CHAPITRE 50 - DIEGO
17.01.18,
Appartement n°4, HLM E, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 03:06 AM.
Je suis en sueur quand je me réveille. La chair de poule recouvre mes bras et un frisson d'horreur me remonte le dos : Evan. Encore une fois, j'ai paniqué. Je commence à avoir l'habitude de ces cauchemars ridicules et flippants, qui le mettent en scène aux côtés de Skull. Je ne compte plus le nombre de cauchemars horribles où j'ai pleuré au réveil, de haine et d'angoisse, parce qu'il mourait sous mes yeux.
Ces cauchemars ont toujours été là, depuis cette fois où Skull l'a enlevé pour me faire chanter, mais je dois admettre qu'ils s'intensifient depuis quelques jours. Depuis que je l'ai quitté. J'ai la nausée.
Il me manque. À chaque seconde, chaque minute et chaque heure, il me manque. Je passe mes journées à me demander ce qu'il fait, et mes nuits à penser à lui. Je n'ai pas remis les pieds au lycée depuis ce qu'il s'est passé avec Cliff, et je n'ai même pas réellement quitté ma chambre. Maman désespère de me voir sortir un jour et Andrea, elle, ne m'adresse plus la parole.
J'ai le sentiment d'être en train de la perdre. J'ai perdu Evan avec mes conneries et, désormais, c'est au tour d'Andrea. Je sais que je suis le fautif, que j'ai buté son petit-ami, mais je ne comprends pas non plus sa réaction : il aurait pu me tuer, c'était lui ou moi, et elle ne semble pas le comprendre. Elle me déçoit, un peu, mais je ne dis rien : j'ai décidé de lui laisser du temps pour encaisser tout ça. J'espère qu'elle me pardonnera.
Maman, elle, a cru à la version délivrée par Evan. C'est mieux comme ça : je ne veux pas qu'elle sache à quel point je peux être un pourri. Elle a déjà assez honte de Luis Sr et Luis Jr. Je ne veux pas lui briser le cœur une troisième fois : elle a trop confiance en moi. Je ne sais pas comment gérer ça.
Assis en tailleur sur mon lit, ma lampe de chevet désormais allumée, je regarde autour de moi : c'est vide. Rien n'a changé, rien n'a bougé, mais il manque quelque chose. Il manque une présence, autant dans l'espace que dans mon cœur. Il me manque Evan, et je le sais pertinemment. Je me sens seul, et vide.
Cela va faire six jours aujourd'hui. Presque une semaine sans lui : c'est difficile. Malgré les mots qu'il m'a balancés à l'hôpital, méchant, j'ai espéré qu'il m'appelle. J'ai espéré que ce ne soit que sur le coup de la colère, et qu'il reviendrait vers moi comme il l'a toujours fait. Sauf que ce n'est pas le cas, et ça me fait mal. Je ne sais clairement pas ce que je veux, mais j'ai le sentiment qu'il sera mieux sans moi. Malgré tout, malgré la conviction que j'ai fait une bonne action, j'ai la haine : je l'imagine dans les bras de Campbell. Était-il seulement sérieux ? Je ne pense pas, mais je sais qu'on peut parfois faire n'importe quoi lorsqu'on se sent blessé et trahi.
J'aimerais avoir de ses nouvelles, savoir comment il va. J'aimerais savoir s'il m'en veut ou s'il a compris ma décision. J'aimerais entendre sa voix, au moins un peu, juste quelques secondes. Je me fais un sang d'encre, à l'imaginer blessé et malheureux à cause de moi. Je n'ai jamais voulu le blesser, mais d'une certaine façon c'était nécessaire. De plus, j'ai pris une décision : le 25, tout sera terminé.
Une douleur atroce semble me transpercer le ventre, et je sais que ce sont les vestiges de ma blessure et de mon opération. Je m'efforce de respirer calmement, tout en m'allongeant à nouveau sur le dos. La douleur s'en va peu à peu, et je tombe à nouveau de fatigue.
Ce sont ses yeux que je vois avant de m'endormir.
X X X
Je suis assis dans le canapé, à regarder une émission stupide à la télévision. Andrea est en cours et maman est sortie acheter quelques petites choses à l'épicerie du quartier. Il est midis passés et je sirote une bière, à moitié allongé, tout en grignotant les restes d'enchiladas de la veille. J'en viens même à ignorer les coups frappés à la porte.
- FLORES !
J'ai la nausée soudain, et les battements de mon cœur s'emballent. Mon ventre se tord, et j'aimerais me faire tout petit. Comme un enfant sur le point de se faire réprimander, je m'enfonce dans les coussins du canapé comme si j'essayais de me cacher. J'entends sa voix derrière la porte, grave et colère, et je flippe. Je ne peux pas l'affronter. Pas lui.
- Je sais que t'es là, Diego. Ouvre !
Il n'arrête pas de tambouriner à la porte, presque hystérique, et j'en viens même à me dire qu'il serait capable de la défoncer. Je capitule finalement, après l'avoir laissé cogner deux bonnes minutes, et me dirige vers l'entrée. Je prends mon courage à deux mains avant de tourner le verrou et d'abaisser la poignée.
- Bordel, Skull est en furie ! Il te cherche partout depuis des jours !
J'ai honte de le laisser entrer chez moi. Il s'agit de Wayne – Steve, putain ! – du père de mon petit-ami et j'ai honte. Il vit dans un magnifique appartement à Manhattan et, ici, ce n'est qu'un taudis. Comment pourrait-il vouloir de moi pour son fils ? La pièce est minuscule, la vaisselle de trois jours attend dans l'évier et les hauts des murs sont moisis. Je déglutis :
- Désolé, j'peux pas sortir.
- Comment ça ?
- J'suis blessé.
- Mais encore ?
- Tu veux une bière ?
J'essaie de changer de sujet, mais je ne suis pas sûr de réussir. Il hoche positivement la tête et je fouille dans le frigo à la recherche d'une Corona. Quand je viens poser mes fesses sur le dossier du canapé, je remarque qu'il me fixe. Il me regarde de haut en bas, clairement alerté par ma façon étrange de marcher.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?, demande-t-il.
- Rien du tout.
- Ne me mens pas, cabròn. J'vois qu'y a un truc.
Comment arrive-t-il à faire ça ? Comment est-il si doué au point de prendre nos expressions et de parler de cette façon nonchalante ? Je dois avouer qu'il m'impressionne. Je sais que si j'avoue tout, je suis fichu : il est flic. Je dois mentir, je n'ai pas le choix, même si c'est le père d'Evan. Il sait déjà que j'ai buté Klayne. Je ne veux pas avoir un second meurtre sur le dos, légitime défense ou pas.
- J'me suis fait... planter. Enfin... ouais.
Je relève mon t-shirt jusqu'à mes pectoraux. Sur ma peau, un énorme pansement adhésif recouvre la cicatrice de mon opération. Malgré tout, ma peau est bleutée par endroits et je sais qu'il peut y distinguer les hématomes de la bagarre.
- Comment ?, demande-t-il d'un ton détaché.
- Je sais pas. J'étais... avec cette fille dont je te parlais. Deux gars sont arrivés, ils ont commencé à nous faire chier. On s'est battus et l'un m'a planté avant de se barrer. J'ai... je m'y attendais pas, j'ai merdé.
Il me regarde de haut en bas avant de planter son regard dans le mien. Je hausse les épaules en forçant une moue triste.
- C'est pas plutôt Cliff et ses abrutis de potes qui te sont tombés dessus ?
- Non.
- Ah. Donc il s'est fait flinguer pour rien au beau milieu d'une rue déserte ? , il ricane. Tu peux me le dire Flores, on est dans la même merde.
Je serre les dents : s'il ne s'agissait pas du père d'Evan, je lui referais certainement le portrait. Je n'hésiterai pas un instant à lui dire que je sais qui il est, et à lui dire qu'il arrête de me prendre pour un con. Sauf que je ne peux pas : si je craquais, je serais obligé de lui dire comment je l'ai découvert. Je me vois mal lui parler d'Evan, alors qu'il me soupçonne de meurtre, là.
- C'est pas moi, Wayne. J'ai aucune idée de ce qui s'est passé ce soir-là. J'étais à Manhattan.
- OK, si tu le dis.
Il hausse les épaules avant de boire deux gorgées de sa bière. Il regarde autour de lui, attentif, bien qu'il soit déjà venu dîner une fois. Il a l'air... dégoûté ? Je ne sais pas si c'est le mot, mais en tout cas son expression est négative.
- Faut que tu te ramènes au hangar. Skull pète les plombs, il veut te voir.
- OK.
Je n'ose pas le mettre à la porte, bien que j'en meure d'envie. Le voir là, face à moi, me met mal à l'aise. Quand il recommence à regarder autour de lui, j'en profite pour le détailler : ses yeux, ses lèvres, les traits de son visage, son nez, ses sourcils. Il a les mêmes yeux et le même nez qu'Evan, et ça fait mal.
- Tout va bien ? , me demande-t-il. T'es tout blanc.
- Ouais. C'est juste... ça fait mal, par moment. Tu peux me laisser seul ?
- Ouais, d'accord. Mais ramène-toi, OK ?
Je hoche la tête. Je flippe : Skull va certainement me faire la peau lorsque je vais me pointer dans son bureau. Il n'a pas eu de nouvelles de moi depuis six jours, depuis ce soir-là, et je suppose qu'il est en train de bouillir de colère. De plus, je sais à quel point il flippe que l'un de nous balance les infos pour l'échange du 25 : il est constamment sur les nerfs depuis qu'il nous a communiqué le plan.
- Rico commande des pizzas pour ce soir, y a foot. Tu devrais venir.
Je lui souris en guise de réponse, avant de lui claquer la porte au nez. Quand j'entends ses pas qui s'éloignent dans le couloir, je m'autorise à souffler. La nervosité retombe, et je me passe les mains dans les cheveux : je n'arrive même plus à le regarder dans les yeux.
J'ai honte.
X X X
Hangar des AlasNegras, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 8:49 PM.
- Qui t'a fait ça, Flores ?
Je suis assis sur la chaise face au bureau de Skull. Lui est assis sur son bureau, les jambes tendues devant lui, et me fixe avec ses gros yeux. Il est en colère, mais pas contre moi. Il a la haine que quelqu'un de son gang ait osé trahir nos valeurs en tentant de me tuer. C'est enfreindre la règle, c'est un manque de respect, et il ne supporte pas ça.
- J'sais pas.
- No me mientas !
Il frappe du poing sur la table, colère. Sa voix lorsqu'il hurle fait recouvrir mes bras de chair de poule et je ferme les yeux, terrorisé. Pour la première fois depuis que je fais partie du gang, il a été indulgent avec moi : dès l'instant où je lui ai montré ma blessure, afin de justifier mon silence et mon absence de ces derniers jours, il a semblé se radoucir. Il est loin d'être stupide.
- T'es au courant pour Cliff ? , je demande.
- Oui. C'est malheureux.
- C'était lui. Je me suis défendu, c'est tout.
- Ne me prends pas pour un idiot, Flores. Il n'était pas seul, tu l'aurais étalé en deux secondes.
- Ils étaient quatre, mais je sais pas qui c'était. Je te le jure, j'ai pas vu leurs visages.
Il fronce les sourcils, ses yeux plantés dans les miens. Il me regarde de haut en bas, comme s'il tentait de lire en moi. Je me sens mal à l'aise, comme mis à nu. Je déglutis quand il sourit comme un idiot, en coin, mesquin :
- T'as buté Cliff ? , demande-t-il.
- Légitime défense. C'était lui ou moi.
Moi aussi je suis en tort. Moi aussi j'ai tué l'un de mes frères. Je suis autant en tort que ceux qui ont osé me cogner. S'il le voulait, je sais très bien que Skull pourrait m'exploser le crâne sur son bureau en un quart de seconde. Malgré tout, à ma grande surprise, il n'en fait rien. Je ne peux pas m'empêcher de penser que, même s'il me hait, tout n'est qu'une question de favoritisme.
- Tu l'as quand même tué.
- Oui.
- Tout n'est pas perdu, alors. Je peux peut-être faire quelque chose de toi, Flores.
Son mépris me donne envie de vomir : il pense que je suis une mauviette, bien que je sois agile de mes mains et de mes poings. Il ne me pense pas capable de me conduire comme papa ou Luis, et ça me fout un peu la haine : pourquoi eux, et pas moi ? Non pas que j'éprouve du plaisir à être perçu comme un psychopathe, loin de là. C'est juste le principe qui me met en colère : sous prétexte que je suis réticent à devenir un criminel, je suis une mauviette. Je n'aime pas sa façon de penser.
- Rassure-moi, tu n'as rien dit à propos du 25 ?
- Non, à personne. J'dirai rien, Skull.
- Bien. Comment va Evan ?
Il sourit, en coin, et je serre les dents : c'est mon point sensible. Evan a toujours été ma faiblesse et il l'est d'autant plus maintenant que je l'ai quitté. Il me manque, et voir Skull parler de lui d'une façon aussi malsaine me fout la haine.
- Il va bien.
- Super alors ! , s'exclame-t-il. Fiche le camp, Flores. Hors de ma vue.
Je quitte le bureau les poings serrés au fond des poches de ma veste. Au beau milieu du hangar, c'est le bordel : le vieil écran plat de Skull est allumé et le sofa est occupé par près de 6 personnes. Autour d'une vieille table bancale, quelques gars sont réunis. Tout le monde picole et mange devant le match de foot. Je marche jusqu'à eux, tout en me faisant violence pour m'intégrer : je n'ai aucune envie de rester là, ce soir, à faire la fête comme si de rien n'était : mon petit-ami me manque, j'ai mal au ventre, et j'ai tué un ado.
- Alors ?
Wayne passe son bras autour de mes épaules mais je me libère, gêné et mal à l'aise par ce contact. Je m'empare d'une bière sur la table et d'une part de pizza, avant de me diriger vers la sortie. Devant le portail du hangar, appuyé contre la taule, j'engloutis ma part de pizza avant d'allumer une clope. Wayne fait de même près de moi.
- Il t'a dit quoi ?
- Rien d'important.
S'il savait ! Si seulement il savait que Skull a osé toucher Evan ! Je crois bien qu'il ferait une syncope, et qu'il le tuerait de ses propres mains. Je n'ose même pas imaginer la situation si Miguel, par exemple, se vantait d'avoir terrorisé le petit-ami de Diego Flores : Wayne est loin d'être un imbécile.
- J'peux te poser une question ? , demande-t-il.
- Ouais.
- Tu vas plus au lycée ?
Quand je viens le regarder, je remarque qu'il me fixe d'une façon étrange : yeux plissés, attitude inquisitrice. Je tourne ma langue dans ma bouche avant de parler : je pense à Evan. Je sais qu'il est proche de son père et que, quelques fois, il lui a parlé de moi sans jamais donner mon nom. Je ne sais pas ce qu'il lui a dit mais je suppose qu'il lui a parlé de mon intelligence, de mes bonnes notes et de mes passions.
J'ai le sentiment que Wayne – Steve ! – est en train de me tendre un piège mais j'ai aussi la conviction qu'il ne sait pas. Il se doute peut-être de quelque chose – ou bien c'est moi qui me fais des films – mais il n'est pas au courant : peu importe qu'il soit infiltré, il m'aurait certainement déjà fait la peau.
- Pour quoi faire ? , je demande.
- Bah j'sais pas. T'avais l'air d'aimer y aller.
- J'ai des notes de merde, j'comprends plus rien au programme.
- Pourquoi t'y es inscrit, alors ?
- J'voulais avoir mon diplôme. Pour maman, pour la rendre fière.
D'un côté, ce n'est pas tellement un mensonge : j'ai toujours été conscient que je ne pourrai jamais faire de longues études, mais je me suis au moins donné cet objectif-là. Je sais à quel point maman serait fière de moi, me voir diplômé dans mon lycée de Manhattan. Luis a arrêté les cours en troisième et Abraham, bien qu'il soit arrivé jusqu'à la terminale, n'a pas obtenu son diplôme. Les espoirs reposent sur moi et Andrea, bien que je sois conscient qu'elle suive le chemin d'Abraham.
- Oh, je vois.
Il ne dit rien de plus, et moi non plus. Je fixe un point invisible face à moi, dans les arbres et les buissons du parc, et mon cœur se serre. Evan me manque. Il me manque atrocement. Je disais que je ne pouvais pas me passer de lui, et c'est le cas. J'ai l'impression de ne plus vivre, ou de vivre alors qu'il me manque une partie de moi. Je ressens constamment un poids sur mes épaules. La sensation d'étouffement est horrible et insupportable, sans oublier angoissante.
- Où tu vas ?
Mon beau-père – façon de parler – me questionne quand je commence à bouger, après avoir écrasé le mégot de ma clope par terre. Le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine, je réponds :
- J'm'en vais. J'ai mal, j'ai besoin de m'allonger.
- OK.
- Tu restes là ? , je demande.
- Ouais, c'est cool.
Je lui souris, un peu et forcé, avant de m'en aller. Je grimpe maladroitement sur ma moto et commence à rouler, doucement, parce que les vibrations de la route semblent me transpercer le ventre. Bien que la cicatrice ait presque entièrement cicatrisé, c'est encore le bordel à l'intérieur. Mes chairs ont été malmenées et le médecin m'a informé des douleurs, qui pourraient persister jusqu'à quelques semaines supplémentaires.
J'ai la haine : cet abruti de Cliff a merdé.
X X X
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 11:29 PM.
Quand je pose pied à terre dans sa chambre, j'ai l'impression d'être sur le point de vomir. Mon ascension des escaliers de secours jusqu'au huitième étage m'a fait aussi mal qu'un énième coup de couteau, mais je n'ai pas pu me résoudre à faire demi-tour.
L'odeur de sa chambre m'apaise aussitôt, parce que c'est son odeur à lui. C'est ce parfum entêtant de fragrance pour homme et de son shampooing. Il fait sombre à l'intérieur, et je distingue son corps sous la couette quand j'éclaire les lieux avec mon téléphone portable. Je retire mes chaussures près de la fenêtre et viens ensuite verrouiller la porte de sa chambre, discrètement bien sûr. Je ne sais même pas si sa mère est là ou pas, mais je m'en fiche.
Je tombe à genoux devant son lit, près de sa table de chevet. Il est allongé sur le profil, le visage tourné vers moi, blotti sous sa couette. Ses lèvres sont entrouvertes, à peine, son nez est rougi et ses joues brillent : il a pleuré. Je le vois aux larmes séchées sur sa peau et à ses cils humides. Mon cœur explose en mille morceaux quand je vois mon bandana : il le tient au creux de sa main, contre sa bouche, son nez enfoui à l'intérieur. Je retiens mes larmes : je ne le mérite pas.
J'ai le cœur en miettes : il m'aime. Il a besoin de moi et je lui manque. Voir encore une fois à quel point il tient à moi me retourne l'estomac. Je n'arrête pas de le dire, mais il mérite tellement mieux qu'un minable comme moi. Si j'étais à sa place, je ne m'intéresserais jamais à quelqu'un comme moi. Si j'étais lui, je resterais dans mon confort et je trouverais quelqu'un de bien. Mais il ne pense pas comme ça : il pense à son cœur d'abord, et pas à l'image qu'il pourrait renvoyer. Il se fiche du reste du monde, tant qu'il m'a moi. Il m'aime, et il me veut moi.
- Diego...
Je me fige quand il murmure mon prénom, tout bas. Je vois ses yeux bouger sous ses paupières closes, et ses doigts se resserrer sur le tissu : il rêve. Je le regarde, mon téléphone à ma main, la faible luminosité braquée sur lui. Ses jambes bougent sous les draps et, plus les minutes passent, plus il s'agite.
- ... non... attendez.
Je me mords l'intérieur de la joue : est-il en train de rêver de moi en prison ? Je me souviens du jour où il m'en a parlé. Je me suis senti mal ce jour-là, parce que je savais à quel point son cauchemar pourrait peut-être un jour se réaliser. Soit je finirai mort, soit en prison. C'est comme ça, ça a toujours été programmé de cette manière. Je m'en veux de voir à quel point ça le rend malade et l'angoisse : je ne veux pas être une source de soucis pour lui. Pas à ce point-là.
Je pose mes doigts sur sa nuque. Je caresse sa peau et ses cheveux tout doucement, tandis que mon pouce caresse sa joue, sa tempe. Ma main est grande sur son visage et ma paume enveloppe son oreille à la perfection. Aussitôt, mes caresses semblent le radoucir. C'est comme s'il sentait ma présence à travers son sommeil, et ça me fait du bien. Il est beau.
Je déglutis, pétrifié, lorsque ses yeux croisent les miens. Il a ouvert les yeux si subitement que je n'ai pas pu m'y préparer. Je me sens mal, comme ça, ma main sur son visage tandis que je le bouffe des yeux. Je m'attends à ce qu'il me demande de dégager, d'arrêter de le faire tourner en bourrique, mais je ne suis même pas étonné lorsqu'il extirpe son bras de sous la couette pour m'attraper par la nuque.
- Evan... arrête, on ne...
- Je sais. On n'est plus ensemble, dit-il tout bas. Mais... juste ce soir ?
Je capitule. En fait, je n'arrive pas à résister. Il se redresse dans le lit, assis face à moi, et me vole un baiser en attirant mon visage à lui. Tandis qu'on s'embrasse, je le sens tandis qu'il s'affaire à me retirer ma veste. Mon pull s'en suit, puis il déboutonne mon jean et en abaisse la braguette. Je suis surpris de la vitesse à laquelle il me déshabille et, même si c'est mal et que je n'étais pas venu pour ça, ma virilité se réveille : je l'aime, je le désire, et ça ne changera jamais.
- Pourquoi tu me détestes pas ?, dis-je tout bas.
- Ne crois pas... je te déteste, Diego. Je te hais.
Je souris, et un gémissement se bloque dans ma gorge quand il se lève pour me faire basculer sur le lit. J'ai des frissons partout lorsqu'il grimpe à califourchon sur moi. Ma virilité durcit contre ses fesses, et je suis gêné de remarquer qu'il était déjà totalement nu.
Il pose ses mains sur mon ventre, sur mes abdominaux, en prenant soin d'éviter ma blessure. Seule la lumière des lampadaires à l'extérieur nous éclaire désormais, et je le distingue à peine. Les ombres dansent sur sa peau dorée et c'est magnifique. Tellement que j'en ai le souffle coupé.
- Mais je t'aime aussi... tellement.
Je ferme les yeux quand il m'embrasse, à pleine bouche, mais aussi très tendrement. C'est doux et amoureux, et j'ai le cerveau qui déconnecte. Je pose mes mains sur ses hanches, et balade mes doigts un peu partout sur sa peau. Lui, tout en m'embrassant, s'affaire à ouvrir l'emballage d'un préservatif. Quand il le déroule sur moi, contre ses fesses, je cesse de respirer.
- Evan...
C'est de la folie. Ce que je ressens à chaque fois que je suis en lui, à chaque fois qu'il est là comme ça contre moi, me retourne le cœur. J'ai mal à l'âme, en fait. Je n'ai même plus l'impression d'être sur Terre, et ça me fait peur : jamais auparavant je n'ai ressenti quelque chose d'aussi intense. Jamais avant Evan je n'avais vécu le sexe d'une façon aussi belle. J'ai envie de pleurer, là, parce qu'il n'est plus à moi mais qu'on s'aime malgré tout comme des dingues.
- Te amo, Diego.
C'est un délice de l'entendre me parler en espagnol. Ces trois mots claquent subtilement sur ses lèvres et sa langue, et c'est planant. De plus, la façon dont il me chevauche me fait perdre la tête : il est très bon.
- Evan... mon amour.
Il l'est. C'est mon petit-ami, l'amour le plus important de ma vie. Je ne peux pas me passer de lui, je ne pourrai jamais.
- Pose tes mains sur moi.
Je m'exécute, parce qu'il a besoin de moi et que je veux qu'il soit heureux. Je veux que tout soit parfait pour lui, même si ça me rend dingue : le toucher en sachant que je devrai le quitter après tout ça me retourne le cœur. Mais je le caresse, parce qu'il me le demande, et sur le moment c'est délicieux. Sa peau est douce sous mes doigts, laiteuse et chaude. C'est merveilleux.
- Eres hermoso...
Je soupire d'aise quand je me sens, là, au plus profond de lui. Ses chairs se referment sur moi, et c'est tout comme s'il m'aspirait à l'intérieur de ses reins. Je m'agrippe à sa taille, mes ongles maladroitement plantés dans sa peau, tandis qu'il se cambre en balançant la tête en arrière. Il soupire, sans gémir : c'est un ébat silencieux, et c'est encore meilleur que toutes ces fois où nous gémissions comme des dingues.
Je me tais lorsqu'il vient embrasser ma gorge. Je commence à trembler quand sa bouche s'attaque à mon cou : il mordille et suçote ma peau, avant de la lécher du bout de la langue. Ses mains passent dans mes cheveux et, son ventre légèrement posé contre le mien, je le sens encore et encore onduler des hanches sur ma virilité. Il m'hypnotise et me charme, comme un serpent, et je perds la tête. Mes mains s'aventurent sur ses fesses, que j'écarte et que je presse, tout en blottissant mon visage au creux de son cou.
- Me vuelves loco, je soupire. Dios...
Je perds le contrôle. J'ai toujours parlé espagnol quand j'étais gamin, bien que nous vivions déjà aux Etats-Unis depuis des années. Mais maman me parlait toujours dans sa langue natale. J'ai ensuite appris l'anglais et, là, je sais que je suis en train de perdre pieds : ma nature revient au galop.
- Lo siento, Evan... te amo.
- Quoi ?
Il soupire contre mon visage et je l'embrasse sur le front : je l'aime. Quand il jouit dans mes bras, qu'il s'écroule sur moi, je lutte pour ne pas pleurer.
- Je suis désolé...
. . . #eastriverFIC
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