CHAPITRE 33 - EVAN
12.12.17,
Birch Coffee, quartier d'Upper West Side | MANHATTAN – 4:16 PM.
- Je suis dégoûtée !
Lily se laisse tomber sur la chaise face à la mienne, en retard comme à son habitude. Elle porte un jean skinny noir qui met ses formes en valeur et un gros pull de couleur bordeaux qui lui arrive aux genoux. Par dessus, une parka noire à la capuche en moumoute et une écharpe de la même couleur que son pull. Je distingue quelques flocons de neige dans ses jolis cheveux longs et soyeux.
- Qu'est-ce-qu'il se passe ?
Je vois à son visage qu'elle est énervée, en colère. Je pense que je ne vais pas m'ennuyer, car cette fille est une vraie pile électrique lorsqu'elle est agacée : elle ne peut s'empêcher de parler.
- Emmett vient de m'envoyer un SMS !
- Et ?
Depuis ce jour là au bowling, où j'ai pris la fuite, je ne m'étais plus retrouvé seul avec elle. On s'ignorait, moi par fierté et elle car elle n'appréciait plus mon comportement. Sauf que j'ai réalisé il y a quelques jours que Lily est ma cousine, ma famille. Nous avons le même sang dans les veines et je dois avouer qu'être en froid avec elle me faisait mal au cœur : elle me manque. D'autant plus que la raison de notre ignorance était stupide. Résultat, la voilà assise face à moi après avoir reçu mon invitation.
- Tu sais, hier Liam était convoqué au tribunal. L'audience de Flores était prévue la semaine dernière, mais ils l'ont reportée à hier.
Je baisse les yeux sur mes mains, qui tiennent fermement mon cappuccino. La chaleur dégagée par la boisson me réchauffe les doigts et ça me fait du bien. La neige tombe à gros flocons dehors, et c'est presque la tempête. Entendre le nom de Diego me fait un peu mal : deux semaines sans lui, c'est long. Et, surtout, c'est d'un ennui à mourir. Il me manque.
- Et ? , je m'efforce de rester calme.
- Non coupable ! Genre, putain, il aurait pu le tuer ! C'est n'importe quoi cette justice !
- Il aurait pu, mais il ne l'a pas fait.
Elle remarque mon ton froid et lassé. Tandis qu'elle tique, moi, pendant ce temps là, je ne peux m'empêcher d'être soulagé. Non coupable. Au moins, je sais qu'il ne finira pas en prison pour une stupide bagarre. Mon cœur loupe un battement : j'aurais aimé l'apprendre de sa bouche, ou du moins recevoir un simple SMS. Même si nous ne sommes plus ensemble, même si nous nous ignorons désormais comme si de rien n'était, je suppose que certaines choses importantes peuvent être dites malgré tout. Je suis soulagé, oui, mais pas satisfait. De plus, la réaction de Lily m'agace.
- Pourquoi tu le défends ? , demande-t-elle.
- Écoutes. Je t'ai demandé de venir pour qu'on discute et que ça aille mieux, nous deux. Si tu comptes me parler de Whitaker et de Diego tout l'après-midi, dis-le moi comme ça je me casse maintenant au lieu de perdre mon temps.
Elle lève un sourcil, ses yeux rivés sur moi. Je crois qu'elle n'apprécie pas la façon dont je lui parle, là. En général, je suis le genre de garçon docile qui ne s'énerve jamais et qui ne hausse jamais le ton. Sauf que là je suis agacé, frustré, et que je me sens seul et malheureux. Je n'ai plus de patience non plus, et cela me joue des tours depuis quelques jours.
- Désolée, s'excuse-t-elle sincèrement. C'est juste que... je trouve ça tellement injuste.
Elle se radoucit, et ma pression retombe peu à peu. Je soupire, lassé, avant de lui répondre :
- Tu vois, c'est exactement pour cette raison que je me suis tiré du bowling et que je vous ai rembarrés, toi et Cody. On ne peut pas passer un moment sans que le sujet de Liam ne soit abordé, et j'en ai plein le cul. Je veux dire, il y a autre chose, dans la vie Lily.
- Je sais. Tu as raison. Mais j'ai pas apprécié comment tu as défendu Flores. Comme si Liam n'était qu'une merde.
Je craque mes doigts sur la table, lassé. Je regarde autour de moi distraitement, tout en cherchant mes mots. Je m'efforce de rester calme lorsque je réponds :
- Mais c'est une merde, Lily , je confirme. Tout simplement. Tu m'excuseras, mais on aura beau dire tout ce qu'on veut, ce n'est pas Diego qui humilie les gens au lycée à longueur de journée. C'est pas Diego qui reluque cette fille ronde de terminale et qui se moque d'elle devant tout le monde. C'est pas lui qui traite de tapette ce gars de seconde parce qu'il traîne qu'avec des filles. Diego ne fait rien de tout ça. Liam, lui, passe ses journées à humilier son monde. J'en ai simplement marre qu'on le mette sur un piédestal alors que ce n'est qu'une pourriture. C'est tout, Lily. Tu sais que j'ai raison.
- Mais Diego est...
- Je sais. Violent, oui. Tu l'as déjà vu frapper quelqu'un d'autre que Liam ? Quelqu'un qui ne l'aurait pas mérité ?
Elle baisse les yeux sur ses mains fines et pâles qui reposent croisées sur la table. Elle hausse les épaules, avant d'admettre :
- Non, t'as raison.
- Voilà. Je ne le défends pas forcément, c'est juste que je ne supporte pas ce genre d'injustice. Il aurait pu tuer Liam, mais il ne l'a pas fait. Tu ne me sortiras pas de la tête qu'il l'a bien cherché.
Je bois une gorgée de ma boisson avant de tendre la main pour la poser sur celle de Lily. J'en caresse le dos avec mon pouce, tandis qu'un serveur s'approche d'elle pour prendre sa commande : elle lui demande un chocolat chaud.
- Désolée, Evan, j'ai été nulle.
- Je ne t'en ai pas voulu d'avoir une opinion différente de la mienne, tu sais. Après tout, tu penses ce que tu veux. Je t'en ai juste voulu de ne pas être capable de m'entendre.
- Je sais. Je comprends.
Je la regarde sans rien dire, attendant qu'elle lève les yeux de ses mains. Elle le fait enfin lorsqu'on dépose son chocolat chaud devant elle. Son regard croise le mien et, adorable, elle me sourit.
- Tu m'as trop manqué.
- Toi aussi.
On se serre dans les bras rapidement par dessus la table. Je le pense vraiment : elle m'a manqué. Je m'ennuyais d'elle au lycée, le soir sur facebook à nous partager des conneries et à l'hôpital avec Abby.
- Au fait ! , s'exclame-t-elle. Cody organise une fête chez lui pour le réveillon. Tu viendras ?
Je me mordille nerveusement l'intérieur de la joue : la dernière fois que je suis allé dans une fête, j'ai fini stone à cause de space-brownie et j'ai embrassé le quarterback de l'équipe de foot alors que je n'étais même pas out.
- Hem... tu sais que c'est pas trop mon truc ces fêtes, Lily...
- Oh allez, s'il-te-plaît ! , me supplie-t-elle du regard. Ce sera super, promis !
Comment je pourrais résister ? Même si j'ai encore en travers de la gorge sa façon de dénigrer Diego, au fond je l'adore. Et puis... Diego n'est plus mon petit-ami. Les choses le concernant ne devraient plus m'atteindre. Je me fais violence pour mettre tout ça dans un coin de ma tête. Je craque quand je vois la moue et le regard adorable de ma cousine préférée.
- D'accord, je viendrai. Mais tu passeras me chercher. Hors de question que je fasse le taxi.
- Oui chef.
On rigole tous les deux. Peu à peu, la tension retombe et tout redevient comme avant. Nous parlons de tout et de rien : de l'équipe de foot du lycée même si je n'apprécie pas spécialement ce sport, du nouveau professeur de maths qui est arrivé et qui ressemble à Keanu Reeves, d'Abby, de papa à Butler pour finir par mon oncle – le père de Lily, donc – qui s'est mis en tête d'ouvrir son propre bar à cocktails en plein cœur de Manhattan.
Les moments comme celui-ci avec Lily m'avaient manqué. Cela me fait du bien de la retrouver.
X X X
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 6:26 PM.
L'après-midi en compagnie de Lily s'est terminé par une petite balade dans Central Park. J'ai ressenti un sentiment bizarre en passant près de notre endroit, à Diego et moi, qui s'est vite envolé lorsque Lily a proposé de me payer un hot-dog.
Je referme la porte de l'appartement derrière moi et je soupire de satisfaction : la chaleur et l'odeur bien trop agréable de crêpes en train de cuire m'apaise instantanément. Je suis excité comme une puce, parce que papa est de retour pour quelques jours, qu'il est arrivé il y a une heure, et que je ne l'ai donc pas encore vu.
- Hého, y a quelqu'un ?
Je lance d'une voix amusée, perturbé par la crêpe en train de cuire seule sur le gaz tandis que la cuisine est déserte. J'entends quelques pas dans le couloir avant de le voir apparaître sous mes yeux. D'abord c'est le choc. Puis, ensuite, j'explose de rire. J'en ai les larmes aux yeux.
- Ravi de te voir aussi, fiston , dit-il d'un air bourru.
- Désolé mais... bordel, t'es horrible.
Je fixe sa barbe, sous le choc. Les poils sont bruns et grisonnants, en désordre et mal taillés. Déjà que mon père avait l'air d'un gros ours, à cause de ses muscles et de sa carrure baraquée, là on dirait carrément un homme des cavernes.
- Eh bien merci, Evan, c'est gentil.
Un sourire aux lèvres, amusé par l'air triste qu'il s'efforce de se donner, je m'approche de lui pour venir le serrer dans mes bras. 3 semaines. 3 semaines à n'entendre sa voix qu'à travers le téléphone. 3 semaines sans le serrer fort contre moi et sans voir sa tête d'idiot. Je suis le plus heureux, la, tandis qu'il me serre contre son torse fort de super-papa. Amusé, bien décidé à ne pas le lâcher avant un bon moment, je demande d'une voix penaude mais moqueuse :
- T'as perdu un pari ou bien ? , je ricane.
- Eh bien, pas tout à fait.
- Mh ? Explique.
- Tu te souviens de Jace ? Cet idiot m'a mis au défi de me laisser pousser la barbe. Lui aussi n'en avait pas. Le premier qui craque et qui se rase doit payer le restau' à l'autre.
- Et comme t'es radin, tu ne comptes pas perdre ?
- Exactement.
Je trouve cela amusant, qu'il fasse des paris avec ses anciens collègues afin de se divertir un peu. Je suppose qu'être loin d'Abby, maman et moi ne doit pas être facile tous les jours. Il s'occupe et s'amuse comme il peut, et ça me rassure un peu. Il n'a pas l'air particulièrement triste.
- Où est maman ? , je demande en me libérant de ses bras.
- Partie chercher le dîner. Avec cette neige, les livreurs ne circulent pas.
- Chinois ?
- Affirmatif.
Un sourire étire nos lèvres de gros morfales, tandis que je me vois déjà à table à croquer mes nems et mes samoussas. Je sais que papa, lui, fantasme déjà sur son plat de porc au caramel et que maman a certainement commandé ses nouilles chinoises aux crustacés.
- Ton après-midi ? Les cours... ? , demande papa en mettant une nouvelle crêpe à cuire.
- J'ai fini tôt, un prof absent. C'était sympa comme journée. Là j'étais en ville avec Lily, on est allés boire un café.
- Oh, d'accord. Et ton petit-ami ?
Aïe. Depuis cet appel que je lui avais passé après ma rupture avec Diego, j'avoue ne pas l'avoir informé de la suite des événements. En réalité, je ne l'ai eu que très peu de fois au téléphone suite à cet appel.
- C'est mort, papa. J'ai pas envie d'en parler.
- Où tu vas ?
- Me doucher.
- Evan...
Je ne sais pas réellement pourquoi je me braque ainsi et pourquoi j'éprouve le besoin d'être seul. Peut-être parce que la réalité fait mal, quand on se la prend en pleine face. Diego me manque, à chaque instant de la journée, et être loin de lui m'est de plus en plus insupportable. Je ne supporte plus le voir assis seul au self, à manger ses sandwiches de pain de mie parce qu'il n'a pas les moyens de payer l'abonnement de la cantine. Je ne supporte plus de le voir arriver sur sa moto le matin et repartir le soir, et me dire que je ne le verrai pas plus tard dans Central Park. Je ne supporte plus non plus de voir Elena Hill rôder autour de lui, comme un prédateur autour de sa proie.
Sous l'eau chaude qui coule sur mon corps, je me souviens : ses baisers, ses mains sur moi, sa langue juste là. Cette soirée dans ses bras, la dernière que nous avons passée ensemble, était juste incroyable. Quand il s'est endormi contre moi, je l'ai regardé dormir pendant des heures, incapable de fermer l'oeil. Je pensais à trop de choses, notamment son regard amoureux et sa douceur : il m'aime, je le sais. Après avoir passé la nuit à réfléchir, j'en ai déduis qu'il fallait que j'accepte sa décision : je ne pouvais pas continuer à m'accrocher à lui, à lui faire du rentre-dedans, alors que c'est si difficile pour lui de me repousser alors qu'il tient à moi. Mais, au fond de moi, j'espérais qu'il ne prendrait pas ce fichu mot laissé sur son oreiller au sérieux et qu'il serait venu me courir après à son tour.
Résultat, là, j'ai l'impression de n'être que l'ombre de moi-même depuis deux semaines. Son sourire me manque, l'entendre me parler d'étoiles me manque. Tout me manque : sa voix, ses mains, son rire, son odeur, son visage. Tout. Et c'est douloureux. Il me mérite, j'en suis certain, même si lui est convaincu du contraire. Moi, je le veux. Je ne sais simplement pas comment faire pour retourner vers lui, désormais, après m'être tiré comme un voleur de chez lui. Je ne sais pas. J'ai bien trop honte à cette idée. Je ne me sens pas digne de lui après la façon dont je l'ai fait tourner en bourrique.
Je sors de la salle d'eau une vingtaine de minutes plus tard, le cerveau à l'envers. Vêtu de mon pyjama douillet – jogging et sweat polaires – j'ose enfin me pointer dans la cuisine. Je constate que maman est de retour lorsque je la vois déposer un baiser sur les lèvres de papa qui, lui, la tient amoureusement dans ses bras.
- Erk, vous m'dégoûtez , je râle gêné.
Ils rient tous les deux avant de se séparer. Maman vient claquer un baiser sur ma joue avant de nous annoncer qu'elle va prendre une douche pour se détendre. Je me retrouve à nouveau seul dans la pièce à vivre avec papa, qui fixe les sachets du restaurant chinois posés sur la table avec envie et appétit. Moi, nerveux, je viens simplement récupérer une crêpe que je saupoudre de sucre avant de croquer dedans.
- Evan, on dîne dans 10 minutes ! , me reproche-t-il.
- J'ai faim.
De ma main libre, je triture mon téléphone portable dans ma poche : j'ai toujours l'espoir de recevoir un SMS de Diego, aussi anodin soit-il. Sauf qu'il n'arrive jamais. Je me laisse tomber sur le canapé et allume la télé. Cette stupide émission de télé-réalité attire mon attention, car deux candidats sont en train de s'embrouiller. C'est stupide et ridicule, mais je dois avouer que c'est drôle.
Je me crispe quand papa s'installe sur le canapé près de moi, tout en laissant malgré tout un espace raisonnable entre nous. Je fixe l'écran plat, mal à l'aise.
- Evan, tu sais que tu peux me parler, n'est-ce-pas ?
Je serre un peu les dents : je n'aime pas sa façon d'insister. Je sais à quel point il peut s'inquiéter pour moi, surtout lorsqu'il s'agit de sentiments et de garçons. Après l'enfer que j'ai vécu à Butler, je sais qu'il souhaite ce qu'il y a de mieux pour moi. Il ne veut pas qu'un garçon – ou la conséquence d'une relation avec un garçon – me fasse souffrir à nouveau.
- Qu'est-ce-que tu veux que je te dise ? , je soupire agacé. Qu'on n'est pas faits pour être ensemble ? Qu'on n'a pas les mêmes priorités ? Que c'est terminé ? Arrête d'insister, papa. Et je vais bien.
Je me sens obligé de lui dire que je vais bien, pour le rassurer, même si c'est un mensonge. Je veux dire, je ne vais pas bien. Pas au point d'être totalement déprimé et morose, mais je ne pète pas la forme comme d'habitude : je ressens constamment cette oppression dans ma cage thoracique, à cause du manque, si bien que j'ai parfois l'impression d'étouffer. Mon ventre se tord à chaque fois que je pense ou que je vois quelque chose qui me rappelle Diego. Je me réveille parfois au beau milieu de la nuit, en sueur, après avoir rêvé de lui de façon malsaine parce que je suis totalement accroc à lui. Je vais bien, oui, mais ça pourrait aller mieux.
- Oh, d'accord.
Papa ne dit rien de plus, et c'est mieux ainsi. Je me terre dans mon silence jusqu'à ce que maman sorte de la douche et que nous passions enfin à table. Le téléviseur éteint, les premières minutes du repas se déroulent dans le silence le plus total, tous les trois soulagés de pouvoir enfin nous remplir l'estomac. Je dévore mes nems avec appétit, les trempant dans la sauce, tandis que papa se gave de son porc au caramel et que maman savoure lentement ses nouilles.
- Oh, au fait, je ne vous ai pas dit ! , annonce maman d'humeur joyeuse.
- Non, quoi ? , demande papa.
- J'ai vu le docteur Clemmings ce matin. Abby pourra sortir pour Noël.
Voilà qui me redonne du baume au cœur. J'en ai même les larmes aux yeux. L'année dernière, Abby a passé son Noël à l'hôpital. Même si les infirmiers avaient fait venir un Père Noël et que l'ambiance avait été joyeuse toute la journée, je sais à quel point elle aurait aimé être là avec nous. Savoir qu'elle passera les fêtes ici, à ouvrir ses cadeaux sous notre sapin, dans notre salon, et qu'elle pourra dormir dans sa chambre à elle me fait sourire comme un débile : j'ai hâte.
- C'est trop cool , dis-je. Elle sort quand ?
- Elle ne pourra sortir que le 24 au matin. Elle devra être à l'hôpital pour le 26 au soir.
- C'est génial ! , s'exclame papa.
Je suis heureux : elle passera presque trois jours complets ici, avec nous. Je suppose que cela veut dire que ses séances de radiothérapie portent leurs fruits, et qu'elle va donc beaucoup mieux. Je souris à nouveau : le temps d'un instant, j'en oublie même Diego.
- Vous avez une idée pour son cadeau ? , demande papa.
- Non, aucune, répond maman dépitée.
- On a qu'à lui acheter quelque chose en rapport avec Potter. Elle sera forcément contente.
- Encore ?
Je pouffe de rire devant l'air exaspéré de papa. Je le comprends : chaque Noël depuis deux ans – depuis qu'elle a découvert l'univers de J.K Rowling – nous nous ruinons en produits dérivés. Ici, à la maison, elle a déjà sa housse de couette aux couleurs de Gryffondor. Elle ne dort jamais non plus sans son pyjama aux motifs du Vif d'Or, et se prend pour Hermione Granger avec la réplique parfaite de sa baguette magique. Les emballages vides d'une Chocogrenouille et de Dragée Surprise de Bertie-Crochue sont fièrement exposés dans sa chambre, ici à la maison. Une bibliothèque entière est replie de DVD, Livres et bibelots – l'écusson de Gryffondor et toute une ribambelle de poupées Funko à l'effigie de ses personnages préférés.
- Tu sais très bien que c'est sa passion , je réponds amusé. Ça lui ferait plaisir, j'en suis sûr.
- Va pour ce cher Harry, alors , conclut papa résigné.
Nous terminons le repas en silence, tous les trois soulagés par la nouvelle que vient de nous annoncer maman. Je me sens comme sur un petit nuage, impatient d'être à Noël.
X X X
13.12.11,
East Side Community High School | MANHATTAN – 09:02 AM.
Quoi de pire qu'un professeur absent un mercredi matin ? Je me le demande. Et je me pose d'autant plus la question alors que je suis là, à déambuler dans les couloirs de la bibliothèque du lycée à la recherche d'une table dans un coin tranquille. C'est calme à l'intérieur, pratiquement désert et silencieux, et cela m'apaise. J'entends le déluge s'abattre sur le toit et les vitres du centre de documentation. Je finis par me laisser tomber à une table près d'une fenêtre.
Installé sur ma chaise, je sors de mon sac mon trieur ainsi que mes écouteurs. Ces derniers fixés dans mes oreilles, je lance l'un des albums de Sleeping At Last : Atlas. Je n'écoute que les morceaux instrumentaux, perdu dans les émotions que me procure la musique. Je commence ainsi ce fichu devoir de physique-chimie à rendre pour demain.
Même si je suis en filière scientifique, je dois avouer que la physique et la chimie ne sont pas ce en quoi je suis le plus doué : j'ai du mal à retenir toutes ces formules, qui me semblent inutiles. Je préfère les sciences humaines, apprendre le corps et l'ADN, par exemple. Je trouve ça beaucoup plus concret que de connaître le nombre d'atomes contenus dans tel ou tel élément.
Je fais la moue. Le sujet sous mes yeux ne m'inspire pas : je n'y comprends pas grand chose, pour la simple et bonne raison que j'étais bien trop occupé à planer et à penser à Diego lors des derniers cours. Pire que tout, ces derniers ne sont même pas notés dans mon cahier. Je suis conscient, là, d'être dans une merde phénoménale.
Mon portable allumé sur la table, je tapote dans google à la recherche des bonnes formules et d'un cours un minimum compréhensible. Je soupire, lassé. Le seul exercice que je comprends sur ce fichu sujet est celui qui porte sur le cours de début d'année : l'un de ceux où j'écoutais encore au lieu de rêvasser. Je me souviens subitement de mon engueulade avec maman, quelques semaines plus tôt : elle n'avait pas tort.
Après une dizaine de minutes passées à noter les réponses sur ma copie, je relève finalement la tête : je n'y arrive plus. Je ne comprends plus rien au sujet, ayant l'impression d'être face à un devoir rédigé dans une langue inconnue, et je soupire. Je frotte mes yeux collés par la fatigue avant de venir regarder autour de moi. Il pleut encore dehors. Un néon au dessus des bibliothèques grésille et clignote, trop ancien pour fonctionner correctement, et la pièce est aussi déserte que lorsque je suis arrivé. À l'exception de cette table, face à la mienne, de l'autre côté de l'espace lecture aménagé avec des poufs de couleur rouge et orange.
Cela ne peut pas être une coïncidence. Il ne peut pas être là, assis face à moi, les yeux rivés sur moi juste au moment où les miens se posent sur lui. Je sais que d'autres tables sont libres, bien sûr, mais qu'elles n'ont pas la vue sur la mienne. Il l'a fait exprès : il s'est installé là pour pouvoir me regarder. Je fonds comme de la glace au soleil, ma nuque désormais brûlante et les battements du cœur si rapides que c'est douloureux. Je me décompose sous son regard intense, avant qu'il ne détourne les yeux.
Moi, là, je le bouffe des yeux. Il est beau. Il porte un pull noir qui moule son torse et ses biceps à la perfection. Je vois ses doigts tatoués qui tiennent un stylo à bille tandis qu'il gratte du papier sans avoir l'air de trop réfléchir. Sa jambe sous la table tressaute nerveusement, comme il le fait toujours, et je vois qu'il porte un jean troué au genoux ainsi qu'une paire de vans recouvertes de poussière.
Gêné, je détourne les yeux à mon tour. Je reporte mon attention sur mon devoir, réalisant que maman me fera certainement la peau si je n'arrive pas à obtenir au moins la moyenne. Puis, à force de réfléchir, une idée me vient : une très mauvaise idée. Diego est un crack en sciences et en chimie. Je le regarde tandis qu'il écrit, concentré, sur sa copie à l'autre bout de la pièce. L'envie de me lever me démange, mais j'hésite : j'ai peur de me faire rembarrer. Mon cœur cesse de battre lorsqu'il lève les yeux vers moi quelques secondes, me détaillant de haut en bas, avant de les détourner à nouveau.
Je n'hésite plus. Les jambes tremblantes, je quitte ma chaise après avoir rassemblé mes affaires dans mon sac. Ce dernier sur mon épaule, ma copie, un stylo et le sujet à la main, je marche jusqu'à lui discrètement. L'endroit où nous nous trouvons est désert, et je suis mort de trouille. L'approcher de si près après deux semaines à nous ignorer me fait tout drôle.
- Hem... salut.
Il lève lentement la tête vers moi, très calme, avant de plonger son regard dans le mien. J'en ai le souffle coupé, si bien que je reste un moment la bouche ouverte sans ne rien dire.
- Salut.
Sa voix fait recouvrir mes bras de chair de poule. J'en tremble. Il me fixe avec son regard intense et profond, et sa voix est suave à mort. Je n'en peux plus. Je meurs de chaud et je ne sais plus où me mettre. Quand je pense que ce gars-là, cette bombe atomique, était dans le même lit que moi il y a deux semaines je n'arrive pas à le croire. Je serais presque tenté de me pincer pour me prouver que je suis en train de rêver.
- Tu veux quoi ?
« Toi ». J'aimerais tellement pouvoir lui répondre ce mot-là. Il me manque. Je ne me sens pas complet sans lui, et je réalise encore une fois à quel point il a chamboulé ma vie.
- Heu... je... tu pourrais m'aider avec ça ?
Je lui tend ma copie et la feuille A4 du sujet de physique-chimie, le tout en m'efforçant de faire une petite moue triste et adorable. Je jurerais pouvoir voir ses lèvres menacer de s'étirer en ce petit sourire en coin adorable.
- Assieds-toi.
Je m'exécute en silence, m'installant sur la chaise face à la sienne. Je ne le quitte pas des yeux tandis qu'il lit le sujet à la vitesse de l'éclair, avant de commencer à gribouiller ce qui, à l'envers, me semblent être des formules ainsi que quelques réponses. Il fait glisser la copie vers moi moins de cinq minutes plus tard.
- Essaie avec ça.
J'ai envie de hurler. Il ne me regarde même pas mais, putain, j'ai envie qu'il me regarde. Je veux voir ses yeux, son visage. Je me sens comme une merde, comme quelqu'un qu'il mépriserait au plus haut point. Je déglutis, mal à l'aise et blessé, avant de prendre mon stylo et de sortir une nouvelle copie.
Avec ses explications et les formules appropriées, cela me semble étonnamment plus simple. J'enchaîne les exercices, le cœur battant à 100 à l'heure, parce que je suis à la même table que Diego Flores. Je suis assis à la table de mon ex petit-ami. J'ai la nausée.
- Tu... tu peux vérifier si c'est juste ?
Sans un mot, et toujours sans me regarder, il s'empare de mes copies. Je vois ses beaux yeux gris parcourir mon devoir des yeux. Je le vois prendre un crayon gris dans une vieille trousse trouée : il trace un grand trait sur un paragraphe d'exercice, avant de gribouiller quelque chose.
- T'as tout bon, sauf ça.
Il me jette presque la copie dessus. J'ai le sentiment de ne pas être à ma place alors qu'avant, être avec lui aurait été le seul endroit où je me serais senti à l'aise. J'ai mal au cœur. Fatigué, et blessé, je soupire :
- Y a moyen que tu me regardes ?
- Je travaille, là.
Je n'aime pas la façon dont il me répond, d'autant plus que je sais que ce n'est qu'une excuse : il ne va pas me faire croire que ma présence le déconcentre, lui qui est pratiquement surdoué et qui résout un exercice en quelques secondes. Bien décidé à jouer au con, à l'embêter, je dis :
- Tu aurais pu me dire que tu avais été jugé.
- Pour quoi faire ?
- Oh arrête ! , je m'énerve tout bas. Tu sais très bien que ça compte pour moi, tout ça.
- Ça devrait pas. Toi et moi c'est fini.
Je serre les dents. En un geste plein de colère, je balance mes affaires dans mon sac à dos dont je viens refermer la fermeture éclair. Je croise mes bras sur la table, ensuite. Je ne le quitte pas des yeux, essayant de comprendre sa réaction si froide, avant de poser ma main sur la sienne.
- Diego, je...
- No me toques !
Il repousse ma main d'un geste brusque, la claquant presque, avant de relever la tête. Je déglutis : j'aurais préféré qu'il ne me regarde pas, en fait. Il me lance désormais un regard noir. C'est comme au début, quand j'ai renversé sa moto, et qu'il me détestait. C'est comme s'il n'y avait jamais rien eu entre nous, et ça fait mal.
- T'es qu'un pauvre con. Va te faire foutre, Diego.
- C'est ça, dégage. J'veux pas te voir.
Je le bouscule volontairement sur sa chaise tandis que je prends la fuite : il ne bronche pas, et c'est pire que tout. J'aurais aimé avoir une réaction de sa part, mais non. Il me demande juste de dégager, comme si je n'étais qu'une merde.
En colère, je fais finalement demi-tour. Je m'approche de sa table déterminé, dans son dos, avant de poser mes mains sur ses épaules. À son oreille, glissant mes doigts sur ses pectoraux, je murmure :
- Je t'aime, Diego Flores.
Je le sens se tendre sous moi, tandis qu'un soupir d'aise et de plaisir s'échappe de ses lèvres pulpeuses. Moi je tremble, parce que je suis chamboulé de lui dire ces mots à voix haute. Je n'attends pas sa réponse cependant, telle qu'elle soit, et je m'enfuis à nouveau. Même si j'ai le cœur en miettes, je suis satisfait : je sais que ces mots-là lui font du bien mais que, là, ils lui ont fait mal.
Monsieur Flores a voulu jouer au con ? Il a perdu.
. . . #eastriverFIC
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