CHAPITRE 29 - EVAN
26.11.17,
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 9:41 AM.
Je me réveille en sursaut. Assis dans mon lit, sous ma couverture et torse nu, je réalise que je suis en sueur : mon front et mon dos sont trempés, et mon cœur bat à vive allure dans ma poitrine. Cette fois, il s'agit bien là d'un cauchemar et non d'un rêve érotique qui concernerait Diego. Je déglutis.
Je suis déçu de me réveiller seul, mais je m'y attendais. Le souffle court, je viens prendre une gorgée de ma bouteille d'eau. Le liquide frais me fait du bien à la gorge, mais cela ne me calme pas pour autant. Il me faut un bon moment avant de retrouver une respiration régulière et posée.
Je n'arrête pas de penser à ce qui s'est passé : je ressasse encore et encore le moment où un type – Miguel – m'a attrapé brutalement pour me jeter à l'arrière d'un pick-up garé juste devant l'immeuble. Je me souviens qu'on m'ait braqué un flingue sur la tempe, dans la voiture, jusqu'à ce qu'on arrive à Brownsville. J'étais mort de trouille, si bien que j'ai cru pendant un instant être en train de me pisser dessus. J'ai bien cru que mon heure était venue, même si je ne comprenais pas pourquoi. D'ailleurs, je ne comprends toujours pas.
Quand j'ai vu Diego dans ce hangar, avec ce type si baraqué et charismatique à faire peur, j'ai commencé à cogiter et, même si j'ai répondu que non, j'ai compris avant qu'il ne me le dise pourquoi j'étais là : ils se sont servis de moi contre Diego. Mon cœur se serre au souvenir du moment où il s'est effondré à mes pieds, me suppliant de le pardonner.
Je comprends désormais les craintes qu'il avait bien avant qu'on ne commence à sortir ensemble tous les deux. Ses « je ne peux pas » étaient faits pour me protéger de ce genre de choses là. Si nous n'étions pas ensemble, ces caïds ne m'auraient jamais enlevé hier soir. Si je n'étais pas son petit-ami, jamais je ne me serais retrouvé à l'arrière d'une voiture, menacé par un flingue sur ma tempe. Rien de tout cela ne serait arrivé si je n'avais pas insisté pour avoir Diego. J'ai mal au cœur d'admettre qu'il avait raison : nous ne sommes pas du même monde et je ne suis pas en sécurité.
Je n'arrête pas de réfléchir à ce qu'a dit ce type, le Chef : Diego est incapable d'obéir. Ces mots tournent dans ma tête sans cesse, si bien que je suis conscient de les avoir même entendus dans ce fichu cauchemar. Que veut-il qu'il fasse ? Qu'y-a-t-il de si important au point que cet homme face chanter Diego en se servant de moi ? Je pense qu'il s'agit de quelque chose de grave, et je suis mort de peur à l'idée que Diego puisse faire quelque chose de dangereux.
J'émerge un peu quand je sens une odeur agréable s'infiltrer dans ma chambre par dessous la porte : pancakes. Mon cœur se réchauffe un peu. Les jambes engourdies, me sentant étrangement à bout de forces, je me lève et enfile un jogging avant de quitter ma chambre. Maman est dans la cuisine en train de remplir la poêle avec la préparation.
- Bonjour mon chéri.
- Salut maman.
Je l'embrasse sur la joue furtivement, puis m'installe sur le tabouret du comptoir. Je tire une assiette du placard à ma droite ainsi qu'une fourchette. Je recouvre mes pancakes de Nutella.
- Alors, ce bowling ? Tu es rentré tard !
- Oh, c'était bien.
J'avais presque oublié le bowling et le fiasco dans lequel s'est terminée la soirée en compagnie de Lily et Cody. Je serre les dents, à présent en colère à nouveau : je ne supporte pas qu'on s'attaque à Diego, de n'importe quelle façon qu'il soit. Le fait qu'ils l'accusent sans savoir toute l'histoire me rend fou de rage.
- Mais encore ? , s'intéresse maman.
- Bah... rien. Lily était avec son copain, c'était chiant. J'ai tenu la chandelle toute la soirée.
- Aïe, ricane maman.
Je m'efforce de paraître le plus normal possible et de ne pas montrer que je suis inquiet. Là, assis en train de déguster mon petit-déjeuner avec grand appétit, je n'arrête pas de me revoir ligoté sur cette chaise, un fer rouge à quelques centimètres du visage. Papa me tuerait – et tuerait aussi Diego – s'il apprenait ce qui m'est arrivé.
- Tout va bien, chéri ? , s'inquiète-t-elle en me fixant.
- Oui, je... j'ai mal dormi, je suis un peu fatigué.
- Tu devrais prendre une douche, pour te requinquer un peu.
En voilà une bonne idée. Je lui souris et termine mes pancakes tranquillement avant de venir m'enfermer dans la salle d'eau. Nu, planté devant le lavabo, je me regarde dans le miroir au dessus de la vasque : je distingue encore les suçons de Diego. Mon cœur s'emballe et mon bas-ventre se réchauffe. Aussitôt, la tension redescend lorsque je revois le visage de ce fichu Miguel : je n'oublierai jamais son prénom.
Sous l'arrivée d'eau chaude, je ferme les yeux et reste les bras le long du corps. Je pense à Diego, qui s'est enfuit dans la nuit pour me laisser seul dans mon lit. Je me demande à quoi il pense, ce qu'il fait, à cet instant précis. Je déglutis difficilement et sens mon cœur se serrer lorsque je pense à lui : j'ai peur des conséquences. J'ai peur qu'il ne veuille plus de moi, pour me protéger. J'ai vu à quel point il a eu peur pour moi hier, et ça m'inquiète.
Une larme roule sur ma joue au souvenir du moment où Miguel m'a traîné dans ce hangar. Mes yeux se sont instantanément posés sur Diego, et je me souviens d'avoir eu le souffle coupé quelques secondes. Pas parce que j'avais peur de Miguel, pas parce que j'étais surpris de le voir là. J'ai cessé de respirer parce que j'ai eu mal : son visage défoncé, enflé et recouvert de bleus. Si j'avais pu, je me serais précipité sur lui pour embrasser et effleurer chaque centimètre de sa peau. Le voir dans cet état là m'a fait encore plus mal que de réaliser qu'un délinquant venait de me kidnapper.
Je sors de la douche une quinzaine de minutes plus tard, l'esprit embrouillé par les récents événements. Dans ma chambre, je passe un jogging propre ainsi qu'un pull douillet, avant de me laisser tomber à nouveau sur mon lit. À plat ventre, j'extirpe de sous mon oreiller son bandana rouge où je viens ensuite blottir mon nez. Il sent encore son odeur.
Une larme d'angoisse et de tristesse roule sur ma joue : j'ai besoin de lui.
X X X
NewYork-Presbyterian Hospital | MANHATTAN – 3:24 PM.
Je n'arrive pas à sourire, même si je dois avouer que voir maman jouer à Mario Kart sur ma vieille console avec Abby est assez drôle. Leurs deux nintendo sont connectées par cette sorte de bluetooth et elles enchaînent les courses automobiles en riant, criant et râlant. Abby est déterminée, le regard sérieux, tandis que maman se bidonne comme si elle retombait en enfance. Moi, assis sur le siège près de la fenêtre, je regarde le ciel nuageux tout en étant perdu dans mes pensées.
Je n'arrête pas de revivre encore et encore les événements d'hier soir. Le simple fait de quitter la voiture tout à l'heure et traverser la rue pour entrer dans l'hôpital m'a fait froid dans le dos, comme si j'avais peur qu'on m'enlève à nouveau. Je ne suis pas serein et je me sens mal à le cacher à mes parents. Si Diego n'avait pas été là, cela aurait pu virer au drame. C'est quelque chose de bien trop important et je sais que je devrais en parler, mais ça m'est impossible.
- Evan, tu veux jouer ? , demande Abby tandis que maman me tend ma vieille nintendo.
- Non, plus tard.
Comme un signe, mon téléphone vibre brièvement dans la poche de mon jean. Les battements de mon cœur s'accélèrent tandis que je viens le déverrouiller.
✉ DE : DIEGO ✉
3:26 AM – Tu peux être à Central Park au plus vite ? Il faut qu'on parle.
✉ À : DIEGO ✉
3:26 AM – J'arrive dans 10 minutes.
Je déglutis difficilement. La dernière fois qu'il m'a dit « il faut qu'on parle » la soirée s'est terminée sur un « je ne peux pas » avant qu'il ne me laisse planté seul devant chez moi. Mon cœur se serre : je le sens mal. J'ai comme un mauvais pressentiment qui me tord le ventre et me donne la nausée.
- Je... je dois y aller. Je reviens dans une heure.
- Evan, tout va bien ? , s'inquiète maman.
-Oui.
Je quitte la chambre tout en enfilant ma veste. Je quitte l'hôpital la peur au ventre. Les rues de Manhattan sont remplies de touristes et d'habitués, même si nous sommes dimanche. La neige n'empêche pas les gens d'être émerveillés et de prendre des photos à chaque angle de rue. Je marche en direction de Central Park tout en me posant un tas de questions : que veut-il me dire ? Va-t-il me quitter ? Je sens déjà des sanglots me nouer la gorge. Je suis inquiet.
X X X
Central Park | MANHATTAN – 3:39 PM.
J'arrive à notre endroit habituel une dizaine de minutes plus tard, les orteils gelés dans mes chaussures et les mains fourrées dans les poches de ma veste. La fermeture éclair de cette dernière est remontée au maximum, contre mon menton, et je souffle de l'air chaud à l'intérieur pour essayer de me réchauffer, en vain. Je sens aussi mon nez couler, à cause du froid, et mes lèvres gercées depuis quelques jours me font un petit peu mal à cause des flocons de neige qui s'y écrasent dessus. Il fait un froid de canard.
Je regarde autour de moi, à quelques mètres à la ronde, et le repère rapidement. Il est debout, à l'abri sous un énorme arbre, les mains dans les poches de sa veste en cuir. Il porte un jean noir abîmé et ses pieds sont fourrés dans sa paire de rangers. Je le vois taper nerveusement du pied par terre, mais il se fige quand il me voit.
- Hey, salut.
Je me fige à mon tour, ressentant soudain la nausée, quand il se recule alors que j'allais l'embrasser et poser mes mains sur sa taille. L'angoisse qui a planée au dessus de moi toute la journée finit par me tomber sur les épaules. J'ai mal au cœur.
- Salut, Evan.
Je comprends que quelque chose ne va pas, déjà à cause de sa voix. Il me parle de cette façon froide et hautaine, comme au début, lorsqu'il essayait de me repousser en se faisant passer pour un caïd. Il ne me regarde pas non plus, ses yeux passant du sol au paysage autour de nous. Je vois qu'il bouge sa jambe nerveusement à nouveau, et qu'il ne tient pas en place.
- Tout va bien ?
Je sais que je suis naïf, à espérer qu'il ne m'ait pas fait venir ici pour me plaquer. Au fond de moi j'espère que je suis ici parce qu'il avait simplement envie de me voir et que tout va bien. Sauf que je suis peut-être naïf, mais pas stupide : il ne me regarde pas et ne veut pas que je le touche. Quelque chose ne va pas et je sais, là, qu'il va faire ce que je redoute depuis hier.
- Evan, je... toi et moi...
Je ferme les yeux et inspire profondément, avant de bloquer ma respiration. Je sais ce qu'il va me dire, et je n'ai pas envie de l'entendre.
- Pourquoi ? , je demande.
- Pourquoi quoi ? , demande-t-il surpris.
- Quoi ? , je m'agace. T'es en train de me plaquer, non ? Pourquoi ?
Il ouvre la bouche pour parler, mais se ravise. Il fronce les sourcils et je comprends qu'il est surpris : pas par mes paroles, mais par la façon dont je lui parle. Je suis en colère.
- Evan...
Il fait un pas vers moi. Je frissonne quand il pose sa grande main sur ma joue. Le contact de sa peau chaude sur la mienne si froide me fait ressentir une sorte de brûlure. Je louche malgré moi sur sa bouche, tandis que son bassin trouve le mien. Il caresse mes lèvres avec son pouce.
- ... tu sais que je tiens à toi, hein ?
Il est doux, là, et encore une fois je réalise pourquoi je suis tombé pour lui. Quand il me regarde comme il le fait là, quand il me tient contre lui comme ça, je n'aimerais être ailleurs pour rien au monde. Je me fiche du gang, de nos vies différentes. La seule chose qui compte à mes yeux, c'est lui. Les larmes menacent de couler, mais je me force à les retenir.
- J'en sais rien, je hausse les épaules. Tu me le dis jamais, alors...
Je sais que c'est de la mauvaise foi : il m'a déjà murmuré quelques fois qu'il tenait à moi et qu'il ne me ferait jamais de mal. Mais au fond de moi ce ne sont pas ces mots-là que j'ai envie d'entendre. Ce ne sont pas ceux-là dont j'ai besoin.
- Evan, regarde-moi.
Je lève difficilement les yeux vers lui, et un frisson me chatouille la nuque : il est beau. Il est vraiment magnifique et j'en viens encore à me demander à quel moment dans ma vie j'ai eu assez de chance pour qu'un garçon comme lui veuille de moi.
- Ce qui s'est passé hier... j'peux pas continuer avec toi. Je veux pas prendre le risque qu'il t'arrive quelque chose par ma faute. J'aurais jamais du... faire ça avec toi, et je suis désolé. C'était une erreur.
Encore un fois, bien trop naïf, je me suis attendu un court instant à ce qu'il me dise qu'il m'aime. J'y ai cru mais, de toute évidence, il ne ressent pas la même chose que moi. Il tient à moi, mais il ne m'aime pas. Après ce que je viens de lui dire, après ce regard que je lui ai lancé, il aurait dû capituler. Mais non, et ça me fait mal.
- Je suis une erreur, pour toi, alors ? C'est ça ? Juste... une erreur ?
J'ai mal au ventre. Je n'arrive pas à croire qu'il puisse utiliser ce mot là : erreur. Ça sonne comme s'il n'avait qu'à appuyer sur un bouton pour passer à autre chose, et ça me blesse. Après les moments géniaux qu'on a passés tous les deux, l'entendre me dire ce mot me bouleverse. J'ai honte de réagir d'une façon aussi démesurée, les larmes aux yeux et l'envie de hurler, mais je crois que personne ne peut comprendre : je tiens à lui, il me rend heureux et je n'ai pas envie de le perdre. Je n'ai aucune envie de me réveiller demain, d'aller au lycée, en sachant pertinemment que je ne suis plus son petit-ami.
- Tu vas me zapper, maintenant ? Comme t'as zappé Elena ? T'as eu ce que tu voulais de moi alors maintenant tu me largues ?
Je n'en pense pas un mot, en fait. Je sais très bien que, même s'il ne m'a jamais partagé ses sentiments de vive voix, je suis totalement différent d'Elena à ses yeux. Je sais qu'il n'est pas avec moi que pour le sexe – au contraire – et qu'il tient à moi contrairement à elle. Je cherche simplement une façon de le faire réagir, de lui faire mal autant qu'il me fait mal, là, en me disant tout ça.
- Arrête Evan, je t'interdis de dire ça. Tu sais très bien que c'est faux.
Il rapproche mon corps du sien, ses mains posées sur mes reins. Mon cœur s'emballe et mes mains me démangent : j'ai envie de le toucher, partout, son torse, son ventre, ses fesses. J'ai envie de poser mes doigts sur sa peau chaude et ne plus jamais les retirer. Je sens les siennes se passer sous mon pull, dans mon dos, et caresser ma peau. Je frissonne.
- Comment tu vas faire, hein... ? , je murmure.
- Quoi ?
- Comment tu vas faire... ? T'es en train de me quitter et tu peux même pas t'empêcher de me toucher.
Je tente une nouvelle tactique. Il ne veut pas m'entendre, lorsque je lui balance des atrocités ? Peut-être qu'il réagira si je le prends par les sentiments.
- S'il-te-plait... , dit-il. Juste... arrête.
Il baisse honteusement la tête, fixant ses pieds. J'ai mal au cœur lorsque j'entends sa voix se briser. Puis, alors que j'allais parler, je me ravise : il me serre dans ses bras et, même s'il est plus grand que moi, blottit sa tête sur mon épaule. J'ai chaud désormais, et ça va mieux. Je sens son souffle contre ma mâchoire, et son odeur dans mes narines. Contre ma peau, il dit tout bas :
- J'ai pas envie de te quitter mais j'ai pas le choix. Je ne veux pas te perdre toi aussi. Pas à cause d'eux.
Je n'ai pas le temps de réagir : ses baisers sur mon front ont toujours été agréables. Ils me chamboulent à chaque fois.
- Ne m'en veux pas, s'il-te-plaît.
J'entends les sanglots dans sa voix et je suis incapable de répliquer. Quand je viens le regarder, je vois la détresse dans son regard et la tristesse, et je ne me sens pas capable de lutter encore. Je vois qu'il souffre et qu'il a peur. Je tiens à lui et je ne supporte pas de le voir ainsi. Alors j'accepte. Même si elle me fait mal, j'accepte sa décision.
- OK.
Tout doucement, je prends son visage entre mes mains. Je dépose un baiser chaste sur ses lèvres pulpeuses, appréciant plus que jamais leur douceur et leur tendreté. Alors qu'il me rend mon baiser, qui a clairement le goût d'un dernier baiser, je n'espère qu'une chose : qu'il finira par changer d'avis et reviendra vers moi.
- Au revoir, Evan.
Il souffle ces quelques mots contre mes lèvres. Je n'ai pas le temps de réagir qu'il est déjà en train de s'enfuir, mains dans les poches et le pas rapide. Planté comme un idiot sous un arbre, je le regarde s'éloigner tandis que mon cœur semble exploser dans ma poitrine. Je suis tétanisé, incapable de bouger.
Dans un premier temps, je réalise une chose évidente : Diego ne m'appartient plus. C'est assez douloureux de réaliser que je ne suis plus son petit-ami, après avoir été sur un petit nuage pendant près d'un mois. On était bien tous les deux – du moins, moi je l'étais. On ne faisait pas grand chose de particulier, mais on apprenait à se connaître un peu plus chaque jour. On allait manger au fast-food, au cinéma, on discutait jusqu'à des heures tardives dans Central Park où on passait aussi des heures à se câliner. Rien de plus agréable et banal. Me dire que je ne pourrai plus faire ça avec lui me rend triste. J'ai l'impression que mon monde s'écroule.
Je réalise alors autre chose, tandis que je reprends le chemin de l'hôpital tout en m'efforçant de dissimuler mes larmes en baissant la tête pour fixer mes pieds : « je ne veux pas te perdre toi aussi ». Ses mots font écho dans ma tête, je n'arrête pas de les entendre encore et encore tandis que je marche dans les rues de l'Upper East Side. Je me pose tout un tas de questions, tandis que les sanglots me bloquent la gorge à force de les retenir. Qui a-t-il perdu ? Qui était cette autre personne qui semblait tant compter pour lui ? J'ai vu la tristesse dans ses yeux après qu'il m'ait dit ces quelques mots et je comprends alors que c'était quelqu'un d'important à ses yeux.
Quand j'arrive devant l'hôpital, près du parc, je me laisse tomber sur un banc pour souffler un peu. L'endroit est désert, le sol est recouvert de neige, et à me retrouver seul ici je finis par craquer. Je fonds en larmes et j'éclate en sanglots, mes coudes plantés sur mes genoux et le visage entre mes mains. Je renifle et je tressaute, à la limite de l'hystérie, si bien que je m'étouffe. C'est un sentiment étrange qui s'empare de moi : un mélange de déception, de tristesse et de colère. Le pire dans tout ça, c'est cette impression d'abandon. Je me sens comme si je ne pourrai plus jamais sourire. Il me manque un part de moi maintenant, et je me sens vide et seul.
Je tiens à Diego, bien sûr, depuis des semaines. Je suis tombé amoureux et, chaque jour, je tombe un peu plus à chaque fois. Il est important pour moi. Mais je n'avais pas réalisé qu'il l'était autant.
X X X
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 6:20 PM.
Une sonnerie. Puis une seconde. Une troisième. Une quatrième. Je souris.
- Allô ?
- Salut papa.
Assis sur le bord de ma fenêtre, je regarde la neige tomber sur la rue. Il fait déjà presque nuit noire, mais la lumière chaude des lampadaires m'apaise. Emmitouflé dans des vêtements chauds et sous une couverture polaire, ma tête est appuyée contre un oreiller. La lumière de ma chambre est éteinte, et je me sens enfin dans ma bulle.
- Evan ? Quelque chose ne va pas ? Qu'est-ce-qu'il se passe ?
Parfois je déteste son côté flic et, donc, sa perspicacité. Il ne lui a pas fallu plus de deux mots et quelques secondes pour sentir que quelque chose ne va pas. Je me sens ridicule. Je l'ai appelé parce que j'en avais besoin : entendre sa voix me fait toujours du bien. Mais, là, je ne sais même plus quoi lui dire. Une larme solitaire roule sur ma joue, et je viens l'essuyer avec la manche de mon pull.
- Je... rien, je... je te dérange pas, au moins ?
- Pas du tout , je pourrais l'entendre sourire malgré l'inquiétude dans sa voix. Parle-moi, Evan.
Je me passe la main sur le visage, me sentant subitement ridicule. J'ai honte de partager mes histoires de cœur avec mon père. Sauf qu'il est la seule personne à qui je n'ai pas peur de me confier : je n'ai aucune envie d'en parler à Lily et maman ne ferait que me répéter « oh mon pauvre bébé ». Mon père est le seul qui peut avoir une réaction intelligente, et je l'aime pour ça.
- Je... j'ai rompu avec mon petit-ami.
- Oh, je vois.
Il marque un temps de pause pendant lequel je viens boire une gorgée de mon thé. Je ferme les yeux pour apprécier pleinement la chaleur du liquide dans mon œsophage.
- Pourquoi ? , demande-t-il. Tu veux bien m'en parler ?
- En fait... c'est lui qui m'a quitté. Je... je peux pas te dire pourquoi mais...
- Attends, Evan. J'ai accepté le fait que tu ne veuilles pas me le présenter, d'accord. Mais là... il va falloir que quelqu'un te ramasse à la petite cuillère et j'aimerais savoir pourquoi !
Il est en colère, mais je sais que ce n'est pas contre moi. Il est en colère contre le petit-con qui a osé faire du mal à son fils. Un petit sourire triste étire le coin de mes lèvres : j'ai un papa génial.
- Je... on n'est pas vraiment faits pour être ensemble, lui et moi.
J'aimerais pouvoir tout lui déballer. Je me verrais bien lui dire quelque chose comme « Je suis tombé amoureux de Flores, papa. Je sais que c'est mal, mais j'ai pas choisi. Je l'aime comme pas possible, il m'aime aussi, mais je suis pas en sécurité avec lui parce que les gars de son gang m'ont kidnappé. Il m'a largué pour me protéger, mais je ne veux pas qu'il me protège. Je veux juste être avec lui. Il me rend heureux. Je suis désolé, je ne veux pas que tu sois déçu ou en colère, mais j'ai pas choisi de tomber pour lui ». Mais je ne peux pas dire ça. Il ne comprendrait pas.
- Et qu'est-ce-qui te fait penser ça ?
- J'peux pas te le dire, papa...
- Evan, dans quelle merde tu t'es mis ? J'ai l'impression que c'est grave. Il t'a fait du mal, c'est ça ?
Je me maudis quand je l'entends désormais s'inquiéter de ma santé à l'autre bout du fil. Je continue de penser que je n'aurais jamais dû lui téléphoner. Devoir garder ce secret pour moi, devoir tout encaisser tout seul, ça fait mal. J'ai l'impression d'être une grenade dégoupillée, sur le point d'exploser.
- Non, papa, il ne m'a rien fait. Au contraire, j'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi gentil que lui. Il me respecte et... même un peu trop.
- Je n'y comprends rien, Evan.
- Sa famille est homophobe et... il pense que je mérite mieux qu'un petit-ami qui n'assume pas. Il m'a quitté pour ça.
J'ai honte de mentir comme ça à la personne qui compte le plus au monde pour moi. Je l'ai plusieurs fois dit : mon père, c'est l'homme de ma vie. Je me sens encore plus mal que je ne l'étais déjà, à lui mentir ainsi. J'ai honte de moi.
- Vous vous aimez, non ? , demande-t-il avec douceur.
- Oui. Enfin... je crois, oui. Il ne parle pas beaucoup, je sais pas trop ce qu'il en pense.
- Tu sais, c'est une phrase bateau mais on dit souvent que l'amour est plus fort que tout. J'y crois moi, à ce genre de connerie.
Je pouffe de rire, amusé par la façon dont il me parle. Un sourire étire mes lèvres et mon cœur se réchauffe un peu. Peut-être qu'il a raison.
- Evan, si tu l'aimes et s'il t'aime aussi, essaie d'arranger les choses. Je te connais et t'es plutôt du genre à te laisser aller. Prends les commandes. S'il ne t'a rien fait de mal, que vous êtes bien tous les deux, prends les commandes et essaie d'arranger tout ça.
Je rougis de gêne : s'il savait que je parle de Diego, il ne tiendrait certainement pas ce discours là. Je me sens mal, pour la simple et bonne raison que je lui dois la vérité. Mais j'ai trop peur d'avouer tout ça.
- Tu sais, depuis Butler je ne t'avais pas vu aussi heureux que depuis que tu fréquentes ce garçon.
Une nouvelle larme roule sur ma joue : il a raison. Depuis Butler, je me contentais de survivre, en quelque sorte. Je vivais mais sans réel but – mis à part celui de réussir mes études. J'avançais dans la vie en me laissant porter, sans vraiment chercher à me faire des amis ou à me sentir mieux. Depuis ce jour où j'ai eu le déclic, ce jour où j'ai craqué sur Diego, c'est comme si quelque chose s'était rallumé en moi. Il m'a changé, et en bien.
- Même si je ne le connais pas, je suis certain que c'est un garçon bien. J'ai confiance en toi et en tes choix, Evan. Ne vous quittez pas sur une chose aussi futile que celle-là.
- Je t'aime papa.
- Moi aussi, Evan.
C'est le silence, je ne parle plus. Je suis en train de pleurer, encore une fois, comme un bébé parce que c'est trop pour moi. Mon père est l'homme le plus extraordinaire sur cette planète. Je lui dois la vérité.
- Papa il faut que je te dise quelque chose.
- Oui, je t'écoute ?
J'entends un brouhaha à l'autre bout du fil, quelques voix et bruits de ferraille. J'essuie mes larmes sur mes joues avec la manche de mon pull en laine.
- Mon copain. C'est D...
- Merde, Evan, je dois raccrocher.
C'est ce genre de moment où j'aurais pu faire une erreur monumentale, mais que Dieu décide de me laisser une seconde chance. Les battements de mon cœur reviennent à un rythme régulier.
- Je t'aime, Evan. Je te rappelle dès que possible, je te le promets.
- OK, je souris. Fais attention à toi.
- Oui, comme toujours.
- Bisous.
J'entends qu'il s'adresse à quelqu'un près de lui, avant qu'il ne raccroche. Je me sens stupide quand, planté là, je fixe mon fond d'écran d'un regard vide : cette photo de moi et Diego, prise devant le Fenway Park de Boston. Je craque encore une fois pour son sourire. La sensation horrible d'un coup de poing dans le ventre me fait gémir.
Je suis fou amoureux de Diego Flores.
. . . #eastriverFIC
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