CHAPITRE 43 - EVAN
08.01.18,
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 07:12 AM.
Mes doigts sont posés sur les siens, à travers une vitre en plexiglas sale et poussiéreuse. Je me sens bizarre, vivant mais à la fois mort, et je suis incapable de parler. Les mots sont bloqués dans ma gorge à cause des sanglots et de la tristesse. Le combiné défoncé contre mon oreille, j'attends qu'il parle mais rien ne vient. On reste simplement là, à nous regarder. Il a changé mais, à travers les larmes dans mes yeux, je le trouve toujours aussi beau. C'est mon Diego, celui que j'aime et que j'aimerai toujours. Mon cœur me fait mal, tout comme mon estomac, et j'ai le sentiment de sombrer un peu plus au fond du gouffre quand je vois les larmes perler au coin de ses yeux, avant qu'elles ne dévalent ses joues. Je le regarde avec amour, comme lui le fait aussi, avant de reporter mon attention sur sa main contre la mienne : j'aimerais la toucher. J'aimerais pouvoir entrelacer mes doigts avec les siens, les serrer fort, et le prendre dans mes bras comme avant pour lui dire que tout va bien aller. Sauf que je ne peux pas, parce qu'il a tué un homme et qu'il est en train de payer pour son crime.
Il règne dans cette pièce de la prison du Queens une odeur désagréable de sueur et de renfermé, et j'ai la nausée. « Tu me manques, Evan ». Je pleure, moi aussi. Je n'arrive pas à répondre, parce que c'est trop. Le voir là, les mains menottées, me retourne le ventre. J'aimerais l'embarquer avec moi et partir très loin, mais je ne peux pas. « Je t'aime, tu m'aimes pas vrai ? ». Il me regarde dans les yeux, anéanti, et je hoche la tête. Oui, je l'aime. Je l'aimerai toute ma vie. Mais j'ai perdu l'usage de la parole dès l'instant où il est apparu devant moi, les yeux cernés et abattu, et je n'arrive pas à le lui dire. « J'deviens fou ici... tu me manques, c'est atroce ». Lui aussi il me manque. Il me manque à chaque seconde de la journée. Je n'en dors plus la nuit, trop occupé à penser à lui enfermé ici avec toute la racaille de l'État de New-York. « Parle-moi Evan, je t'en supplie » J'ouvre la bouche pour parler, mais encore une fois je n'y parviens pas.
Les sanglots semblent m'étrangler et mes larmes roulent tellement sur mes joues que je ne le distingue même plus clairement derrière la vitre. Il se penche un peu plus sur cette dernière, comme s'il voulait se rapprocher de moi : je remarque que ses doigts tatoués se resserrent sur le combiné. « J'ai besoin d'entendre ta voix... je t'en supplie, parle-moi ». Je ferme les yeux, repliant mes doigts sur le plexiglas comme je le ferais si je souhaitais les entrelacer avec les siens. Mais je ne sens que le froid, la poussière et la douceur du verre. Mon cœur explose, tandis qu'il répète mon prénom en boucle « Evan, je t'en supplie... dis-moi que tu m'aimes... s'il-te-plaît... Evan. Evan... » Sauf que je n'arrive pas à parler, tétanisé, tandis qu'un garde l'embarque loin de moi pour le ramener dans sa cellule. J'aimerais l'en empêcher, lui hurler que je suis là, mais je n'y arrive pas.
- EVAN ! Debout !
Je sursaute dans les draps. Il me faut un bon petit moment pour réaliser que toute cette horreur n'était qu'un putain de cauchemar. Quand je reprends petit à petit mes esprits, je constate que l'alarme de mon téléphone sonne déjà depuis près de dix minutes, non-stop, et que je ne l'aie pas entendue. Je m'assoie dans mon lit, sous la couette, tandis que maman tambourine à la porte.
- Tu vas être en retard !
- C'est bon, j-je, je viens.
Je me prends le visage entre les mains, et c'est à cet instant là que je réalise que j'ai pleuré. J'ai réellement pleuré, tant ce cauchemar me semblait réel. J'essuie les larmes avec un pan de ma couette, avant de renifler, et d'inspirer profondément afin de calmer les battements endiablés de mon cœur. Ce dernier est douloureux, tout comme mon ventre, et j'aimerais ne jamais sortir du lit.
C'est l'esprit embrumé et les jambes tremblotantes que je pars m'enfermer dans la salle d'eau. Quand j'entre dans la cabine de douche, je sais déjà que ce moment généralement si apaisant le matin ne parviendra pas à me calmer. L'eau est chaude et douce, je frotte mon corps et mes cheveux avec mes mains, mais je n'arrive pas à me détendre. Dès que je ferme les yeux, mon ventre se tord et je revois Diego emprisonné.
J'ai encore et toujours la nausée lorsque je sors de la douche, et que j'enroule mon corps dans une immense serviette de bain chaude et moelleuse. Je me regarde un moment dans le miroir, stoïque : mes yeux sont rougis d'avoir pleuré, mes lèvres enflées, et mes yeux sont cernés : ce genre de cauchemar me tourmente depuis déjà quelques jours. Depuis qu'il m'a avoué avoir tué cet homme, en réalité. Mais, à chaque nuit qui passe, cela devient de plus en plus intense.
C'est sans grand engouement que je me prépare : un jogging propre mais usé, un pull trop large et une vieille paire de pompes. J'ai l'esprit trop embrumé et je suis bien trop perturbé pour réfléchir devant l'armoire à quel jean m'irait bien et quel pull s'y accorderait. Bien conscient que je ne ressemble à rien, vêtu comme un déchet, j'apparais dans la cuisine.
- Tu es en retard , lance maman d'une voix désagréable.
- Je sais, c'est bon.
Je lui réponds, autant sur la défensive qu'elle. Les mains dans les poches de mon hoodie, je pars dans la cuisine. Planté devant le micro-onde qui réchauffe mon bol de lait, je me perds dans mes pensées : Diego, la prison, Diego, Diego et encore Diego. C'est le cœur lourd que je m'installe à table pour prendre mon petit-déjeuner.
Mon chocolat chaud passe facilement mais, en revanche, je ne parviens pas à avaler mes céréales. J'ai la gorge encore nouée par ce foutu cauchemar et, là, j'ai l'impression de vivre encore dans un rêve : je me sens comme si je n'avais pas encore émergé, encore tout retourné et perturbé, et c'est horrible. J'ai envie de pleurer, comme si je n'allais pas le voir au lycée, comme s'il était en prison à l'heure actuelle, alors que ce n'est pas le cas. Je me sens totalement stupide.
- Tu pourras passer acheter du lait et de la farine en rentrant des cours ? , me demande maman.
- Ouais.
Je ne m'attarde pas sur le sujet : je n'ai pas envie de lui parler. Depuis que je me suis pointé à l'appartement le lendemain de ma nuit d'anniversaire avec Diego, c'est d'autant plus tendu entre nous. Cela fait deux jours que je l'ignore, enfermé dans ma chambre tout le week-end à bosser mes cours sous la couette. J'ai une interrogation importante de sciences humaines ce matin et je compte bien récolter une bonne note.
Quand je quitte l'appartement pour aller en cours, j'ai encore le cœur lourd et le sentiment d'être anéanti.
X X X
East Side Community High School | MANHATTAN – 9:37 AM.
Cela fait une heure que la classe est au calme, plongée dans le silence. Mes yeux rivés sur la pendule, je regarde l'aiguille bouger au rythme des secondes et je constate avec effroi que les minutes défilent bien trop lentement.
Quand je baisse les yeux sur ma copie, je ne peux m'empêcher de soupirer discrètement : c'est du n'importe quoi. Je n'y arrive pas, si bien que j'ai abandonné au bout d'une heure. Je me sens comme une merde : je connais les réponses, au fond de moi, mais je n'arrive tout simplement pas à aller les chercher. Ma feuille double à petits carreaux ressemble à un brouillon qu'on aurait jeté à la poubelle : des mots rayés et recouverts de correcteur, des ratures et même quelques taches d'encre. J'ai honte.
Je comptais tout donner pour ce test, celui de fin de séquence, parce que j'avais adoré les cours qui la constituaient : l'anatomie du torse, les vaisseaux sanguins, les connections entre les organes. C'était l'un des meilleurs chapitres de l'année, pour moi qui souhaite devenir chirurgien cardio-thoracique. Mais là, je me sens comme une merde. C'est comme si je n'avais rien écouté au cours des dernières semaines, alors que ce n'est pas le cas.
Je n'arrête pas de penser à Diego, les paupières lourdes à cause du manque de sommeil, et l'esprit encore endormi. J'ai écrit des mots complètement hors-sujet sur ma copie, perturbé par mes pensées bordéliques, et je ne compte même plus le nombre de fautes d'orthographe que j'ai faites alors que c'est loin d'être dans mes habitudes : j'ai tout foiré, et mes parents vont me tuer.
Quand je suis arrivé sur le parking du lycée, cinq minutes avant la sonnerie, j'ai senti mon cœur se serrer en découvrant que la moto de Diego n'était pas garée là. Quand j'y repense, je n'arrive toujours pas à réaliser qu'il l'a vendue pour me payer une nuit dans un hôtel cinq étoiles : il est dingue. Mais cette nuit était incroyable, la meilleure de toutes et, égoïstement, je n'arrive plus à lui en vouloir. Il voulait que je passe un moment inoubliable : il a réussi.
Je sursaute comme un idiot sur ma chaise, le cœur tambourinant comme pas possible dans la poitrine, tandis que l'alarme incendie semble me broyer les tympans. Les autres ont l'air ravi de pouvoir gratter quelques minutes à l'extérieur mais, moi, j'aurais préféré rester ici assis sur ma chaise. Les mains dans les poches de ma veste, je quitte ma table à contrecœur afin de me mêler au troupeau d'élèves dans les couloirs. Nous marchons calmement vers la cour, bien conscients qu'il ne s'agit que d'un exercice.
Dehors, il fait froid. Il neige légèrement et le vent est glacial. Chaque classe s'installe en rang, sous le petit écriteau prévu à cet effet, et je ferme la marche. Les professeurs en profitent pour discuter entre eux tandis que certains élèves sont heureux de retrouver leurs camarades. Je roule des yeux lorsque j'entends que la plupart des étudiants de ma classe profitent de cet instant de répit pour s'échanger les réponses du test de sciences : c'est nul, et pas réglo du tout.
Puis, comme la lumière au bout du tunnel, mes yeux croisent les siens. Gris-noisette, ils semblent légèrement bleutés sous le ciel blanc et maculé. Il me sourit, à peine, et ne me quitte plus des yeux. Mon cœur se réchauffe, et l'envie de courir me réfugier dans ses bras me démange : j'ai besoin de le serrer fort contre moi pour m'assurer qu'il est là plutôt que derrière les barreaux d'une prison.
- Evan, salut !
Lea me prend dans ses bras et, à contrecœur, je détourne mon attention de Diego. Je rend son étreinte à mon amie, heureux qu'elle soit là : elle ignore tout de ma relation avec lui, contrairement à Lily, et rien n'a changé entre nous.
- Tu t'en sors, à l'interro ?
- Ouais. Et toi ? , je mens.
- Ouais ! Trop simple, j'ai terminé depuis un moment.
Je me sens minable : depuis la rentrée, j'ai toujours été plus doué qu'elle en sciences. Le fait qu'elle me dise clairement s'en être tirée alors que j'ai été incapable d'aligner deux lignes correctement, ça me fout clairement un coup. Je fais en sorte de cacher mon malaise et force un sourire.
- Ouais, moi aussi.
Quand la direction nous annonce officiellement que tout cela n'était qu'un exercice, il est déjà l'heure de la pause de dix heures. Certains restent en classe pour rattraper un peu de temps perdu, afin de terminer leur test, mais Lea et moi récupérons simplement nos sacs avant de redescendre. Je prétexte ne pas me sentir très bien afin de sortir dans la cour pour prendre l'air. Installés à une table sous un arbre, légèrement à l'abri du vent, Lea sort son petit-déjeuner de son sac.
Elle se met alors à me raconter son week-end et ses vacances de Noël. Malgré tout, je ne l'écoute que d'une oreille. Je cherche Diego du regard à travers la foule, et mon cœur se serre lorsque je le vois là-bas : il est appuyé seul contre un mur, pas loin du parking, en retrait des autres comme à son habitude. Il roule sa cigarette de façon nonchalante. J'aimerais pouvoir aller le voir, courir vers lui et l'embrasser en me fichant totalement des autres et de leur avis. Mais je ne peux pas : pour lui comme pour moi, ce ne serait pas judicieux. Alors je reste planté là, à lutter comme un dingue pour ne pas l'approcher. Je reste là, planté comme un idiot, à ne pas intervenir lorsqu'Elena Hill vient lui faire son numéro de charme.
- Hého, Evan, tu m'écoutes ? , me demande Lea.
Je ne les quitte pas des yeux. Cette peste d'Elena entortille une mèche de ses cheveux autour de son doigt : je constate qu'elle les a colorés en rouge pétard, ce qui lui donne encore plus l'air d'une pute. Diego lui parle – je donnerais tout pour entendre ce qu'ils se disent – mais continue malgré tout de rouler sa clope. Il la regarde elle et pas moi. J'ai la haine.
Je ne sais pas vraiment ce qu'il me prend. Quand je la vois s'approcher de lui, d'un peu trop près, et glisser sa main sur sa taille, je me sens comme un volcan : ça grondait en moi dès l'instant où elle s'est plantée devant lui mais, là, ça explose. Je m'excuse rapidement auprès de Lea et me dirige droit vers lui. Tout en marchant, m'efforçant de rester calme et de prendre un air détaché, je prends une clope dans mon paquet. Je la garde entre mes doigts.
-F lores, t'as du feu ?
Je bouscule volontairement l'épaule d'Elena, feintant de perdre l'équilibre à cause de la neige. J'ai envie de sourire comme un débile quand je vois le petit pétillement dans les yeux de mon petit-ami. Il fouille dans sa poche et en sort un briquet noir.
- Grouille-toi, j'en ai besoin.
J'allume ma clope en prenant bien mon temps : Elena s'est tue dès l'instant où je me suis pointé et je vois à son regard que ma présence l'ennuie. Elle voulait draguer Diego tranquillement ? J'ai envie de lui arracher sa tignasse.
- T'es qui, toi ? , demande-t-elle avec hargne. Dégage, on était en train de parler. Tu nous dérange.
- Ah ? Ooops, désolé.
Je me moque, clairement, en haussant les épaules l'air de rien. Le regard amusé de Diego me donne envie de rire, mais je vois aussi qu'il a peur. Croit-il que je vais oser tout balancer ? Je crois que oui. Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, rien que pour fermer la grande gueule de cette pétasse, mais je me l'interdis.
- Vous allez bien ensemble, tous les deux, dis-je moqueur. Le gangster et la pute, on peut pas faire mieux.
Elena ouvre la bouche, choquée par mes paroles, tandis que je la regarde dans les yeux. C'est clairement de la provocation, et j'aime ça. Je tourne un instant le regard vers Diego : il fronce les sourcils et, moi, je le fusille du regard. Je ne suis pas en colère contre lui, ça non, mais je veux qu'il comprenne à quel point ça me dérange qu'il la laisse s'approcher de lui ainsi. Je sais qu'ils ont eu une aventure dans le passé et, même si je sais qu'il m'aime moi, ça me fait clairement chier.
- C'est quoi ton problème ?! , s'indigne-t-elle.
- Bah ? Tu me parles comme à de la merde. Je fais pareil. C'est cool, non ? , je me recule. Merci pour le feu, Flores.
Sans un mot de plus, je me tire. Je suis conscient que les yeux de Diego sont braqués sur moi, et un sourire stupide menace d'étirer mes lèvres. J'ai même envie d'éclater de rire, mais je résiste : certaines personnes me regardent passer, certainement surprises de voir que j'ai osé m'approcher si près d'eux. Malgré le ridicule de la situation, je dois avouer que je suis fier de moi.
- Heu... il se passe quoi ? , me demande Lea tandis que je me réinstalle à ses côtés.
- Rien, j'avais besoin de feu.
- Heu... et t'aurais pas pu demander à quelqu'un d'autre ?
Je hausse les épaules encore une fois, préférant ne pas répondre. Quand je regarde autour de moi, tandis que Lea déguste son sandwich au beurre de cacahuètes en silence pour pleinement l'apprécier, je remarque Lily : elle est assise à une table non loin de la notre, en plein dans mon champ de vision. Elle me regarde, me fixe, et je distingue un petit sourire amusé au coin de ses lèvres. Je souris, aussi : elle se fiche tendrement de moi parce qu'elle a clairement remarqué mon petit manège. Se pourrait-il qu'elle ait changé d'avis, par rapport à Diego, et que les choses s'arrangent entre nous ?
Une petite boule d'espoir naît dans mon ventre et me réchauffe le corps et le cœur.
X X X
Je suis en classe d'anglais lorsque mon portable vibre brièvement dans ma poche. Je m'empresse de le sortir discrètement sous la table. Un sourire étire mes lèvres à 10:19 AM quand je vois son message :
✉ DE : DIEGO ✉
10:19 AM – Toilettes du bâtiment A. Dernier étage. Vite.
Je lève la main afin d'attirer l'attention de mon professeur.
- Oui, Evan ?
- J'peux aller aux toilettes, s'il-vous-plaît ?
- Oui, dépêche-toi.
Je m'efforce de quitter la salle calmement, même si j'ai envie de courir le rejoindre. Dans le couloir, j'envoie un rapide « j'arrive » et me précipite dans les escaliers. Je grimpe presque les marches quatre à quatre et, quand je pousse la porte des toilettes, j'ai à peine le temps de tourner le verrou.
- Alors, on est jaloux ?
Je me retrouve bloqué entre le mur en faïence blanche et froide, et son corps chaud et musclé. Il chantonne, yeux dans les yeux avec moi, tandis que ses mains agrippent tendrement mes hanches pour me coller contre lui. Un sourire idiot étire le coin de mes lèvres, et je viens poser mes mains sur ses épaules.
- Oui.
Je n'essaie pas de nier, cela ne servirait à rien. Je ferme les yeux lorsqu'il se penche pour m'embrasser tendrement, tout en me tenant délicatement contre lui. Quand je passe mes mains dans ses cheveux et qu'il glisse sa langue chaude et habile dans ma bouche, je me souviens soudain du cauchemar de ce matin.
Je m'agrippe à lui, à ses cheveux, avec ma main droite tandis que ma main gauche tient fermement son pull sur son dos. Je me presse contre lui, avide, parce que je suis soulagé qu'il soit là face à moi. Toute la matinée, jusqu'à cet instant où je l'ai aperçu dehors, je me suis senti comme si ce rêve était la réalité : avant de croiser ses beaux yeux, j'étais persuadé qu'il était enfermé en prison. Le sentir là, contre moi, à me toucher et à m'embrasser, c'est le bonheur.
- Evan, attends...
Il tente de retirer mes mains, que j'ai glissées inconsciemment sous son pull. Je sens ses tétons durs sous mes doigts et la peau brûlante de ses pectoraux sous mes paumes. Mon bassin cherche le sien avec un désir incontrôlable et, même si je ne bande pas, j'ai envie de lui.
- Touche-moi, s'il-te-plaît... j'ai besoin de toi.
Il m'embrasse chastement sur les lèvres. J'ai beau lutter pour le toucher et me coller à lui, il a bien plus de force que moi. Habilement, il crochète mes poignets entre ses doigts et se recule de moi tout en maintenant mes mains contre mes cuisses. En silence et à bout de souffle, je le regarde tandis qu'il me détaille en fronçant les sourcils.
Quand la pression retombe, assez rapidement, il lâche mes mains et vient prendre mon visage en coupe entre les siennes. Je frissonne :
- Evan, qu'est-ce-qu'il se passe ?
Il lit en moi comme dans un livre ouvert, et je me sens mal. Je n'ai pas envie de lui mentir, même si j'ai peur et honte de passer pour un con. Il m'oblige à le regarder, relevant mon visage vers lui alors que je baissais tristement la tête, et j'avoue d'une petite voix :
- Je... j'ai rêvé que t'étais en prison. Je... c'était horrible. J'ai cru que c'était vrai. Je suis désolé.
Je ne sais même pas pourquoi je m'excuse, en fait. Son visage se décompose et son pouce, doux, vient caresser mon nez et mes lèvres. Je ferme les yeux, tandis qu'il murmure :
- Je suis là. Je suis là, Evan.
Ses lèvres chaudes et pulpeuses se posent tendrement sur mon front. Dans un geste un peu désespéré, je l'avoue, je viens encercler son corps de mes bras et me blottis contre lui : je n'aimerais être nulle part ailleurs. C'est le paradis. Son odeur, sa chaleur, sa douceur. Je suis dingue de lui, vraiment, tellement que ça fait mal.
- Je suis là ,répète-t-il. Tout va bien.
Je ferme les yeux, au chaud et en sécurité dans ses bras. Il me berce tout doucement, tendrement, et j'adore ça. Je me laisse enivrer par son odeur et par la façon parfaite dont mon corps épouse le sien. Je ne pense plus à rien : Elena, le cauchemar, Lily, sa moto, mon interrogation ratée. J'oublie tout, là, et ça me fait du bien.
- Tu finis les cours à quelle heure ? , me demande-t-il tendrement.
- Trois heures. Toi ?
- Cinq.
Je soupire, blasé, sans pour autant prendre la parole : il finit tard. Moi qui espérais passer un petit moment avec lui avant de rentrer à la maison, c'est fichu.
- Je dois retourner en cours. On se voit plus tard ?
Il caresse ma joue avec tendresse et, calmement, j'attends. J'acquiesce, satisfait par sa proposition, et il dépose un petit baiser chaste sur mes lèvres. Avant de quitter les toilettes, il me dit tout bas et tendrement :
- Je suis là, Evan. N'y penses pas, d'accord ?
Je hoche la tête. Oui, il est là. C'est tout ce qui compte.
X X X
L'horloge au dessus du comptoir de la cantine m'indique 12:24 PM. Quand je porte mon attention sur mon plateau, posé sur la table devant moi, je ne ressens pas le moindre appétit. Pourtant, il s'agit de frites et d'un cheeseburger. Tous les élèves sont en train de s'empiffrer, y compris Lea assise face à moi, mais je n'éprouve aucune faim ni aucun désir à croquer là dedans. Je me sens mal.
Malgré les paroles rassurantes de Diego, je n'ai pas réussi à passer à autre chose. Je le revois dans mon rêve, anéanti par son incarcération. Je le revois abattu, séparé de moi par une vitre sale qui a vu passer tant de gens ; des familles, des amis, des couples. Je le revois me supplier de lui parler, de le rassurer, tandis que j'étais là et muet à cause de mon cœur en miettes. Je sais qu'il a tué un homme, qu'il l'a fait pour moi, mais dans le fond je sais aussi que cela ne change rien : il a commis un crime, et la plupart des criminels finissent toujours par payer, tôt ou tard. J'ai peur. J'ai peur qu'un jour on me l'arrache pour l'enfermer, pour qu'il paie, et je ne supporte pas cette idée. Comment pourrais-je vivre sans lui ? Il y a quelques mois à peine je ne le calculais pas, j'écoutais ce que les gens disaient et me méfiais de lui à cause des rumeurs. Et me voilà aujourd'hui, raide dingue de ce gars violent et bourru, mais aussi terriblement tendre et doux, à prier pour qu'il ne paie jamais les conséquences de son crime. Je ne me reconnais plus.
- Lea, tu peux nous laisser seuls une minute ?
Je sors de ma léthargie, les muscles engourdis, quand Lily prend la parole. Lea quitte la table avec plaisir pour rejoindre ces gars de notre classe qui s'entendent bien avec elle. Je me retrouve seul, en bout de table, Lily face à moi : elle est belle. Elle porte sa tenue de cheerleader par dessous la veste de football de Cody et ses longs cheveux sont attachés en une simple queue de cheval. Elle est légèrement maquillée, à l'exception de sa bouche enduite de rouge à lèvre couleur rouge sang.
- Tu vas bien ? , me demande-t-elle.
- Oui, pourquoi ? , je demande sur la défensive. Heu... et toi ?
- Oui, je vais bien. Pourquoi ? Et bien, tu m'as l'air triste.
Je hausse les épaules, et bois une gorgée d'eau. Elle me sourit tendrement, et j'ai envie de croire qu'elle a changé d'avis sur lui. Sur nous. Malheureusement, elle demande :
- C'est Diego, c'est ça ? Il t'a fait quelque chose ?
- Non, putain, il ne m'a rien fait ! Mis à part me baiser, rien de grave en tout cas !
Je suis agacé et je ne réalise ce que je viens de dire que lorsqu'elle ouvre la bouche, choquée, signe qu'elle cherche ses mots. Je me prends le visage entre les mains, rouge de honte, avant de reprendre :
- Désolé , je grogne. Arrête de penser qu'il est malsain. Regarde-le.
Elle suit mon conseil et tourne la tête pour l'observer : il me bouffe des yeux, discrètement, tout en croquant ses frites. Malgré ses muscles et les tatouages, il a carrément l'air inoffensif, là.
- Tu peux comprendre que je m'inquiète pour toi, quand même ? , dit-elle tristement.
- Oui, je peux le comprendre. Mais si je te dis que ça va, c'est que ça va. Tu peux me croire, je suis pas stupide pour rester avec un mec malsain, Lily.
- Ouais.
Elle craque nerveusement ses doigts sur la table. Je la regarde, dans l'attente : je pars du principe que je n'ai rien d'autre à dire. C'est elle qui a été grossière, et je pense qu'elle me doit des excuses. Ces dernières ne tardent pas à venir :
- Je suis désolée pour l'autre jour, tu sais. J'étais juste... choquée et j'ai flippé. J'ai pas compris. Je m'en veux.
- Tu le pensais ? , je demande.
- Quoi donc ?
- Que je suis con ? , dis-je amèrement.
Elle fait la moue, visiblement gênée et attristée. Elle cherche un petit moment ses mots, avant de répondre :
- Non. Tu n'es pas con. Même si je pense qu'il faut quand même être un peu fêlé pour sortir avec Flores.
Je souris, amusé, quand je la vois sourire en coin. Ce n'est pas une réflexion méchante, et je le comprends. Elle tente juste de me taquiner et je me permets enfin de me détendre un peu. Nous parlons tout bas, pour ne pas risquer qu'on nous entende, et elle reprend :
- T'as pété les plombs tout à l'heure. T'es jaloux, c'est mignon.
- J'supporte pas cette pouffiasse. Et encore moins quand elle s'approche de lui.
- Oui, je l'ai compris.
Le brouhaha de la cantine nous permet de discuter sans crainte. Les groupes d'amis ont plongés dans leurs conversation, c'est le rush, et personne ne nous prête attention. Elle me demande, gênée :
- Qu'est-ce-que tu lui trouves, à ce mec ?
Encore une fois, ce n'est pas méchant. Elle essaie juste de me comprendre, et je suis heureux qu'elle fasse cet effort plutôt que me dire encore que je suis con et inconscient. Tout en craquant mes doigts sur mes cuisses, gêné, je réponds :
- Tu sais, au début je pensais que c'était un idiot. Je pensais que c'était un connard agressif et bourru, sans cœur et débile, je ricane.
- Mais ?
- Mais... en fait, c'est tout le contraire. Il est... doux. Gentil, et très intelligent.
- Intelligent ? , demande-t-elle en souriant.
- Oui. Je suis sûr qu'il est surdoué, vraiment.
- Oh. Et... doux ?
- Oui, aussi étrange que cela puisse paraître, il l'est.
Elle me sourit, l'air attendri. J'ai l'impression qu'elle commence à me croire, un peu, et j'aimerais qu'elle puisse connaître le Diego cool, drôle et sympa que je connais plutôt que ce connard que tout le monde voit au lycée. Amoureux transi, je reprends :
- Je l'aime, Lily. J'ai jamais... à ce point là, ça m'était jamais arrivé. Je suis raide dingue de lui, et lui aussi.
Elle tourne la tête pour le regarder et, à mon plus grand soulagement, il lui sourit plutôt que lui lancer un regard assassin. Je souris, rassuré, tandis que Lily reprend :
- Il y avait une bonne raison pour Liam, n'est-ce-pas ?
- Ouais. Diego est très protecteur, et ce connard a voulu s'en prendre a sa sœur. Il a essayé de le faire dégager, sauf que Liam l'a piégé. Je te l'ai déjà dit, la drogue et l'arme dans son casier, c'était un coup monté. Diego a juste pété les plombs. J'aurais réagi de la même façon.
Elle hoche la tête. Elle ne le quitte pas des yeux, assis là-bas à l'autre bout de la cantine, et il ne nous quitte pas des yeux non plus. Quand je vois Elena passer devant lui en agitant son fessier sous ses yeux et en glissant sa main sur son épaule, je me crispe.
- Sale pute.
- Evan ! , ricane Lily.
- Je la supporte pas.
Diego se mord la lèvre, mais pour moi. Il me fait un clin d'oeil discret et je rougis comme un idiot. Il a certainement lu sur mes lèvres au moment où je fusillais Elena du regard. D'ailleurs, où est-elle passée ?
- Hé, toi !
Ah, et bien, la voilà. Je sens une main sur mon épaule, qui me brusque un peu trop à mon goût, et le visage de Diego se décompose. Je me tourne, nonchalant, pour la regarder.
- Quoi ? , dis-je.
- Tu t'es tiré comme un lâche tout à l'heure. T'as un problème avec moi, à me traiter de pute comme ça ?
- Non aucun. J'dis juste la vérité. Tout le monde le sait, Elena, arrête de faire comme si c'était nouveau.
Je bouillonne. Elle m'énerve, avec ses grands airs supérieurs et son doigt sans arrêt entortillé autour de ses cheveux. Elle mâche son chewing-gum en faisant des manières et, si j'étais une fille, je serais certainement déjà en train de lui crêper le chignon. Sauf que je suis un gars et que, si je la frappe, je vais avoir de très gros problèmes.
Quand je regarde autour de moi, je remarque que plusieurs élèves forment un cercle autour de nous. La voix sur-aiguë d'Elena et mon ton grave les ont certainement alertés. On dirait qu'ils attendent la bagarre du siècle. Pas loin derrière eux, debout, je remarque Diego. Il nous écoute d'une oreille attentive, visiblement en colère.
- Tu peux répéter ?! Petit con !
Elle me frappe l'épaule, fort, pour me provoquer. Sous le regard médusé de Lily, je me lève calmement de façon à lui faire face. Aussitôt, Elena Hill semble redescendre de ses grands chevaux. Malgré ses talons hauts, je suis plus grand quelle. Et bien plus baraqué aussi. Je ris, amusé et agacé :
- Tu veux que je répète ? D'accord : t'es une garce, Elena, et une pute. Tout le bahut sait que tu t'es tapé toute l'équipe de foot, sans oublier Flores et ce type du club d'échecs. Alors dégage de mon chemin, et vas faire ta choquée ailleurs.
Je ne me reconnais plus. En temps normal, je n'aurais jamais osé parler de cette façon. En temps normal, je ne me serais jamais énervé pour si peu. C'est l'effet Diego, et j'en suis conscient.
Au moment où Elena lève la main vers moi, quelqu'un l'arrête. Je vois des doigts tatoués enroulés autour de son poignet fin et recouverts de bracelets, et je roule des yeux.
- Ah !, dit-elle soulagée. Enfin, tu arrives, toi ! T'es même pas fichu de me défendre, Flores, t'es qu'un naze.
- Pourquoi je te défendrais ?
Je lutte pour ne pas exploser de rire devant la mine déconfite de cette pétasse aux cheveux rouges. Diego, lui, reste calme même si je remarque parfaitement sa colère : les muscles de son dos sont clairement visibles sous son pull et il se tient droit comme un i. Il est sexy. C'est ce genre de moment qui précède souvent celui où il pète les plombs et où il fait quelque chose qu'il finit par regretter : j'angoisse.
- Bah ? À ton avis ? C'est qu'un petit connard, j'le connais même pas et il m'insulte ! Et t'étais là tout à l'heure !
Je ne sais pas comment elle fait pour être aussi conne et se donner ainsi en spectacle. Est-elle vraiment en train de demander à Flores de la défendre ? Je rêve. Elle est complètement fêlée.
- Il n'a pas tort, Elena. C'est vrai.
- Quoi ?! , s'indigne-t-elle à nouveau. T'es sérieux, Flores ? Pourquoi tu le défends ?!
Il lâche brusquement son bras et je le vois serrer les dents. Il fait tampon entre Elena et moi et, d'un côté, tant mieux : l'envie de lui jeter mon verre d'eau au visage me démange, mais je sais qu'il m'en empêcherait.
- Déjà mon prénom c'est Diego, pas Flores. grogne-t-il. Et pourquoi je le défends ? Pour ça.
Je ne comprends pas ce qu'il se passe lorsque j'entends des « oh » et des « oh mon dieu » choqués et excités. Du coin de l'oeil, je vois des flash de téléphone tandis que le visage d'Elena se décompose. Il me faut un bon moment pour réaliser que Diego est en train de m'embrasser.
Quand je ferme les yeux pour me couper du monde, je sens ses mains sur mon visage. Mon ventre se fait douloureux et mon cœur explose : je suis terrifié. Je ne comprends pas ce qu'il se passe mais, là, une chose est sûre : je lui en veux.
Je tapote doucement son ventre pour le faire reculer. Quand il s'exécute, qu'il plante ses yeux dans les miens et qu'il plaque son front contre le mien, j'essaie de parler mais je n'y arrive pas. J'ai peur. Il se recule finalement pour s'adresser à Elena :
- C'est mon petit-ami, lui dit-il. Dégage, Elena.
Il la fusille du regard mais, à la grande surprise de tout le monde, ce n'est pas elle qui part.
C'est moi qui m'enfuis.
. . . #eastriverFIC
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