CHAPITRE 5 - EVAN

18.09.17,
East Side Community High School | MANHATTAN – 1:21 PM.

Je n'arrête pas de ressasser ce qui s'est passé avec Diego Flores  : son arrogance et son air bourru, fermé, comme s'il haïssait le monde entier. Je me dis que j'ai certainement été ridicule, planté là devant lui, à lui demander de ses nouvelles  : j'ai vu qu'il était surpris. Je suppose que je suis l'une des rares personnes ici à m'être un jour inquiété pour lui.

Inquiété est un bien grand mot. En réalité, je voulais simplement me montrer poli. Après avoir renversé sa moto et bien conscient que j'aurais pu le blesser beaucoup plus gravement, je voulais faire bonne figure. Il n'a pas l'air d'avoir compris  : j'ai eu l'impression, un court instant, d'être un insecte à ses yeux. Il m'a regardé comme s'il avait voulu me détruire, et m'a repoussé en un clin d'oeil.

Assis à ma paillasse en cours de sciences humaines, je rêvasse. Un sentiment de honte m'envahit  : je n'arrive pas à me sortir de la tête l'idée que, malgré son comportement effrayant, Diego Flores est un garçon très séduisant. Seul un idiot – ou un aveugle – oserait le nier. Et je ne suis pas idiot, et encore moins aveugle. Diego est le genre de beauté dangereuse, qu'on peut aussi bien trouver chez les filles que chez les garçons  : il est grand, musclé, tatoué, des cheveux bruns et courts lui donnant un air rebelle, des yeux gris foncé parsemés d'éclats bruns, et des lèvres pulpeuses qui vont parfaitement avec la ligne de sa mâchoire légèrement saillante, forte. Un court instant, je me demande ce que ça doit faire d'embrasser un garçon comme lui et une seule réponse me vient à l'esprit  : torride.

- Monsieur Wright, vous êtes avec nous  ?

Je sursaute quand j'entends mon nom, lointain, s'échapper de la bouche de mon professeur. Il me fixe par dessus ses lunettes, debout devant le tableau où il dessine un schéma dont j'ignore l'utilité.

- Heu...oui, oui bien sûr. Désolé.

Je suis ravi qu'il accepte mes excuses d'un signe de tête, avant de reprendre ses explications. Je secoue la tête pour chasser toutes ces pensées étranges portées sur Diego, avant de tirer une feuille blanche de mon trieur. En silence, concentré, je commence enfin à copier la leçon.

Mais bien vite, je me rends compte que je me perds à nouveau dans mes pensées, bien trop perturbé par la bouche tentante de Diego Flores.

X    X    X

Un rapide coup d'oeil à la pendule m'indique qu'il est 2:32. Je me sens stupide, assis contre mon casier comme un idiot. Le bâtiment A, bâtiment principal, est désert et j'en viens même à regretter que notre professeur soit absent. La plupart des élèves se sont éparpillés dehors, en petits groupes d'amis, tandis que je reste seul  : Léa est encore absente, malade depuis la semaine dernière. Je me sens inutile, comme un oiseau à qui on aurait brisé les ailes, incapable de voler.

J'ai passé le reste du cours de sciences humaines à fantasmer sur Diego Flores – plus sur son corps que sa personnalité, en réalité – ce qui m'a permis de trouver une occupation pour cette heure perdue  : recopier ce fichu schéma dont je n'ai écouté aucune explication. Une gentille fille de la classe a bien voulu me laisser sa feuille.

Me voilà donc, assis contre mon casier au beau milieu d'un couloir désert. Le seul bruit que j'entends provient, étouffé, d'une salle de classe à proximité de moi. Mes genoux pliés, un livre de cours épais posé dessus pour prendre appui, je recopie désormais la légende du schéma, qui représente un cœur ainsi que les nombreux vaisseaux sanguins qui y sont reliés.

Quand j'entends des pas à l'autre bout du couloir, provenant d'une autre aile du bâtiment, je relève discrètement la tête. Mon ventre se tord légèrement lorsque je l'aperçois, Diego Flores, s'engouffrer dans l'infirmerie. Je hausse un sourcil  : pourquoi un garçon aussi fort – et fier – que lui se rend-il à l'infirmerie  ? Je me sens ridicule, ayant soudain l'impression de passer mon cerveau en mode détective.

Je ne saurais pas expliquer pourquoi Diego m'intrigue autant. Certainement déjà parce que c'est un garçon ténébreux et mystérieux – clairement – mais peut-être aussi parce qu'il ne m'a pas frappé, contre toutes attentes, lors de notre accrochage sur le parking. Ce jour là, j'ai vraiment cru qu'il allait me faire la peau lorsqu'il est venu tambouriner à ma vitre pour m'extirper de ma voiture. Mais il ne l'a pas fait et, d'une certaine façon, le fait qu'il m'ait épargné me donne envie d'en savoir plus sur lui.

Plus guidé par un coup de tête que par une décision rationnelle, je jette mes affaires dans mon sac avant de me relever. Le temps du court trajet qui me sépare de l'infirmerie, j'essaie de trouver une excuse. Envie de vomir  ? Mal de tête  ? Trop tard, me voilà déjà en train de pousser la porte. À mon grand regret, la salle d'attente est déjà vide et la réceptionniste m'accueille immédiatement.

- Bonjour, jeune homme. Qu'est-ce-que je peux faire pour toi  ?

Je regarde autour de moi, distrait, les nombreuses affiches de prévention collées aux murs  : contraception, addictions, infections sexuellement transmissibles. Je me sens mal à l'aise.

- Heu... bonjour. Je... je voulais savoir si vous avez pas des médicaments pour la migraine.

- On peut te donner du paracétamol.

- J'en ai déjà pris, ce matin. Je me demandais si vous n'aviez pas autre chose, de plus efficace.

Je suis surpris de la facilité que j'éprouve à mentir. J'arriverais presque à me convaincre de mon mal de tête imaginaire. Pour couronner le tout, je fais la moue et je lui lance un regard de chien battu. Elle ricane.

- Tu as des allergies  ?

- Non. Du moins, pas que je saches.

- D'accord. Viens avec moi.

Je la suis en silence à travers un long couloir avant que nous nous engouffrions dans une petite pièce exiguë  : la réserve. Des étagères en fer y sont dressées, remplies de médicaments, pommades et bandages en tous genres. Je me tiens sur le pas de la porte.

- J'ai ça, si tu veux. Je te laisse la plaquette, il n'en reste que quatre.

Je tends la main pour récupérer ce qu'elle me tend. Alors qu'elle s'apprête à se lancer dans des recommandations, sa collègue nous interrompt. Ma présence ne semble pas les perturber, et j'en suis ravi. Je me permets d'écouter.

- Emma, tu n'aurais pas vu les compresses de gaze  ? Je n'en trouve pas.

- Commandées, on est à sec. Un problème avec Flores  ?

Je relève brusquement la tête en entendant son nom, et elles semblent le remarquer. Plus bas, mais pas assez pour que je n'entende pas, elle reprend  :

- Tu parles d'un problème.

L'infirmière en chef se munit de plusieurs paquets  : lingettes désinfectantes, morceaux de coton, crème cicatrisante et bandages adhésifs. Sa collègue Emma la suit tandis que nous quittons tous les trois la réserve. Nerveux, je triture entre mes doigts la plaquette de médicaments qu'on vient de me donner. Et puis, alors que l'infirmière s'engouffre dans une pièce, je le vois.

Je me sens comme un voyeur, les yeux braqués sur lui. On pourrait croire que je ne ressens pas la moindre honte à le regarder ainsi mais, en fait c'est tout le contraire  : je suis tellement gêné que je suis incapable de détourner le regard.

J'ai l'impression de fondre comme de la glace au soleil, mes yeux coulant de son visage jusqu'à ses pectoraux musclés, pour finir sur ses abdominaux grossièrement dessinés. Ses bras musclés sont recouverts de tatouages – je le savais - mais son torse, lui, est vierge et magnifique. Je me mordille l'intérieur de la joue, subjugué, tandis que je reviens poser mes yeux sur son visage  : il me fusille du regard. Je déglutis.

Quelques secondes plus tard, la porte se referme sous mes yeux et je me sens vide. Tout un tas de questions trottent dans ma tête. Pourquoi est-il torse nu  ? Est-il gravement blessé  ? Pourquoi l'infirmière avait-elle l'air aussi alarmée  ? Je me sens ridicule à m'inquiéter ainsi pour un parfait inconnu. Emma, la réceptionniste, me tire hors de mes pensées  :

- Je disais donc  : tu en prends deux maintenant. Si tu as toujours mal dans six heures, tu en reprends un autre. Ainsi de suite, sans dépasser trois par jour. Normalement, dès la première prise ça ira mieux.

- D'accord. Merci beaucoup.

- Avec plaisir. Ton nom, au fait  ?

- Evan Wright. 1ereB.

Je lui lance un sourire en guise d'au revoir avant de m'échapper de l'infirmerie. Encore une fois, mes pensées se portent sur Diego.

X   X   X

NewYork-Presbyterian Hospital | MANHATTAN – 6:10 PM.

Je suis venu à l'hôpital directement après avoir quitté le lycée. L'envie de voir Abby m'a tiraillé le ventre toute la journée, mais mon cœur s'est immédiatement réchauffé quand je l'ai vue, en train de rire dans son lit d'hôpital à une blague que venait de lui faire Lily. Nous avons bien rigolé tous les trois, abrutis par une émission télé stupide mettant en scène les animaux d'un zoo. Pendant un moment, ensuite, j'ai regardé Abby qui se laissait vernir les ongles en rose bonbon par Lily tandis que je fixais un point invisible à travers la fenêtre.

- Tu as l'air perturbé.

Ma tasse de cappuccino froid entre mes mains, je lève les yeux vers Lily. La cafétéria de l'hôpital est presque vide à cette heure-ci et je sais parfaitement que j'ai l'air déprimé, à fixer la table d'un air absent.

- Un problème avec Flores  ?

Je manque de m'étouffer avec ma propre salive, sous l'effet de surprise. Je la regarde, haussant un sourcil. Je suis surpris.

- Pourquoi tu dis ça  ? , je demande.

- Je t'ai vu lui parler, pendant la pause déjeuner.

- Ah , je hausse les épaules. J'ai juste voulu... être poli, par rapport à vendredi.

Elle sait de quoi je parle, bien évidemment. Je me tais, buvant une gorgée de ma boisson désormais froide plus par automatisme que par réelle envie. Les yeux rivés sur la table, je suis conscient du regard de Lily sur moi.

- Il est mignon, hein  ?

J'entends le ton taquin de sa voix. Elle me donne un coup de pied aguicheur sous la table pour me faire réagir et, honteux, je sens mes joues s'empourprer. Un sourire stupide étire le coin de mes lèvres, malgré moi. Elle le remarque immédiatement.

- Je le crois pas  ! T'en pinces pour lui  !

- Je n'en pince pas pour Diego Flores. Tu dis n'importe quoi.

- Menteur  ! T'es rouge comme une tomate  !

À cet instant là, j'essaie plus de me convaincre moi-même que la convaincre elle. J'y arrive, un peu  : ce que je dis n'est pas totalement faux.

- OK. Peut-être un peu. Je veux dire... avoue, il est carrément... sexy.

- Sexy  ? Oh mon dieu, Evan  ! , elle semble choquée, comme si le simple fait de craquer sur Diego Flores portait malheur.

- Bah  ? Je l'avoue moi, au moins. Il est mignon, il me plait. Mais... c'est pas mon style de gars. Il est toujours là, arrogant et bourru. J'ai essayé de m'excuser, il m'a dit de dégager.

Je hausse les épaules et, là, je me demande si elle me comprend. Si seul le plan physique comptait, j'avouerais haut et fort être attiré par Diego Flores. Sauf que la personnalité compte également et que la sienne ne me correspond absolument pas. Hors de ma vue. Je vois au regard de Lily qu'elle me comprend.

- Mhmh, je vois , dit-elle.

- C'est juste que... il m'intrigue. Il aurait pu me frapper à cause de l'accident, mais il ne l'a pas fait.

- C'était rien, Evan. Il n'a juste pas voulu se battre pour si peu.

- P't'être bien.

Je hausse les épaules à nouveau, les yeux rivés sur un écran plat fixé au mur qui diffuse les informations. La pendule accrochée au dessus du self-service m'indique que nous pourrons retrouver Abby dans 10 minutes, une fois ses soins médicaux terminés. Je me sens stupide quand, tout bas, je lâche  :

- Il est vraiment très beau.

- C'est vrai que... tu n'as pas tort.

Nous ricanons comme deux imbéciles. Cul-sec, je finis mon cappuccino refroidi et, par la même occasion, totalement dégoûtant.

X   X   X

J'aime ces moments où je me retrouve seul avec Abby. Nous pouvons discuter de tout et de rien tous les deux. J'ai conscience qu'elle partage avec moi certains secrets dont elle ne parlera jamais à papa ou maman, pour la simple et bonne raison que je suis son grand frère  : elle se sent rassurée avec moi et n'a pas honte de parler de certaines choses. J'apprécie ces moments-là. Ils sont précieux à mes yeux.

- J'aimerais te présenter Eddy, tu sais il est très gentil.

- Ah oui  ? Quel âge il a déjà  ?

- Neuf ans. Il est dans une chambre, pas très loin d'ici. Il m'a dit qu'il aimerait te connaître.

Elle coiffe distraitement sa poupée avec ses doigts. Assis côte à côte sur son lit, les jambes allongées devant nous, nous regardons Peter Pan le film sur la petite télé de sa chambre d'hôpital. Je l'embrasse sur le haut du crâne, par dessus ce bandana qu'elle ne quitte jamais, pas même devant moi. Aujourd'hui, il est vert pomme.

Eddy, c'est son amoureux. Elle m'a avoué l'aimer beaucoup il y a quelques semaines, alors qu'elle accrochait un joli collier de fleurs fait main au dessus de son lit. Le fameux Eddy le lui avait fabriqué avec les fleurs du parc de l'hôpital, l'après-midi même. Je dois avouer que j'étais réticent au début  : ma petite sœur adorée et fragile amoureuse d'un petit garçon, ça m'a fait tout drôle. À mes yeux, elle est encore trop jeune pour penser à ce genre de choses, mais je me souviens alors qu'à cet âge là nous ne sommes qu'innocence et douceur. D'autant plus ces enfants mal gâtés par la vie.

- Tu l'aimes  ? , je demande.

- Oui beaucoup. On s'est fait un bisou.

- Hein  ?!

Je ne peux m'empêcher de m'exclamer, sous l'effet de la surprise. Je la regarde de haut, mes yeux écarquillés, agacé. Elle fait la moue.

- Sur la joue, ça va.

- Oufff, tu m'as fait peur. Fais attention, hein  ?

- Ouiiiii, oh.

Je sais qu'elle n'aime pas que je la couve ainsi, mais je me sens obligé de le faire. C'est ma petite sœur. C'est mon rôle.

- Tu dis rien à maman et papa, hein  ?

- Oui, tu le sais. Juré.

On croise nos petits doigts ensemble en signe de promesse. Je souris et l'attire contre moi, sa tête contre mon torse, alors que nous nous affaissons un peu plus vers le bas du matelas. Épuisé par ma journée, je suis conscient d'être en train de m'assoupir.

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19.09.17,
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 02:30 AM.

J'ai le souffle court, les yeux rivés au plafond. Mon volet laissé ouvert, tout comme mes rideaux, me permettent de voir assez distinctement les détails de ma chambre plongée dans l'obscurité de la nuit. Un rapide coup d'oeil à mon téléphone me dit que j'ai dormi près de trois heures déjà, mais je ne me sens pas reposé. Au contraire.

Quand je glisse maladroitement ma main droite dans mon boxer, je constate avec effroi que j'ai joui, sans même me toucher, bien trop perdu dans les limbes d'un rêve carrément trop érotique. Mon propre sperme se glisse entre mes doigts et, pour la première fois, je trouve ça dégoûtant.

Je ne me souviens pas des détails, car tout semblait trop sombre dans ce rêve. Je me souviens juste de cette impression d'avoir été assis sur quelque chose, à califourchon, tandis que des mains semblaient se balader sur ma peau. Ma peau nue. Je ressens encore de l'électricité dans le bas des reins et, aussitôt, la vision d'un visage plongé entre mes fesses me revient  : je n'en distingue pas les traits, mais une masse de cheveux bruns et courts semblait me caresser la peau.

Je bande. Cette fois-ci, j'en ai conscience. Les images de mon rêve ne me reviennent plus en tête, mais je me souviens en revanche de chaque sensation que j'ai eu l'impression de ressentir, comme si l'acte avait été réel  : le mal de ventre, la douleur délicieuse entre mes jambes, la douceur d'une caresse buccale sur chaque centimètre de ma peau, la griffure de quelques ongles sur mon dos et la claque d'une main sur mes fesses. Mon souffle s'accélère encore plus au souvenir de ce flot de sensations si familières mais si lointaines, et je ne peux m'empêcher de me toucher.

Quand je ferme les yeux, ma main allant et venant sur mon membre fièrement dressé d'envie, je vois le visage de Diego Flores.

.   .   . #eastriverFIC 

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