CHAPITRE 28 - DIEGO

25.11.17,
Appartement n°4, HLM E, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 11:53 PM.

Je me regarde dans le miroir au dessus du lavabo. Le néon blanc fixé juste au dessus me permet parfaitement de voir les hématomes sur mon torse et mon visage. Je fronce les sourcils en voyant une ligne de sang séché sur mon menton  : je viens cracher dans le lavabo un mélange de sang et de salive. En tirant la langue, je remarque une entaille assez profonde  : je me suis mordu maladroitement sous la puissance de la droite que m'a envoyée Skull. J'ai mal au ventre.

Mon visage est à faire peur, si bien que j'ai passé la fin d'après-midi enfermé dans ma chambre à réfléchir à une solution, afin que maman et Andrea ne remarquent pas mon état, en vain. J'ai simplement décidé de me planquer.

Mon œil gauche est au beurre noir, presque fermé tant le traumatisme est important, et ma lèvre supérieure est enflée. Ma pommette, à droite, est légèrement rougie à cause du coup tandis que la gauche est quant à elle totalement égratignée. Le goût du sang dans ma bouche ne m'a pas quitté depuis que je suis rentré à la maison, aux environs de six heures.

Les yeux désormais fermés, j'inspire profondément pour me calmer. Mes mains sont posées sur le rebord du lavabo et je m'y agrippe comme si j'avais peur de tomber  : j'ai l'impression que mes jambes vont lâcher. La douleur physique est moins pénible que la douleur morale  : je me sens comme une merde.

Skull m'a mis la rouste de ma vie. En général, c'est moi qui tabasse les autres. Personne n'a jamais réussi à me mettre au sol et à me fracasser la tronche à coups de poings et le torse à coups de pieds. Personne, sauf Skull  : j'avais raison de le craindre.

Bien évidemment, il n'a pas du tout apprécié le fait que Milo Klayne ait filé sous mes yeux encore une fois. Je m'attendais à recevoir une menace aujourd'hui, à ce qu'il me parle de maman ou même d'Andrea, mais il n'en a rien fait. D'un côté je suis rassuré, mais d'un autre cela m'inquiète  : serait-il capable de s'en prendre à nouveau à moi, pour me faire payer  ? Je n'en sais rien, et vivre ainsi me stresse au plus haut point.

Les muscles douloureux, je retire mes quelques vêtements pour me glisser dans la douche. Sous l'eau que je règle brûlante, je me sens un peu plus rassuré. C'est comme si j'étais dans une bulle de bonheur et de douceur, et que rien ne pouvait me déranger. Je frotte mes cheveux délicatement, puis mon visage, avant de masser prudemment mon corps pour rincer les quelques tâches de sang et de poussière. Mes poings me font mal, à force d'avoir trop cogné le sac de boxe avant que Skull ne vienne me cogner moi.

En général, sous la douche, je ne pense à rien. C'est d'ailleurs l'un des seul moment – mis à part ceux avec Evan – ou plus rien ne m'atteint. Mais pas ce soir  : je pense à Skull, à maman et Andrea, à Evan, à Luis, à Abraham, à papa et à Jose. Des souvenirs de mon enfance innocente me reviennent, entrecoupés par le souvenir des coups de Skull sur mon visage. Je me souviens du visage d'idiot de Jose quand on jouait au foot, des câlins d'Abraham et du sourire de maman. Je me souviens du regard d'Evan, fier et brillant, quand on passe des moments tous les deux.

Je suis brusquement sorti de mes pensées par la sonnerie de mon portable, posé sur le sèche linge près du lavabo. Le cœur battant à tout rompre, espérant qu'il s'agisse d'Evan – entendre sa voix me ferait le plus grand bien – je tire le rideau de la douche et me frotte les yeux pour m'éclaircir la vue. Mon ventre se tord lorsque le nom de Skull apparaît à l'écran. Même si je flippe, je m'empresse de répondre  : ne jamais faire attendre le grand Chef.

- O-oui  ? , je réponds.

- Au hangar. Immédiatement, Flores.

Il y a de la friture dans la ligne, mais j'entends distinctement son instruction. Il raccroche immédiatement après avoir parlé, et je me sens mal. Un caniche, voilà ce que je suis  : le petit toutou à son maître qui accourt dès qu'on l'appelle. Je n'ai aucune envie de le voir, surtout après ce qu'il m'a fait subir cet après-midi, mais je sais que cela ne ferait qu'empirer les choses si je n'y allais pas.

À la hâte, je me rince et me précipite dans ma chambre pour enfiler des vêtements chauds. Je passe ma veste en cuir par dessus un vieux pull floqué du logo de la NASA et un jean sale que je portais déjà il y a deux jours. Je fourre mes pieds dans une vieille paire de Vans et quitte l'appartement en prenant soin de ne pas réveiller maman et Andrea.

Je remonte les rues jusqu'au hangar à la vitesse de l'éclair, installé sur la selle de ma moto. Mon ventre me fait tellement souffrir d'angoisse que j'ai désormais envie de vomir. J'ai même envie de pleurer  : j'aimerais tellement être ailleurs. J'aimerais, ne serait-ce que quelques minutes, connaître une vie aussi normale que celle d'Evan. Mais tout cela est impossible, et je me dois d'assumer les conséquences de mes actes.

Quand j'arrive devant le hangar, j'éteins le moteur de ma moto et la gare près du vieux pick-up de Miguel. Que fait-il ici à cette heure de la nuit  ? Je commence à flipper  : un passage à tabac collectif  ? Je ne veux même pas y penser.

La porte en ferraille du hangar grince quand je la pousse pour l'ouvrir. À l'intérieur, je reconnais l'odeur caractéristique du feu fait au papier journal. Au sol, dans un cube fait de parpaings, crépite un petit feu. Je vois vaguement le manche du fer rouge en dépasser. La nausée qui me noue la gorge se fait de plus en plus douloureuse. J'ai désormais la tête qui tourne.

- Diego, amigo, viens par ici.

La voix de Skull, comme toujours, me fait froid dans le dos. Je m'approche de lui en m'efforçant de paraître le plus normal possible. Au fond de moi, je suis terrorisé. Tout un tas de questions pour lui me passent par la tête  : Pourquoi moi et pas un autre  ? Qu'est-ce-que tu attends de moi  ? Pourquoi veux-tu me changer  ? Les larmes menacent de couler, mais je me fais violence pour les ravaler.

Il pose sa main sur mon épaule quand j'arrive à sa hauteur. Nous sommes plantés au beau milieu du hangar, sous un néon qui grésille et qui clignote tant il est vieux. Skull me détaille des pieds à la tête  : je me sens aussi minuscule et inutile qu'un insecte. Sa main dégueulasse se pose sur ma joue tandis qu'il vient presser mon cocard avec son pouce. Je serre les dents.

- C'est douloureux  ? , demande-t-il.

Je hoche la tête en guise de réponse, honteux  : oui, c'est douloureux. En fait, ça fait même un mal de chien. C'est comme s'il me frappait encore avec son poing, alors qu'il ne s'agit que d'une simple pression du pouce.

- Parfait.

Parfait  ? Dieu sait à quel point je rêve de lui faire la peau. Il se réjouit de mon malheur, de ma douleur, et s'en est assez pour me foutre la rage. Avant la douleur, il s'agit bien là d'une torture psychologique  : il me montre qu'il a le pouvoir, que je ne suis rien face à lui, et j'ai honte d'avouer que ça fonctionne. Je me sens plus bas que terre, la queue entre les jambes, à deux doigts de me mettre à chialer et à le supplier d'arrêter.

- Tu voulais me voir  ?

Je ne sais pas où je trouve le courage de parler d'une voix normale, sans le moindre bégaiement ni tremblement. Je continue de fixer mes pieds, dans l'attente, tandis que je le vois me tourner autour comme s'il préparait un sale coup. J'ai l'impression d'être l'agneau victime du loup.

- Oui. J'ai réfléchi, Diego.

- Ah  ? , je demande plein d'espoir.

- Oui. Vois-tu, mes menaces envers ta sœur, et ta mère, n'ont pas porté leurs fruits. Je me trompe  ?

- Je... heu...

- J'obtiens toujours ce que je veux, Diego. Et ce que je veux, c'est que tu élimines Klayne.

Je lève les yeux vers lui au moment où il se plante devant moi. Il me fixe sans broncher, ses yeux sombres plantés dans les miens, si profond que ma peau se recouvre de chair de poule. S'il me fixe ainsi, c'est encore une fois pour me faire comprendre qu'il ne plaisante pas et que c'est lui, là, qui a le pouvoir. J'ai peur. Que va-t-il m'annoncer  ? Je déglutis, tandis qu'il vient poser sa main sur mon épaule  : une main protectrice, comme un père le ferait avec son enfant. Il me dégoûte. C'est de la manipulation.

- Je me suis dit qu'une source de motivation supplémentaire t'aiderait, peut-être, à enfin faire ce que je t'ai demandé.

- Q-quoi  ?

Je sursaute quand il siffle, brièvement, comme quiconque le ferait pour appeler un chien. Un sourire sadique étire le coin de ses lèvres tandis que la porte du hangar grince à nouveau dans mon dos. Quand je tourne la tête, les pieds plantés dans le sol sans être capable de bouger, j'ai l'impression de nager en plein cauchemar.

Miguel. Le bras droit de Skull. Il serait prêt à se tirer une balle dans la tête si ce dernier le lui demandait. Je serre aussitôt les poings et je sens la rage monter en moi, comme toujours quand je pense à papa pour tabasser tous ces types. J'ai envie de hurler, du plus profond de moi, et de cogner jusqu'à être à bout de forces. J'ai instantanément mal à la mâchoire tant je serre les dents pour tenter tant bien que mal de me contenir.

Mes yeux croisent ceux noisette d'Evan quand Miguel vient l'asseoir sans délicatesse sur une chaise en bois bancale. Je ne le quitte pas des yeux, parce que j'essaie de toutes mes forces de le rassurer. Il est terrorisé, et même s'il est à une dizaine de mètres de moi je vois parfaitement les larmes séchées sur ses joues et ses yeux rougis. Il ne me quitte pas des yeux non plus, et je sais, là, qu'il est choqué de me voir comme ça.

- Bien, annonce Skull. Evan, sais-tu pourquoi tu es ici  ?

Je grogne quand il s'approche de lui, avant de glisser ses doigts sur son épaule. Le fait qu'un autre homme pose ses mains sur lui me rend dingue  : j'arrive enfin à bouger pour m'approcher d'eux.

- Non.

Malgré la peur que je lis sur son visage, Evan me semble étonnamment calme. Je suppose que ma présence ici le soulage un peu, mais je sais parfaitement qu'il n'est pas rassuré. Je hais Skull de le mêler à tout ça. Une larme roule sur ma joue.

- Tu es ici à cause de lui , dit-il en pointant son index sur moi. Vois-tu, ton petit-ami est incapable d'obéir.

- Et en quoi c'est mon problème  ?

Je fais les gros yeux, le regard braqué sur Evan. Bordel, pourquoi le provoque-t-il de cette façon là  ? Il parle d'une façon hautaine, clairement provocatrice. Je me fige quand j'entends Skull rire de bon cœur, visiblement amusé  : cela ne présage rien de bon. Je le vois s'approcher dangereusement du foyer dans lequel chauffe le fer rouge. Je boue comme pas possible quand je vois Miguel poser ses mains sur les épaules d'Evan  : il le maintient contre la chaise. J'ai honte de ne remarquer seulement maintenant que ses mains, fines et douces, sont ligotées, tout comme ses pieds.

- En quoi est-ce ton problème ? , reprend Skull.

Je vois les yeux d'Evan se fermer sous la peur, quand Skull vient faire claquer l'extrémité du fer rouge au sol, juste devant la chaise. Je distingue quelques étincelles qui crépitent, tant le moule en forme d'ailes est chaud. Evan me lance un regard paniqué, et je vois une larme rouler sur sa joue. Skull vient la cueillir du bout de son pouce  :

- Ton problème, mon beau, c'est que tu es la faiblesse de ce petit pendejo.

J'ai honte. Il a tout compris avant même que je ne le comprenne moi-même. Il a eu beau menacer maman et Andrea, je me suis dégonflé comme un lâche lorsqu'est venu le moment d'abattre Milo Klayne. Mais Evan... bon sang, Evan. Je serais prêt à filer immédiatement dans le Queens pour tirer une balle entre les deux yeux de ce type. Je panique lorsque Skull se place face à moi, à la droite d'Evan.

- Que ferait-il si je te dévisageais à vie, hein  ?

J'ai le souffle coupé lorsqu'il lève dangereusement le fer rouge vers la joue d'Evan. Je le vois aussitôt fermer les yeux et gesticuler sur sa chaise, tandis que les larmes arrivent malgré tout à passer la barrière de ses paupières closes. Je m'efforce de respirer calmement, mais tout dans mon corps devient du n'importe quoi  : les battements de mon cœur son irréguliers, et je m'étouffe même si je suis conscient d'être en train de respirer.

- Hein, Diego  ? , il plante ses iris dans les miens. Tu vas me laisser faire du mal à ton petit-ami chéri  ?

Il rapproche dangereusement le fer rouge du visage d'Evan. Je l'entends pleurer bruyamment, paniqué et mort de peur, tandis que la chaleur réchauffe un peu plus sa peau. Le voir ainsi, pratiquement torturé à cause de moi, me met le cœur à l'envers. Le seul coupable ici, c'est moi.

- Arrête...

- Quoi  ? Tu as entendu quelque chose, Evan  ?

- Je le ferai, tu le sais très bien  ! , je crie. ARRÊTE, STOP  !

Je sursaute, en larmes, quand le fer rouge s'écrase au sol en un bruit assourdissant tout en faisant des étincelles. Skull me regarde, satisfait, un sourire horrible placardé sur les lèvres. Miguel, lui, semble amusé, bien qu'il n'ait pas l'air particulièrement concerné ni même intéressé.

Je reste figé, les yeux rivés sur mes pieds, tandis que Skull s'approche de moi. Je pleure à chaudes larmes, à bout de nerfs, quand il pose ses mains sur ma nuque et qu'il plaque son crâne contre le mien. Tout en tapotant fièrement l'arrière de ma tête, il me dit tout bas  :

- Demain, Diego.

Je hoche simplement la tête, dégoûté par ce contact bien trop intime entre lui et moi  : je sens son souffle sur mon visage et ses mains sur ma nuque me dégoûtent. Il finit finalement par se reculer, puis siffle à nouveau.

- Miguel, on se tire.

Sans rien ajouter de plus, sans même un regard pour moi ou pour Evan, ils quittent le hangar. J'entends le pick-up miteux de Miguel démarrer quelques secondes plus tard et s'éloigner, avant de n'entendre rien de plus que le silence. Je me précipite sur Evan, et me laisse tomber à genoux devant lui sans même prendre la peine de m'inquiéter pour les morceaux de verre au sol.

- Bordel de merde...

Je m'acharne sur les liens qui le maintiennent prisonnier, avant d'arriver à les défaire. Je commence par ses mains, tout en pleurant comme pas possible, avant de m'attaquer à ses pieds. À cause de ma vue floutée, je suis incapable de les détacher.

- J'suis désolé... pardonne-moi, c'est de ma faute, j'suis désolé...

Je répète ça en boucle, sans pouvoir m'en empêcher, avant de m'effondrer sur lui. Mon visage repose contre ses genoux et mon corps est parcouru de tellement de sanglots et de soubresauts que j'ai mal au dos et aux abdominaux. Je chiale, à la limite de l'hystérie. J'ai eu la peur de ma vie.

Mon cœur se réchauffe quand je sens ses mains se poser maladroitement sur mes cheveux. Il les caresse tendrement, sans dire un mot, et sa douceur m'apaise. Je renifle et, dans cette position pendant plusieurs minutes, je m'efforce de me calmer. Ses caresses sur ma nuque me font me sentir mieux.

- Regarde-moi.

Je lève la tête pour le regarder. La sensation que je ressens alors est encore pire que celle que l'on ressent lorsqu'on se reçoit un coup de poing dans l'estomac  : il pleure, il a encore peur, mais il me regarde avec amour.

- Ton visage... qu'est-ce-qu'il t'es arrivé...  ?

Il caresse ma joue du bout du pouce, mon hématome sous mon œil, et je me hais quand je vois le regard inquiet et paniqué qu'il pose sur moi. Il n'a aucune raison d'être inquiet pour moi, là. Tout est de ma faute. Un sanglot se bloque dans ma gorge et j'échappe un gémissement de douleur.

- Diego, qu'est-ce-qu'ils t'ont fait... ?

- Rien... rien...

Je renifle. Il caresse mon visage comme si c'était la première fois de sa vie qu'il posait ses mains sur moi. Je ferme les yeux, honteux, tout en venant poser mes doigts sur ses poignets fins. Je m'y agrippe, comme pour réaliser un peu plus qu'il est là et qu'il va bien. Il reprend d'une voix douce, n'insistant plus  :

- Je vais bien. Calme-toi, tout va bien... , dit-il tout bas.

- Je suis désolé... c'est à cause de moi...

Il se penche pour m'embrasser sur le front. Je ferme les yeux et apprécie simplement ses lèvres sur ma peau. Il se recule quelques instants plus tard, ses pouces sur mes lèvres.

- Pardonne-moi Evan... j'suis désolé.

- Détache-moi, d'abord.

Me sentant ridicule, je viens dénouer ses pieds. Je laisse les cordes au sol, près de la chaise, avant de l'aider à se relever. Une fois dans mes bras, je réalise alors qu'il tremble comme une feuille. Ses yeux sont étranges  : écarquillés par la terreur mais brillants comme toujours lorsqu'il est avec moi.

- Pourquoi il a dit que t'obéis pas  ? Qu'est-ce-qu'il veut que tu fasses...  ?

Sa voix se brise juste avant qu'il ne se mette à renifler. Il ne sanglote pas, mais je vois les larmes sur ses joues et dans ses yeux. Je l'attire à moi un peu trop brusquement, ma main sur sa nuque, pour maintenir sa tête contre mon cœur. Je l'embrasse sur le haut du crâne.

- Rien... , je mens. Je te ramène, Evan. Viens.

Tout en le tenant contre moi, incapable de le laisser s'éloigner, je l'attire vers la sortie du hangar. C'est devant la porte, contre ma moto, que je recommence à paniquer  :

- Bon sang, Evan... est-ce-qu'ils t'ont fait du mal  ? Est-ce-que... ils t'ont touché  ? Ils t'ont frappé...  ?

- Non... non, ça va.

Il me sourit timidement, partagé entre la peur et le soulagement. Je caresse son visage du bout des doigts et le regarde dans les yeux pour essayer d'y voir une quelconque trace de mensonge  : rien. Il est sincère  : ils ne lui ont pas fait de mal.

- C'est vrai ce qu'il a dit...  ? , demande-t-il d'une petite voix.

- Quoi donc  ?

Je me penche pour démarrer ma moto. J'aide Evan à s'installer sur la selle, prenant soin de lui comme je prendrais soin d'un enfant malade.

- Que... que je suis ta faiblesse  ?

Je ne peux pas m'empêcher de pouffer de rire, amusé et mal à l'aise. Dios mio, oui, il l'est. Je pose ma main sur sa joue et m'approche de lui.

- Oui... je ferai n'importe quoi pour toi Evan.

Il me sourit un peu, et je remarque alors que ses larmes ont cessé de couler. Ses joues sont sèches et ses yeux ne sont plus larmoyants. Je l'embrasse sur le front, soulagé de l'avoir près de moi en bonne santé, et grimpe sur ma moto. Il enroule ses bras autour de ma taille pour s'agripper à moi.

Je m'enfuis à toute vitesse vers Manhattan.

X   X   X

26.11.17,
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 01:15 AM.

Il dort dans mes bras, presque nu contre moi. J'aime sa peau contre la mienne tout comme j'aime son odeur dans mes narines. La lumière de sa lampe de chevet allumée, je le regarde dormir  : il a l'air si paisible. Je caresse ses cheveux sur son front du bout des doigts, et je réalise encore une fois à quel point j'en suis amoureux. Son courage ce soir m'a encore fait craquer un peu plus pour lui.

Quand je l'ai ramené chez lui, grimpant les escaliers de secours à l'extérieur du bâtiment tandis qu'il montait tranquillement avec l'ascenseur, j'ai réalisé la chance qu'on avait eue ce soir  : Skull aurait pu faire quelque chose d'irréversible, mais il faut croire qu'il est au minimum responsable et intelligent. Je suis soulagé qu'Evan soit saint et sauf.

Quand nous nous sommes retrouvés tous les deux dans sa chambre, nous n'avons pas vraiment parlé. Il est simplement tombé à genoux devant moi, et m'a taillé une pipe avant de m'emporter avec lui sous les draps, pour finir par s'endormir en me serrant très fort contre lui. J'avoue que je n'ai pas très bien compris pourquoi ce rapport sexuel là et à cet instant précis, mais je crois qu'en fait il en avait juste envie. Je ne cherche même plus à comprendre, et me dis simplement que c'était agréable.

Là, tandis qu'il dort, je pense à tout un tas de choses. Je pense à nous, à lui qui a tant insisté pour m'avoir. Je pense aux peurs que j'avais et que j'ai toujours  : cette peur de le mêler à mon monde, cette peur qu'il soit en danger en étant avec moi. Je réalise que j'avais raison de ne pas vouloir être avec lui  : il n'est pas en sécurité avec moi. Je ne sais pas comment Skull a découvert que j'avais un petit-ami, mais ce n'est même pas le plus important à l'heure actuelle. Le plus important c'est Evan, et sa sécurité. J'en viens à me dire que je n'aurais jamais du le retenir, ce jour là sur la plage  : tout aurait été plus simple et il n'aurait pas eu à subir toutes ces choses ce soir.

Evan est un garçon fort, je le sais  : il s'est fait enlever par Miguel et Skull, s'est fait menacer, mais il a malgré tout ça trouvé le moyen de s'inquiéter pour moi plus que pour lui. Je suis fier de lui et de tout ce qu'il a réussi à encaisser ce soir. Moi, le simple fait de le voir dans cette situation m'a fait l'effet d'un coup de couteau dans le cœur.

Triste et encore sous le choc, je m'extirpe tant bien que mal de ses bras pour quitter son lit. Je rabats délicatement la couette jusqu'à ses épaules  : je l'entends alors soupirer d'aise. Je me penche ensuite pour l'embrasser sur le front, et je viens éteindre sa lampe de chevet. Discrètement, je m'engouffre à travers la fenêtre que je viens refermer maladroitement derrière moi. J'entame alors ma descente vers la rue, loin de lui.

Je ne suis pas à ma place à ses côtés.

X   X   X

Quelque part dans les rues... | QUEENS – 6:51 AM. 

Me revoilà dans cette ruelle. Encore une fois je suis planqué derrière les poubelles, tapis dans l'ombre parce que le jour n'est pas prêt de se lever. La rue est déserte à cette heure-ci d'un dimanche matin. En revanche, l'Aston Martin de Milo Klayne est garée le long du trottoir, face à moi. J'attends qu'il sorte  : en semaine ou en week-end, il quitte son appartement tous les matins à sept heures.

Le sang boue dans mes veines et l'adrénaline fait battre mon cœur de plus en plus vite. Même si je respire profondément et calmement, j'ai l'impression de manquer d'air. Mon arme au creux de ma main, chargée, je débloque le cran de sécurité.

Réglé comme une horloge, Milo Klayne sort dans la rue à sept heures pétantes. Son attaché-case à la main, vêtu cette fois-ci de vêtements plus décontractés – un jean et une parka – il vient s'installer au volant de sa voiture. Les phares s'allument, mais je n'y prête pas réellement attention. Je braque mon arme sur lui.

Les yeux fermés, j'inspire profondément. Je pense à papa et à Skull, comme toujours lorsque je veux me mettre en colère et en conditions pour accomplir son sale boulot. Quand je vois leurs visages dans mon esprit, mes poings se serrent aussitôt et mon ventre me fait souffrir.

Quand j'ouvre les yeux, Milo Klayne est toujours là, à tapoter tranquillement sur l'écran de son téléphone portable  : je le vois à travers la vitre explosée de sa voiture. J'abaisse mon doigt sur la détente.

Puis, dans ma tête, je me répète un mot  : Evan. Comme une prière, je répète son prénom dans mon esprit. Je vois, lointain, son regard fier et son magnifique sourire qui me donne toujours la force de lutter et de me battre pour arranger les choses. Mais soudain, je ne le vois plus souriant ni heureux. Je le revois désormais terrorisé et en larmes, le fer rouge à quelques centimètres seulement de son visage, la main de Skull sur son épaule. Je le revois mort de peur, me supplier du regard de faire quelque chose.

Quand mon doigt appuie enfin sur la détente, le canon de mon flingue braqué sur le crâne de Milo Klayne, je suis frappé par l'évidence  : je dois quitter Evan.

.   .   . #eastriverFIC 

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