CHAPITRE 24 - DIEGO
23.11.17,
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 02:16 AM.
Je n'arrive pas à dormir. En position cuillère, Evan dort paisiblement dans mes bras et contre mon torse : j'entends son souffle régulier et je sens la chaleur de son corps. Il s'est endormi comme une masse peu après que nous nous soyons installés l'un contre l'autre et ne s'est pas réveillé depuis. Mon cœur fond à chaque fois que, inconsciemment, il vient coller son corps contre le mien pour être plus proche de moi.
Si je suis incapable de dormir, c'est bien à cause de Skull. En fait, je n'arrête pas de penser à ce flingue qu'il m'a donné, ainsi qu'à la photo de sa prochaine victime. Enfin... ma prochaine victime, en fait. Depuis mon passage dans son bureau, je n'arrête pas de réfléchir : comment me sortir de toute cette merde ? J'ai trouvé la réponse : je ne peux pas. Je ne peux pas me sortir de cette situation. Skull est un fou furieux. Je sais parfaitement qu'il serait capable de m'éliminer si je refusais de coopérer : des tueurs, dans son gang, il y en a à la pelle.
Je me suis longtemps demandé pourquoi il me faisait faire tout ça à moi : tabasser des gens, maintenant les tuer. Plusieurs gars seraient prêts à le faire sans rechigner, un sourire aux lèvres, parce qu'ils adorent tout simplement foutre sur la gueule aux gens et appuyer sur une détente. Certains sont totalement fêlés, d'autres totalement psychopathes. J'ai fini par comprendre, en fait, que je suis le seul à ne pas être comme eux : je n'éprouve pas un plaisir particulier à l'idée de régler son compte à quelqu'un, et l'idée de tuer un homme m'est inconcevable. Le but de Skull, en me confiant ses sales boulots, c'est de me façonner à son image : il ne veut pas que je réfléchisse, ou que j'éprouve de l'empathie. J'ai conscience d'être comme une victime au milieu d'une secte, embobinée par son bourreau. Une marionnette, voilà ce que je suis.
Pendant un court instant, tandis que je roulais en direction de l'appartement d'Evan, je me suis dit que je pourrais fuir : comme Abraham, je pourrais partir sans rien dire, me trouver un boulot de merde sous-payé et essayer de vivre une vie ailleurs, loin d'ici. Cela m'a semblé être une bonne idée, avant que je ne pense à maman et Andrea : elles n'ont plus que moi pour les protéger de ce taré de Skull et des autres, et je me dois d'être là pour elles. Et puis, il n'y a pas qu'elles. Il y a aussi Evan : je ne veux pas être loin de lui.
Jamais dans ma vie je n'aurais imaginé tomber sur quelqu'un comme lui. Depuis mes 16 ans je prévoyais mon avenir : épouser une fille du quartier, avoir des enfants et vivre dans un HLM miteux au cœur de Brownsville. Jamais je n'aurais imaginé que quelqu'un d'extérieur à ma vie de merde puisse s'intéresser à moi. J'ai toujours pensé que je ne pourrais qu'intéresser des filles ou des mecs de la cité, vivant dans la précarité et qui n'ont jamais connu autre chose que Brooklyn. Evan est un peu un cadeau tombé du ciel et je suis conscient de la chance que j'ai de l'avoir dans ma vie.
Parfois je me demande ce qu'il me trouve, moi le garçon des quartiers qui fait partie d'un gang, puis je finis par accepter l'une des vérités que j'évite depuis des années : je suis un garçon intelligent. Sous mes airs de cancre et de délinquant, je suis cultivé et passionné. Je pense qu'Evan aime ça, tout comme il aime aussi cette facette de moi, celle où je suis doux et où je me soucie. Je ne suis pas qu'une racaille des quartiers trop bon à cogner les autres parce qu'il n'a pas de cerveau. Concernant Evan, je pense que c'est ça qui m'a sauvé. Et, contrairement aux autres, il a su voir ça en moi.
- Tu dors pas ... ?
J'ouvre les yeux quand je l'entends parler, tout bas, la voix éraillée parce qu'il est à moitié endormi. Gêné, je cesse les papouilles sur son épaule et viens simplement enfouir mon nez contre sa nuque. Je l'attire encore un peu plus contre moi en passant mon bras autour de sa taille.
- Non.
- Tout va bien ?
- Oui. Rendors-toi.
Je l'embrasse sur la nuque et derrière l'oreille, puis viens humer l'odeur agréable de ses cheveux : ça sent la pomme. Doucement, il vient se retourner dans mes bras pour me faire face. Je sens désormais son souffle sur mon menton. Un petit sourire étire mes lèvres quand il pose sa main sur ma joue. Dans l'obscurité de sa chambre mais grâce à la lumière des lampadaires à travers les rideaux, je distingue la ligne de sa mâchoire, son nez, et une partie de sa bouche. Ses yeux sont fermés et, paisible, il caresse ma joue du bout des doigts.
- J'ai jamais aussi bien dormi de toute ma vie.
Je pouffe de rire, amusé, quand il murmure ça d'une voix penaude. Je dépose un baiser sur son front, avant de descendre sur son nez, pour finir par ses lèvres. Je me recule après lui avoir volé un petit baiser tendre.
Je finis par fermer les yeux, mon visage contre le sien, et par tomber de fatigue moi aussi.
X X X
East Side Community High School | MANHATTAN – 12:02 PM.
- Je te l'ai dit, toi et moi on arrête.
Je lance un regard noir à Elena Hill, assise sur la chaise à ma droite. Elle porte une jupe moulante et un joli chemisier noir. Ses ongles sont manucurés de rouge. Elle fronce les sourcils, certainement surprise par le ton que j'ai employé pour lui répondre. Elle m'énerve, pour la simple et bonne raison qu'elle insiste alors que j'ai dit non.
- Pourquoi ? On s'amusait bien, non ?
- J'ai une petite-amie. Casse-toi Elena.
Je dévore Evan du regard, même s'il ne le voit pas. Il est assis à cette table face à la mienne, à environ vingt mètres, et discute avec cette fille de sa classe avec qui il traîne dans les couloirs généralement. Ils rient tous les deux et semblent bien s'entendre : j'aimerais avoir un ami ou une amie avec qui discuter ici et passer un peu de temps. Malheureusement, je passe mes pauses seul et mes cours en silence. Du moins, quand Elena ne vient pas agiter ses fesses sous mes yeux pendant la pause déjeuner.
- Et alors ? , elle hausse les épaules. C'est pas un problème.
Je la fixe les sourcils froncés, perplexe. Est-elle vraiment sérieuse ? Pendant un instant j'ai un doute, puis je comprends qu'elle ne plaisante pas du tout quand elle fait remonter ses ongles sur ma cuisse jusqu'à mon entrejambe. Je repousse sa main d'un geste brusque, tellement qu'elle perd l'équilibre et manque de tomber de sa chaise.
- Que te folle un pez, casse-toi de là !
Quand je regarde autour de moi, je me rends compte que la plupart des élèves dans la cantine me regardent : j'ai certainement parlé trop fort. Je déglutis et viens lancer un regard à Evan : il me regarde avec ses grand yeux noisette, une paire de lunettes de repos sur ses yeux. Il est à tomber.
- T'es qu'un con, Flores.
J'ignore Elena qui s'en va en faisant claquer ses talons sur le sol. Elle m'insulte ? Je n'en ai rien à foutre.
- Après Liam tu t'en prends aux filles, maintenant ? Ta place est en taule Flores, j'me demande bien qui a payé ta caution vu que t'as pas de thunes.
Je lève les yeux sur ce gars de l'équipe de foot, un certain John – ou James, je ne sais même plus. Il porte sa veste aux couleurs de l'équipe et me regarde l'air malicieux, les bras croisés sur son torse. Je souris amèrement, tête baissée sur mes pieds : il veut me faire péter les plombs, je le sais. Un dérapage de plus et je suis renvoyé.
- Tu me diras, ta sœur doit ramener pas mal de billets à la maison pas vrai ?
- T'insinues quoi, là ?
Je bondis sur mes pieds pour me tenir face à lui. Je le regarde dans les yeux et je sens la colère monter en moi : je sais où il veut en venir.
- Bah, c'est une pute non ? , il hausse les épaules. Ah non ! , s'exclame-t-il finalement. C'est peut-être ta mère, en fait !
J'ai mal aux dents à force de les serrer et j'ai mal aux doigts tellement je serre les poings. Mes muscles tremblent et mes poings me démangent : je pourrais étaler cette sale merde rien qu'avec une droite bien placée dans les dents.
- Peut-être même que ...
Je n'écoute pas la suite, pour la simple et bonne raison que j'essaie de me calmer. Par dessus son épaule carrée, je viens regarder Evan. Il fixe la scène silencieux, et je suis soulagé de voir qu'il me fixait aussi en espérant attirer mon attention. Je ne le quitte pas des yeux. Pendant que ce connard déblatère tout un tas de conneries sur ma mère et ma sœur, les traitant de putes et de toutes autres choses aussi horribles, je m'efforce de penser à Evan : il croit en moi. Et j'ai envie de lui prouver qu'il a raison.
Je pense à tout un tas de choses, là. Je pense à maman et Andrea qui comptent sur moi. Je pense au professeur Powell et à Harvard. Je pense à Evan, ce garçon incroyable dont je suis fou amoureux. Et je pense aussi à ces connards de l'équipe de foot, qui n'attendent que l'occasion de pouvoir me faire virer : je n'ai aucune envie de leur donner satisfaction.
- Oh Flores !
Je me reçois un coup de poing dans l'épaule, parce qu'il me provoque. Je viens le regarder un moment et, aussitôt, la rage monte à nouveau en moi. Je tremble de la tête aux pieds tellement je m'efforce de me contenir. En fait, je suis comme un volcan : la colère gronde en moi et me fait trembler tant que je ne l'extériorise pas. Je sens des larmes pousser derrière mes yeux : c'est la colère et le regard d'Evan qui me font réagir ainsi. Et, aussi, c'est le fait de réaliser que je suis une bombe à retardement : me contenir ne devrait pas être compliqué, mais j'en suis incapable. C'est l'un des vestiges de mon éducation : la violence, c'est normal dans mon monde.
- Va te faire foutre.
Je regarde Evan en lâchant ces quelques mots, me sentant comme dans un monde lointain. C'est comme s'il n'y avait plus que lui et moi dans cet univers et que les autres n'existaient plus. D'une certaine façon, c'est comme si j'essayais de trouver la force de lutter dans son regard. Il ne me quitte pas des yeux non plus et, là, mon cœur loupe un battement : j'en suis amoureux. Je suis raide dingue de lui, et ça m'est tombé dessus avant même que je ne m'en rende compte.
Les larmes aux yeux, je prends la fuite. Je récupère mon sac sur la table, laissant seul mon plateau et mon repas du midi, et sors de la cantine les poings serrés. La porte claque sur mon passage et je traverse la cour sous la neige, vêtu simplement de ma veste en cuir et d'un pull pas très épais. Mes pieds dans mes converses défoncées sont frigorifiés et je me dis que porter un jean troué au genou un jour de neige n'était pas une très bonne idée.
Dans les toilettes désertes du bâtiment A – celles où nous nous retrouvons habituellement avec Evan – je claque la porte. Je me regarde dans le miroir, les yeux rougis même si j'ai ravalé mes larmes parce que je suis bien trop fier. Je déteste mon reflet à cet instant là : la mâchoire crispée, les poings serrés et bras tremblants. Je me dis aussi que je ressemble à papa, quand il était jeune, parce que je me souviens de cette photo de lui dans la chambre de maman.
Je hurle, de fatigue et de rage, tandis que mon poing s'abat sur mon visage, sur mon reflet dans le miroir. Ce dernier se fissure sous l'impact, et certains morceaux tombent dans l'évier alors que d'autres se plantent dans ma peau. Quelques gouttes de sang coulent le long de mon poignet, mais je m'en fiche. C'est assez douloureux, ça pique, mais la douleur me fait du bien. Alors que je pense à ce connard à la cafétéria, quand je l'entends me dire que ma sœur et ma mère sont des prostituées sans figure, je cogne à nouveau : mon poing droit s'écrase à nouveau sur les brisures du miroir, au mur, le faisant s'effriter un peu plus dans l'évier. Je crie. J'ai la haine.
- Diego, arrête.
C'est quand je vois son visage que je me rends compte que je pleure, pour la simple et bonne raison que je le vois flou. Je m'arrête de cogner, les bras le long du corps mais les poings encore serrés, et je le regarde. J'ai du mal à respirer et les sanglots obstruent ma gorge.
- Arrête, s'il te plait.
Sa voix est douce. Il pose sa main sur ma joue et caresse mon nez avec son pouce. Ses doigts sont doux et chauds, et son odeur agréable. Sa présence me fait du bien, mais j'ai peur.
- Recule... je veux pas te blesser.
Je sais que je pourrais, parce que je suis encore dans cet état de transe étrange comme quand je tabasse les types pour Skull. Je ne veux pas prendre le risque de lui faire du mal, même involontairement : il est beaucoup trop précieux à mes yeux.
- Non.
Sa main gauche rejoint aussi mon visage. Ce dernier en coupe entre ses mains, je plante mon regard dans le sien. Je déglutis tandis que mon cœur se serre : pourquoi est-il là, avec moi ? Pourquoi est-ce-qu'il n'a pas peur de moi ? Pourquoi ne veut-il pas partir ? Pourquoi préfère-t-il rester là avec moi plutôt que retrouver ses amis ?
- Arrête, je t'en supplie... calme-toi. Je suis là, tout va bien.
Il me fixe avec ses beaux yeux et ses lèvres pulpeuses que j'aime tant sont rosées et humides. Ses yeux brillent, un peu aussi larmoyants. Je me contente d'apprécier la caresse de ses pouces sur ma peau, mon nez et mes lèvres.
Finalement, ce sont ses lèvres qui remplacent ses doigts. Il m'embrasse mais je suis tétanisé, incapable de bouger, parce que c'est le genre de baiser qui n'est pas anodin. Ce n'est pas le genre de baiser que j'ai déposé rapidement sur ses lèvres ce matin avant de m'enfuir, après lui avoir lancé un « on se voit au lycée ». Là, c'est le baiser. C'est le genre de truc qui retourne l'estomac et le cœur, qui coupe le souffle et qui donne envie de crier. C'est le genre de baiser que je lui donne toujours quand on se voit dans Central Park au beau milieu de la nuit, parce que ce n'est que lui et moi et que je suis au paradis.
- Je suis là.
Oui, il est là. Je crève d'envie de poser mes mains sur lui, mais le sang abondant sur mes doigts m'en empêche. Alors que je me détends peu à peu, je lui rends son baiser sans ne plus penser à rien d'autre qu'à sa bouche. C'est le néant dans mon esprit : plus de gang, plus de papa, plus de lycée, plus de ces footeux stupides. C'est juste le bonheur, un sentiment de plénitude parce que je ne pense plus à rien.
Alors qu'on s'embrasse, plantés au milieu des toilettes dont il a verrouillé la porte, ses mains quittent mon visage. Puis, quelques secondes plus tard alors que je me sens soudainement vide, je les sens se glisser entre les miens. Tout en laissant sa langue s'introduire dans ma bouche, je viens entrelacer mes doigts avec les siens. Mon cœur loupe un battement quand il les serre fort, comme pour me montrer son soutien et me faire savoir qu'il est là et qu'il tient à moi.
Quand nos lèvres se séparent, je réalise que je ne pleure plus. J'ouvre doucement les yeux pour le regarder, tandis que sa tête est déjà baissée sur nos mains enlacées. Puis, comme un adulte qui guiderait un enfant, il attire ma main sous l'eau d'un robinet et frotte mes doigts avec les siens pour enlever le sang. Je serre les dents quand quelques morceaux de miroir tombent finalement dans l'évier, auparavant plantés dans ma peau.
- Voilà. C'est mieux, comme ça.
Il dépose un baiser sur le dos de chacune de mes mains. Puis, tout doucement, il se hisse sur la pointe des pieds pour me voler un baiser. Trop désireux de le toucher, je passe mes mains sous ses cuisses pour le porter dans mes bras. Ses jambes s'enroulent à ma taille tandis que je viens l'asseoir sur les lavabos. Mes mains partent explorer son visage à leur tour, mes doigts effleurant son front, ses joues et son menton.
- Tu es tellement beau.
Il l'est, c'est vrai. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi beau que lui. Pas même Dylan Campbell. Evan est magnifique au naturel, et c'est ce qui me plaît. Une bouche pulpeuse, des joues légèrement rosées, une peau foncée mais pas mat, simplement bronzée, de longs cils et des yeux un peu en amande. Et un nez adorable. Je souris lorsque j'y passe mon pouce. Ses joues s'empourprent.
- Je suis fier de toi, tu sais , dit-il.
- Pour ?
- Ce gars. C'est carrément dégueulasse ce qu'il a dit sur ta mère et ta sœur. Je sais pas si j'aurais réussi à me contenir, moi.
Il caresse ma nuque tendrement tout en me regardant. Moi, je baisse la tête avant de marmonner :
- Je l'ai fait pour toi. J'voulais que tu voies que... j'suis pas un mauvais gars.
- Je le sais ça, quoi que tu fasses je le sais.
On se sourit. Peu à peu, les battements rapides de mon cœur reviennent à la normale, tout comme ma respiration. Mes muscles se détendent à mesure du temps qui passe et de ses papouilles dans mes cheveux.
Quand la sonnerie retentit pour annoncer le début des cours, une quarantaine de minutes plus tard passée à nous dévorer des yeux, je le quitte à contrecoeur.
- Eh, Diego ?
Je me tourne pour le regarder, juste avant de sortir des toilettes. Il vient me voler un baiser avant de sourire contre mes lèvres :
- Je tiens à toi.
X X X
Quelque part dans les rues... | QUEENS – 8:45 PM.
Je suis planqué derrière un monticule de sacs poubelle, entassés sur des conteneurs déjà pleins depuis des jours. La ruelle est sombre et l'odeur est abominable : un mélange de sale, d'urine et de déchets ménagers. Je respire par la bouche depuis que je suis arrivé pour éviter de sentir cette puanteur, mais je n'arrête pas de me dire que je pourrais tout aussi bien choper une infection à aspirer l'air directement entre mes lèvres.
La neige a cessé de tomber sur New York en début d'après-midi, mais le ciel est resté voilé jusqu'à ce que la nuit tombe. Les flocons n'ont pas tenu au sol mais j'ai remarqué par endroits quelques plaques de verglas, gelées à cause de la température froide de cette fin novembre.
J'ai quitté les cours après ma première heure de l'après-midi, pour la simple et bonne raison que je ne me voyais pas supporter deux heures d'espagnol alors que je le parle déjà couramment. Quand je suis arrivé au hangar sur les coups de trois heures et demies, Skull m'a foutu un coup de pression. Il m'a tapé sur l'épaule et m'a embarqué dans son bureau. Pour résumer : c'est ce soir. Il veut que je descende ce type ce soir, et je ne sais même pas pourquoi.
C'est vrai après tout. Je n'ai jamais réellement su pourquoi je tabassais tous ces types, mis à part le premier qui était en fait un traître. Je n'ai pas non plus posé de questions pour les autres : je faisais simplement ce que l'on me demandait de faire, comme un petit toutou bien élevé qui exécute les ordres. Mais tuer un homme... j'aimerais au moins savoir pourquoi on en arrive là, Skull et moi.
Sur l'avenue au bout de la ruelle, une porte claque. Un type en sort vêtu d'un smoking : c'est mon homme. Je le reconnais à sa démarche d'homme d'affaires et à sa silhouette. Après l'avoir pris en filature à bord du SUV de Skull qui m'a rapidement fait le topo, je suis certain qu'il s'agit de lui. Je le regarde, de loin, tandis qu'il referme la porte de sa maison en rez-de-chaussée.
Les mains stables mais le cœur battant à toute allure dans ma poitrine, je m'efforce de penser à papa pour rendre les choses beaucoup plus faciles. Je sens aussitôt la colère monter en moi. Je finis par braquer mon arme sur Milo Klayne. Je le regarde, tandis qu'il reste planté devant sa porte à envoyer un SMS. Il a posé son attaché-case entre ses pieds pour le tenir droit.
Je suis dans cet état second. Pour moi, ce n'est même plus Milo Klayne face à moi, mais Luis Flores. Mon père, cette pourriture qui m'a tout pris et qui a bousillé ma vie. Mes muscles se tétanisent, mes mains tremblent et je serre les dents sous l'effet d'une colère bien trop importante. En réalité, à ce niveau là, ce n'est même plus de la colère mais de la rage.
Je le fixe face à moi, mon doigt posé délicatement sur la détente, dans l'attente. Je pense à papa, qui me donne envie de démolir tout le monde, et je pense à Skull et ce qu'il serait capable de faire s'il ne découvrait pas demain matin la mort de Milo Klayne : il me cognerait certainement, pour me punir, comme il l'a déjà fait lorsque j'ai repoussé Dgina. Il n'hésiterait pas une seconde à s'en prendre à ma famille s'il le fallait, notamment à Andrea : il sait qu'il a un moyen de pression sur moi grâce à elle, et je ne suis pas prêt à prendre le risque.
Alors j'inspire profondément, et bloque ma respiration. Mes muscles sont tendus, mais je ne tremble plus. Je suis stable, statique, tapis dans l'ombre et le canon braqué entre les deux yeux de Klayne. C'est le moment. C'est maintenant. Je pense à Andrea et à maman. Mon doigt s'abaisse pour appuyer sur la détente, prêt à tirer. Je ferme les yeux.
Et, aussitôt, c'est le visage d'Evan que je vois. Je le vois me sourire et me regarder avec ses yeux brillants. Je l'entends me dire qu'il est fier de moi, et qu'il tient à moi. Et je me sens comme une merde.
J'abaisse finalement mon arme et laisse Milo Klayne filer.
. . . #eastriverFIC
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