
Je me sens vulnérable mais aussi très en sécurité, là contre lui. Je suis parfaitement conscient que ce n'est pas de l'amour, loin de là. C'est simplement un désir sexuel trop fort qui ne demande qu'à être assouvi. Comme un feu aurait besoin d'être éteint pour cesser ses ravages.
Sur un coup de tête, je l'embrasse. Je dévore sa bouche un instant, dans un baisser terriblement dur et fougueux. Mes mains pelotent ses fesses tandis qu'il touche mon torse. Au moment où je crois qu'il veut me retirer mon t-shirt, je réalise en fait qu'il tente en vain de me repousser. À bout de souffle, il m'avoue :
- Diego... ne te vexes pas mais... tu ne me plais pas.
Tout retombe à plat, à cet instant précis. Je me recule tête baissée, comme un enfant battu, terriblement honteux. Je me mords l'intérieur de la joue, gêné, avant de lâcher :
- OK. Désolé.
Contre toute attente, c'est moi qui prends la fuite. Les paroles du type qui m'a sucé me repassent en mémoire « tu es très beau » : non, je ne le suis pas. Je l'ai toujours su au fond de moi.
Ces paroles me font tellement mal que je ne remarque même pas le détail le plus important : j'ai embrassé Dylan Campbell et ne n'ai absolument rien ressenti.
X X X
East Side Community High School | MANHATTAN – 11:06 AM.
Tête baissée, je me laisse faire. Ce n'est pas agréable mais la douleur est supportable. Les mains fines et délicates de Sylvia, l'infirmière du lycée, parcourent mon dos avec professionnalisme et je me sens rassuré. Je suis aussi soulagé par sa promesse de ne parler à personne de ce qui se passe ici.
- Je continue de penser que tu devrais voir un dermathologue, Diego.
- Pas la peine.
Ici non plus je ne suis pas loquace, même si je sais que je peux lui parler de tout : rien ne sortira de ce cabinet. Assis sur le siège adaptable, torse nu, je serre les dents quand elle dépose une noisette de pommade au creux de mes omoplates. Mes muscles se tendent, malgré moi, et je serre les poings.
- Désolée, s'excuse-t-elle.
- C'est rien.
J'ai trop de fierté. Je serre les dents en silence et j'encaisse, même si cela fait un mal de chien. Elle m'a annoncé hier que la plaie s'était infectée et m'a promis de m'arranger tout ça. Je me suis senti honteux de lui avouer la raison de cette marque au fer rouge au creux de mon dos : elle m'a regardé un court instant comme si je venais de lui annoncer avoir signé mon arrêt de mort.
- Tu as bien fait de venir, tu sais. Cela aurait pu causer beaucoup plus de dégâts.
Je hoche la tête en silence, pour lui montrer que je l'écoute. Je sais qu'elle a raison. Au départ, j'ai senti que quelque chose n'allait pas : la brûlure était d'une couleur bizarre et j'y voyais du pus. Mais j'étais trop fier, incapable de me faire à l'idée que quelqu'un d'extérieur aux AlasNegras puisse être au courant de ça. Puis hier, ne supportant plus la douleur causée par mon t-shirt, je me suis décidé à me faire soigner. L'infirmerie du lycée c'est une solution : personne n'est au courant et, en plus, c'est gratuit. De plus, j'ai trouvé en Sylvia une oreille attentive à qui je peux me confier. Malgré tout, je ne parle pas beaucoup.
- J'ai entendu dire que tu avais d'excellentes notes.
- Ça vous étonne ? , je ricane.
- Un peu, j'avoue.
Je sens qu'elle applique un pansement sur la plaie. Je serre les dents à nouveau, alors qu'elle reprend :
- Beaucoup de garçons dans ta situation arrêtent l'école bien avant le lycée. Tu es en terminale et tes notes sont excellentes. C'est très bien.
- J'ai redoublé. Mais merci.
Un peu de reconnaissance ne fait pas de mal de temps en temps. Je prends ses paroles pour un compliment. Mon cœur se réchauffe un instant : je n'ai pas le sentiment d'être une merde.
- Tu aimerais étudier, plus tard ? , me demande-t-elle.
- Oui. Mais je suis dans un gang, donc ça n'arrivera pas.
Mon ton est froid et c'est volontaire. Je n'ai pas envie d'aller plus loin sur le sujet : penser au fait que je n'ai aucun avenir me crève le cœur à chaque fois que ça me traverse l'esprit.
- Tu peux remettre ton t-shirt.
Je ne me fais pas prier. Le tissus sur moi me donne aussitôt l'impression d'être protégé : je me sentais mal à l'aise torse nu dans ce cabinet. Je descends du fauteuil médicalisé en silence et je récupère mon sac sur une chaise. J'ouvre la porte.
- Diego ?
- Mh ?
- Juste pour savoir... tu aimerais étudier quoi ?
Je suis touché par cette lueur dans son regard : un mélange de fierté et de tristesse. Elle a l'air de croire en moi, mais contrairement aux autres elle n'est pas stupide et sait très bien que la vie de gang ne colle pas avec les études. Je hausse les épaules.
- L'astrophysique.
Sans un mot de plus je quitte l'infirmerie et, par la même occasion, le lycée.
X X X
Prison fédérale du Queens | QUEENS – 1:48 PM.
- Je suis fatigué, Diego...
Je regarde Luis – mon frère – à travers le plexiglas recouvert de traces de doigts. Le téléphone contre mon oreille, je l'écoute en silence. Je ne sais pas quoi lui dire. En fait, je n'ai rien à lui dire.
- ... je pense à mamà, à Andrea...
Je regarde son visage, sa tempe tatouée et les cernes sous ses yeux. Quand il sourit, un peu, je vois que ses dents sont jaunies par la crasse et que quelques unes sont même cassées. J'imagine qu'ils organisent quelques petites bagarres pendant leurs heures de récréation. Il me fait peine à voir, mais j'ai à la fois envie de le frapper à mon tour aussi. Je ne saurais pas dire si je l'aime ou si je le déteste. Certainement un peu des deux : il est et restera mon frère malgré toute cette merde.
- Tu es venu pour me regarder sans rien dire ? Pendejo.
- Je suis venu t'annoncer quelque chose, c'est tout.
- Eh bien, je t'écoute.
Je baisse les yeux sur ma main libre, posée près de la vitre. La brûlure soudaine au creux de mon dos me rappelle une fois de plus pourquoi je suis ici. Je hausse les épaules et j'inspire profondément, avant de lever les yeux pour le fixer :
- Je suis un des leurs, maintenant.
Je n'ai pas besoin de faire référence aux AlasNegras pour qu'il comprenne. Aussitôt, un sourire espiègle et dégoûtant sur ses lèvres me laisse entrevoir sa dentition dégueulasse.
- Bien. Estoy orgulloso de ti.
Je pince les lèvres, et mes doigts se referment avec colère sur le combiné. Il est fier de moi ? Je ricane, énervé et fou de rage.
Heureusement qu'une vitre nous sépare : mon poing est prêt à partir s'écraser sur sa sale gueule.
X X X
Hangar des AlasNegras, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 7:45 PM.
Une vieille musique mexicaine grésille dans un poste d'un autre temps. Dans un coin du hangar, la moto neuve de Miguel ronronne à chaque fois qu'il fait chauffer le moteur. Sur un vieux canapé défoncé, Clive et Fernando enchaînent les joints de marijuana. Dans son bureau fermé par une porte blindée, je soupçonne Skull de compter ses liasses de billets. Moi, je me sens gêné.
La fille de Skull, une jeune fille de mon âge aux hanches parfaites, se laisse tomber sur mes genoux dans un fauteuil abîmé. Elle me fait du charme, mais elle ne m'intéresse en aucun cas. Elle est trop... je ne sais pas l'expliquer. Elle ne m'attire pas.
- Diego, viens avec moi.
- Non, Dgina, c'est mort.
- Allez, on peut s'amuser.
Je viens serrer son poignet entre mes doigts, brusquement, pour retirer sa main de mon entrejambe. Je n'ai aucune envie qu'elle me touche. Il en est hors de question. Elle vient poser ses mains sur mes épaules, et s'installe à califourchon sur mes cuisses. Je balance la tête en arrière pour pouvoir respirer, alors qu'elle fond du mon corps comme un prédateur sur sa proie. Elle n'a pas froid aux yeux, de toute évidence.
- Dgina...
- Allez...
- NO! Nunca !
Je prends ses poignets entre mes doigts, fort, pour la repousser. J'ai beaucoup plus de force qu'elle et, sous les yeux ébahis de Clive et Fernando, je la remets debout pour qu'elle dégage. Skull choisit ce moment pour débarquer.
- FLORES !
Je me lève, comme une marionnette dont il tirerait les ficelles. Je me tiens droit devant lui, yeux rivés sur lui, dans l'attente.
- Viens avec moi, amigo.
En silence, je le suis jusqu'à sa pièce personnelle. Il referme la porte derrière moi et je me retrouve planté là, au milieu de flingues en tout genre éparpillés sur la table et liasses de billets verts. J'attends, et je le regarde alors qu'il se laisse tomber sur son siège.
- J'ai une mission pour toi.
- Bien. Laquelle ?
- Dans deux heures. Tu connais, Alex Fornas ?
Je hoche la tête : oui, je le connais. Il était à la maternelle avec Abraham. Il venait quelques fois à la maison, à l'époque, lorsqu'ils étaient encore enfants et innocents.
- Il y a quelques jours il m'a volé du fric, et de la coke.
- Oh. Et, tu veux récupérer tout ça, je suppose ?
- Exactement. Assieds-toi.
Je m'exécute. Attentivement, j'écoute le plan que m'annonce Skull.
X X X
Ruelle déserte, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 10:00 PM
Je regarde ma montre : 10 heures tapantes. Il fait nuit noire, le ciel étoilé ressemble à un tapis de diamants et je distingue dans l'obscurité quelques nébuleuses plus brillantes que les autres, imperceptibles. L'air frais de cette soirée de septembre me requinque un peu, tandis que je monte la garde à l'angle d'une ruelle sombre. Non loin de là, je sais que Skull m'observe, en sécurité à l'intérieur d'un SUV noir aux vitres teintées. J'ai la pression.
Lorsqu'il m'a annoncé en quoi ma – première – mission de ce soir consistait, je me suis forcé tant bien que mal à cacher mes réticences. Je connais Skull : si tu ne fais pas ce qu'il te dit, t'es dans la merde. J'ai donc pris sur moi et j'ai accepté. L'idée de tabasser en pleine ruelle un gars dont j'ignore presque tout ne me botte pas des masses, mais je n'ai pas le choix.
Alex Fornas, pour le coup, est l'un des gars les plus couillus que je connaisse : membre des AlasNegras, il a osé voler Skull. Plus de 400$ et quelques grammes assez conséquents de cocaïne. Il avait pensé être discret, mais ignorait alors que Skull avait planqué une caméra dans la camionnette utilisée lors d'un échange, quelques jours plus tôt. Alex avait simplement tapé dans le sac, quelques biffetons et quelques sachets de cocaïne. Malheureusement pour lui, il n'a pas su voir plus loin que le bout de son nez.
Quand une porte claque, non loin de là, je me dresse sur mes jambes. Les poings serrés, je pense à papa : je le déteste. Imaginer son image lorsque je me bats m'aide toujours à asséner les coups avec plus de violence que ce dont je suis normalement capable. Planqué dans un recoin, Alex passe près de moi sans me remarquer. Je l'attaque par derrière.
C'est le pilotage automatique. Ce genre de moment où mon esprit rationnel s'échappe de mon corps pour ne laisser que l'esprit négatif et en colère. Tous les souvenirs terribles de mon enfance et de mon adolescence me reviennent en mémoire : papa, agressif, chez les AlasNegras, les coups de feu tirés sous mes yeux dans la rue, les cris des voisins, les voitures brûlées. Tout me revient, la haine pour mon père et la haine pour cette vie que je n'ai pas choisie. Et là, toute cette haine se transforme en force qui s'accumule dans mes poings. Je les abats sur le visage d'Alex, que je maîtrise au sol sous mon poids en seulement quelques secondes.
Je cogne. Il me déboîte quelques coups dans le nez et la mâchoire mais rien n'est aussi douloureux que cette rage à l'intérieur de mon thorax. Rien. Alors je frappe, en silence, sans rien dire. Je sais, dans un sens, que je ne suis même plus conscient de ce que je fais. Comme si, après une cuite, je n'étais plus capable de comprendre des mots ou de simples faits. J'agis, guidé par les recommandations sombres de Skull avant que je ne quitte le 4x4.
Puis, quand j'entends un craquement et que je ne le sens plus lutter sous moi, je cesse. Ses yeux sont entrouverts, son nez bousillé et quelques dents cassées. Mes poings sont recouverts de sang et, sous le poids de mes cuisses, je sens son torse se soulever doucement, la respiration sifflante.
- Diego...
Je suis surpris qu'il me reconnaisse, et ça m'énerve d'autant plus.
- Rendez-vous demain à huit heures tapantes, au hangar. Avec le fric et la came. Sinon t'es mort.
Le laissant presque inconscient, je me relève pour m'enfuir. Tandis que je rejoins Skull qui m'attend sur l'avenue principale, garé devant un kebab, je remarque que mon cœur bat à toute allure dans ma poitrine et que mes mains tremblent : c'est l'adrénaline.
Je me laisse tomber sur le siège passager, ignorant le regard brillant et amusé que me lance le patron. Avant de démarrer, il ricane :
- Eh bien, je ne m'attendais pas à ça. Tu es bien pire que ton frère Luis.
Même si j'en ai honte, je ne nie pas qu'à cet instant précis, un sentiment de puissance mêlé de fierté m'envahit.
. . . #eastriverFIC
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