CHAPITRE 3 - EVAN

15.09.17,
East Side Community High School | MANHATTAN – 9:02 AM.

Quatrième jour au lycée East Side et, pour le moment, ça se passe plutôt bien. Il arrive tous les jours quelque chose de nouveau qui égaie un peu ma journée  : une nouvelle rencontre, l'apprentissage de nouvelles matières intéressantes, la découverte du lycée. J'aime beaucoup ces journées là, lors de la première semaine de cours, parce que tout semble nouveau. Le lycée East Side ne fait pas exception à la règle  : j'apprends plein de choses ici.

Récemment – hier soir – j'ai eu bon vent de plusieurs rumeurs  : Kyle aurait assisté à son cours de philosophie complètement stone avec Cody, le premier match amical de football aurait lieu la semaine prochaine et, rumeur la plus intéressante, Elena Hill sortirait avec Diego Flores. Je n'ai jamais vraiment aimé me mêler des affaires sentimentales des autres mais je dois avouer qu'un tel couple m'intrigue à mort  : la garce et le gars des gangs. Autant dire clairement que, si la rumeur s'avère être fondée, il n'y a certainement aucun sentiment là dessous.

En quatre jours, j'ai eu le temps de me faire une idée de chacun. Kyle, Cody et Emmett sont stupides mais sympathiques, et inséparables  : contrairement à ce que je pensais, ils ne sont pas du genre à humilier ou snober ceux qui ne sont pas comme eux. Les musiciens eux, un groupe de quatre, sont assez perchés et ne savent pas parler d'autre chose que de musique et d'instruments  : cliché. Les cheerleaders sont comme je les avais imaginées, c'est-à-dire populaires, adulées de tous, certaines un peu narcissiques tandis que d'autres sont un peu plus humbles  : cliché, aussi. Diego Flores est un garçon bourru, si bien que je n'ai encore jamais vu ne serait-ce que l'esquisse d'un sourire  : un gars flippant. Elena Hill s'habille tous les jours comme un traînée et passe ses journées à rouler des fesses devant les quelques idiots de l'équipe de foot  : salope. Et puis il y a Dylan Campbell, le garçon gay et, soit dit en passant, l'un des terminales les plus canons du lycée. Même s'il semble superficiel – physiquement parlant – c'est un garçon très intéressant  : je m'étais trompé sur son compte.

- Evan, on va être en retard  !

Léa m'emporte par le bras en direction du bâtiment C, le bâtiment des sciences. Dans cette salle que nous ne connaissons pas encore, nous nous installons côte à côte. Le soleil qui perce à travers la fenêtre caresse ma peau et je me sens bien. Le nom inscrit au tableau m'indique que la professeur, assez jeune et ravissante, s'appelle Madame Reed. Je sors mes affaires en silence.

J'apprécie beaucoup Léa  : c'est une fille pleine d'humour, assez hyperactive, et nous avons beaucoup de points communs notamment en matière de musique et de cinéma. La plupart du temps – depuis trois jours, du moins – nous passons notre temps libre à discuter de films Marvel et de séries TV Netflix. J'aime aussi beaucoup la pause du déjeuner  : nous nous sommes installés seul à une table et nous avons simplement écouté de la musique. Notre groupe préféré à tous les deux s'avère être The Script.

- Elle est jeune, non  ? , me demande Léa.

- J'ai l'impression.

- Regarde les mecs, je jurerais pouvoir les voir baver.

Je ricane et tourne la tête, puis je réalise qu'elle a raison  : les garçons ont tous les yeux braqués sur Madame Reed, mais cette dernière ne semble pas s'en soucier. Pendant un court instant, je m'efforce de la reluquer également. Je n'ai pas envie que Léa se doute de quelque chose  : je souhaite me faire le plus discret possible concernant... ce truc. Personne ne sait que je suis gay – à l'exception de Lily – et c'est mieux comme ça.

- T'as entendu la rumeur  ? , me demande-t-elle.

- Laquelle  ? Il y en a tellement , je pouffe de rire.

- Elena et Diego.

- Oh. Oui, j'ai entendu.

- Ils vont bien ensemble. Dans le genre « le badboy et la putain  », c'est pas mal.

Je m'efforce de pouffer de rire, car je n'aime pas trop ce genre de réflexions. Personne ne devrait se mêler – ou du moins, parler – de ce genre de choses. Ce ne sont pas nos affaires. Elena sort avec Diego  ? Tant mieux pour elle. Au moins, tant qu'ils sont ensemble, ils n'emmerdent pas le monde.

- Apparemment un seconde les aurait vus baiser dans les toilettes du bâtiment D.

- Ce n'est qu'une rumeur, Léa. Et, ayant un peu cerné Elena, ça ne m'étonnerait pas que ce soit elle qui l'aie lancée.

Léa me regarde en fronçant les sourcils, visiblement perturbée – et intéressée.

- Développe , me dit-elle.

- Imagine. Un seconde débarque dans ce lycée. Il ne veut pas d'embrouilles le gars, crois-moi. Il prendrait jamais le risque de se mettre à dos Elena Hill et Diego Flores. En revanche, elle, on sait qu'elle chauffe tous les mecs  : Diego est certainement sur sa liste.

Le regard de Léa se perd à travers la fenêtre. Ses lèvres s'étirent en une petite moue et, à nouveau, elle fronce les sourcils. Je remarque qu'elle entortille nerveusement une mèche de ses cheveux autour de son doigt. Puis, soudain, elle vient me regarder.

- Tu es un génie, Evan Wright.

- Eh bien, merci, et...

Madame Reed me coupe la parole  : le cours commence et le silence se fait immédiatement dans la salle. Les garçons semblent boire ses paroles tandis que les filles, elles, ont l'air déçues qu'une aussi jolie femme leur fasse cours. C'est assez drôle.

X X X

Après m'être perdu 3 fois dans le lycée – le départ brutal de Léa pour cause de maladie soudaine ne m'a pas permis d'être guidé par sa gentille personne – et frôlé la retenue à cause de ces retards consécutifs, je ne pensais vraiment pas que ma journée pourrait être pire. Or, je me trompais.

Désormais, il est 4:55 de l'après-midi et un orage vient d'éclater. Je déteste la pluie. Bien évidemment, pour couronner le tout, je ne porte qu'un t-shirt et un bermuda en jean. Mon eastpak en guise de parapluie, je traverse le parking en trottinant pour m'engouffrer dans ma voiture. Le moteur de mon Audi gronde quand je démarre et, pressé, je passe la marche arrière pour quitter ma place de parking.

Il y avait longtemps qu'un tel orage n'avait pas éclaté ici, à New-York. La pluie tombe à grosses gouttes sur mon pare-brise, si bien que je n'y vois presque rien. Des lycéens déboulent de partout en trottinant, pressés de retrouver leur véhicule ou de grimper dans leur bus. Moi je roule, impatient de rentrer à la maison après cette journée bien trop longue et pénible.

Je pile quand je sens le choc, perturbé. Honnêtement, je ne comprends pas trop ce qu'il vient de se passer  : je regardais la route, encore et toujours sur le parking du lycée, et la moto a déboulée de nulle part. Sous la pluie, je ne distingue pas énormément le conducteur. Mais lorsqu'il retire son casque, je ne peux que le reconnaître  : Diego Flores. Je me laisse couler sur mon siège, honteux, tandis qu'il descend de sa moto. Il s'approche de ma portière. À travers la vitre close qu'il martèle de ses poings, je l'entends crier  :

- Descend de la voiture  !

Je ferme les yeux un court instant, pour me donner du courage, tout en inspirant profondément. Je n'ai qu'une envie  : démarrer en trombe et prendre la fuite. Sauf que je ne suis pas stupide  : c'est Diego Flores, et il finirait par me faire la peau tôt ou tard. Je déboucle ma ceinture et, les mains tremblantes, ouvre la portière. Il m'attrape par le col de mon t-shirt avant de me plaquer contre le capot.

Je me sens ridicule, aussitôt trempé jusqu'aux os. Je suis obligé de lever la tête pour le regarder, tant il est grand. Je remarque aussi que, contrairement à moi, il est imposant. Pas gros, mais baraqué. Moi, je n'ai que la peau sur les os – ou presque.

- Je... je... , je bégaie, je suis désolé... vraiment je...

- Quand on ne sait pas conduire on ne conduit pas  !

Je hoche simplement la tête. Je ne suis pas de son point de vue mais, là, il m'effraie tellement que je serais prêt à acquiescer pour n'importe quoi. J'ai peur qu'il me frappe  : apparemment, c'est sa façon de régler les problèmes.

- T'as bousillé ma moto  !

- Heu... , j'y jette un coup d'oeil, elle a l'air bien.

J'écarquille les yeux, regrettant aussitôt mes paroles lorsque je le vois serrer les poings et les dents. Il n'a pas l'air perturbé, ni blessé. Il est juste en colère. Je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il en fait des caisses pour un rien  : sa moto est à peine rayée.

- Espèce de pendejo.

Il lâche enfin mon t-shirt. Je ne le vois pas bien, parce que les gouttes de pluie me tombent dans les yeux. En revanche, je distingue parfaitement ses iris gris  : on y trouverait presque des reflets bleus. Je me sens comme si son regard me transperçait.

- J'suis vraiment désolé.

Ma voix est faible et, dans mon ventre, tout est bizarre  : j'ai l'impression que ça tourne comme le tambour d'une machine à laver à l'intérieur et je sens, aussi, des fourmis dans mes mains. J'ai peur. Il est trop proche de moi et je me dis que ça y est, qu'il va me cogner. Je suis prêt à fermer les yeux pour ne pas voir le coup partir dès l'instant où il lèverait le poing.

- Je m'en branle de tes excuses  ! T'as bousillé ma peinture  !

Je sursaute parce qu'il hausse le ton. Sa voix est terrible  : pas trop grave, mais énormément éraillée. J'ai honte de m'avouer que ça me plaît. Rapidement, avant qu'il ne se remette à brailler au milieu du parking, je balance  :

- Je peux te donner de l'argent pour les réparations. Je veux pas d'embrouilles, Diego.

Il ricane. En fait, j'ai pleinement conscience qu'il se moque de moi sans la moindre gêne. Je me mordille nerveusement l'intérieur de la joue, tandis qu'il me reluque de haut en bas avant de fixer ma voiture, un sourcil levé et un air agacé sur le visage.

- Une audi, hein  ? , ricane-t-il.

- Oui. Et alors  ?

Il tique, sa langue claquant contre ses dents parfaitement blanches. Je ne peux que remarquer – simple observation de garçon homo – que sa bouche est très tentante.

- Je n'ai pas besoin de ton pognon de fresa. Garde-le pour repasser ton permis.

J'ouvre la bouche pour répondre mais c'est inutile. Il me fixe toujours avec colère et je me sens ridicule. Fresa  ? Je n'ai aucune idée de ce que cela veut dire.

- Je suis vraiment désolé.

- Tu l'as déjà dit, grogne-t-il.

Je hausse les épaules en faisant la moue. Je ne sais pas quoi dire de plus. J'attends simplement qu'il m'en colle une et qu'il m'étale au sol comme Liam Whitaker le jour de la rentrée. Sauf que rien ne vient. Je l'entends jurer entre ses dents quelque chose d'incompréhensible en espagnol, avant qu'il ne remettre son casque sur sa tête. Je le regarde redresser sa moto. Il grimpe et, aussitôt, le moteur gronde. J'ai à peine le temps de remarquer son jean déchiré et sa blessure à la cheville, qui saigne, avant qu'il ne s'en aille.

Une main sur mon épaule me fait sursauter tandis qu'il tourne à l'intersection. Quand je me retourne je découvre Lily, à l'abri sous un parapluie, qui me demande excitée  :

- Evan, putain, qu'est-ce-qu'il s'est passé  ?

X X X

Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 7:30 PM.

Après avoir expliqué en détails à Lily l'accrochage avec Diego et être passé voir Abby, j'ai enfin pu rentrer chez moi. Désormais, je suis assis sur mon lit et je ne peux que constater que l'orage empire. Les enceintes de ma chambre diffusent le premier album de London Grammar – j'avais besoin de calme – tandis que mon ordinateur portable est allumé, Google sous mes yeux.

Durant le trajet du retour, j'ai eu le temps de réfléchir à mon altercation avec Diego Flores. Il m'a traité de pendejo et, même si c'était déplacé, je suppose qu'il a eu raison. En revanche, son utilisation du mot fresa me trotte dans la tête. Cela ressemble au mot fraise, mais quel rapport  ? Intrigué, je tape sur google «  expression mexicaine fresa  » et, même si cela n'est pas clair, j'espère trouver une réponse. Après avoir fouillé sur plusieurs pages, je tombe enfin sur quelque chose d'intéressant que je marmonne à voix basse  :

- Fresa  : désigne généralement un fils à papa ou un bourgeois , je fronce les sourcils. Vas te faire foutre, Flores.

Agacé, je ferme la fenêtre du navigateur. Tout semble parfaitement logique  : cette façon qu'il a eue de me détailler et de fixer ma voiture après que je lui ait proposé de l'argent, et son air agacé sur le visage. J'aurais dû le comprendre plus tôt. Diego est un gars de Brooklyn, un gars des gangs – d'après ce que tout le lycée raconte. Il déteste certainement les gens comme moi.

- Chéri  ?

- Oui  ?

J'entends maman qui m'appelle depuis la cuisine. D'après la bonne odeur que je sens glisser sous la porte de ma chambre, j'en déduis que le dîner est prêt.

- On passe à table.

Je ne prends pas la peine de répondre «  j'arrive  », car je sais qu'elle ne le supporte pas. Elle préfère les actes aux paroles. Je viens alors m'installer à la table de la salle à manger, face à elle, tandis que papa trône en bout de table.

- Ça sent trop bon maman  ! Qu'est-ce-que c'est  ?

Je fixe le plat gratiné posé sur la table, sans vraiment savoir de quoi il s'agit. Mon père est déjà en train de manger comme s'il était affamé depuis des jours. Ma mère adore tester de nouvelles recettes.

- Un hachis parmentier de canard, avec de la patate douce pour changer.

Je hausse les épaules avant de me servir. Dans mon assiette, à vue d'oeil, ce n'est pas tellement appétissant. Mais l'odeur me donne faim. Je commence à manger, en silence, tandis que ma mère écoute les informations à la télévision. Mon père, lui, est concentré sur son assiette.

- Papa  ?

- Oui Evan  ?

- C'est vrai qu'il y a des gangs à Brooklyn  ?

J'essaie juste de faire la conversation. J'entends tellement de rumeurs sur Diego depuis la rentrée que j'ai besoin de savoir. De plus, j'ai toujours été un garçon curieux.

- Oui, c'est vrai. Pourquoi  ?

- C'est quel genre de gangs  ? Enfin, ils font quoi  ?

- En quoi ça t'intéresse  ?

En tant que policier, il essaie toujours de nous préserver, moi, maman et Abby. Je vois à son regard qu'il est inquiet et je n'ai pas envie qu'il croie que je m'intéresse de près à ce genre de choses.

- C'est juste... il y a un gars au lycée. Il vient de Brooklyn. Tout le bahut raconte qu'il fait partie d'un gang. Je voulais juste savoir en quoi ça consiste, par curiosité.

- Oh, et bien... , il réfléchit. Tous les gangs ne sont pas les mêmes. Certains sont violents envers les gens pour faire respecter leur loi, d'autres le font en plus d'affaires comme le trafic de drogues ou d'armes. C'est très diversifié, surtout à Brooklyn.

- Mhmh. Vous ne pouvez pas les arrêter, ces gens-là  ?

- Tu sais, ils sont très discrets et très organisés. C'est pas toujours facile de trouver des preuves pour les inculper. C'est très difficile de les surprendre sur le fait accompli.

Je hoche la tête en me resservant une quantité importante de hachis. Le silence se fait à nouveau autour de la table et je réfléchis. En fait, je pense à Diego  ; malgré son apparence totalement latino, ses muscles et son style vestimentaire méchant garçon, j'ai du mal à croire qu'il fasse partie d'un gang. C'est une racaille, bien sûr, mais il ne m'a pas cassé la gueule alors qu'il aurait pu. Je pensais qu'il le ferait. Je ne sais pas trop quoi penser de lui mais une chose est sûre  : il fait flipper, qui qu'il soit réellement et quoi qu'il fasse.

- Comment il s'appelle, ce garçon  ? , se méfie mon père.

- Diego Flores.

- Flores  ? Son père et son frère sont en prison. Ce sont des AlasNegras.

- Des Alas-quoi  ? , je demande.

- Les membres du gang le plus terrible de Brooklyn. Reste loin de ce Diego, d'accord  ?

- Oui, inspecteur  !

Je hoche vigoureusement la tête, la moue sur les lèvres. Je crois que je rougis. Je me sens ridicule  : je ne leur ai pas parlé de l'accrochage sur le parking.

- C'est quoi cette tête  ? , s'interroge mon père.

- Hem... il se pourrait que... j'ai accidentellement renversé sa moto.

- Pardon  ?! , s'exclame ma mère.

- J'vous jure j'ai pas fait exprès, il a déboulé sur le parking super vite. Elle n'a rien sa moto. Je lui ai proposé des sous pour la peinture, il a refusé. Tout va bien.

- Tu lui as parlé en plus de ça  ?!

Mon père semble fou de rage. Il n'est pas en colère dans le fond, mais juste paniqué. Je bredouille des excuses et des «  tout va bien  » mais il ne semble pas les entendre. Je soupire avant de dire  :

- Il ne m'a pas frappé, si c'est ça qui t'inquiète. J'étais surpris, d'ailleurs. C'était juste un accident, plus jamais je lui adresserai la parole. Il fait flipper.

Ces derniers mots clôturent la conversation. Mon père rumine dans son coin tandis que ma mère me fixe l'air inquiet. En réalité, je le suis un peu aussi  : j'espère juste que, lundi, Diego Flores ne viendra pas me régler mon compte. 

.   .   . #eastriverFIC


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