CHAPITRE 46 - DIEGO

09.01.18,
East Side Community High School | MANHATTAN – 4:45 PM.

Le professeur Powell nous autorise à quitter la salle avant la sonnerie. Autour de moi, les élèves balancent leurs affaires dans leurs sacs et quittent la pièce comme des sauvages, laissant leurs chaises un peu partout dans la salle. Installé au fond de la classe, à ma paillasse habituelle, je ne bouge pas. En silence, pas le moins du monde pressé, je termine de recopier sur ma copie le cours schématisé au tableau.

- Je peux m'asseoir  ?

Je lève les yeux vers mon professeur, qui tire le tabouret de la paillasse devant la mienne pour s'installer. Je hoche la tête en silence, et il vient s'asseoir face à moi. Je ne sais pas ce qu'il me veut et, moi, je ne sais pas quoi lui dire  : je n'ai rien à lui dire, en fait. Quand je termine de recopier mon cours, je jette mon stylo dans ma trousse et enferme mon trieur dans mon sac.

- Tu as réfléchi  ? , me demande-t-il.

- Comment  ?

- Pour Harvard.

Je serre les poings et les dents, et je roule des yeux. Je soupire aussi, lassé, quand je vois son regard brillant et fier. Aucun professeur n'a jamais cru en moi à ce point là, et je ne peux pas nier que ça me fait chaud au cœur. Sur la défensive, je réponds  :

- J'irai pas là-bas. J'croyais avoir été clair.

- Oh, oui. Le seul problème, ce sont tes yeux.

- Quoi, mes yeux  ? , je lève un sourcil.

- Tu dis non, mais tes yeux disent oui.

Honteux, je baisse la tête. Il me regarde, bienveillant, un petit sourire triste mais amusé sur les lèvres. Ce professeur est bon, vraiment. Pas seulement bon dans ce qu'il nous enseigne, mais aussi bon dans le sens où il a un grand cœur. Il est en fait plein de bonté et ça me rassure un peu, d'être là face à lui, plutôt qu'un autre. Il est assez âgé, certainement pas très loin de la retraite, et il a un petit côté protecteur et délicat, comme un grand-père.

- Tu peux me parler, tu sais  ? Je ne suis que ton professeur, mais c'est parfois plus simple de discuter avec son professeur qu'avec ses proches.

Je le regarde, une moue gênée sur les lèvres. Le voir convaincu à ce point me donne envie de lui expliquer pourquoi, justement, je refuse d'aller à Harvard. Je suppose qu'il a le droit de savoir pourquoi un mec aussi intelligent que moi se refuse un avenir incroyable. Tout bas, bourru, je demande  :

- Vous savez c'qu'on dit sur moi, pas vrai  ?

- Quoi donc  ? Que tu as un petit-ami  ? Oui, je le sais.

Il me fait un petit clin d'oeil, et je retiens un sourire. Il se fiche de moi, clairement, et même si ça m'agace je trouve ça gentil. J'ai l'impression d'être un jeune enfant totalement déstabilisé, et je n'aime pas ça. Je me sens faible et vulnérable.

- Non... , je dis. Ce que les autres disent par rapport à ma vie, à Brooklyn.

- Oh, tu veux dire, cette histoire de gang  ?

Quand il le dit, à voix haute, c'est comme un coup de couteau dans le ventre. C'est douloureux de voir que les rumeurs dépassent les élèves et que même nos professeurs en ont connaissance. Je m'en doutais, en réalité, mais avoir confirmation me fait frissonner. Je comprends désormais pourquoi la plupart de mes professeurs sont froids et distants avec moi  : ils ont tout simplement peur de moi.

- Ouais.

- Et alors, c'est vrai  ?

- Oui, c'est vrai, j'avoue. J'aimerais aller à Harvard, vous savez. Vraiment. Mais j'ai une vie très compliquée et... ça craint. Je suis le seul qui puisse prendre soin de ma mère et de ma sœur. Je peux pas les abandonner, c'est dangereux où je vis et... je ne peux pas. La famille, ça passera toujours en priorité.

Il hoche la tête, en silence. Il semble réfléchir mais, finalement, ne dit rien. Un petit sourire triste étire ses lèvres avant qu'il ne fasse la moue. Vaincu, il me dit simplement  :

- Je comprends. Saches que si un jour tu changes d'avis, une porte te sera toujours ouverte.

Je ne comprends pas trop ce qu'il me dit, surtout quand il me tend une enveloppe. Elle est blanche, simple, et seul mon prénom est écrit dessus à l'encre noire. Je m'en saisis prudemment avant de la faire tourner entre mes doigts pour l'observer.

-C'est quoi  ? , je demande.

-Une lettre de recommandation. Juste au cas où.

Il me sourit, me tapote l'épaule, et se lève pour rejoindre son bureau. La sonnerie retentit dans les couloirs, annonçant la fin de ma journée, et je suis soulagé. Mal à l'aise, je quitte la salle sans lui adresser un mot, ni même un regard, après avoir enfermé la lettre au milieu de mes affaires de cours.

Dans le couloir noir de monde, je me sens toujours aussi seul. Malgré la scène d'hier à la cafétéria, personne ne semble se préoccuper de moi. Je perçois quelques regards noirs et quelques sourires en provenance de jolies filles, mais ce n'est pas nouveau  : j'ai toujours été un sex symbol ici, même si je n'en suis pas fier. Personne ne semble se préoccuper de ma sexualité, à l'exception de Liam Whitaker qui me fusille du regard et de quelques joueurs de foot qui se bidonnent sur mon passage.

Quand je sors sur le parvis, mes pieds craquent sur la neige. Les mains dans les poches de ma veste, je marche jusqu'à l'arrêt de bus, tête baissée, parce que j'en ai marre et que je suis fatigué.

- Alors Monsieur Flores, on ignore son petit-ami  ?

Quand je lève la tête et que mon regard croise celui d'Evan, un immense sourire étire mes lèvres. Il est garé sur le parking, au bord du trottoir, et est appuyé sur le capot de sa voiture. Je souris quand je le vois rougir, et me précipite vers lui. Ses yeux brillent de bonheur et de malice.

- Qu'est-ce-que tu fais ici  ?

Je n'ose pas m'approcher trop près  : je ne réalise pas encore que tout le monde est au courant. Du coup, je reste planté devant lui comme un idiot, à le regarder en souriant. Amoureux transi  ? Totalement.

- Je t'emmène quelque part. T'es OK  ?

- Ouais  ? , je me méfie. Une surprise  ?

- Peut-être bien.

Il me sourit, avant de se lever du capot pour s'approcher de moi. Mon cœur loupe un battement lorsqu'il glisse ses mains sur ma taille par dessous ma veste. Mon ventre, lui, se tord délicieusement  : je repense à ce matin, à nos ébats, et ma peau commence à me brûler.

Je ferme les yeux quand il m'embrasse très chastement sur les lèvres. C'est discret et rapide, mais ça me met mal à l'aise. Je lance un regard autour de moi pour m'assurer que personne ne se moque de nous  : à l'exception des geeks qui nous fixent avec dégoût, personne ne semble nous remarquer.

- Allez, monte.

Il me lâche pour s'installer derrière le volant. Moi, je me laisse tomber sur le siège passager et boucle ma ceinture après avoir balancé mon sac de cours sur la banquette arrière. Quand il démarre et s'engage sur l'avenue, je viens entrelacer nos doigts sur sa cuisse.

- On va où  ? , je tente.

- Si je te le dis, ce ne sera plus une surprise.

Il me fait un clin d'oeil et porte nos mains à sa bouche pour embrasser mes doigts. Je me mords la lèvre violemment, au souvenir de la façon dont il les as sucés ce matin avant que je ne les entre en lui.

- Tu as raison.

Ma voix éraillée par l'émotion, je décide de me terrer dans le silence jusqu'à destination.

X   X   X

Docks d'East River | MANHATTAN – 5:24 PM.

On se les pèle, clairement. Je regrette de ne pas avoir d'écharpe et je sais que, là, il est d'accord avec moi. Les mains dans les poches de ma veste, les yeux rivés sur l'East River, je fume une cigarette en silence. Evan est contre moi, son bras dans mon dos, et sa tête repose sur mon épaule. Quand je jette mon mégot dans l'eau, j'ose enfin demander  :

- Alors, elle est où cette surprise  ?

Je souris en coin, parce que l'endroit est assez glauque. Ça sent un peu le poisson, le pourri et l'urine. Des poubelles traînent le long d'un vieil hangar désaffecté et c'est assez rebutant, même pour moi qui suis habitué à vivre dans la crasse de Brownsville.

- Tu me fais confiance  ? , me demande-t-il.

- Oui, bien sûr.

À vrai dire, il est le seul en qui j'ai réellement confiance. À l'exception de maman, Andrea et Abraham bien sûr. Mais ils sont ma famille. Evan, et bien... c'est mon petit-ami. Et c'est différent.

- Ferme les yeux, alors.

- Quoi  ? , je ris.

- Allez, hop hop hop  !

Je râle, agacé, mais je capitule devant son air adorable. Je ferme les yeux et, honnête, je n'essaie pas de tricher quand il m'attire par la taille vers je ne sais où. En revanche, bien que je lui fasse entièrement confiance, j'ai du mal à marcher correctement sans savoir où je vais. Il me guide, bien sûr, mais mes pas sont hésitants.

- Tu vas pas me jeter dans la rivière, hein  ? , je blague.

- Si tu continues à marcher comme une petite vieille, ça se pourrait bien.

- Hé. Respecte.

Je l'entends rire, et mon cœur s'emballe. J'adore l'entendre rire, car c'est un son magnifique. Malgré tout ce que je pensais, malgré ma vie compliqué et le fossé qui nous sépare, je sais que je le rends heureux. Il est beau quand il est avec moi parce que je vois toujours les étoiles dans ses yeux et son sourire magnifique. Je ne le mérite pas, mais il m'aime et ça me retourne l'estomac.

- On est arrivés  ? , je demande quand nous nous arrêtons.

- Oui. Mais avant, promet-moi une chose.

- Laquelle ...  ? , j'hésite.

- De ne pas faire un scandale.

Je fronce les sourcils, yeux toujours fermés, et je me crispe un peu quand il passe ses bras autour de moi. Il les glisse sous ma veste et vient se coller contre moi. Je sursaute quand il dépose un petit baiser sur mon menton. Soudainement angoissé, je demande  :

- Pourquoi je ferais un scandale...  ?

- Parce que je te connais. Promet-moi que tu ne crieras pas et que tu resteras bien sage.

Je me fais tout un tas de films. Qu'est-ce-qu'il a encore fait comme connerie, lui aussi  ? On est sur les docks, ça pue, l'endroit craint. Aurait-il malencontreusement tué quelqu'un ou écrasé un chien errant  ? Il sait que j'adore les chiens  ! Sauf que je sors vite cette idée de ma tête, parce qu'il s'agit d'une surprise, et qu'un chien écrasé n'a rien d'une surprise.

- OK. Promis.

- Tu jures  ? , demande-t-il mielleux.

- Oui. Je te le jure, je soupire. Bon, accouche.

Je n'aime pas être là, les yeux fermés, planté au beau milieu d'un endroit qui pue. Je me sens ridicule, sans défenses, et ça ne me convient pas du tout. J'entends un grincement atroce, comme le bruit d'un portail qu'on ouvre, et je lutte pour ne pas ouvrir les yeux. Quand je sens la présence d'Evan à nouveau contre moi, son bras autour de ma taille, je me détends un peu  :

- Ouvre les yeux.

Je m'exécute rapidement. Dans un premier temps, mes yeux me piquent. Il fait sombre sur les quais et le néon blanc face à moi m'aveugle. Quand je regarde autour de moi, je comprends que nous sommes dans l'un de ces hangars transformés en garde-meubles et box de stockage. Et, quand je regarde dans le box ouvert face à moi, j'ai le cœur qui explose.

En fait, je ne comprends pas ma réaction. Je devrais sauter de joie, me précipiter dessus, lui hurler qu'il est dingue, mais je n'y arrive pas. En fait, je me mets à pleurer. Je pleure parce qu'il caresse tendrement mon dos par dessus mon pull et que, putain, il a racheté ma moto. Je n'ai pas besoin de m'approcher plus pour savoir qu'il s'agit bien de la mienne et non d'une de la même gamme. Je le sais. Je devrais refuser, bien sûr, mais le côté égoïste en moi refuse de râler  : je suis heureux de la récupérer.

- Merci. Merci.

Sans rien dire de plus, parce que je ne trouve pas les mots, je viens simplement l'enlacer. Je le serre contre contre moi, très fort, mon menton posé sur son épaule et mon visage au creux de son cou. Je respire son odeur, j'emmagasine sa chaleur, et je ferme les yeux. Il passe ses bras autour de mon cou, et je souris quand il saute pour enrouler ses jambes autour de ma taille. Tout doucement, je le porte à l'abri à l'intérieur du box et le plaque doucement contre le mur.

- Hé, pleures pas.

Je lève la tête pour le regarder, et j'apprécie ses doigts qui viennent cueillir les larmes sur mes joues. Il me sourit, heureux et fier de son coup, et encore une fois je réalise à quel point je ne le mérite pas. Mes mains agrippées fermement à sa taille, je glisse mes pouces sous son pull.

- Tu aurais jamais dû... c'est trop, Evan.

- Chut... , murmure-t-il tendrement en posant son index sur mes lèvres. Tu m'as promis de ne rien dire.

Je soupire, et lui lance un regard entendu pour lui confirmer que je ne tenterai pas de protester. Il me sourit, et glisse ses mains dans mes cheveux pour caresser mon crâne avec tendresse. Moi, je caresse son visage du bout des doigts parce que j'en suis raide dingue.

- Comment tu as fait...  ? , je demande.

- Andrea m'a aidé. Et je sais me montrer très persuasif.

- Comment ça  ? , je fronce les sourcils.

- Big K est pas vraiment intelligent. Je l'ai menacé de balancer à mon papa flic qu'un connard a volé la moto de mon ami.

- Mais c'est faux  ! , je m'indigne en riant.

- Je sais. Mais quand il a entendu le mot «  flic  » il est devenu beaucoup plus coopératif.

- T'es le diable, Evan.

- Je sais, rit-il. Tu me l'as déjà dit ce matin.

Au souvenir de ce matin, de son corps ligoté au lit et de ses fesses écartées pour moi, mon ventre se tord et mon corps s'embrase. Je sais qu'il pense à la même chose, là, car ses yeux se voilent de désir tandis qu'il fixe mes lèvres. J'en meurs d'envie, bien sûr, mais en même temps je n'ai pas envie. Je préfère rester tranquille, ne pas m'emballer, et passer simplement un bon moment avec lui comme deux petit-amis normaux.

- Tiens, au fait.

Il libère ma taille de ses jambes et pose à nouveau pieds à terre. Je le regarde tandis qu'il extirpe de sa poche le petit trousseau de clé de ma moto. Il me le pose ensuite au creux de la main.

-C'est quoi cette clé  ? , je demande en regardant le trousseau. C'est pas à moi.

- C'est moi qui l'ai rajoutée.

Je regarde la petite clé minuscule accrochée à côté de celle de ma moto. Elle brille, comme si elle avait été peu utilisée, et je me demande à quoi cela peut bien servir.

- C'est la clé de ma fenêtre.

Je le regarde, surpris. Est-il vraiment en train de me donner la clé de sa fenêtre  ? Qu'est-ce-que je dois comprendre  ? Je m'apprête à parler, mais il reprend  :

- Tu peux venir, le soir, quand t'as envie. Même si je dors. OK  ?

- Heu... d'accord.

Je me sens bête, en fait. On pourrait croire que c'est simple comme attention, mais pas pour moi. À mes yeux, c'est important. Ça prouve qu'il a assez confiance en moi pour me donner l'accès à sa chambre, à son chez-lui, et ça me touche. Passer mes nuits avec lui  ? J'en suis ravi.

- T'as pas peur que je vienne vous cambrioler avec mon gang quand vous êtes pas là  ?

J'essaie de blaguer, mais ma plaisanterie fait clairement un bide. Il me fusille du regard, agacé, avant de gronder  :

- Arrête tes conneries.

Il m'engueule, clairement, parce qu'il sait ce que je pense  : il sait que je pense, là, que je ne suis pas assez bien pour lui et qu'il mérite mieux. J'ai beau savoir que je le rends heureux, qu'il m'aime pour ce que je suis, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il serait mieux avec quelqu'un d'autre. C'est contradictoire, je le sais, mais c'est ce que je ressens.

- Désolé.

Je l'embrasse sur le front avant de revenir le serrer fort contre moi. Puis, ensuite, je me libère de ses bras afin de m'approcher de ma moto  : elle est belle. Elle brille et je le soupçonne même de l'avoir lavée. Le métal est propre, sans traces, mais je distingue encore les quelques trous sur la selle. Je m'installe dessus, et la démarre  : un sourire idiot naît sur mes lèvres quand le ronronnement du moteur me fait trembler la cage thoracique.

- T'es beau, comme ça, me dit Evan.

- Comme ça quoi  ? , je questionne.

- Heureux, dans ton élément.

Je lui souris, et lui fait signe de me rejoindre. Dehors, je vois quelques flocons qui recommencent à tomber du ciel. Un frisson me remonte l'échine. Je me recule finalement sur la selle pour le laisser grimper face à moi, son dos contre le guidon. Je l'attire contre moi en le prenant par la taille, et lui dépose un petit baiser sur la joue.

- Lily m'a ramené en voiture, hier, je dis simplement.

- Ah  ? C'est vrai  ? , demande-t-il étonné.

- Oui. Je savais que tu étais au planétarium, mais j'ai préféré te laisser du temps.

- Merci.

Il porte sa main douce à ma joue, et caresse mon nez avec son pouce. Il me bouffe des yeux, un sourire en coin sur les lèvres, et je me rends compte que je fais exactement pareil  : il est magnifique.

- C'était pas grand chose, mais on a un peu parlé et... c'était cool de sa part, dis-je.

- Oui. Elle n'est pas stupide, dans le fond. Après je la comprends, elle a flippé de nous voir comme ça.

- Oui, c'est sûr.

Il me sourit, mais nous ne disons rien de plus. Je me contente de le regarder et, même si ça pourrait sembler gênant, cela ne l'est pas. Au contraire, c'est agréable. Je me penche pour lui voler un baiser sur les lèvres avant de me reculer à nouveau pour dire  :

- Elle nous a même invités à la fête de Cody, ce soir.

- Ewh  ? , s'étonne Evan. Tu veux y aller  ?

- T'en as envie  ?

- Ouais. Enfin... le jacuzzi a l'air sympa.

Je ricane. Il a l'air d'avoir envie d'y aller, mais en même temps pas. Je ne sais pas trop comment le prendre. Même si les fêtes dans ce genre-là ne me correspondent pas, j'avoue qu'en y réfléchissant la proposition est tentante  : moi et mon petit-copain, dans une party de petit bourge, comme tous les lycéens normaux.

- J'ai envie d'y aller, dis-je sous le regard choqué d'Evan. Rien que pour voir leur tête, à tous, quand ils nous verront arriver.

- Putain, t'as raison  !

Il sourit de toutes ses dents, et mon cœur loupe un battement  : j'aimerais qu'il continue de sourire éternellement. La lueur de malice qui fait briller ses yeux est magnifique elle aussi.

Je ne sais pas vraiment dans quoi je m'embarque mais, franchement, j'ai hâte.

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Quelque part dans les rues... | MANHATTAN – 10:19 PM.

- Merci encore pour la moto, Evan. Vraiment.

- Arrête. Je suis heureux de l'avoir fait.

- T'aurais jamais dû... ça coûte une fortune. C'est trop.

- Rien n'est trop pour toi, Diego.

J'ouvre la bouche pour répondre, mais je me ravise. Je le vois me faire un clin d'oeil, bien que ses yeux soient fixés sur la route. Je lui ai dit la même chose lorsque nous sommes entrés dans notre suite au Baccarat hôtel et qu'il m'a dit que c'était trop. Je suppose que c'est ça  : un partout, balle au centre. Qui marquera un point le prochain  ? Aucune idée, suspense. Je me contente de sourire, tout en caressant sa cuisse.

- On est arrivés.

Je reconnais quelques voitures dans la rue, le long du trottoir. Celle de Lily Adams notamment, stationnée devant la porte de l'immeuble.

- Tu es prêt  ?

Sur le trottoir, je lui réponds en hochant la tête. Puis, courageux, je passe mon bras autour de sa taille. Là, c'est plus un signe d'appartenance que de protection  : je veux que tout le monde sache qu'il est à moi. C'est puéril comme réaction, et j'en ai conscience, mais c'est plus fort que moi.

Dans l'ascenseur qui nous monte à l'étage, nous nous embrassons. Ce n'est pas torride, bien au contraire  : c'est tendre, doux et délicat. Nos mains se baladent un peu sur le corps de l'autre mais ne passent pas en dessous de la ceinture. Les siennes caressent mes bras tandis que je caresse doucement son dos. Quand le tintement de l'ascenseur se fait entendre, nous nous séparons un peu à bout de souffle.

Dans le couloir, il glisse ses doigts entre les miens pour m'attirer vers la porte. Il sonne, et frappe aussi, plusieurs fois pour être bien sûr qu'on nous entende. À travers le mur, j'entends de la musique ainsi que des cris excités. Puis, mon attention se porte sur Evan  : il porte un jean bleu très clair troué au genou, une paire de Converses blanches et basses, et un sweat à capuche vert bouteille. Moi, je suis habillé comme d'habitude  : jean noir, Vans, pull noir et ma veste. Nous allons certainement faire tache dans le décor, mais je m'en fiche.

- Evan  ? Diego  ?

Quand je sors de ma contemplation, je constate que Cody nous regarde. Il a l'air perplexe et surpris, et je le comprends. La présence d'Evan, elle, passe encore. Mais moi... non. Je l'observe, et je le vois mal à l'aise alors qu'il commence à flipper. Je le fusille du regard, agacé par le regard effrayé qu'il me lance comme si j'allais faire exploser une bombe dans l'appartement ou tirer à l'arme à feu dans la foule.

- Lily nous as invités, dit poliment Evan. T'es OK  ?

- Heu... ouais, allez-y, entrez.

Quand il se décale pour nous laisser passer, totalement à contrecœur, je lui lance un sourire radieux pour l'agacer.

- Qu'un connard, je grogne à l'oreille d'Evan.

- Chut. Reste poli.

Il me claque discrètement les fesses pour me faire taire. Je sursaute sous la surprise et je souris, amusé par son comportement. Quand il repère Lily dans la foule, en train de boire en compagnie de ses amies, il m'emporte par la taille. Je décide de m'amuser, et je glisse alors ma main droite dans la poche arrière de son jean. Du coin de l'oeil, je le vois sourire.

- Evan, salut  !

Lily s'approche pour le serrer dans ses bras, puis elle se recule. Elle me salue sans me toucher, me gratifiant d'un sourire satisfait et reconnaissant  : de toute évidence, elle avait vraiment envie qu'on vienne.

- Vous voulez boire quelque chose  ? , demande-t-elle.

- Une bière. C'est où  ?

Ses copines gloussent derrière elle, et je les fusille du regard. Aussitôt elles se taisent, et je sens Evan se tendre contre moi  : j'abuse. Je sais que je devrais me détendre, prendre ça à la cool, mais je n'y arrive pas. C'est tout simplement moi, mon caractère face à l'inconnu et aux étrangers, et je n'arrive pas à ne pas être sur la défensive.

- Dans la cuisine, venez.

Elle nous emporte vers la cuisine et, là, notre arrivée ne passe plus inaperçue  : normal, je dépasse tout le monde d'au moins une tête. Evan et moi sommes obligés de jouer des coudes pour nous frayer un passage à travers les autres étudiants qui, tous, ont leurs yeux braqués sur nous. Ils continuent de vivre leur soirée, discutant avec leurs potes, mais je sais désormais qu'ils parlent de nous.

- Le rooftop est fermé  ? , demande Evan.

- Non, y a les mecs.

- Oh, super.

J'entends l'ironie dans sa voix, et ça m'arrache un sourire. Lily aussi ricane, tout en nous tendant deux bouteilles de bière.

- Pourquoi cet air si déçu  ? , plaisante-t-elle.

- Il voulait tester le jacuzzi, je me moque gentiment.

- Oh, je vois.

Nous rions tous les deux, Lily et moi, et Evan nous lance un regard noir. Fier malgré tout, et amusant comme toujours, il lâche  :

- Et alors  ? J'ai le droit de rêver  !

Il cogne sa bière contre la mienne avant d'en boire une énorme gorgée. Je fais de même, yeux dans les yeux avec lui, et Lily nous abandonne pour répondre au téléphone. Il n'y a plus que lui et moi dans la cuisine, appuyés contre l'îlot central. Il passe ses bras autour de mon cou tandis que je viens me glisser entre ses jambes.

- Tu veux y aller  ? , demande-t-il.

- Où  ?

- Bah, dans le jacuzzi.

- Peut-être plus tard. On va fumer  ?

- Je te suis.

C'est tentant le jacuzzi, bien sûr. Mais je ne me vois pas me jeter dans l'eau alors que nous venons tout juste d'arriver. Peut-être plus tard, oui, quand quelques personnes seront parties et que la fête sera bientôt terminée. Evan m'emporte à nouveau à travers la foule.

Quand nous arrivons sur le rooftop, encore une fois, on nous remarque très vite. Toute l'équipe de foot est là, ainsi que quelques gonzesses. Je repère vite Elena Hill qui se trémousse sur les genoux d'un certain Zach, et Liam Whitaker qui roule une pelle à sa petite amie. Je me fige.

- On peut redescendre sur le balcon, si tu veux, me souffle Evan.

- Non, c'est bon.

J'ignore les footeux. Au diable ces abrutis de sportifs sans cerveau qui passent leur temps à juger et à se moquer des autres. Au diable leurs regards moqueurs et dégoûtés. Je me fiche de ce qu'ils peuvent dire ou bien penser  : je suis heureux. Je suis là, avec mon petit-copain, et plus rien d'autre ne m'intéresse. Nous leur passons devant sans les regarder pour rejoindre ce coin du toit ou sont disposés quelques poufs autour d'une table basse en bois de récupération.

Evan se laisse tomber sur un fatboy rouge et moi sur un bleu. Côte à côte, j'allume ma cigarette et lui en tends une. Il l'allume aussi et, à son tour, tire une première taffe. Dans mon dos, j'entends les rires et les murmures des autres.

- Je suis vraiment content d'être là, avec toi.

- Moi aussi, dis-je tout bas.

Je lui souris tendrement. Je me laisse couler dans mon pouf et, la tête légèrement balancée en arrière, je regarde le ciel  : voilé, je ne distingue aucune étoile. Je bois une gorgée de bière fraîche tout en observant le tapis de lumières de Manhattan.

- Tu sais... , commence Evan tout bas. Des fois quand j'y pense, je me dis que si j'avais pas renversé ta moto je t'aurai jamais rencontré.

Je ferme les yeux. C'est un moment bizarre  : le genre de moment où l'on balance tout ce qu'on a sur le cœur. J'attends.

- Je me dis que si ce jour là il n'avait pas plu, j'aurais peut-être pas couru et je serais parti plus tard. On se serait simplement croisés, et je t'aurais jamais remarqué.

- Est-ce-que tu avais eu peur de moi, ce jour-là  ? , je demande simplement.

- Un peu, oui. Faut avouer que t'es plutôt impressionnant.

Je lui souris, stupide, yeux dans les yeux avec lui. Nous rions de bon cœur. J'aime les moments comme ça, où nous parlons simplement. J'aime discuter avec lui, plus que tout au monde.

- Je te détestais, tu sais. T'étais là avec ton Audi, je te supportais pas.

- Je sais, oui , il sourit.

- Tu foutais quoi ce jour là au Monster, au fait  ?

Je me souviens de cette soirée en boîte. Je crois en fait que je me souviendrai toute ma vie de la tête de ce connard de type qui avait essayé d'abuser de lui. Je me suis toujours demandé ce qu'Evan fichait ici, car ça ne collait carrément pas avec sa personnalité.

- J'peux pas te le dire. Tu vas te moquer de moi, couine-t-il gêné en regardant ses pieds.

- Mais non, allez, dis-moi  !

Je tends la jambe pour titiller ses pieds avec le mien. Je l'encourage à parler, amusé par sa réaction enfantine, et il avoue tout bas  :

- Pour toi.

- Quoi  ? , je fronce les sourcils.

- J'étais là pour toi. Je voulais te voir.

- Comment tu savais que j'y étais  ? , je glousse.

- Je t'avais entendu engueuler Dylan, dans le couloir après les cours. En fait... tu m'intriguais beaucoup et je voulais... je sais pas. Je voulais en savoir plus sur toi.

Je ne trouve pas les mots, surpris. Il avait tout prévu, en réalité. Je lui plaisais et il a tout fait pour me tomber dessus. Je n'arrive pas encore à décider si je trouve ça mignon ou flippant. Peut-être un peu les deux. Je souris.

- Et moi comme un con qui t'ai embrasé , dis-je vaguement perdu dans mes souvenirs.

- C'est à ce moment là que je suis tombé amoureux de toi.

Je le regarde. Un sourire en coin étire le coin de mes lèvres, discret, et les larmes poussent derrière mes yeux. Il me regarde, les yeux brillants et un sourire magnifique sur les lèvres. Je fonds.

- Viens-là.

Je tends la main vers lui et il la saisit. Je l'invite sur mes genoux, et il ne se fait pas prier. Il pose nos bouteilles de bière au sol près du pouf et encercle mon cou tatoué avec ses mains. Ma main droite, elle, vient caresser sa joue. J'ai le cœur au bord des lèvres, je louche sur sa bouche, et j'ai mal au ventre tellement j'ai envie de pleurer. Je déteste ces moment là, ceux où l'évidence me frappe  : je l'aime, et je l'aimerai toujours.

- Je peux pas me passer de toi. Je pourrai jamais... jamais.

Il fond sur ma bouche pour m'embrasser, et c'est la délivrance. Je suis au paradis. J'oublie tout ce qui se trouve autour de nous  : le lieux, les personnes, plus rien n'existe. Il n'y a que lui, juste lui. Je ne suis même plus sûr d'être vivant moi-même. Il est mon ancre, le centre de mon univers. Je n'aurai jamais cru, ce jour là sur le parking, qu'il prendrait une place aussi importante dans ma vie.

- Hé, allez vous bécoter ailleurs les pédés  !

De ma main libre, je viens faire un doigt d'honneur en direction des footeux. Je les entends rire, clairement moqueurs, mais je m'en fiche. Ma main droite, sur la joue d'Evan, se glisse derrière sa nuque et j'attire encore plus son visage vers le mien  : je dévore ses lèvres, avec hargne et appétit, et c'est merveilleux.

- Je t'aime, je souffle contre sa bouche.

- Je suis fier de toi.

Je sais qu'il dit ça par rapport à ma réaction  : en temps normal, je me serais levé pour casser la gueule au premier qui aurait osé nous insulter. Sauf que je n'en ai même pas envie, là. En fait, ça me passe au dessus désormais. Ce ne sont que des idiots de lycéens qui ne connaissent rien à la vie et entretenus par papa et maman, alors leur avis m'importe peu.

Au début, je prenais toujours au sérieux le regard de ces gens-là. Parce qu'ils étaient riches, qu'ils vivaient tranquillement et que, au fond, ça me faisait rêver. Je les détestait – et les déteste encore – car ils n'ont pas à trimer pour obtenir ce qu'ils veulent. Ils ne savent pas ce que c'est de travailler pour s'acheter ce dont ils ont besoin. Ils ne savent pas ce que c'est de se casser le cul à faire la plonge dans un restaurant miteux de Brooklyn pour pouvoir se payer la moto de leur rêve  : eux, elle leur tombe presque du ciel grâce à l'argent de leurs parents. J'ai compris depuis peu, depuis Evan, que tout compte sauf l'avis de ces gens-là.

- Embrasse-moi.

Je m'exécute. Bon sang, je suis raide dingue de lui.

X   X   X

Rooftop de Cody, Quartier de West Village | MANHATTAN – 11:43 PM.

Bien que j'appréhendais la soirée, je n'aimerais être nulle part ailleurs. En fait, c'était plutôt agréable si l'on met de côté les critiques idiotes des footeux et les gloussements des filles sur notre passage. Malgré quelques «  pédés  » ou des «  vous dégoûtez  » échappés par Liam Whitaker, tout s'est bien passé. J'ai décidé de ne pas lui refaire le portrait une énième fois, jugeant qu'il n'en valait plus la peine.

Le toit est désert. Ils sont tous descendus dans l'appartement pour participer au karaoké géant – nous les entendons hurler dans le micro – et ce n'est pas plus mal. Malgré le vacarme à l'étage inférieur, nous passons un bon moment.

Le corps d'Evan contre le mien me fait du bien, même si nous ne faisons rien qui pourrait nous mettre dans une situation gênante. À mon grand étonnement d'ailleurs, tout est relativement calme. Les bulles du jacuzzi caressent nos peaux et le clapotis de l'eau m'apaise. Mes bras enroulés autour de sa taille, je le tiens tendrement contre moi. Lui est à califourchon sur mes cuisses et, ses bras autour de mon cou, il m'embrasse simplement. On se bécote en cachette, et c'est mignon. C'est aussi et surtout vachement agréable.

- Arrête.

Je ris, amusé, quand il dépose une pluie de petits baisers qui claquent sur mes joues et mon cou. Je le serre fort contre moi, très très fort même, pour le faire rire  : ça fonctionne. Il ricane au creux de mon oreille.

Quand je cesse de l'étreindre, il se recule et décroise ses bras pour pouvoir me regarder. Il m'embrasse sur le front et me dit  :

- Tu peux me lâcher  ? S'il-te-plaît.

- Pourquoi  ? , je râle.

- Faut que j'aille pisser.

Je roule des yeux  : la classe, Evan Wright, bravo. Je le libère à contrecœur et me mords violemment la lèvre lorsque je le vois sortir gracieusement du jacuzzi. Il enroule une serviette de bain autour de lui, des pieds aux épaules, et je ricane.

- Reviens vite.

Il me fait un clin d'oeil et s'en va en trottinant. Moi, je me laisse couler un peu plus dans l'eau. La soirée a été géniale  : nous avons beaucoup discuté. Nous avons parlé d'Abby, de sa radiothérapie. De sa mère qui est souvent absente à cause des conventions littéraires. De son père à Butler, dont l'enquête semble rencontrer quelques problèmes.

Evan a toujours l'air angoissé lorsqu'il me parle de Steve – son papa – et je dois avouer que ça me fait de la peine  : je sais qu'il ressent la même angoisse envers moi, lorsque je lui parle du gang. Il a peur que quelque chose de grave nous arrive un jour, et je le comprends. Son père est flic, et c'est un métier risqué. D'autant plus qu'il est inspecteur. Même si je suis de l'autre côté de la ligne, plus du côté racaille que bonne personne, je sais que c'est pour Evan la même source d'angoisse. Je regrette d'avoir à lui infliger ça, malgré moi.

Je sors de mes pensées quand j'entends la sonnerie d'un téléphone. Je sais qu'il s'agit de celui d'Evan, car le mien ne sonne pas de cette façon là. Je fronce les sourcils  : il a ignoré plusieurs SMS au cours de la soirée, ne prenant même pas la peine de regarder son téléphone.

Alors que la sonnerie s'était arrêtée, elle reprend de plus belle. La personne qui essaie de le contacter semble s'acharner, et mon cœur s'emballe  : et s'il s'agissait de sa mère  ? Et s'il y avait un problème avec Abby  ? Flippé, mais malgré tout mal à l'aise, je cherche son jean posé sur le pouf près du jacuzzi. Tant bien que mal, j'en extirpe son téléphone dont la sonnerie est assourdissante.

Mon monde s'écroule quand je vois l'écran. Tout tombe en miettes autour de moi. Je me retrouve tétanisé, si bien que je n'ai même plus l'impression de respirer. J'ai la nausée, les muscles engourdis et le cerveau en ébullition. Le téléphone s'éteint, avant de sonner une troisième fois quelques secondes plus tard seulement. Et, désormais, je suffoque.

Papa, c'est le nom sur l'écran. Et mon cœur explose quand je constate que l'homme sur la photo, dans les bras d'Evan, tout sourire et heureux, n'est autre que Wayne. 

.   .   . #eastriverFIC

(j'attends vos réactions avec impatience, lâchez-vous haha)

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