CHAPITRE 30 - DIEGO

28.11.17,
Hangar des AlasNegras, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 6:55 PM.

Deux jours. Cela fait deux jours que j'ai quitté Evan. Cela fait aussi deux jours que j'ai tué un homme. Je n'arrive même plus à me regarder dans un miroir, où à esquisser ne serait-ce qu'un sourire lorsque j'entends les blagues d'Andrea et les compliments de maman. Je passe mes nuits à faire des cauchemars, à me réveiller en sueur alors qu'il fait un froid de canard dans ma chambre. Deux jours à avoir l'impression de devenir fou. Deux jours passés à pleurer, hystérique, parce que je ne suis plus moi-même.

Skull me balance un journal sous les yeux, tandis que je suis maladroitement assis sur la chaise face à son bureau. Je le regarde avec mépris fumer son cigare qui coûte la peau du cul. Un sourire malsain étire ses lèvres et j'ai envie de lui envoyer mon poing dans la figure  : je ne digère toujours pas ce qu'il a fait à Evan. Je revois sans cesse ses mains d'homme dégueulasse sur les épaules de mon petit-ami. Enfin... ex petit-ami. J'ai l'impression d'être poignardé en plein cœur encore une fois en le réalisant.

- Félicitations, Diego.

Je me saisis du journal d'une main prudente. À en juger par le titre du papier, je comprends qu'il s'agit du journal hebdomadaire du Queens. Je cesse de respirer lorsque mes yeux se posent sur l'encadré rouge qui correspond à la une du jour. Il s'agit du journal d'hier.

- Comme quoi, il te faut juste une motivation.

Je lance un regard noir à Skull, avant de me remettre à lire la une  : un homme a été retrouvé mort dans sa voiture. Milo Klayne. Je sens aussitôt les larmes me monter aux yeux, parce que je me sens comme une merde.

- Penses-y la prochaine fois. Cela m'évitera de devoir encore enlever ce pauvre gamin.

Je replie le journal d'un geste brusque, avant de serrer les poings. Tous mes muscles sont tendus et je serre les dents sous l'effet de la colère. Oserait-il  ? La réponse est oui  : il oserait.

- Ne le mêle plus à ça , je réponds amèrement. Lui et moi c'est fini, passe à autre chose.

Le dire de vive voix me fait encore plus mal. Lui et moi c'est fini. Je n'avais aucune envie que ça se termine, parce que c'était génial  : j'adorais les moments passés ensemble et sa compagnie m'était agréable. Avec Evan, c'était la première fois depuis longtemps que je me sentais si bien, aimé, et    sur un petit nuage. Il était ma douceur dans ce monde de brute, et j'aimais ça.

- Oh, Diego, quel héroïsme.

- Quoi  ?

Je lui lance un regard étrange, un sourcil levé, perplexe. Il se fiche carrément de moi,    un sourire amusé sur les lèvres. Je rêve de lui refaire le portrait. Je rêve de lui faire payer ce qu'il me fait subir et ce qu'il a fait subir à Evan.

- Quitter ton petit-ami pour le protéger  ? C'est courageux. Le pauvre petit doit être dévasté, il est si amouraché de toi. Tu as dû lui briser le cœur.

Je baisse honteusement la tête, touché en plein cœur. Encore une fois, il appuie là où ça fait mal  : je sais que j'ai blessé Evan en le quittant, et je ne supporte pas l'idée de lui avoir fait du mal. Skull ne fait simplement que remuer le couteau dans la plaie. J'ai envie de hurler.

- Diego. Explique-moi, pourquoi fais-tu cela  ? Il t'aime. Tu n'es qu'un égoïste, à lui briser le cœur ainsi. Tu sais que tu ne le mérites pas, n'est-ce-pas  ?

Je sais ce qu'il essaie de faire  : me mettre en colère. Il veut que j'explose, que je perde le contrôle, afin de se sentir satisfait parce qu'il aurait encore une fois eu de l'emprise sur moi. Je ressens à cet instant précis une horrible sensation d'oppression, qui finirait par m'étouffer s'il continuait. Son bureau me semble soudainement bien trop petit et étroit, et je commence à avoir du mal à respirer. Le pire dans tout ça, c'est qu'il a raison.

- Tu es un sacré tombeur, Diego Flores. J'avoue que tu as fait fort, rendre fou d'amour un petit ado de Manhattan pour un looser comme toi, tu m'impressionnes.

Evan, Evan, Evan. Je pense à lui, répétant son prénom en boucle dans ma tête pour essayer de rester calme. Je m'efforce de penser à son regard amoureux et fier de moi quand on passait des moments géniaux tous les deux. Je m'efforce de me souvenir de tous ces moments où je lui parlais d'astronomie et d'astrophysique, ces moments où je ne me sentais pas comme un looser.

- Il t'aime et toi tu le quittes  ? Diego, tu ne vaux rien.

Je n'arrive pas à retenir la larme qui roule sur ma joue. Il s'en suit une deuxième, puis une troisième, avant que je ne finisse par craquer. Je ne suis pas assez fort pour supporter toute la pression qu'il me met sur les épaules. Je ne suis pas assez fort pour endurer ses tortures psychologiques.

- Oh, tu pleures, ricane-t-il. Hors de ma vue, Flores. Dégage d'ici.

La queue entre les jambes, tête baissée sur mes pieds, je me lève de la chaise sur laquelle je suis assis et sors de son bureau. Sans prendre la peine de me cacher – à quoi bon  ? – j'essuie mes larmes avec la manche de mon sweat à capuche. Je passe devant Dgina qui me fixe d'un air ahuri, puis devant Miguel et Fernando. Un sourire satisfait étire les lèvres de ces deux débiles et, là, je rêve de leur refaire le portrait. Mais une main se pose sur mon épaule alors que je m'apprêtais à sortir du hangar.

-Hé, Diego... qu'est-ce-qu'il se passe  ?

-Casse-toi, Wayne. Pas maintenant.

Je lui donne un coup de coude violent dans les côtes pour le repousser, avant de m'enfuir. Je grimpe sur ma moto et quitte les lieux en quatrième vitesse. Sur la route qui mène à Manhattan, je ne peux m'empêcher de pleurer. Et, sur le pont de Brooklyn, un hurlement m'échappe  : j'ai la haine.

X   X   X

29.11.17,
The Monster Club | MANHATTAN – 01:12 AM.

Je ne sais pas comment j'ai terminé ici. J'avais la rage à cause de Skull et nulle part où aller  : je ne me sens pas digne de rentrer chez moi depuis que j'ai fait ce que j'ai fait. Je ne me sens pas capable de me tenir devant maman comme si de rien n'était  : elle serait dévastée si elle apprenait que Skull a réussi à faire de moi un pourri comme papa et Luis.

Je me suis surpris moi-même lorsque, après avoir conduit en ayant l'esprit ailleurs, je me suis garé devant le club. J'ai été tenté de faire demi-tour un court instant, avant de me dire que boire un verre ne me ferait pas de mal.

J'en suis à mon quatrième shot de Jägermeister. Je les enchaîne depuis tout à l'heure, mais l'alcool ne me fait encore aucun effet  : je ne me sens pas planer, je n'ai pas la tête qui tourne et, pire que tout, je me sens tout à fait banal et normal. Je pense encore à Evan, à Klayne et à Skull et c'est le bordel dans ma tête.

Une bière à la main, désormais, je déambule dans la foule en direction des escaliers. Après avoir bousculé un bon nombre de gars se déhanchant au beau milieu de la boîte, je descends les marches le pas peu sûr  : je ne sais pas vraiment ce que je fais.

Le sous-sol est un endroit spécial. C'est le genre d'endroit qu'à première vue, on pourrait croire privé ou réservé à quelques clients triés sur le volet. Or, ce n'est pas le cas  : tout le monde est libre d'y venir, mais peu sont ceux qui osent s'y aventurer. Le sol est recouvert de moquette rouge, tout comme les murs qui semblent faits de velours. Quelques miroirs à l'encadrement doré sont dispersés dans les différents couloirs, donnant un peu plus de profondeur à la pièce. La lumière est tamisée et l'endroit est silencieux  : on distingue à peine les basses et les vibrations des musiques de la boîte.

Je passe devant plusieurs pièces qui sont occupées  : une lumière rouge au dessus de la porte me l'indique. Il s'agit un peu du même système que celui des salles de cinéma, à la seule différence que les gens ne regardent pas un film à l'intérieur mais baisent à leur guise. C'est un concept étrange, original, mais cela ne me dérange pas. J'ai entendu des ragots, comme quoi il y aurait quelque part ici une pièce réservée aux amateurs de SM  : je n'y crois pas trop. Le Monster est un bar-club gay, et non une boîte échangiste.

- Hey.

Une main baladeuse s'aventure sur mes fesses. Quand je me retourne, un peu trop brusquement, je suis surpris de voir ce beau garçon aux yeux verts avec qui j'ai participé quelques minutes plus tôt à un concours de shots.

- Salut.

Il a l'air gêné, et je profite de son instant de malaise pour le détailler  : des cheveux bruns et très courts – je ne peux m'empêcher de remarquer qu'il a l'allure d'un jeune militaire. Sous sa chemise blanche, je devine des bras et un torse musclés même si le tissus moulant ne laisse pas trop de place à l'imagination non plus. Ses fesses et ses cuisses musclées et bombées sont moulées dans un jean denim qu'il porte bien.

- Je... hem... je voulais savoir si...

- Oui  ?

- Tu n'es pas ici par hasard, je suppose. Je t'ai suivi. T'es super mignon.

- Et  ?  , je fronce les sourcils, curieux.

- Tu voudrais pas qu'on... qu'on passe un peu de bon temps tous les deux  ?

Il se gratte nerveusement la nuque et je continue de le fixer. Je ne peux m'empêcher d'accepter le fait que c'est le genre de garçon avec qui j'adorerais passer une nuit. Mais il y a Evan, dans un coin de mon esprit, et la proposition me semble inacceptable bien qu'elle soit très tentante.

- Hem... je...

- Je suis passif, si ça t'intéresse.

Je me fige, mal à l'aise, tandis qu'il vient se coller contre moi tout en agrippant le col de ma veste pour me tenir contre lui. Je ne sais plus où me mettre, ni même quoi faire  : je sens sa queue dure contre ma cuisse et je suis tenté.

- Pourquoi moi  ? , je demande.

- T'es canon... j'adore les bad-boys. J'ai envie que tu me baises.

Je ne sais pas s'il est conscient qu'il est certainement plus vieux que moi  : il a l'air d'avoir au moins 25 ans. Je sais que mon physique me vieillit énormément, mais j'aimerais savoir ce qu'il dirait s'il apprenait que je ne suis même pas réellement majeur.

- OK.

Je me maudis intérieurement, me traitant de tous les noms. Depuis que j'ai appuyé sur la détente, deux jours plus tôt, je n'ai plus de conscience  : plus rien dans ma tête ne me permet de peser le pour et le contre. La vérité, là, c'est que malgré Evan j'ai besoin de penser à autre chose. Le temps de quelques minutes j'ai besoin de me laisser aller. Je n'ai jamais voulu aller trop vite avec Evan, par respect, mais Dieu sait à quel point je suis frustré sexuellement parlant. Et ce mec, là, est super canon et super bien roulé. Alors je fonce.

La porte claque derrière nous et il ne perd pas une minute  : ses mains s'affairent à me retirer ma veste tandis qu'il dévore ma bouche. Son haleine est un mélange de tabac et d'alcool, et je fais la grimace sans pour autant m'arrêter. L'haleine d'Evan, elle, est toujours mentholée à cause des chewing-gums qu'il mâchouille à longueur de journée. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.

- Putain, baise-moi vite.

Je pouffe de rire contre sa bouche. Après un regard circulaire autour de nous, je repère une vieille table de billard qui trône au beau milieu de la pièce. En réalité, il s'agit là du seul mobilier. Chaque chambre ici bénéficie d'un élément différent  : une chambre avec un lit, l'autre avec un canapé... et ainsi de suite. Je suis satisfait d'être tombé sur la chambre à la table de billard  : ça s'annonce torride.

J'emporte le gars dans mes bras – j'ai honte lorsque je réalise que je ne connais même pas son prénom – et l'allonge brusquement sur la table. La température monte crescendo lorsque je lui retire son jean et son boxer, puis ensuite son pull. Il est nu devant moi et je me mords l'intérieur de la lèvre  : sexy. Des abdominaux parfaitement dessinés, un pubis recouvert de poils bruns, une verge bien dure et imposante et des tétons pointés vers moi. Ses pectoraux sont bombés sous mes doigts quand je viens y poser les mains.

- Qu'est-ce-que tu veux que je te fasses  ?

- Bouffe-moi.

Je souris – le même genre de sourire malsain que Skull, je l'avoue – tandis qu'il se trémousse sur la moquette verte et abîmée de la table. Le dos sur le tissus, ses jambes pendent dans le vide tandis que je me glisse entre ses cuisses. Sa peau est chaude et son odeur masculine, piquante et excitante, met tous mes sens en éveil.

Dans un geste brusque, impatient, je l'attire contre moi. Ses reins sont posés sur le bord en acajou de la table. Ses genoux désormais repliés contre son torse, j'embrasse son mollet avant de tomber à genoux devant lui. Aussitôt, alors que je réalise que je suis encore tout habillé – à l'exception de ma veste – j'enfouis mon visage entre ses fesses.

Il gémit, et c'est satisfaisant. Ma langue le titille, le pénètre un peu, et j'adore la façon dont il soupire d'aise tout en se tortillant sur la table. Je continue alors de le lécher, de le bouffer. Mais je réalise qu'il me manque quelque chose et que je me sens vide, à l'intérieur.

- Oh... t'es génial, toi.

Je souris et claque ses fesses pour le faire gémir  : je réussis, car un cri lui échappe. Je viens rapidement glisser mes doigts en lui, pour le préparer à m'accueillir. J'ai honte de remarquer que je bande comme un chien dans mes vêtements.

M'apprêtant à me relever pour passer aux choses sérieuses – et impatient que tout cela soit terminé – je repère une boite de préservatifs ainsi qu'un tube de lubrifiant dans la fente où sont généralement rangées les billes du billard. Je souris, car je trouve ça amusant et original. Je me saisis d'une capote et du tube de lubrifiant, que je laisse tomber près de la hanche du bel apollon devant moi.

- Défonce-moi.

J'adore qu'il me parle comme ça  : il m'excite encore plus que je ne le suis déjà. À la hâte, j'abaisse mon jean et mon boxer jusqu'à mes chevilles sans prendre la peine de les retirer. Je déroule le préservatif sur ma verge fièrement dressée d'envie et la badigeonne de lubrifiant. J'étale le reste entre les fesses de mon amant du soir.

- T'es tellement bien monté.

Je le vois mordre sa lèvre avec envie, tandis que ses beaux yeux verts fixent ma queue. Je pouffe de rire, amusé, avant de me placer contre son entrée. Ce mec a l'air d'être une chaudière, bien trop habitué à se faire baiser je suppose, alors je ne prends pas la peine d'y aller doucement. Un coup de rein brusque plus tard, je suis enfoncé à lui jusqu'à la garde. Il se cambre et soupire d'aise, alors qu'un gémissement se bloque dans sa gorge, lui arrachant un son carrément sexy. Je souris.

- Alors, t'aimes ça  ? , je demande en donnant un nouveau coup de rein.

- Oui. J'aime tellement ça.

Je me penche pour l'embrasser, me sentant soudainement fougueux et libéré. Je ne pense plus à rien d'autre que ma queue à l'étroit entre ses chairs Je me sens comme dans un autre monde, et ça me fait du bien de lâcher prise.

Tandis qu'il gémit à nouveau, j'entame ma torture  : va-et-viens tantôt doux, tantôt brusques et profonds, tantôt rapides. Je le fixe un moment, satisfait par la vision de son corps cambré de plaisir. Il suffoque tant je lui fais du bien et ça me fait sourire. Il fait chaud, je sue, si bien que je retire finalement mon pull à mon tour. Mes couilles claquent contre ses fesses à chaque coup de rein et j'adore ça  : la température monte, le plaisir aussi, et c'est dément.

- Baise-moi... oui, là... recommence, encore  !

Je lui obéis, tapant à nouveau sa prostate au fond de lui. Il gémit d'une façon super sexy et je ferme les yeux quand je sens que je ne suis plus très loin de la jouissance.

- Bordel, gémit-il, défonce-moi putain  !

Je m'exécute. J'accélère mes mouvements de reins, agrippé à ses cuisses que je tiens relevées vers moi. La table grince sous mes assauts et je sens la chair de poule recouvrir mes bras. Lui, sous mes yeux, se trémousse de plaisir et s'agrippe à mes fesses tandis que ses reins commencent à se cambrer.

- Oh... oui, juste-là. Encore.

Quand il jouit contre mon ventre, je ressens un plaisir immense me ravager. Je donne quelques coups de reins supplémentaires pour m'achever, et je me mets à trembler quand je sens que c'est à mon tour d'exploser. Je le vois se précipiter vers moi, avant de tomber à genoux à mes pieds. Je ne suis pas stupide et ignorant, alors je retire le préservatif d'un geste pressé avant de jouir sur son visage. Il gémit comme un salope sous ma semence tandis que je me contente de soupirer d'aise.

- Putain, c'était dément.

Je lui lance un regard en biais tandis qu'il reste planté là, assis nu sur la table, à me contempler. Moi, je me contente de remonter mon boxer et mon jean sur ma taille avant de passer mon pull et ma veste. J'ai la nausée  : l'excitation et l'adrénaline sont retombées, et je me sens désormais plus bas que terre.

- Ouais. Bye.

Sans lui adresser le moindre regard, je prends la fuite. Je trottine dans les couloirs jusqu'à la sortie de secours, qui se trouve dans un coin sombre de la boîte. Je termine finalement dans cette ruelle où j'avais un soir sauvé Evan des griffes d'un pervers.

Evan. Une larme de colère roule sur ma joue. J'ai la haine contre moi-même, là, d'avoir baisé un parfait inconnu au sous-sol d'une boîte gay. Depuis des mois, la seule personne à laquelle je pense c'est lui, Evan. Il est le seul que je voulais toucher ainsi. Il est le seul avec lequel je mourrais d'envie d'être aussi intime. Et j'ai tout gâché avec ce type.

Installé sur ma moto, je fuis les lieux comme si j'avais le diable à mes trousses. Encore une fois, les larmes inondent mes yeux et je ressens une boule de chaleur dans mon cœur. Je ne peux pas aller chez moi, je n'ai pas envie d'aller au hangar et je ne peux plus aller chez Evan.

Le seul endroit où je me sens capable d'être, après le chaos de cette soirée, c'est auprès de lui.

X   X   X

The Evergreens Cemetery | BROOKLYN – 02:40 AM.

C'est le seul endroit où je n'ai pas peur de craquer, où je n'ai pas honte de pleurer, de suffoquer, et de regarder le ciel en pensant à tout ce que j'ai perdu et tout ce que je n'aurai jamais. Désormais, c'est ici le seul endroit où je me sens à ma place.

Assis sur sa tombe, frigorifié dans la neige, je contemple le ciel étoilé et je me pose tout un tas de questions  : s'il me voit de là-haut, que pense-t-il de moi  ? Me déteste-t-il pour ce que j'ai fait à Milo Klayne  ? J'aimerais qu'il puisse me parler. J'aimerais qu'il soit là, pour m'aider à traverser tout ça. Je me suis confié à lui à propos d'Evan et de mes craintes lorsque j'ai intégré les AlasNegras, mais le fait de ne pas entendre sa voix en retour m'a brisé le cœur beaucoup trop de fois. Et c'est toujours aussi douloureux de vivre avec son absence.

- Je sais pas quoi faire Jose... j'aimerais tellement que tu sois là.

J'aimerais le serrer dans mes bras, comme avant. J'aimerais qu'il puisse me guider, me conseiller, afin que je puisse aller mieux. J'aimerais qu'il me rassure, qu'il me dise que j'ai fait de mon mieux et que j'ai fait le bon choix même si cela a entraîné la mort d'un homme qui n'avait rien demandé. J'aimerais qu'il puisse ébouriffer mes cheveux en riant, en me traitant de cabròn comme il le faisait tout le temps.

- Tu me manques.

J'ai mis près d'un an avant de venir ici la première fois. Je ne trouvais pas le courage d'entrer dans ce fichu cimetière après l'enterrement, à cause de ce qu'il s'était passé. Je ne m'en sentais pas digne. Puis j'ai réalisé un jour, en parlant avec Abraham, que Jose m'aimait moi pour ce que j'étais et qu'il se fichait éperdument de ma famille – mon père et mon frère pourris jusqu'à la moelle.

C'est toujours difficile de venir sur sa tombe. Parce qu'à chaque fois je réalise qu'il n'est plus là. Son nom sur la pierre tombale est toujours recouvert de poussière, presque illisible, parce que sa famille n'est plus dans le coin. Je pense être le seul à passer ici, de temps en temps, parce que j'ai besoin de me retrouver avec lui même si je sais que, d'un côté, il n'est plus réellement là. Je donnerais n'importe quoi pour pouvoir le voir une dernière fois, ne serait-ce que quelques secondes. Le serrer dans mes bras une dernière fois me ferait le plus grand bien, là.

- Je... j'suis sûr que t'es pas fier de moi. Si t'avais été là, t'aurais trouvé une solution, toi.

Je le pense réellement. Jose était le genre de garçon débrouillard et n'avait peur de rien. Il n'avait pas particulièrement le comportement d'un caïd, malgré son corps baraqué et tatoué, mais ne reculait devant rien. En fait, Jose était tout le contraire de moi  : je m'efforce chaque jour de me comporter comme un gros dur, mais dans le fond je suis juste un garçon fragile et mort de peur à l'idée de devoir affronter des épreuves. Il aurait certainement trouvé une solution à toute cette merde, lui.

Une larme roule sur ma joue tandis que je repose ma tête contre la pierre tombale. Entre mes mains, je tiens ce vieux cadre photo donc la vitre est fissurée mais pas pour autant brisée. C'est une photo de nous deux, prise tout simplement sur un banc au quartier, quand nous étions plus jeunes. J'avais quinze ans et il en avait dix-huit, à l'époque. Un sourire triste étire mes lèvres.

Je me souviens des moments géniaux qu'on a passés ensemble. On jouait au foot au quartier avec les copains. On faisait les cons avec le concierge de l'immeuble car il nous criait dessus tout le temps en nous traitant de petits connards. Je me souviens des parties de jeux-vidéos chez sa mère, des courses à vélo comme des idiots jusqu'au Kebab – le dernier arrivé payait le repas à l'autre – et de tous ces autres petits moments simples d'une vie de quartier.

Et je me souviens du jour où je l'ai embrassé. Cela n'avait rien d'amoureux, bien que tout un tas de personnes n'aient jamais réellement compris notre relation, mais je ne l'oublierai jamais. Mon premier baiser, avec Jose... comment pourrais-je l'oublier  ? J'avais quatorze ans, lui dix-sept. Nous étions jeunes et cons. C'était arrivé un soir, sur le toit de l'immeuble, alors que je l'avais amené avec moi voir l'éclipse de lune.

- J'suis largué sans toi. J'ai tellement besoin de toi.

J'ai besoin de ses bras. J'ai besoin d'une étreinte rassurante, contre lui, tandis qu'il me dirait que tout va bien aller et qu'il est là pour me protéger. Et j'ai envie de hurler quand je réalise que ce genre de chose n'arrivera plus jamais. Je l'ai déjà dit, et le dirai encore, mais je donnerais n'importe quoi pour le voir une dernière fois.

- Faut que tu m'aides, j'sais pas quoi faire.

Comment pourrait-il m'aider  ? Je fonds en larmes, appuyé là sur sa pierre tombale. Je replie mes genoux contre mon torse, comme pour me protéger de tout, et y repose ma tête. La morve coule de mon nez et les larmes roulent sur mes joues. Mon corps est parcouru de soubresauts, tellement que j'en ai mal au dos.

-J't'aime tellement.

Je ne m'étais jamais senti aussi vide, avant. Je ne m'étais jamais senti comme ça, comme sur le point de mourir mais sans jamais pouvoir rendre mon dernier souffle pour autant. Je suis au bord du gouffre mais je n'arrive pas à sauter.

C'est ce flirt avec la limite qui fait plus mal que tout  : le besoin que tout s'arrête enfin mais l'envie et l'espoir de tout arranger. 

.   .   . #eastriverFIC 

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