CHAPITRE 38 - DIEGO

01.01.18,
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 10:52 AM.

L'odeur de son parfum dans mes narines me rend dingue. La chaleur et la douceur de sa peau aussi. Mes lèvres sur son cou sont insatiables et mon corps réclame plus. Comme dans un autre monde, perdu dans mon désir, je l'attire contre moi tout en ignorant ses mains sur mon torse. Il essaie de me repousser, en vain, en murmurant des «  Diego  » précipités mais je suis incapable de m'arrêter.

- J'ai envie de toi.

Ma voix est éraillée par le plaisir et je soupire lourdement contre sa bouche. À ma grande surprise, il tourne la tête pour refuser le baiser et je me sens stupide. Au moment où je m'apprête à lui demander pourquoi, j'entends dans mon dos un raclement de gorge.

- Mierda.

Je le lâche subitement comme si je m'étais brûlé, en un sursaut, avant de m'éloigner. Je me sens ridicule planté là, à côté de lui, torse nu et la bouche brillante de salive. Je ne sais plus où me mettre et, même si je suis mort de trouille, d'un côté je suis soulagé  : ça aurait pu être bien pire.

- Non mais... je rêve  ?!

Je déglutis, mal à l'aise et en colère, devant la mine déconfite de la jolie Lily Adams. Elle est aussi planche qu'un cachet d'aspirine, les yeux écarquillés, les bras croisés sur sa poitrine. Elle nous juge, et je n'aime pas ça du tout.

- Heu... on... je...

Evan bégaie, encore et toujours assis sur l'îlot central. Planté là comme un idiot, dans un premier temps, je suis tétanisé. Je la regarde, prêt à ce qu'elle explose comme une bombe à retardement puis, ensuite, je m'enfuis dans la chambre  : je n'aime pas le fait qu'elle puisse me voir pratiquement nu.

J'enfile à la hâte le pull que je portais hier, puis m'assoie sur le lit le temps de souffler un peu. OK. Lily Adams, sa cousine qui me déteste, vient de débarquer. Elle nous a vus tous les deux, en train de nous peloter. Plus la peine de nier. Je ne sais pas comment gérer tout ça, mais je sens une colère terrible monter en moi  : je suis en colère qu'elle nous ait interrompu, et je suis d'autant plus en colère à cause de la façon dont elle m'a regardé.

Avant de sortir de la chambre, je me regarde dans le miroir de la chambre d'Evan  : je suis rouge comme une tomate et mon cou est recouvert de morsures et de suçons. Même mon pull n'arrive pas à les camoufler.

- Evan, c'est une putain de blague  ?

J'entends Lily hausser le ton dans le salon, autoritaire comme toujours, sous le choc. Je reste planté au beau milieu du couloir quelques secondes, à réfléchir  : je dois m'en aller. Tout de suite. Je ne veux pas assister à ça, car je risquerais de me mettre encore plus en colère que je ne le suis déjà. De plus, je ne suis pas à ma place et je le sais.

Dans la pièce à vivre, j'ignore Evan qui regarde Lily sans savoir quoi dire. Il s'est enfin mis debout mais semble toujours aussi tétanisé. J'enfile mes chaussures dans le hall d'entrée, tandis que Lily ne cesse de répéter un «  tu m'expliques  ?  », alors que ses joues deviennent de plus en plus rouges. Evan prend enfin la parole  :

- Tu... tu vas où  ?

Occupé à enfiler mes boots, je lève les yeux vers lui et mon cœur loupe un battement  : il me regarde les yeux brillants, comme cette nuit, et semble se ficher totalement de la présence de Lily  : je suis son petit-ami, et il se fiche de son avis.

- Je... j'vais rentrer. Je t'appelle, d'accord  ? , je dis.

- Non, tu restes ici , me dit-il autoritaire.

- Quoi  ?! , s'exclame Lily en colère.

Pendant ce temps là, moi, je ne sais plus où me mettre. Je reste dans l'entrée, à l'écart, tiraillé entre l'envie de rester et celle de partir. Evan me lance un regard noir, qui semble me dire «  passe cette porte et tu es un lâche  » et je suis étonné de le voir ainsi  : je décide donc de rester. Je croise mes bras sur ma poitrine, vêtu de ma veste comme si j'étais prêt à partir, et j'attends. Lily me lance un regard noir, avant de reporter son attention sur son cousin.

- Putain, Evan, dis-moi que c'est une blague  !

- Non  ? , dit-il avec insolence. Je n'ai aucune raison de nier.

- Mais... t'es complètement taré  !

Je serre les dents, fort, pour m'efforcer de me contenir. Je n'aime pas la façon dont elle lui parle, là, comme s'il n'était qu'un enfant irresponsable. Je n'apprécie pas non plus sa façon de lui faire comprendre qu'il fait une erreur, alors que je suis là dans la même pièce qu'eux. Si j'étais dans un foutu dessin animé, de la fumée sortirait certainement de mes oreilles.

- Je peux savoir ce que tu fais ici, d'ailleurs  ? , demande-t-il agacé. Comment t'es entrée  ?

- J'ai sonné, mais t'as pas répondu. Quand j'ai baissé la poignée, c'était ouvert alors je suis entrée  !

- Tu rentres comme ça chez les gens, toi  ?

Le ton monte, et je n'ai jamais vu Evan dans un état pareil. Il n'est pas en colère, mais simplement lassé et agacé. Je le comprends  : sa cousine débarque chez lui à l'improviste, le trouve en train de se faire peloter par son petit-ami gangster, et vient lui faire la morale alors qu'elle ne sait rien de nous. Je comprends sa réaction.

- Evan, putain, tu t'es barré de la fête  ! Je t'ai appelé toute la nuit, t'as pas répondu  ! J'étais morte d'inquiétude  !  , elle reprend son souffle. Et tout ça pour quoi  ? Pour te barrer avec lui  ?!

Je décroise les bras et fait un pas vers elle, l'air carrément menaçant, quand elle pointe un doigt accusateur sur moi. Je fronce les sourcils et lui lance un regard noir  : je me comporte avec elle comme avec ces connards que Skull me demande de tabasser, et j'en suis conscient.

- T'as un problème avec moi, Adams  ? , je grogne.

- J'te comprends pas, Evan , dit-elle en m'ignorant. Tu peux m'expliquer  ?!

Je ricane un peu, pour moi-même, quand je vois le rouge monter aux joues de Lily sous l'effet de la colère  : je suis certain qu'elle serait capable de faire un malaise tant elle semble avoir la rage contre nous. Contre moi. Je trouve cela amusant, même si dans le fond toute cette situation est loin d'être drôle. Je me fais violence pour ne plus intervenir, et décide de rester en retrait. Je m'installe sur le canapé et observe la scène avec grand intérêt.

- T'expliquer quoi  ? , soupire-t-il. Que j'ai un petit-ami  ? Que c'est Diego et que ça te fait chier  ? Tu l'as déjà compris, ça, Lily.

- Attends... ton petit-ami  ? , dit-elle amèrement. Tu m'as menti pendant tout ce temps  ? Hayden, tout ça... c'était du vent  ? C'était de Flores dont tu me parlais  ?

Je fronce les sourcils. Hayden  ? Un regard à Evan et je souris en coin comme un idiot  : comme le planétarium Hayden. Je trouve ça adorable, et ça m'amuse. Mais mon sourire s'efface vite au souvenir du «  Flores  » prononcé par Lily  : elle me considère comme une pauvre merde, et je n'aime pas ça du tout.

- Ouais, dit-il sur un ton détaché. Tu comprends maintenant pourquoi j'voulais pas te le dire  ? J'étais sûr que tu me péterais un scandale  !

- Bordel Evan, bien sûr que je pète un scandale  ! Tu sors avec lui, tu vas finir au cimetière  !

Je me lève d'un bond, et m'empresse de me planter devant elle. Les bras croisés sur ma poitrine, m'efforçant de rester calme, je demande  :

- Répète-ça pour voir  ?

- Q-quoi  ?

- Ouvre bien grand tes oreilles, Adams , je dis amèrement. Je ferai jamais de mal à Evan et il ne finira jamais au cimetière par ma faute. Tu ne me connais pas, et je t'interdis de me juger. Alors tu vas fermer ta grande gueule et arrêter de déblatérer des conneries, ou bien j'te refais le portrait comme ce connard de Whitaker. Entiendes  ?!

Je serre les dents. Je crois que je suis allé un peu trop loin, mais je m'en fiche. Je ne supporte pas l'idée qu'elle puisse penser qu'Evan finira par risquer sa vie à cause de moi. Je ne veux pas qu'elle pense que je suis inconscient au point de le mettre à ce point là en danger. Voir qu'elle pense ça de moi, de nous, sans me connaître me blesse. Je donnerais ma vie pour Evan.

- T'es complètement malade, Flores , dit-elle d'une petite voix. Et toi, elle regarde Evan. T'es... tu me déçois. Je pensais pas que t'étais si con à ce point. Ne viens pas pleurer s'il t'arrive quelque chose de grave. Ce sera sa faute, et tu le sais.

Sans un mot de plus, après m'avoir lancé un regard noir, elle se dirige vers la porte. Je ne peux m'empêcher de lancer  :

- T'as intérêt à la boucler, Adams  !

La porte d'entrée claque après sa sortie, et l'appartement est désormais étrangement silencieux. L'engueulade s'est terminée aussi vite qu'elle a commencée, et l'ambiance est désormais hyper étrange. Je me souviens soudainement de la présence d'Evan dans mon dos, et je me tourne brusquement pour le regarder.

- Hé... tout va bien  ?

Je prends son menton entre mes doigts pour relever son visage vers moi. Je m'attendais à le voir les yeux larmoyants, mais ce n'est pas le cas. Au contraire, ils brillent d'une lueur de colère si forte que c'en est presque de la rage.

- Ouais... , lâche-t-il brusquement. Fallait bien qu'elle l'apprenne un jour.

- Oui mais... pas comme ça.

- J'm'en fous. Elle peut penser ce qu'elle veut, je m'en tape. Je sais qui tu es, moi, et j'ai pas peur.

Il a une confiance aveugle en moi, et ça me donne un peu plus d'estime de moi-même. Je me sens plus fort, plus rassuré et plus confiant. Je me dis qu'après tout je ne suis peut-être pas qu'une merde, et ça me fait du bien.

- Excuse-moi de m'être emporté , dis-je.

- Non, t'as bien fait.

Je lui souris un peu, mais je suis mal à l'aise. Je ne sais pas trop comment réagir à tout ça, au fait qu'on nous ait surpris et que cela ait déclenché une dispute entre lui et sa cousine. Je cherche mes mots, ouvrant la bouche comme un idiot sans pour autant parler, et il me dit  :

- J'aimerais t'emmener quelque part.

- Mh  ?

Je lui lance un regard curieux, tandis que mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Je vois ses joues qui s'empourprent un peu, signe qu'il est gêné, mais en même temps ses yeux brillent de bonheur. Je suis impatient de voir ce qu'il me réserve.

- Oui.

- Je te suis, alors.

Je ne prends même pas la peine de lui demander où nous allons, parce que je lui fais confiance. Alors, en silence, je termine mon petit-déjeuner tandis qu'il s'enfuit dans sa chambre afin de s'habiller d'une façon un peu plus décente. Quand il revient dans le salon, vêtu d'un jean et d'un sweat trop large pour lui, je souris  : il est adorable.

- On y va  ?

- C'est parti.

Il récupère les clés de sa voiture dans une sorte de saladier, posé sur le meuble dans l'entrée, et je le suis en silence. Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine et je suis impatient de voir ce qu'il me réserve.

X   X   X

Quelque part dans les rues... | MANHATTAN – 11:32 AM.

Je le regarde poser son téléphone portable dans le rangement près du levier de vitesse. Ma main est nichée sur sa cuisse – légèrement un peu trop contre son entrejambe, je l'avoue – en signe d'affection et de protection. Il est à moi, et je veux qu'il le sache à chaque seconde de la journée. Mes doigts pressent sa cuisse tendrement quand il s'arrête finalement à un feu rouge, près de Central Park.

- Alors  ? , je demande.

- Ils n'ont même pas encore terminé le petit-déjeuner. Y a pas de risque.

Je souris. Je suis soulagé qu'il ait daigné téléphoner à ses parents, pour être bien sûr qu'ils ne risqueraient pas de nous surprendre. Je ne sais toujours pas où nous allons – même si j'ai posé la question – mais je comprends que c'est un endroit où il a l'habitude d'aller avec ses parents aussi.

Quand il redémarre pour descendre un boulevard à la circulation assez fluide, je demande  :

- Comment tu vas gérer Lily  ?

- J'vais la laisser ruminer dans son coin un moment. J'essaierai de lui parler quand elle sera calmée. Dans quelques jours.

Je souris, en coin. J'aime le voir comme ça, agacé et sur les nerfs  : c'est totalement différent du Evan calme et doux de d'habitude, et je dois avouer que ça me plaît. Je viens prendre ses doigts dans les miens pour les porter à ma bouche. Je les embrasse un par un, avant d'embrasser le dos de sa main.

Quand il arrête le moteur de la voiture, et que je regarde autour de moi, je comprends où nous sommes.

- Heu... je... pourquoi  ?

- Tu m'as dit que tu aimerais la rencontrer.

Je regarde le bâtiment en face de nous, de l'autre côté de l'avenue. J'ai la pression, soudain. Je me sens comme un parfait garçon qui est invité au premier repas avec la famille de son petit-ami. Je me pose tout un tas de questions  : va-t-elle m'apprécier  ? Mon ventre me fait mal, et mon cœur s'emballe.

- Tu... tu es sûr  ? , je demande.

- Oui.

- Mais... t'as pas peur qu'elle cafte  ?

Abby est une enfant intelligente, je le sais. Evan passe beaucoup de temps à me parler d'elle et je sais alors qu'elle est beaucoup plus mature que son âge le voudrait. Mais cela reste une enfant de 8 ans, qui pourrait très bien laisser échapper notre secret sans le vouloir. Je n'imagine pas la réaction des parents d'Evan s'ils apprenaient de sa bouche que Diego Flores s'est retrouvé en compagnie de leur fille malade à l'hôpital, et dans le lit de leur fils sous leur propre toit.

- Non. Au début j'y pensais, mais on peut lui faire confiance. J'en suis sûr.

Il me lance un regard entendu et nous quittons la voiture. À l'extérieur, le sol est par endroits encore enneigé mais, pour la majorité, le bitume est plutôt recouvert de pluie et de verglas. L'air est frais, mais même ainsi en plein cœur de Manhattan il semble pur. Je ne sens pas la pollution dans mon nez comme parfois à Brooklyn, et c'est agréable. Le ciel très nuageux me donne le sentiment d'être en début de matinée, la luminosité très sombre, mais ce n'est pas le cas.

- T'es sûr qu'on ne risque rien  ? , je demande en entrant dans le hall de l'hôpital.

- Mais non  ! Si on te demande comment tu t'appelles, au pire tu inventes. On ne sait jamais. Et j'ai jamais croisé personne que je connais ici, à part mes parents et Lily, et ils...

- Et tes parents sont pas là et Lily est déjà au courant. D'accord.

Il me sourit de toutes ses dents, amusé, et je crois bien un instant qu'il va m'embrasser. Mais là, au beau milieu du hall du New-York Presbyterian Hospital, il se ravise finalement. À la place, il glisse discrètement sa main dans la mienne et m'emporte vers les ascenseurs. Je me contente de le suivre, en silence, le stress prenant une place un peu plus importante dans mon ventre à chaque nouveau pas.

L'ascenseur nous emporte à l'étage – je ne compte même plus lequel – et s'ouvre en un petit «  ting  » agréable. Le couloir dans lequel nous sortons me surprend  : il n'est pas blanc et banal comme ceux que l'on a l'habitude de voir. Il est au contraire très coloré, les murs peints d'une jolie fresque aux couleurs vive qui représente des animaux en tous genre  : ceux de la savane sur le mur principal, les mammifères marins sur celui d'en face, les insectes sur un autre. Tout est très beau, aux nuances orangées, bleutées et vertes et c'est très joli. Je souris.

- C'est beau , dis-je comme un imbécile.

- Oui, c'est vrai.

Je suis Evan en silence à travers les couloirs. Un petit sourire ne quitte pas mes lèvres  : je le vois saluer les infirmiers et infirmières, les médecins, et certains enfants qui lui font signe depuis leur chambre dont la porte reste ouverte. Evan a l'air d'être apprécié ici, et ça me réchauffe le cœur  : comment ne pourrait-il pas être apprécié, d'ailleurs  ? Il est merveilleux.

- Toc toc  ? , dit-il en riant en frappant à une porte.

- QUI C'EST  ? , j'entends une voix aiguë derrière la porte.

- Devine  ?

- Daniel Radcliffe  ?

Je pouffe de rire, amusé par le roulement d'yeux désespéré de mon petit-ami. Mon petit-ami  : je frissonne.

Nous entrons dans la chambre et, gêné, je reste en retrait. J'entends Abby lancer un petit «  oh, c'est toi  » déçu mais forcé, avant qu'Evan ne vienne la serrer fort dans ses bras. Planté là sur le pas de la porte, je n'ose pas avancer. Je sais qu'elle ne me voit pas encore de là où je me trouve, et je me sens soudain mal à l'aise. J'ai même envie de prendre la fuite.

- Mon petit cœur, j'ai quelqu'un à te présenter.

- Ah  ? C'est qui  ? Un acteur connu  ?

Je souris en coin, amusé par Abby  : cette gamine ne manque pas de toupet. Mon ventre se tord et ma respiration se fait difficile quelques secondes. Puis, Evan se plante devant moi. Il se colle un moment contre moi et pose sa main sur la joue.

- Je t'aime. Viens.

Je me sens minable quand il me dit ça, là, tout bas. Je sais parfaitement que je ne suis pas à ma place ici. Abby, c'est sa vie de famille. Et je sais que je ne pourrai jamais faire partie de tout ça. Même si je l'aime et que j'aimerais que ce soit possible, j'ai malgré tout la tête sur les épaules et je suis conscient du fossé entre nous. Il va évoluer, faire des études et devenir un excellent chirurgien. Moi, pendant ce temps là, je serai soit en tôle, soit encore à Brownsville, soit au cimetière. Je n'ai aucun moyen d'échapper à cette vie là pour me retrouver dans la sienne. Je ne serai jamais libre.

Sa main dans la mienne, il m'attire vers sa petite sœur. Je capitule finalement, et viens me planter devant son lit d'hôpital. Quand il lâche ma main, je les glisse aussitôt dans les poches de ma veste. Je me sens surtout vide, là, et totalement perdu. Je n'ai aucune idée de quoi faire, quoi dire ou même comment réagir. Je regarde Abby, en silence, et la seule chose qui me frappe c'est qu'elle a les mêmes yeux qu'Evan.

- Salut  ! , me dit-elle avec un sourire. T'es qui, toi  ?

- Abby, je te présente Diego. C'est... mon amoureux.

Je baisse les yeux sur mes pieds, j'ai honte. J'attends sa réaction. Peut-être que c'est difficile pour une enfant de 8 ans de comprendre qu'un garçon puisse être amoureux d'un autre garçon. Je m'attends à tout un tas de questions, à un regard perdu, mais à la place je me sens stupide quand elle se met debout sur son lit pour me serrer dans ses bras. Peu habitué, je lance un regard paniqué à Evan  : cet idiot me sourit de toutes ces dents et me fixe de ses beaux yeux brillants.

- Trop cool  ! T'es à l'école avec mon frère  ? , demande-t-elle avec enthousiasme. Mais t'es vieux, non  ?

Sa joie et son dynamisme me détendent un peu, je dois l'avouer. Ses petites mains se posent sur mes épaules et, là debout sur son lit, elle me regarde l'air sévère  : c'est un jeu pour elle.

- Salut ma belle , je commence. Alors oui, je suis au lycée avec ton frère. Et non, je ne suis pas vieux. Enfin... pas trop.

- T'as quel âge  ?

- 20 ans.

- T'es un peu vieux quand même.

Quelle audace. Mon cœur se réchauffe dans ma poitrine et je fonds comme de la glace au soleil quand je vois son joli sourire, ainsi que le bandana rose fushia qu'elle porte sur la tête. Je distingue au niveau de son front et de ses oreilles une fine épaisseur de cheveux, comme ceux d'un bébé qui commenceraient à pousser tout doucement  : ils sont châtains, presque blonds. Ils sont différent de ceux d'Evan qui, eux, sont châtains foncé.

- Je vais me chercher un café, annonce Evan. T'en veux un  ? , me demande-t-il.

- Non, merci. Mais, je...

Je lui fais les gros yeux tandis qu'ils s'éloigne, amusé, vers la porte. Je commence à paniquer. Je n'ai aucune envie de me retrouver seul avec elle, pour la simple et bonne raison que je n'ai aucune idée de la façon dont je dois me comporter avec elle. Je n'ai jamais vraiment été à l'aise avec les enfants, et je me sens stupide, là.

- À tout de suite.

Il referme la porte derrière lui et, aussitôt, c'est le silence dans la pièce. Je regarde autour de moi l'air perdu tandis qu'Abby, elle, est toujours debout sur son lit. Quand je croise son joli regard couleur noisette, je fonds. Elle est adorable.

- Wahou.

Je souris, attendri, quand elle écarquille les yeux en fixant mes mains. Elle y pose ses doigts ensuite, avec lesquels elle caresse mes tatouages. Sa peau est chaude et douce, et j'imagine qu'elles sentent le savon d'hôpital.

- T'en as beaucoup. Les bras aussi  ?

- Ouais.

- Je peux voir  ?

Je fronce les sourcils, mal à l'aise. Même si ce n'est qu'une enfant, la situation est embarrassante. Je me sens un peu mis à nu, vulnérable. Je crois que c'est à cause de son regard innocent  : elle ne me juge pas, elle ne me considère pas comme un mauvais gars à cause des tatouages – contrairement aux autres – et ça me réchauffe un peu le cœur.

Je replie les manches de mon pull jusqu'à mi-biceps, et je me laisse faire quand elle pose ses petits doigts fins et pâles sur mes avants bras. Entre ses doigts, elle fait tourner mon poignet pour pouvoir regarder tous mes tatouages. Elle pose son index sur l'un deux, presque à l'intérieur de mon coude.

- C'est quoi, ça  ?

Je baisse les yeux sur son doigt. Je sais que c'est peut-être complexe pour elle à comprendre, car au milieu de ce fouillis de tatouages qu'est mon bras, je suppose que ce n'est pas très clair. Un sourire en coin sur les lèvres, je réponds  :

- C'est Saturne.

- Oh.

- Et, là, c'est le soleil.

Je tourne un peu mon bras pour lui montrer le tatouage du soleil, sous mon biceps. En fait, j'ai toutes les planètes de notre système solaire tatouées sur les bras. L'idée pourrait peut-être sembler stupide aux yeux des autres, mais pas pour moi. Je trouve cela joli, ça me plaît, et ça représente quelque chose pour moi.

- Et ça  ?

Je déglutis lorsqu'elle prend mes doigts entre les siens, et qu'elle touche avec son pouce la lettre J. Je me souviens alors de cette nuit, où j'ai tout raconté à Evan  : ça m'a fait mal mais je me sens un peu mieux. C'est comme si lui en parler m'avait libéré d'un poids. Décidant de rester flou, je réponds  :

- C'est le prénom de mon grand-frère.

- Ah d'accord.

Elle regarde les dessins sur mes bras avec grand intérêt, curieuse, mais elle ne pose plus de questions. Au moment où je m'apprêtais à parler, à lui demander simplement comment elle se sent, la porte s'ouvre. Evan hausse un sourcil lorsqu'il me voit si proche de sa sœur, et je rougis.

- Qu'est-ce-que vous faites  ? , demande-t-il.

- Je regarde ses tatouages, c'est trop trop beau  ! , répond Abby. Tu crois que je peux en avoir moi aussi  ?

- On en reparlera quand tu seras majeure, Ab'.

La fillette se rassoie sur le lit, les bras croisés sur sa poitrine et l'air boudeur. Elle regarde Evan avec une colère forcée et je trouve la situation amusante. Lui, il trempe prudemment les lèvres dans sa tasse de café brûlant. Il s'installe sur les draps à côté d'Abby. Je fais de même, restant malgré tout en retrait au pied du lit. Je les regarde faire, tandis qu'ils discutent tous les deux  :

- Tu as pris tes médicaments  ? , lui demande-t-il.

- Oui, t'inquiète.

Un sourire attendri étire mes lèvres. Abby se met alors à lui raconter ses derniers jours à l'hôpital, tandis qu'Evan l'écoute attentivement. Ils discutent ensuite de leur mère, qui vient de publier un nouveau livre, et de leur père qui travaille à Butler. Je remarque en les observant qu'elle porte des boucles d'oreille en forme du Vif d'Or d'Harry Potter. Je suis surpris de ne pas l'entendre poser à Evan tout un tas de questions sur moi.

La sonnerie brève de mon portable me sort de ma contemplation et de mes pensées. Je me crispe.

DE  : MIGUEL ✉
11:59 AM –  Rapplique au hangar tout de suite.
12:00 PM – Skull veut nous voir.

C'est ce genre de moment où je déteste encore plus ce fichu gang. Ils ont le chic pour venir m'emmerder lorsque je passe un bon moment avec Evan, et c'est lassant. Mal à l'aise, je lui lance un regard. Quand ses yeux accrochent les miens, je lui fais signe de me rejoindre dans le petit couloir devant la porte. Tout bas, je lui dis  :

- Je dois y aller. J'suis désolé.

- C'est... eux  ? , demande-t-il.

- Oui. J'suis désolé. Je t'appelle.

Sans vraiment m'attarder, je quitte les lieux après avoir déposé un petit baiser sur son front. À la hâte et tête baissée, je quitte l'hôpital. Dans la rue, je hèle un taxi qui s'arrête le long du trottoir. Quand je grimpe à l'intérieur, je lance  :

- East Village, s'il-vous-plaît. Intersection de la B et de la sixième rue.

Le chauffeur prend la route et, aussitôt, mon ventre commence à se tordre  : ce n'est jamais bon lorsque Skull nous demande de rappliquer.

X   X   X

Hangar des AlasNegras, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 12:47 PM.

Après avoir sauté du taxi bloqué dans le trafic d'East Village pour ne pas avoir à payer, j'ai récupéré ma moto dans la rue derrière l'immeuble d'Evan. J'ai roulé à toute vitesse jusqu'à Brooklyn, dans le froid glacial de l'hiver, avant de m'arrêter en un crissement de pneus devant le hangar des AlasNegras. J'étais nerveux en quittant l'hôpital, mais je le suis d'autant plus désormais.

- Est-ce-que quelqu'un peut me dire où est cet abruti de Wayne  ? , grogne Skull qui tente encore une fois de passer un coup de fil.

- Pourquoi on a besoin de lui, d'ailleurs  ? , râle Miguel.

- Parce qu'il est compétent, cabròn.

- Oh. En quoi  ?

Le regard noir que lance Skull à Miguel, là, en dit long sur ce qu'il pense. Comme toujours, c'est ça «  tu fais ce qu'on te dit et tu poses pas de questions  ». En appliquant cette règle, au final, je ne sais toujours pas pour quelle raison j'ai buté Milo Klayne.

- Bon, c'est quoi le plan  ?

Miguel est confiant et ose parler, contrairement à moi. Je me contente de rester le cul posé sur la chaise bancale du bureau de Skull, les yeux rivés sur le flingue posé près d'une pile de paperasse et quelques billets verts. Je sais que Miguel a raison et que, si nous sommes ici, c'est pour une bonne raison. Skull a certainement quelque chose a nous proposer, et je sais aussi que nous sommes les mieux placés ici pour faire ce qu'il nous demande  : nous sommes efficaces, discrets, et nous faisons peur aux gens. La plupart des autres gars feraient foirer n'importe quelle mission importante  : ce sont des fous de la gâchette, des psychopathes, qui n'agissent que sur le coup de l'énervement et qui sont incapable de réfléchir de façon rationnelle.

- Milo Klayne, Skull me lance un regard. Ce type était en contact avec la mafia de Brighton. Je pensais que ce n'était qu'un fils de riche qui bossait pour son propre compte, qu'il voulait faire «  joujou  » mais ce n'est pas le cas.

Je baisse les yeux sur mes mains, que je craque l'une contre l'autre sur mes cuisses. Les mots de Skull me pénètrent parfaitement sous la peau, dans mes veines, et j'enregistre tout ce qu'il me dit. J'attends qu'il reprenne, anxieux.

- Les types de Brighton entretiennent des liens étroits avec leurs homologues russes.

- Et donc  ?

Cette fois, c'est moi qui parle. Je lève un regard noir vers Skull, agacé par cette façon qu'il a de faire durer le suspense. J'ai envie d'en savoir plus, tout de suite, afin d'être fixé. Je n'aime pas être là, à mariner, parce qu'il préfère prendre son temps. J'aime lorsque les gens – surtout dans ce milieu – vont droit au but.

- On se fait chier depuis des mois pour qu'ils acceptent de nous vendre leurs putains d'armes  ! , s'exclame Skull. Il est hors de question que les petits toutous de Klayne nous les prennent sous le nez  !

Je fronce les sourcils  : je comprends ce qu'il nous dit. En réalité, ce n'est pas très compliqué comme histoire. En revanche, je ne comprends pas pourquoi il se met en colère. Ce ne sont que des armes. Nous en avons déjà plein le hangar. À moins que...

- Quel genre d'armes  ?

Contrairement à d'habitude, ma voix ne tremble pas. Au contraire elle est assurée, grave et confiante. Je regarde Skull dans les yeux  : désormais, c'est moi qui parle. Miguel, lui, se contente de hocher la tête. Il n'a jamais été très perspicace.

- Des armes, me répond Skull en restant vague.

- Oui, bien sûr , dis-je ironiquement. Le hangar est plein de flingues, on n'a pas besoin de ce genre d'armes là , je lui lance un regard en biais. Alors  ?

- Tu n'en sauras pas plus, Flores. Si t'es là, c'est parce que j'ai besoin de toi et de mon amigo Miguel. Tu obéis et tu la fermes.

Je serre les poings, et viens regarder Miguel. Il fixe un point invisible sur le visage de Skull tout en tapotant sa cuisse avec ses doigts, nerveusement, comme s'il battait le rythme d'une musique. Son pied aussi tape doucement le sol, toujours en rythme.

- On doit faire quoi  ? , demande-t-il.

- On sait où ils se planquent. Ils sont trois, Fernando s'est renseigné.

- Et alors  ? Tu veux qu'on les bute  ? Encore  ? , je demande amèrement.

- Oh, non. Pas cette fois.

- Ah  ?

Je ne comprends pas vraiment où il veut en venir. Il m'a carrément obligé à buter Klayne et, là, il ne veut pas qu'on les descende tous  ? Je n'y comprends plus rien.

- Klayne est hors d'état de nuire, mais ça n'empêche pas ses petits protégés de bosser pour lui. Vous allez simplement leur rendre une petite visite, péter quelques gueules, et leur parler yeux dans les yeux. Si ça ne fonctionne pas, là je te donnerai l'autorisation d'utiliser un flingue.

- OK, répond Miguel.

- L'adresse est là, il nous tend un morceau de papier. Vous irez ce soir, à 10:20 PM pétantes.

Je suis perplexe mais, d'un côté, je suis soulagé  : je ne vais devoir tuer personne ce soir. Je hoche la tête et lance à Skull un regard entendu. D'un signe de la main, il nous fait signe de décamper. Miguel et moi nous levons de nos chaises afin de quitter le bureau. Avant que nous ne sortions, Skull grogne  :

- Et essayez de choper cet abruti de Wayne. Il viendra avec vous.

Je frissonne  : Wayne aussi est une machine de guerre en matière de bagarre. Je l'ai vu à l'oeuvre. Il serait l'un des seuls à pouvoir lutter contre Skull. 

.   .   . #eastriverFIC

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top