CHAPITRE 26 - DIEGO

23.11.17,
Appartement n°4, HLM E, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 11:47 PM.

Quand j'éteins le moteur de ma moto, je suis aussitôt étonné par le silence du quartier  : pas de bagarre de chat, pas de cris ni de bruits étranges. Seulement le silence et la fraîcheur du vent. J'inspire profondément et quitte la selle. Le pas lourd mais le cœur léger, je prends le chemin de l'appartement.

J'ai la tête dans les étoiles à penser à Evan. J'ai aimé cette soirée avec lui. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais aux alentours de neuf heures j'ai eu envie de le voir, de le toucher et de l'embrasser. C'est sur un coup de tête que j'ai décidé de l'attendre en bas de chez lui, et je ne suis pas déçu. J'ai passé un moment hors du temps avec lui, et ça m'a fait du bien de penser à autre chose qu'à Skull et à Milo Klayne.

- Bonsoir, Diego.

La clé dans la serrure de la porte sécurisée du hall, je me fige. Je serre la mâchoire et ferme les yeux, tout en inspirant profondément. La grande main qui se glisse sur mon épaule est celle de Skull. Mon ventre se tord, parce que sa voix ne laisse présager rien de bon. Je sais parfaitement qu'il est là à cause de ce que je n'ai pas fait.

- Qu'est-ce-que tu veux  ?

Je me tourne pour lui faire face, en m'efforçant de me tenir droit pour me donner une prestance. Dans l'obscurité, il semble encore plus menaçant que d'ordinaire. Ses yeux brillent même si je ne les vois pas clairement et je jurerais pouvoir distinguer un petit sourire mesquin en coin. Je sais qu'il est en colère.

- Milo Klayne. Veux-tu que j'aille rendre visite à ta mère ?

Je serre les poings  : j'ai envie de lui refaire le portrait, le cogner jusqu'à ce qu'il crève, pour qu'il me foute enfin la paix. Sauf que je sais qu'il est pire que moi, et que je n'ai aucune chance contre lui  : il me mettrait au sol en moins d'une seconde.

- Ne touches pas à ma mère, c'est clair  ? Elle n'a rien à voir avec tout ça, Skull.

- Oh, tu crois  ? J'arrive toujours à mes fins, Flores.

Je le fixe, avant de finir par baisser les yeux. Je trépigne  : mon poing meurt d'envie de partir s'écraser sur son gros nez. Je pense à Andrea, et aussi à maman  : j'étais certain qu'il n'éprouverait aucun scrupule à les mêler à tout cela. Sa menace me fait l'effet d'une douche froide.

- Je te laisse une seconde chance. Tu as jusqu'à demain soir.

Je déglutis, rassuré mais à la fois mort de peur. Je suis soulagé qu'il daigne me laisser une seconde chance, lui qui est si sévère d'habitude. Mais j'ai aussi peur à l'idée de devoir braquer à nouveau mon flingue sur Milo Klayne  : je n'ai pas le droit à l'erreur cette fois-ci. Je pense à nouveau à Evan.

- OK.

- Demain, Flores. Sinon je passerai voir la mamà.

- Ça ne sera pas nécessaire.

Il me tapote l'épaule avant de s'éclipser dans la nuit. Au loin, je le regarde grimper dans son SUV aux vitres teintées, garé de l'autre côté de la placette du quartier. Le cœur battant à vive allure dans ma poitrine, les muscles engourdis par la pression, j'entre finalement dans l'immeuble.

Une fois à l'intérieur de l'appartement, je pars m'enfermer dans la salle d'eau. Je quitte mes vêtements et me glisse enfin sous l'eau chaude  : je soupire de bien-être. La soirée était froide, en partie à cause du vent et de la neige fondue qui tombait du ciel, et même si Evan et moi avons trouvé un moyen de nous tenir chaud – c'était génial – je suis encore et toujours frigorifié. L'eau brûlante et la vapeur dans la cabine de douche me font du bien. Peu à peu, mes muscles se détendent et les battements de mon cœur redeviennent réguliers.

Je pense à Evan et à cet instant dans la voiture, alors que nous étions arrêtés au feu tricolore. Je ne sais pas pourquoi et je ne saurais pas l'expliquer, mais j'ai éprouvé le besoin de lui dire que je l'aimais. J'en avais envie et, même si l'instant était banal, j'ai senti que c'était le bon moment. Malgré tout, je suis soulagé qu'il m'ait coupé la parole  : je n'aurais pas assumé mes mots, même si je les pense du plus profond de mon être. Je ne suis pas prêt, en réalité, à lui avouer tout ça. C'est comme si Dieu m'avait laissé une seconde chance en faisant en sorte que ces connards d'automobilistes klaxonnent au mauvais moment. Je soupire.

Une dizaine de minutes plus tard, je quitte la pièce une serviette autour de la taille. Maman et Andrea semblent déjà dormir paisiblement dans leur chambre. Quand j'arrive dans la mienne, j'enfile un boxer et un jogging, puis un t-shirt très large, avant de me laisser tomber sur mon lit. Le matelas moelleux mais usé sous mon dos me fait du bien, ainsi que la couette que je viens rabattre sur moi. Je ferme les yeux.

Je me souviens immédiatement de Milo Klayne, quelques heures plus tôt dans la soirée. Il n'a pas l'air d'être un méchant type, quoi qu'il me semblait un peu sur ses gardes comme s'il préparait un sale coup. Le temps du trajet qui m'a mené chez Evan, j'ai eu le temps d'y réfléchir  : je suppose que ce Milo trempe dans des trafics illégaux d'armes ou de drogue, la même chose que Skull, mais simplement dans le camp adverse. Je suis au courant de cette gué-guerre entre nous et les mafieux de Brighton Beach, bien qu'ils fassent quelques fois affaires. Skull ne m'a jamais rien dit de plus que «  trafic d'armes  » mais j'ai l'impression que c'est beaucoup plus important que cela. Je pense qu'il ne me dit pas tout. Milo Klayne doit être le genre de type qui peut faire foirer le plan de Skull, et quoi de plus simple que l'éliminer, tout simplement  ? Je ne suis qu'un pion.

Je finis par tomber de fatigue, l'esprit tourmenté.

X   X   X

24.11.17,
Docks d'East River | BROOKLYN – 10:06 AM.

Le paysage est beau, même s'il est urbain. Les rayons du soleil font briller la surface d'East River et je vois les hauts buildings de Manhattan de l'autre côté de la rive. C'est silencieux d'une manière étrange  : pas de voix ni de bruits de moteurs de voiture, mais le bruit de l'eau, du vent, et celui d'une usine à proximité.

Je suis venu ici pour réfléchir, pour faire le vide. Le soleil caresse ma peau et même si on pourrait croire qu'il fait chaud, mes mains sont frigorifiées dans les poches de ma veste. Assis sur le quai, les pieds dans le vide au dessus de l'eau, je fume tranquillement une clope. Je pense à tout un tas de choses.

Je pense à papa et à Luis. Je ne vais jamais voir papa en taule. Mais Luis, lui, je ne suis pas retourné lui rendre visite depuis un bon moment pour la simple et bonne raison que j'ai l'esprit déjà trop occupé par le gang. Je ne supporte pas l'idée de voir sa sale gueule au parloir, alors que j'ai déjà bien assez de problèmes ici. Je me demande s'il est au courant de la mission que m'a donnée Skull  : tout se sait très vite dans un gang, même lorsque des membres sont enfermés en prison depuis un bail. Je suis sûr que papa serait fier de moi s'il apprenait que Skull se sert de moi, et que Luis le serait aussi. Et j'en ai la nausée  : il n'y a pas de quoi être fier.

Mon portable vivre dans ma poche et je souris lorsque je vois qu'il s'agit d'un SMS d'Evan. Mon Evan. Je me sens ridicule, à fondre ainsi comme de la glace au soleil lorsqu'il apparaît dans mes pensées.

DE  : EVAN ✉
10:10 AM – Tout va bien  ?? T'es pas au lycée.

À  : EVAN ✉
10:10 AM – Oui, ça va. T'en fais pas.

DE  : EVAN ✉
10:11 AM – OK. Fais attention à toi.

Je souris, mais en réalité ça me rend triste. Il se doute forcément que j'ai quelque chose de mieux à faire que le lycée, ou autre chose à penser. Et il sait que c'est forcément en rapport avec le gang, car ce sont les seules choses que je fais de ma vie  : le lycée, lui, et le gang. C'est parfois un peu morose, je l'avoue. Comprendre qu'il s'inquiète pour moi et qu'il ne veut pas qu'il m'arrive quelque chose me retourne le cœur à chaque fois.

Je pense soudain au tribunal, à mon jugement qui aura lieu dans exactement neufs jours. Jensen. Ce fichu avocat a été engagé par Skull et, même si je ne le connais pas, je suis pratiquement certain qu'il peut faire en sorte de m'éviter un petit séjour en taule. Je sais que je suis coupable, que j'ai fracassé la gueule de Liam et que rien n'est justifiable, mais je sais aussi que certains avocats sont des pourris et que d'autres sont capables de tout pour innocenter une personne, bien qu'elle soit coupable. J'imagine un instant à quoi pourrait ressembler mon jugement si je ne tuais pas Milo Klayne  : Skull n'hésiterait certainement pas à décommander Jensen pour me laisser dans la merde, dans le seul but de me punir. Un frisson me remonte des reins jusqu'à la nuque  : je n'ai aucune envie d'aller en taule, et je sais que Jensen peut me l'éviter. Bien sûr, je dois être réglo avec Skull. Mon cœur se serre  : c'est un putain de cercle vicieux.

- Bonjour.

Je sursaute et lève la tête. Je suis surpris de découvrir Wayne, encore et toujours mal rasé, vêtu d'une veste en jean complètement bousillée. Sur son visage, je remarque tout de suite son air habituellement mystérieux et perdu, comme s'il était physiquement ici mais psychologiquement ailleurs. Ce type est bizarre et, du coup, me met totalement mal à l'aise. Je le regarde s'installer près de moi et fixer Manhattan d'un air envieux, presque nostalgique.

- T'aimes Manhattan  ? , me demande-t-il.

- Ouais.

- Pourquoi  ?

Pourquoi  ? Parce que c'est la vie dont je rêve  : vivre dans une maison ou un appartement assez moderne, pouvoir me balader sur Times Square ou me rendre à Central Park sans avoir à rouler pendant 45 minutes. Vivre au milieu des buildings, dans cette vie dynamique et si clichée de New-York. Parce qu'il s'agit aussi d'Evan, et que cette fichue rivière qui nous sépare me rappelle tous les jours que nous ne sommes pas du même monde.

- J'sais pas, c'est beau je suppose.

- Oui, en effet.

- Tu connais  ?

- J'y ai vécu, un moment.

Il n'en dit pas plus. Comment un gars de Manhattan peut avoir envie de venir vivre à Brooklyn et intégrer un gang  ? Son choix me dépasse totalement, et je ne préfère même pas poser de questions.

- Tu vas au lycée la-bas, je me trompe  ? , demande-t-il.

- Comment tu sais  ?

Je le regarde en fronçant les sourcils, surpris qu'il soit au courant. Il a l'air assez fier, mais aussi très étrangement intéressé.

- C'est Miguel qui me l'a dit. Ils comprennent pas pourquoi tu continues les cours, vu que tu t'es fait virer des lycées de Brooklyn.

Je ricane, mais c'est un rire amer. Je craque mes doigts dans mes poches, nerveusement, avant de regarder l'horizon. Je réponds simplement  :

- J'suis pas un looser, je veux mon diplôme. Même s'il ne me servira à rien. Et si j'me suis fait virer d'ici, c'est parce que c'était de la merde. East Side, c'est un bon lycée.

C'est la vérité  : à côté des lycées que j'ai fréquentés à Brooklyn, les quelques établissements où toutes les racailles comme moi étaient scolarisées, East Side est un paradis  : des professeurs compréhensifs, des cours intéressants et un niveau scolaire assez élevé pour que je me sente à ma place. À Brooklyn, je m'ennuyais à mourir  : c'était plus une garderie qu'une école, car personne n'en avait rien à foutre. À force de me faire traiter d'intello par des petits cons, j'ai fini par me faire renvoyer à force de les avoir trop cognés. Un mal pour un bien, au final.

- Tu aimes l'école  ?

- Non enfin... pas vraiment. Simplement la physique et les maths. Le reste ça m'ennuie.

Un petit sourire étire les lèvres de Wayne, et ça me fait tout bizarre. Ce type a beau être flippant, je me sens aussi très rassuré en sa présence. Il est l'un des seuls à prendre le temps de discuter avec moi. Le fait qu'il s'intéresse à moi, d'une certaine façon, me fait du bien.

Mon portable vibre et tinte dans ma main. Je fronce les sourcils mais ricane en lisant le message d'Evan.

DE  : EVAN ✉
10:19 AM – Elena raconte à tout le monde que t'es impuissant. J'ai envie de lui arracher les cheveux. Peut-être qu'elle a raison...  ? ;)

C'est le genre de gamineries que je ne supporte pas. En réalité, je n'ai jamais vraiment supporté ce genre de vengeances puériles et sans queue-ni-tête. Elle est dégoûtée et veut raconter de la merde  ? Qu'elle le fasse. Je décide de m'amuser de la situation en entrant dans le jeu d'Evan.

À  : EVAN ✉
10:20 AM – Tu verras si je suis impuissant quand je t'aurai dans mon lit.

Je verrouille mon téléphone tandis que mes joues rougissent. Je glousse comme un idiot, amusé par l'audace dont je fais preuve et surtout parce que j'imagine la tête d'Evan en lisant ce message  : je sais qu'il est frustré, qu'il n'attend que ça, et j'adore le faire mariner.

- C'est qui  ? , demande Wayne avec curiosité.

- Heu... mon, heu... ma copine.

- Dgina  ?

- T'es malade  ?! Jamais.

Je retiens une grimace  : plutôt mourir que sauter Dgina, même si c'est une jolie fille, sans l'ombre d'un doute.

- Elle t'aime bien, apparemment, ricane-t-il.

- Ouais bah pas moi.

Je ne sais pas trop quoi dire de plus, en fait. Je me sens mal à l'aise mais, en même temps, je me sens bien. Les docks d'East River sont pour moi un endroit apaisant même si, pour certaines personnes, cela pourrait sembler totalement glauque  : j'avoue que c'est assez sale et que ça sent mauvais, parfois. Wayne assis près de moi fixe l'horizon encore et encore et j'ai l'impression qu'il réfléchit. Finalement, il prend la parole  :

- Quelque chose ne va pas avec Skull  ?

Je me crispe. Je me demande s'il se doute de quelque chose ou pas. Je suis inquiet, parce que je n'ai pas envie qu'il soit au courant de ce que Skull m'a demandé de faire  : j'apprécie Wayne, même s'il est carrément bizarre, et je ne veux pas qu'il pense que je suis comme mon père et mon frère.

- Pourquoi  ? , je me méfie.

- Je sais pas, tu as l'air inquiet et je l'ai vu près de chez toi hier.

Je me retiens de soupirer. J'ai l'impression que ce type a les yeux partout. En fait, j'ai même l'impression qu'il est partout, tout le temps. C'est flippant.

- Tout va bien.

- D'accord.

Le silence à nouveau. Je profite de cet instant de calme pour sortir une nouvelle cigarette de mon paquet, puis de l'allumer. En ce moment je les enchaîne, bien trop stressé par le gang. Quand arrive le soir, j'ai le cerveau tellement perturbé que je suis incapable de passer une nuit correcte. Je tire une taffe de ma clope en fermant les yeux, puis expire la fumée vers le ciel. Ma main libre, la gauche, repose sur ma cuisse.

- Jose  ?

Je tourne brusquement la tête vers Wayne. Mon cœur se serre quand je vois qu'il fixe mes doigts, mes tatouages. Je suis surpris  qu'il l'ait remarqué aussi rapidement. Chaque lettre de ce prénom est tatouée sur une phalange différente de ma main gauche. En réalité, c'est écrit à l'envers  : esoJ. Je ne voulais pas que ce soit trop voyant, et trop simple à décrypter. Wayne est perspicace, sans l'ombre d'un doute.

- Ouais.

- Qui est-ce  ?

Je déglutis, et mes mains commencent à trembler sous l'effet de la colère. Tout un tas de mauvais souvenirs me reviennent en mémoire  : l'enterrement, son visage défoncé, nos parties de foot dans le parc-vert de la cité. J'ai la haine. Il me manque.

- Personne.

Sans un mot de plus, je me lève et marche vers ma moto. J'ai honte de sentir les larmes me monter aux yeux, là devant Wayne. Je n'ai aucune envie qu'il me voit pleurer  : je dois être fort, je dois continuer d'être ce Diego caïd et violent que tout le monde connaît à Brownsville. Je ne veux pas qu'il sache que le vrai Diego est un gars beaucoup trop sensible  : je perdrais en crédibilité, et ce serait dangereux pour moi. Dans le monde dans lequel je vis, il vaut mieux se créer une carapace plutôt qu'être à fleur de peau.

- J'ai dit quelque chose de mal  ...  ? , s'inquiète Wayne.

- Ouais.

Pas vraiment, en fait, mais il aurait juste mieux fait de se taire. Je grimpe sur ma moto et place mon casque sur la tête. Je m'enfuis sans même prendre le temps de l'attacher correctement.

Les larmes aux yeux, je roule en direction du Queens.

X   X   X

Burger King, Queens Village | QUEENS – 12:55 PM.

- Tout va bien  ?

Je me retiens pour ne pas poser ma main sur la sienne, sur la table, près de son gobelet de coca-cola. Il a l'air perturbé, ses yeux dans le vide, un peu dans la lune. Je le regarde croquer distraitement dans un nugget, les yeux braqués sur son téléphone, dans l'attente.

- Ouais, je... je stresse pour Abby.

- C'est aujourd'hui  ?

- Oui.

Je lui souris un peu et, finalement, viens caresser son genou sous la table. Sa jambe tressaute sous l'effet de surprise mais il me sourit ensuite, et accepte ma caresse. Je le regarde dans les yeux  : il est mignon aujourd'hui. Enfin... il l'est toujours, mais aujourd'hui un peu plus que d'habitude  : ses cheveux sont en pétard, ses joues et son nez rougis par le froid et ses lèvres gercées. Je vois qu'il a froid, malgré son gros sweat de sport enfilé par dessus plusieurs t-shirts.

- Tout va bien se passer ... , je tente de le rassurer.

- Pas sûr... ça on en sait rien.

- Hé... pourquoi ça se passerait mal  ?

Je fronce un peu les sourcils, mal à l'aise  : je ne connais pas grand chose à la maladie d'Abby, ni au fonctionnement de tous ses traitements. Je ne comprends pas pourquoi Evan semble si alarmé. Abby est une enfant, et j'imagine donc que les médecins ne prendraient aucun risque pour la soigner. Enfin, je l'espère, du moins.

- Parce que c'est de la radiothérapie. Je veux dire... oui le matériel est moderne et plus précis qu'avant mais... ça détruit des cellules dans ton corps. C'est étudié pour détruire les cellules cancéreuses, mais imagine que ça touche des cellules en bonne santé  ? , il soupire. J'veux pas qu'elle souffre encore plus.

Il croque nerveusement cette fois-ci une bouchée de son hamburger au poulet. Je souris un peu, en coin, légèrement amusé même si la situation en soi n'est pas drôle  : il se gave parce qu'il stresse, et je réalise alors que nous avons un point commun.

- Les médecins savent ce qu'ils font, Evan. T'inquiète pas pour ça, d'accord  ?

- Ouais... on verra ce soir, de toute façon.

En silence, nous terminons notre repas. C'est Bagdad sur mon plateau, à cause des deux sachets de nuggets, de celui de frites et de celui de mon hamburger. Il ne reste plus une seule goutte d'ice-tea dans mon gobelet et j'ai honte de réaliser que j'ai encore faim. Evan, lui, semble rassasié.

- Bordel, j'ai trop bouffé.

Mon cœur s'emballe quand je le vois s'étirer sur sa chaise, avant de taper son ventre avec ses mains pour appuyer ses dires. Je l'aime comme ça, naturel et sans filtre, pas le moins du monde gêné de me dire ça alors qu'il a de la sauce ketchup au coin des lèvres. Il est craquant à mort, et je me sens débile.

- Quoi  ? , demande-t-il. J'ai un truc sur le visage  ? , il fronce les sourcils.

- Ouais, heu... du ketchup. Juste là.

Je fais un signe avec mon doigt sur mon visage. Je le vois rougir juste avant qu'il ne se munisse d'une serviette en papier pour frotter sa bouche. Je ricane. Je suis chanceux de l'avoir dans ma vie, d'être aimé par quelqu'un comme lui.

- Merci d'être venu déjeuner avec moi , dis-je.

Je ne pensais pas qu'il ferait le chemin jusqu'ici depuis Manhattan, simplement pour manger avec moi. Il lui a fallu une bonne trentaine de minutes pour venir, et il n'a seulement que deux heures de pause. Il n'a pas hésité une seconde, et je le remercie pour ça  : il me manquait, et je n'ai pas eu le courage d'aller en cours aujourd'hui.

- De rien , dit-il. J'avais envie de te voir.

Il se mordille la lèvre, et mon ventre se fait douloureux  : dios, que j'ai envie de la mordiller cette lèvre moi aussi. Je lui souris, mes yeux plongés dans les siens. On se regarde un instant en silence, avant qu'il ne reprenne  :

- Elena Hill est vraiment une garce, j'ai jamais vu ça.

- Ignore-là. C'est la meilleure chose à faire.

- Ouais mais... elle est méchante, avec toi je veux dire. Elle raconte de la merde à tout le monde.

- Elle raconte quoi exactement  ?

- Mis à part que t'es impuissant  ? Que tu te drogues et que t'étais horrible avec elle.

Je roule des yeux. Je suis en colère contre moi-même de sentir que cette histoire commence à m'énerver  : je ne devrais y accorder aucune importance. Elena est simplement jalouse et dégoûtée qu'il y ait quelqu'un d'autre dans ma vie qui compte assez pour que je la laisse tomber. C'est le genre de fille qui a toujours obtenu ce qu'elle voulait dans la vie, et le fait qu'on lui dise non ne lui convient pas du tout  : une garce pourrie-gâtée, voilà ce qu'elle est.

- Hé... , je prends sa main sur la table. Tu sais que c'est faux, pas vrai  ?

- Oui, mais...

- Alors je m'en fiche. Peu m'importe ce que les gens pensent. Tant que toi tu n'y crois pas, ça me va.

Il sourit. Il caresse mes doigts avec les siens, si froids. J'aimerais le serrer dans mes bras pour le réchauffer et ne plus jamais le lâcher.

- Tu vas voir Abby ce soir  ? , je demande.

- Oui, bien sûr.

- Embrasse-là de ma part.

Je lui fais un clin d'oeil, pour la simple et bonne raison que je sais qu'il ne le fera pas. Il m'a déjà dit qu'il ne lui avait pas parlé de moi. J'ai été touché d'entendre qu'il avait envie de le lui dire, qu'elle serait capable de comprendre, mais qu'il était bien trop angoissé à l'idée qu'elle puisse gaffer en parlant de nous à ses parents.

- D'accord.

Je vois qu'il regarde ma bouche et je remarque qu'il se mordille l'intérieur de la joue. Je fonds.

- Il faut que j'y aille.

- Oh, d'accord.

J'avoue que je suis déçu  : j'aurais aimé qu'il reste là un peu plus. Je me lève de table et récupère nos plateaux pour les vider dans les poubelles. Quand nous sortons sur le trottoir, dans le froid et sous les minuscules flocons de neige qui tombent du ciel, un frisson me remonte l'échine. Je l'accompagne jusqu'au parking où il a garé sa voiture. Après avoir regardé autour de moi, je viens le plaquer contre la portière du véhicule. Un sourire stupide étire ses lèvres et je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour.

Je lui vole un baiser qui s'éternise un petit peu, ses mains sur ma taille par dessous ma veste. Je déteste mon pull de séparer nos peaux. Il me tient tendrement contre lui et j'adore ça. Ses bras sont le seul endroit où je me sens bien, en sécurité, et où je m'autorise à ne plus penser. C'est un petit paradis sur Terre, en fait.

- On se voit, ce soir  ? , demande-t-il.

- Pas ce soir... j'ai des trucs à faire. Demain, si tu veux  ?

- OK.

Il m'embrasse sur la joue avant de se libérer de mes bras, que j'avais refermés autour de lui. Il ouvre la portière de sa voiture et s'installe sur le siège. Après m'avoir adressé un signe de main, il quitte le parking.

Finalement installé à mon tour, sur ma moto, je quitte le parking en ne pensant qu'à Milo Klayne.

X   X   X

Docks d'East River | QUEENS – 6:25 PM.

Il pleut, et je suis trempé comme jamais je ne l'ai été auparavant. C'est un déluge qui s'abat sur le Queens. Ma veste en cuir est imbibée d'eau, tout comme mon pull et mon jean. Mes pieds baignent dans la pluie à l'intérieur de mes boots et mes cheveux tombent trempés sur mon front  : je les repousse d'un geste de la main.

Il fait nuit noire à cause de l'orage et la pluie ne me permet pas de voir grand chose, mais je remarque parfaitement l'Aston Martin DB11 garée devant un hangar, sur l'avenue principale. Tapis dans l'ombre derrière un silo de stockage, à cheval sur ma moto, je regarde ce qui se passe sous mes yeux, à une trentaine de mètres de moi.

Milo Klayne, encore une fois super bien habillé et son attaché-case dans la main droite. Les phares de sa voiture sont éteints. J'arrive à le distinguer grâce aux phares du SUV noir garé face à lui. Il discute avec deux types, ces deux mêmes gars que j'avais pu observer lors de ma première journée avec les AlasNegras. Ce sont les mafieux de Brighton Beach.

En quelques minutes, le SUV quitte les docks en un crissement de pneus. Je n'arrête pas de me demander ce que ces types ont échangé avec Milo Klayne  : je l'ai vu ranger précieusement quelque chose dans son attaché-case. De toute évidence, ils ont fait affaire ensemble. Je sais que Skull fait aussi affaire avec eux. J'en déduis alors que Milo Klayne n'est qu'un concurrent, un pion qui l'empêcherait de réussir son entreprise  : je dois l'éliminer.

Mon arme à la main, j'appuie sur la détente après avoir braqué le canon sur la vitre de sa voiture. Le coup de feu me fait trembler tandis que la vitre explose sous le coup  : conclusion, cette arme est encore plus simple à manier qu'un flingue en plastique. Je déglutis. Klayne sursaute, paniqué, et je viens braquer l'arme sur lui. Face à moi, il regarde en ma direction sans pouvoir me voir. Moi, en revanche, je le vois très bien malgré l'obscurité. Je pourrais le descendre en un quart de seconde.

Sauf que je sursaute lorsque, concentré, mon portable se met à vibrer sans interruption dans la poche de mon jean. Et, malheureusement, ce court instant de déconcentration fait foirer mon plan  : Klayne se barre à toute vitesse, à bord de sa bagnole de riche.

Je pense aussitôt à Skull et à maman.

.   .   . #eastriverFIC 

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