CHAPITRE 51 - EVAN

20.01.18,
Hayden Planetarium | MANHATTAN – 3:05 PM.

Je ne sais pas comment j'en suis arrivé là. Je ne sais pas pourquoi ça fait si mal. Je suis là, à regarder les planètes suspendues autour de moi, et je me demande encore pourquoi c'est tombé sur moi. Pourquoi c'est tombé sur lui. Peut-être que c'était mon destin, ou l'un des sales coups de ce putain de karma ? Je n'en sais rien.

Je ne savais pas que l'Homme pouvait tomber amoureux de cette façon-là. Je ne savais pas que l'amour pouvait être merveilleux mais aussi terriblement douloureux. Je ne savais pas qu'on pouvait s'attacher autant à une personne, aussi vite, au point de se sentir vide et mort à l'intérieur en son absence.

J'ignorais tout de l'amour avant Diego, je le savais, mais je suis certain que lui et moi c'est bien plus que ça. Je ne saurais pas l'expliquer, user de mots rationnels pour exprimer ce que je ressens réellement, mais je suis convaincu qu'il ne s'agit pas que d'amour. C'est bien trop fort, puissant et douloureux pour que cela ne soit que de l'amour. Je ne sais pas non plus de quoi il s'agit : de la passion, de l'attraction, de l'attirance ? Je n'y connais rien, il est mon premier, et j'avoue être totalement largué.

Peut-être qu'il ne s'agit que de cette stupidité d'âme-sœur ? Peut-être que nous étions destinés à nous rencontrer, que c'était écrit avant même la vie sur Terre, et qu'on ne peut pas lutter contre ça ? Ça m'effraie. J'aimerais pouvoir lutter, vraiment. J'aimerais avoir la force de passer à autre chose, me convaincre que c'est mieux pour nous et que je devrais l'oublier. Sauf que j'en suis incapable. Pour une raison inexplicable, je n'arrive pas à m'imaginer sans lui. En fait, je ne veux pas m'imaginer sans lui.

Quand j'y pense, tout est parti d'un événement stupide : un accrochage sur un parking. Combien y-avait-il de chances que cela tombe sur lui et, pire, que j'en tombe amoureux ? Je n'aurais jamais imaginé, ce jour-là, que lui et moi ça aille si loin. Je n'aurais jamais cru finir raide dingue de lui, à la limite de la folie, à ne plus pouvoir me désamouracher malgré tous mes efforts. J'ai la haine.

J'ai la haine contre moi, d'être si faible et si amoureux. J'ai la haine d'être planté là, dans ce foutu planétarium, à penser à lui. J'ai la haine d'avoir mal au ventre et au cœur parce qu'il me manque, et j'ai la haine de ne pas être avec lui en Floride : j'aurais aimé y être. J'aurais aimé l'accompagner au mariage de son frère, porter un costume-cravate super classe pour l'occasion et rester dans ses bras toute la soirée, à rêver de notre futur et de nous, plus tard, mariés. J'aurais aimé, mais nous ne sommes plus ensemble et je dois l'accepter. Tant bien que mal.

- Hey, Evan.

Je me sens bien. C'est ridicule, mais quand Dylan me serre dans ses bras je me sens un peu moins seul. Il sent bon le parfum pour homme et ses bras sont délicats, quoi que peu rassurants en comparaison de ceux musclés de Diego. Malgré tout, c'est agréable.

- Salut.

- Comment tu vas ?

Je pose mon front sur son épaule, plantés là sous la planète Mars. J'ai longtemps hésité avant de lui demander de me retrouver ici, parce que c'est notre endroit à moi et Diego. Au fond j'ai honte d'être là, avec lui, à cet endroit précis où je suis tombé un peu plus amoureux de Diego Flores. Il n'est pas digne d'être là, pas Dylan, mais en même temps je sais à quel point c'est un bon gars. Je me sens ridicule, et honteux.

- Pas bien.

Nous avons discuté hier, après les cours. J'ai été touché de voir qu'il avait remarqué mon malaise de ces derniers jours et je n'ai pas eu le courage de le remercier lorsqu'il m'a invité à boire un café au coffee shop. Nous sommes restés là pendant près d'une heure, assis près du chauffage, à nous réchauffer les mains glacées par le froid grâce aux tasses brûlantes de cappuccino.

- Pourquoi tu es ici ?

Il est curieux, en bien, et je n'ai pas le courage de lui répondre. Je hausse simplement les épaule, moi-même très peu sûr de la raison pour laquelle je suis venu ici.

- J'aime bien l'astronomie.

Avant Diego, je ne m'y étais jamais intéressé. À l'exception bien sûr de ces soirées spéciales de pluie d'étoiles filantes, où tout le monde scrute le ciel avec attention, ou ces journées rares où une éclipse lunaire ou solaire se produit. Avant Diego, je ne m'étais jamais posé la question de savoir où nous sommes situés dans l'univers, à quelle distance du soleil nous nous trouvons, ou si peut-être un jour toute cette vie prendra fin. Depuis Diego, je trouve tout ça fascinant.

- Tu veux qu'on aille boire un café ?

- Oui.

Je devrais ralentir sur le café, je le sais pertinemment. Depuis que j'ai été en âge de boire du café, je ne peux plus m'en passer. D'autant plus ces derniers jours, alors que je suis sur les nerfs à cause de Diego et du manque de sommeil. J'enchaîne les expressos et les tasses de café au lait, que ce soit au lycée, à la maison ou dans la chambre d'hôpital d'Abby.

- Allez, viens.

Mon cœur se réchauffe un peu lorsqu'il passe délicatement son bras dans mon dos. Je me sens gêné, là, tandis qu'il m'emporte vers la sortie. Je sens sa main sur ma taille, délicate et sans geste ambigu, et ça me plait.

Nous nous installons à une table au Starbucks du coin quelques minutes plus tard seulement. Il commande un caramel macchiato et, comme toujours, j'opte pour un simple cappuccino accompagné d'un cookie. Dans un premier temps nous restons silencieux, à simplement apprécier la chaleur des lieux alors qu'il fait si froid dehors, puis il finit par prendre la parole :

- Toujours pas de nouvelles ?

Je hoche négativement la tête : non. Je n'ai pas de nouvelles de Diego depuis ce soir-là. Je n'ai plus ne serait-ce qu'entendu sa voix depuis le soir où il s'est glissé dans ma chambre et qu'il m'a fait l'amour.

- Evan...

Je baisse honteusement les yeux. Mon coude droit est planté sur la table et mon menton est au creux de ma main, mon avant-bras relevé vers mon visage. Je me sens minable, là, à laisser échapper une larme tandis que mon dos est vouté comme si j'avais été battu. Je me souviens de ses baisers, de son sourire et de son magnifique regard brillant d'amour et ça me met plus bas que terre.

- Désolé ..., dis-je.

- Je... je t'avais dit de faire attention avec lui.

Je le sais, tout ça, et il s'avère qu'il avait raison. Je ne sais même pas si Dylan est mon ami, dans le fond notre relation est floue. Nous ne nous connaissons pas réellement, mais il était au courant avant de tout le monde de notre secret à moi et Diego et je sens au fond de moi que je peux lui faire confiance. C'est un peu comme si j'avais demandé un ami, pour m'aider, et qu'il était tombé du ciel comme par magie : je n'y comprends pas grand-chose, mais je fais avec.

- Je sais. Mais je...

- Je sais, oui. T'as pas pu résister à ses beaux yeux.

En fait ouais, c'est totalement ça. Les yeux de Diego Flores. Je pourrais passer des heures à gratter du papier pour les expliquer. Je pourrais écrire des pages et des pages sur la beauté de ses iris gris, éclatés de pépites couleur noisette, et des émotions que je peux y lire. Je pourrais disserter à l'infini sur mon cœur qui s'emballait, à chaque fois de façon différente, à chaque fois que je croisais son regard.

- Ouais.

- Juste... dis-moi s'il t'a blessé.

- Non. Pas physiquement.

Je peux comprendre que ça l'inquiète, vu l'état dans lequel je suis et vu le comportement impulsif de Diego. Je commence un peu plus à accepter le regard que certaines personnes ont sur lui, bien que je sache qu'il n'est pas aussi méchant qu'il n'y paraît. Je suppose que je commence à mûrir.

- D'accord.

- J'dois faire quoi ?

- Comment ça ?

Je lui tends la moitié de mon cookie, que je n'arrive plus à avaler. Il s'en saisit, un petit sourire triste sur les lèvres. Il l'engloutit en quelques secondes tandis que, là, je cherche mes mots.

- Je... j'arrive pas à... à l'accepter.

- Accepter quoi ?, me demande-t-il tout bas.

- Qu'il a rompu. J'veux dire... dans ma tête ça veut pas rentrer. Je sais que si je veux passer à autre chose, je dois me faire à l'idée. Mais j'y arrive pas, alors...

- Je ne peux pas t'aider pour ça, Evan.

- Je sais.

Je me prends le visage entre les mains, pour cacher mes larmes et me cacher de ce sentiment de honte qui me traverse. J'ai conscience que je ne devrais pas parler de ça avec Dylan, lui qui espérait plus avec moi dès le début, mais je n'ai personne d'autre. Bien que Lily ait accepté Diego – du moins, un peu – je ne me sens pas capable de lui dire tout ça. En réalité je l'évite depuis qu'il m'a largué.

- On peut sortir ce soir ?

- Tu es sûr ?

Je hausse les épaules, moi-même surpris par la question que je viens de poser. Je n'ai jamais trop aimé les boîtes de nuit, mais je suppose que j'ai juste besoin de décompresser un peu. J'ai besoin de musique forte, de foule et d'alcool. J'ai honte de réaliser qu'en fait, tout ce dont j'ai besoin là, c'est de prendre une énorme cuite.

- D'accord. Tu veux que je passe te prendre ?

- On peut se rejoindre là-bas ? Et tu me ramènes après ?

- Oui, si tu veux.

Je lui souris, à peine, avant de porter ma tasse de cappuccino à mes lèvres. J'en bois deux grandes gorgées d'affilée avant de la poser sur la table, entre nous.

- Evan...

La chair de poule recouvre mon bras droit lorsqu'il pose ses doigts sur ma main. Il en caresse le dos avec son pouce et, quand je lève les yeux pour le regarder, je me sens important.

- ... fais attention à toi d'accord ? Et à lui.

Je ferme les yeux. Je suis mal à l'aise quand il se penche sur la table, se fichant éperdument du reste du monde, pour déposer un petit baiser sur ma joue. Je frissonne, je me fige, et mes pommettes rougissent. Son odeur agréable titille mes narines et, encore une fois, je me dis que je n'aurais jamais dû lui téléphoner. Quitte à rester seul et à déprimer toute la journée, tant pis, lui demander de venir était une erreur.

- Je dois y aller, me dit-il. On se dit... onze heures, ce soir, au Monster ?

- Oui, d'accord.

Sauvé par le gong. Il bascule la capuche de son sweat sur sa tête avant de se lever. Il m'avait prévenu au téléphone, avant d'arriver, qu'il devait partir à 3 :30 PM. Je suis surpris de voir que le temps est passé aussi vite en sa présence.

- Tu vas me manquer.

Je lui souris, en guise de réponse, avant qu'il ne sorte de la boutique. Je me sens ridicule : il craque pour moi. Quand il me regarde, je n'ai pas de doutes sur ses intentions. Je ne suis pas aveugle, ni stupide, et je vois très bien qu'il me bouffe des yeux. Mais, malheureusement, ça ne me fait rien : je ne me sens pas excité, euphorique et guimauve comme lorsqu'il s'agit de Diego. Dans mon cœur et dans ma tête, il n'y a que lui. Jamais je n'aimerai Dylan, bien que j'ai conscience qu'il soit totalement adorable, attirant et sexy.

Quand je quitte la boutique à mon tour, après avoir passé dix minutes à penser à un torse couleur caramel et musclé, je me sens à nouveau vide.

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NewYork-Presbyterian Hospital | MANHATTAN – 4:20 PM.

Quand je retrouve Abby, je me sens un peu mieux. Je la rejoins dans la salle de jeux et la découvre assise aux côtés d'Eddy. Ils jouent au Jungle Speed et un sourire étire mes lèvres lorsque je les vois éclater de rire, heureux, parce qu'ils se disputent le totem.

- Coucou les petits monstres.

J'embrasse Abby sur le haut du crâne avant de m'installer à ses côtés, assis en tailleur sur un tapis multicolore. Je tends la main pour taper dans celle d'Eddy, qui me sourit.

- Salut Evan ! Tu veux jouer ?

- Allez !

J'aime les moments comme celui-ci. Je les apprécie aussi d'autant plus depuis que Diego m'a largué : partager un moment de bonheur avec Abby me permet s'oublier le bordel qu'est ma vie actuellement. Le temps de quelques minutes, quelques heures en sa présence, je pense à autre chose et ça me fait du bien.

- Tu vas gagner !, se plaint Abby.

- Mais non, je suis vraiment nul à ce jeu moi !

Bien évidemment, je mens. En fait, je suis un tueur au Jungle Speed. J'ai des réflexes dignes des plus grands stratèges et amateurs d'arts-martiaux, et je suis toujours le premier à dérober le totem. En théorie je ne devrais faire qu'une bouchée de deux gamins de huit ans, mais je compte bien leur faciliter la chose : je veux qu'Abby soit heureuse.

- Allez, c'est parti !

Nous enchaînons les parties. Les règles ne sont pas réellement respectées, bien évidemment, ça part rapidement à la bagarre. Pas de gestes violents, bien sûr, mais Abby déteste perdre et s'arrange toujours pour arracher des mains d'Eddy le totem même si, malheureusement pour lui, il s'avère qu'il est beaucoup plus réactif qu'elle en premier lieu.

Je les regarde jouer, totalement guimauve, parce qu'ils sont adorables. À la place d'Eddy, j'aurais abandonné le jeu depuis longtemps : Abby est pénible à mourir. Le truc, c'est qu'il est amoureux d'elle. Il se fiche qu'elle le balade, qu'elle lui tape sur les nerfs, parce qu'il l'aime et qu'il apprécie passer du temps avec elle.

On dirait moi avec Diego : je lui passe tout, j'arrive à faire abstraction de tout et n'importe quoi, parce que je l'aime. J'en suis raide dingue. Un gars normal aurait flippé et aurait coupé les ponts très rapidement. Je veux dire, putain, je me suis fait kidnapper par Skull. Diego m'a fait tourner en bourrique plus d'une fois et je suis au courant pour les atrocités qu'il a commises. Un garçon normal l'aurait largué et se tiendrait loin de lui mais, de toute évidence, je ne suis pas normal. Il me manque, et je rêve d'être dans ses bras, là.

- Coucou mes trésors.

Ma mâchoire manque de tomber lorsque je vois papa, planté derrière Abby. Cette dernière se lève en sursaut et lui saute dans les bras, tandis que je reste planté là comme un imbécile : il n'était pas censé revenir ce week-end. On ne l'attendait pas avant la semaine prochaine.

Dans un premier temps, c'est l'euphorie : papa est là, je suis heureux et tout excité comme un gosse le matin de Noël. Puis, ensuite, c'est un peu la panique et ce genre de sentiment que l'on ressent comme lorsque la tartine tombe par terre du côté de la confiture : je ne saurais pas l'expliquer avec des mots corrects, mais je me sens mal et lassé.

- Salut, Evan.

Je suis toujours assis par terre, en tailleur, comme un enfant. Les yeux rivés sur papa, je me sens minable : il sait. Il me connait par cœur et il sait que, ces derniers jours au téléphone, je lui ai menti. Il est au courant que j'ai rompu avec mon petit-ami car je le lui ai dit, mais je lui ai assuré que j'allais bien. Je ne m'étais pas préparé à lui faire face aujourd'hui et, là, je sais que j'ai une tête de six pieds de long. De plus, je ressens soudain une terrible envie de pleurer.

- S-salut.

Je me lève pour le prendre dans mes bras, distant malgré tout, avant de m'éloigner rapidement de lui. Des questions me brûlent les lèvres, du genre « qu'est-ce-que tu fais là ? » ou encore « maman sait que t'es ici ? » ou même « ton enquête est finie ? », mais je n'en fais rien. Je me tais. Je suis surpris par sa présence et la fatigue que j'accumule depuis quelques jours m'empêche d'être pleinement réactif.

- Tout va bien ?, s'inquiète-t-il.

- Hem... ouais. Je... j'allais rentrer. On se voit ce soir ?

- Heu... oui, d'accord ? Fais attention.

Il me regarde m'éloigner, un sourcil levé, tandis que je prends honteusement la fuite. Je m'engouffre à la vitesse de l'éclair dans ma voiture, garée sur le parking. Je suis frigorifié quand je boucle ma ceinture, si bien que j'allume aussitôt le chauffage une fois le moteur démarré. Je reste stationné un petit moment, à me demander comment je vais bien pouvoir gérer tout ça.

Steve Wright est un papa poule. C'est parfois un avantage, mais parfois aussi un putain d'inconvénient. Là, aujourd'hui, ce sera un inconvénient : à cause de son côté fouineur, je sais qu'il ne pourra pas s'empêcher de venir me poser tout un tas de questions. De plus, il va s'inquiéter : je sais qu'on voit à mon visage que quelque chose ne va pas. Même moi je me sens minable, comme si mon visage fondait sous la fatigue et le sentiment de vide.

Je suis heureux qu'il soit là, bien sûr, mais c'est bien la dernière chose dont j'avais besoin.

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Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 7:19 PM.

Je n'ai pas mangé, encore une fois. J'entends papa et maman qui discutent, au loin dans la pièce à vivre, pendant que je reste enfermé dans ma chambre. La porte n'est pas verrouillée, mais elle est fermée et je me sens en sécurité. La bonne odeur des lasagnes préparées par maman n'a pas réussi à me faire sortir de mon lit, devenu mon meilleur ami depuis quelques jours.

Les yeux rivés sur l'écran de mon portable, je me sens ridicule. Depuis près de cinq minutes, mes doigts survolent le clavier sans oser écrire. Je ne sais pas par où commencer. Je ne sais même pas si, au fond, c'est une bonne idée. Est-ce-que j'ai le droit de faire ça, lui envoyer un SMS ? Aussi simple soit-il, ne suis-je pas censé l'ignorer et l'oublier ? Je n'en sais rien, mais j'en ai trop envie. En fait, j'en ai besoin. Je sais pertinemment qu'il ne me répondra pas, bien sûr, mais j'ai besoin qu'il sache que je pense à lui, là.

À  : DIEGO ✉
07:51 PM – Tu me manques.

Je hais ce sentiment. Je déteste me sentir vide à ce point-là. Je me sens d'autant plus honteux lorsque je réalise que, tout ça, c'est à cause d'un garçon. J'ai 18 ans, bon sang, je ne devrais pas m'impliquer autant. Je n'aurais pas dû m'impliquer autant. Parfois je regrette : j'aurais aimé être ce genre de gars, comme Dylan Campbell, qui sort et couche pour le fun sans même se préoccuper de ses propres sentiments. J'aurais aimé être ce genre de personne, sauf que ce n'est pas le cas. J'accorde trop d'importance aux sentiments, et voilà où ça m'a mené.

Lumière éteinte dans ma chambre, je capitule. Je laisse mon portable sous mon oreiller, comme toujours, avant de venir me blottir sous ma couette. Je suis habillé, jean et hoodie, prêt à sortir au Monster avec Dylan. Dans le fond je n'en ai pas réellement envie, mais je me force à le faire : j'ai besoin de me changer les idées, et je sais que rester ici ne m'aidera pas à penser à autre chose.

Je me crispe quand j'entends la porte de ma chambre s'ouvrir, très discrètement. Je tourne le dos à l'entrée mais je sais, sans avoir à regarder, qu'il s'agit de papa. Qui d'autre ? Ma mère ne tire rien de moi depuis quelques jours et n'essaie même plus de me faire parler. J'ai honte, d'ailleurs, mais c'est plus fort que moi : je n'arrive pas à parler.

- Viens par là.

C'est amusant, un peu. Un petit sourire étire le coin de mes lèvres. La relation que j'ai avec papa pourrait sembler étrange pour beaucoup de monde, mais moi j'aime ça. C'est mon père mais aussi un peu mon meilleur-ami, ou grand frère. Je me sens bien quand il me serre fort contre lui, là, allongés en cuillère sur le lit. Il referme son bras fort autour de la couette et je le laisse faire : je n'ai pas le courage de le repousser, contrairement à maman.

- Alors, qu'est-ce qu'il se passe ?

Sa voix est douce et, là, je comprends qu'il est prêt à être patient. Parfois, lorsqu'il voit que je ne vais pas bien, il panique et ne peut s'empêcher d'exiger des réponses rapides. Sauf qu'il n'est pas idiot et que, là, il a compris que c'est vraiment important. Je ne suis pas en train de faire une crise d'isolement comme cette période, peu avant Noël, ou je boudais car ils m'empêchaient de sortir. Cette fois-ci c'est sérieux et, surtout, je n'y peux rien.

- Il me manque.

- Oh.

Je ne m'attendais pas à une autre réaction, en fait. Que pourrait-il dire d'autre ? C'est un papa poule, je suis certain que ça l'ennuie. D'une certaine façon, du moins.

- Tu l'aimes réellement ?

- Oui, papa. C'est pas... c'est bien plus que ce que tu crois.

Il a quelques fois été dans le déni, au téléphone. Il m'a plusieurs fois dit que ma relation n'était peut-être qu'une amourette. D'un côté il n'aurait pas tort, car à mon âge en général on ne pense pas aux choses sérieuses.

- Evan... tu as essayé de lui parler ?

- Oui. Mais... il a raison. C'est mieux comme ça.

- Pourquoi ?

- Je... laisse tomber.

J'aimerais tellement pouvoir lui expliquer. J'aimerais tellement pouvoir tout lui dire : Diego, le gang, Skull, les meurtres. J'aimerais pouvoir parler en sachant qu'il m'écouterait, en silence, jusqu'à ce que je termine de tout déballer. Mais je le connais et je sais qu'il péterait les plombs dès l'instant où il entendrait « Flores ». C'est peine perdue.

- Evan, je perds patience.

- Quoi ? ,

- Je ne sais rien de ce garçon. Tu as le cœur brisé et ça ne me plaît pas du tout. Quand vas-tu enfin me parler ?

Là, je me braque. Je me tends comme un arc et je suis incapable de dire un mot de plus. J'ai envie de parler, mais je ne m'en sens tout simplement pas capable. J'ai peur de sa réaction, j'ai peur de ce qu'il pourrait dire ou faire. Je ne veux pas tout gâcher : mieux vaut qu'il ne sache rien. Dans tous les cas, Diego ne veut plus de moi alors c'est terminé.

- Laisse-moi seul, papa.

- Evan.

- S'il-te-plait.

Je m'enroule encore plus dans ma couette, le visage enfoui dans mon oreiller moelleux. Je ne sais pas comment gérer, alors je me braque. Je m'y attendais, de toute façon. Je savais qu'il insisterait, qu'il voudrait enfin savoir qui est derrière tout ça, et je savais que je ne serais pas prêt à tout balancer.

Je suis surpris de le sentir se lever, en silence, pour quitter la chambre. Il me laisse seul sans rechigner et ça m'étonne beaucoup : en temps normal, il aurait insisté. Une larme roule sur ma joue dès l'instant où il referme la porte derrière lui. Plein d'espoir, je viens récupérer mon téléphone sous mon oreiller.

Rien. Pas un SMS, ni même un appel. Rien du tout, le vide. Je me demande s'il ressent la même chose que moi : est-ce-que je lui manque ? Est-ce qu'il se sent vide, lui aussi ? Est-ce-que c'est difficile à gérer, pour lui, toute cette situation ? J'aimerais avoir des réponses à mes questions. Malheureusement, il semble bien décidé à m'ignorer.

Le temps de quelques minutes, je m'assoupis finalement.

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21.01.18,
The Monster Club | MANHATTAN – 1:45 AM.

La musique est forte, tellement qu'elle me fait trembler le cœur et le ventre. J'ai chaud, je sue, j'ai mal à la tête, mais je dois avouer que je passe un très bon moment.

- T'es déchaîné ce soir.

Dylan rit contre mon oreille, et je ris aussi. J'ai la tête qui tourne quand il passe son bras dans mon dos pour me rapprocher de lui tandis que le rythme de la musique accélère.

- J'suis pas déchaîné... j'suis juste bourré.

C'est la vérité. Je suis complètement torché : j'y vois flou et j'ai l'impression que tout tourne autour de moi tant l'alcool commence à me monter au crâne. Je ne saurais pas dire si la vibration dans ma poche est due à mon téléphone ou à mon érection qui commence à se réveiller.

- Tu devrais faire une pause, boire un peu d'eau... tu sais, ce genre de truc. On va prendre l'air ? , tente-t-il.

- Non.

Même si je me sens engourdi, ailleurs et très mal, d'une certaine façon, je me sens aussi bien à l'intérieur. L'odeur de Dylan est agréable et je suis même surpris d'apprécier son corps contre le mien. Il est doux, mais aussi aguicheur et ça me plaît. J'ai envie de me laisser aller ce soir : je n'appartiens à personne. Je n'appartiens plus à Diego. J'ai le droit de m'amuser : après tout, il l'a bien fait, lui.

- Tu viens ? , je demande sur un coup de tête.

- Quoi ? Où ça ?

- En bas.

Je glisse mes doigts dans les siens et je l'emporte à ma suite vers l'escalier. Je titube en descendant les marches et, même s'il me suit, je sens qu'il est réticent. Au sous-sol, je trottine dans le dédale de couloirs à la recherche d'une pièce disponible : au fond à gauche, une lumière verte au-dessus d'une porte rouge m'indique qu'une chambre est libre.

- Evan, attend je...

Je claque la porte derrière nous. Je ne me reconnais pas : je suis assez hystérique, en fait. Dylan fait quelques pas dans la pièce, où trône en son milieu un magnifique lit à baldaquin en bois massif. Je distingue des anneaux couleur or fixés à chaque angle du lit, ainsi que quelques cordes noires et rouges, assez épaisses, de couleurs identiques à celles des murs de la pièce.

- C'est quoi le plan là, Evan ?

Dylan me regarde, les bras croisés sur sa poitrine. Il est beau, je dois l'avouer. Différent de Diego, mais beau aussi. Je hausse les épaules, tout en venant m'installer sur le lit. À genoux sur les draps, je retire mon hoodie en un geste maladroit : je manque de tomber à cause de l'alcool qui me donne l'impression d'être sur un bateau.

- T'as pas envie de moi ?

Je ne contrôle pas mes doigts, qui partent déboutonner mon jean et en abaisser ensuite la braguette. Je regarde Dylan dans les yeux, en transe et mort de peur, tout en tirant légèrement sur l'élastique de mon boxer : je bande. Je vois que, dans son jean, sa virilité commence à être à l'étroit également.

- Putain, si.

Je souris quand il me bascule sur les draps rouges en satin, ma tête posée sur un oreiller noir. Sa bouche dépose un baiser sur mon cou, où il mordille ma peau, et ses mains fines et expertes agrippent mes hanches, ma taille, mes poignées d'amour. Je me cambre contre lui qui, entre mes cuisses, presse son corps contre le mien.

- Attache-moi.

Je murmure ça tout bas, avide de tester encore une fois le sexe de cette façon-là. Je sais que ce n'est pas Diego et que, déjà, tout est différent. Mais je suis complètement bourré, je ne sais plus ce que je fais. C'est comme si mon cerveau ne fonctionnait plus réellement, comme si tout s'entremêlait dans ma tête. C'est douloureux, j'ai l'impression de devenir fou, et je ne sais pas comment gérer tout ça.

- Evan, non.

Je me fige quand il me dit ça, abrupt. Sa décision est sans appel. J'essaie de l'embrasser, sa bouche tout près de la mienne, mais il tourne la tête. Il pose sa main sur mon sternum et me bloque sur le lit, loin de lui, tandis qu'il se redresse pour me regarder. Ses joues son rouges, ses lèvres pulpeuses et ses beaux yeux me transpercent. Malgré tout, au fond de moi, je sais que je ne ressens rien : je ne suis pas en feu comme avec Diego. Je ne le désire pas de cette façon atroce et douloureuse comme lorsqu'il s'agit de Diego. Il a raison, je le sais, mais ça me vexe.

- Quoi, non ?

- Non, j'peux pas faire ça.

- Pourquoi pas ? , je ricane nerveusement.

- Parce que, Evan. T'es complètement bourré.

Il a raison : je constate qu'il m'a retiré mon jean. Je ne m'en étais même pas rendu compte. Je me sens stupide, là, seulement vêtu de mon boxer et assis en tailleur sur le lit. Lui, il est planté debout devant moi et me regarde : il a l'air en colère, mais aussi très triste. Il me regarde d'une façon adorable, très tendre et douce, mais ça me met en colère. Je ne sais pas pourquoi je m'énerve, car il est très prévenant, mais je crois que c'est une accumulation de tout : j'ai la haine.

- Tu sais quoi ? T'as qu'à te casser ! En fait ouais, barre-toi !

- Evan...

- Dégage !

En fait, je lui demande de partir parce que j'ai honte de moi. Je ne veux pas qu'il me voie comme ça, si mal au point d'être capable de faire n'importe quoi. J'étais prêt à coucher avec lui, là, alors que je n'en ai même pas réellement envie. Tout ce que je veux, c'est Diego dans mes bras. C'est stupide et niais à mourir, mais c'est ce dont j'ai besoin.

- Va t'en ! Si tu veux pas de moi alors dégage !

Il me regarde. Il est triste. Je n'ai pas réellement envie qu'il s'en aille, parce que je n'ai pas envie de me retrouver tout seul. Du coup, je suis déçu quand je vois qu'il capitule et qu'il sort de la pièce, après avoir claqué la porte derrière lui. J'aurais eu besoin qu'il reste, parce que je suis largué et que j'ai besoin d'une présence. Sauf qu'il ne me connait pas, qu'il ne sait pas qu'en fait, quand je dis « non » ça veut dire « oui ». Diego serait resté, lui, parce qu'il me connait.

D'ailleurs, en parlant de lui. Je ne sais pas ce qu'il me prend, en fait. Je suppose que j'ai juste envie de le faire mariner, de le mettre en colère. Je sais qu'il est à des kilomètres d'ici et que, pour une fois, il ne pourra pas intervenir. De plus, il ignore mes appels et mes SMS. Il ignorera certainement aussi celui-ci : un MMS. Simple et efficace. Je lui envoie une photo de mes jambes nues, étendues sur le satin rouge du lit à baldaquin. On reconnaît parfaitement qu'il s'agit de l'une des salles du Monster, car un panneau lumineux rouge au nom du nightclub est placardé près de la porte.

Après avoir cliqué sur « envoyer », je me mets à chouiner. Je me sens mal. Je n'arrête pas de le dire, je suis en boucle depuis des jours, mais je n'arrive pas à m'y faire. Je n'ai jamais été mal à ce point-là, si bien que je ne pensais même pas que cela puisse être possible. Je me sens sali et utilisé, comme un objet qu'on prend et qu'on jette une fois que l'on en a plus l'utilisé. J'ai beau savoir que Diego ne jouait pas, que les sentiments étaient là, je n'arrive pas à me dire que c'était une belle histoire. Il m'a fait tourner en bourrique, m'a attiré dans ses filets avant de me repousser, m'a laissé tomber dans ses bras avant de me repousser encore, et je le déteste pour ça. Je n'ai pas été fort, c'est vrai, car j'ai succombé. Mais je lui en veux de ne pas avoir été assez fort pour deux.

Je sursaute quand mon téléphone vibre sur les draps. La tête enfouie dans un oreiller qui sent le propre – je ne sais comment d'ailleurs – je sens mon cœur s'emballer. Quand je viens regarder l'écran, c'est la panique : Diego. Nous y voilà. Sauf que, cette-fois, c'est moi qui ai envie de l'ignorer : je veux qu'il paie. Il ignore mes messages depuis des jours ? Qu'il aille se faire foutre.

Quatre appels. J'ai beau laisser sonner exprès, il ne peut s'empêcher de me rappeler. Je me mords la lèvre : il insiste. Je l'imagine, en colère, parce qu'il ne supporte pas l'idée que je puisse être à moitié nu au sous-sol du Monster. Il sait très bien ce qu'il se passe habituellement dans ce genre de chambres. Agacé par son insistance soudaine, je décroche au cinquième appel. Aussitôt, j'entends sa voix :

- Tu te fous de ma gueule, Evan ?! Sors de là tout de suite, arrête tes conneries !

Je me mords la lèvre, très fort : il est en colère, jaloux, et ça m'embrase le corps et le cœur. Malgré tout je suis agacé : pas un bonjour, rien du tout, directement les reproches. Bien décidé à l'énerver, je chantonne :

- Bonjour Monsieur Flores, comment allez-vous ? Ça se passe bien en Floride ? Je n'avais pas de nouvelles depuis des jours, je...

- Arrête de jouer au con ! La vie de ma mère, Evan, sors de cette pièce !

- Ah ? Je croirais entendre un ordre ? Seriez-vous jaloux, monsieur Flores ?

- Evan... , grogne-t-il. Crois-moi si tu ne sors pas de là je...

- Tu vas faire quoi ? Hein ?! T'es pas là, Diego ! T'es pas là et tu m'as largué. Je fais ce que je veux, putain, et avec qui je veux !

Je l'entends à l'autre bout du fil, grogner comme pas possible, parce qu'il est en colère. J'entends même un choc sourd, comme s'il avait tapé du poing dans un mur ou sur une table. Dans le fond, très loin, j'entends de la musique. Il est au mariage de son frère et je suis heureux de lui gâcher sa putain de soirée. C'est puéril, c'est vrai, mais j'en suis fier.

- T'es avec qui, Evan ?

- C'est pas tes affaires.

- TU ES AVEC QUI ?!

Je ferme les yeux : il perd les pédales. Il hurle, fou de rage, et je sais que là je le rends dingue. Il pète les plombs, parce qu'il a toujours été jaloux et impulsif et que ça n'a pas changé. Le fait qu'il soit loin, qu'il ne puisse rien faire, lui fait perdre son calme. Il ne supporte pas l'idée qu'un autre puisse me toucher : il m'aime.

- Occupe-toi de tes oignons, Flores. T'as aucune leçon à me donner.

Je raccroche. Je me sens vide. Même si l'échange était houleux, avoir entendu sa voix m'a fait du bien malgré tout. Et je me sens d'autant plus vide et inutile lorsque le téléphone sonne, qu'il me rappelle encore et encore. Je finis par éteindre mon téléphone et me rhabiller.

Les larmes aux yeux, je quitte le club : je veux Diego Flores. Je le veux par-dessus tout.  

.   .   . #eastriverFIC 

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