CHAPITRE 20 - DIEGO

19.11.17,
Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 11:12 AM.

À ce moment là, je suis reconnaissant que les vitres de sa voiture soient teintées. Je sais que personne à l'extérieur ne risque de nous voir, et ça me permet de me détendre  : je l'embrasse. Il est garé sur une place réservée aux livraisons, devant l'épicerie du coin, mais on s'en fiche. Je glisse mes mains sur sa taille et le rapproche un peu de moi tandis qu'il glisse les siennes de chaque côté de mon cou. Je sens ses pouces posés sous ma mâchoire tandis que sa langue vient pousser mes lèvres, timidement, pour venir trouver la mienne.

Mon cœur bat beaucoup trop vite  : c'est l'effet qu'il me fait. Pendant qu'on s'embrasse, pour se dire au revoir, mon ventre commence à se faire douloureux  : je n'ai aucune envie de le quitter, là. J'aurais aimé que ce week-end ne se termine jamais. C'était génial à Boston, rien que lui et moi. Plus les jours passent, plus je tombe un peu plus pour lui. Il ne s'imagine pas à quel point il est important pour moi.

- Hey...

Il pose sa main sur la mienne pour me stopper, tandis que cette dernière s'aventurait dangereusement entre ses cuisses. Je me mords l'intérieur de la joue et baisse les yeux, gêné, devant son regard amusé.

- Excuse-moi.

- Ne t'excuses pas d'avoir envie de moi.

Je pouffe de rire contre ses lèvres et lui vole un petit baiser, avant de finir par me reculer. Je lui fais un clin d'oeil et quitte la voiture. Je frissonne encore de la tête aux pieds.

Depuis quelques temps déjà, nos au-revoir sont simples et brefs  : on a compris que plus on fait durer le moment, plus c'est difficile pour nous de nous contenir. Plus les jours passent, plus j'ai du mal à résister à cette tension sexuelle entre nous. Une ligne d'électricité me remonte la nuque tandis que je me souviens de ce qui s'est passé hier soir, au motel.

Un sourire débile sur les lèvres et le cœur rempli de bonheur, je le regarde s'éloigner tandis qu'il prend la direction de Manhattan.

X   X   X

Hangar des AlasNegras, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 12:58 PM.

- No me toque  !

Je repousse Dgina d'un coup de main un peu trop brutal dans l'épaule. Elle perd l'équilibre et tombe lourdement à la renverse, les yeux écarquillés. Je déglutis d'angoisse, bien conscient que Skull va en entendre parler tôt ou tard. Un regard circulaire autour de moi m'indique que, bien sûr, tout le monde nous regarde  : Miguel me fixe avec un sourire en coin, Fernando me regarde les sourcils levés, et Wayne fronce les sourcils comme s'il me jaugeait. Je rattrape le sac de boxe entre mes mains pour le bloquer.

- Il se passe quoi, là  ?

Je ferme des yeux en entendant la voix, grave et colère, de Skull dans mon dos. Soudain, c'est le silence au hangar. Je pourrais entendre une mouche voler si seulement ses pas lents et posés, comme ceux d'un félin juste avant l'attaque, ne résonnaient pas sur le béton. Quand j'ouvre les yeux, je vois la main forte et immense qu'il tend à sa fille pour l'aider à se relever. Tout le monde me fixe, impatient de me voir prendre une raclée.

- Rien, papa, ça va.

Elle me lance un regard noir avant de s'en aller en boitillant vers le canapé dans lequel elle passe ses journées. Moi, je reste planté là, les phalanges en sang à cause de ma petite session de boxe. Les yeux rivés sur mes pieds, j'attends mon sort.

Je me reçois un coup puissant dans la mâchoire, sans vraiment y avoir été préparé. Malgré la violence de l'impact, mes pieds ne bougent pas d'un centimètre sur le bitume et je me contente de fixer mes pieds. Cela fonctionne de cette façon avec Skull  : quand t'es en faute, tu fermes ta gueule et t'acceptes ta punition. J'ai pleinement conscience d'être son petit chihuahua, là. J'ai la rage.

- Sale petit pendejo... je t'interdis de poser tes mains sur ma fille. Entiendes  ?

- .

J'ai envie de sourire  : il ne se rend pas compte qu'il me rend service en balançant son avertissement devant tout le monde, y compris devant Dgina. J'aurais désormais une bonne excuse pour refuser de la toucher.

Aussi vite qu'il est arrivé, il repart s'enfermer dans son bureau. Dgina ne me quitte pas des yeux, assise sur le canapé près de Carlos, mais je n'y prête pas attention. Un goût ferreux dans ma bouche m'indique que je saigne. Quand je crache à même le sol, un filet de sang quitte ma bouche ainsi qu'un énorme morceau blanc.

- Je crois que tu as perdu une dent.

Je lève les yeux vers Wayne qui, de son corps massif, semble me surplomber de sa grandeur. Ce type a toujours l'air fermé, son visage ne laissant paraître aucune expression, mais un petit rictus étire ses lèvres. J'essaie de me détendre.

- Pas grave.

J'ignore ma dent qui flotte au sol dans une petite flaque de sang. Concentré, ressentant désormais le besoin d'évacuer mon trop plein de nervosité, je recommence à taper. J'enchaîne les coups sur le sac  : en haut, au milieu, en bas. Je cogne comme un forcené, peu perturbé par mes mains en sang et la douleur dans mes doigts. De temps en temps, je me tourne pour revenir cracher le sang qui inonde ma bouche. Cette fois-ci, quand je cogne, ce n'est pas le visage de papa que je vois mais celui de Skull.

- Où tu as appris à cogner comme ça  ?

Je lance un regard en coin à Wayne, qui me fixe d'un air sérieux. Ses bras sont croisés sur son torse et il se tient droit, les pieds bien plantés dans le sol et les jambes légèrement écartées. Je ne peux pas m'empêcher de penser que sa posture ressemble à celle d'un soldat.

- J'sais pas.

Je hausse les épaules et recommence à frapper. Je ne sais pas vraiment où j'ai appris à cogner de cette façon, en réalité. Je voyais papa et Luis taper dans des punching-ball quand j'étais gosse, et je suppose que j'ai voulu faire comme eux. Mais je pense que, d'une certaine façon, ça fait partie de mon ADN.

- Skull se sert de ça, je suppose  ?

Je m'arrête de cogner et reprends mon souffle. Je crache une nouvelle petite quantité de sang au sol et viens jouer avec ma langue à l'endroit où ma dent a sauté  : certainement une pré-molaire, en bas. Je suis ravi que ce ne soit pas tombé sur une incisive  : j'aurais eu l'air con avec un chicot en moins.

- Quoi  ? , je demande en levant un sourcil.

- Des gars disent que c'est toi qui fais son sale boulot.

Je serre les dents  : le petit toutou de Skull, voilà ce que tout le monde voit en moi. Wayne me fixe avec ce qui me semble être un intérêt tout particulier. Je n'arrête pas de me dire que je devrais me méfier de lui.

- Oui, c'est moi. Pourquoi, tu veux le faire à ma place  ?

- Pourquoi pas , il hausse les épaules. En quoi ça consiste, exactement  ?

Un petit sourire mesquin étire le coin de ses lèvres. Je détaille son visage un instant  : il semble ne pas s'être rasé depuis des semaines car une petite barbe commence à pousser sur ses joues et son menton. Il est charmant, malgré tout.

- La plupart du temps je tabasse des types, pour leur foutre la trouille. En général, c'est pour qu'ils la bouclent.

- Oh, je vois. Super. , soupire-t-il avec ironie.

- Pour l'instant, il m'a pas encore demandé de buter quelqu'un , je hausse les épaules. Je peux m'estimer heureux.

- Tu le ferais  ?

- Probablement pas. J'suis pas mon père, ni mon frère.

Je reviens taper quelques coups dans le sac pour ne pas perdre le rythme  : ma séance est loin d'être terminée. Wayne me fixe encore et toujours, les sourcils désormais froncés  :

- Ton frère  ? , s'étonne-t-il.

- Bah ouais , je hausse les épaules.

- Je croyais qu'il était en taule pour délit de fuite et trafic.

- Oui, c'est vrai. Les flics l'ont jamais coffré pour meurtre mais il a buté un type au coin d'une rue. J'suis pas trop au courant, mais les gars disent qu'il l'a balancé dans l'East River.

Je ne sais pas pourquoi je balance tout ça à ce gars que je connais à peine. Certainement parce que, maintenant, c'est un peu comme un frère  : les AlasNegras, c'est une famille. Aussi, j'ai toujours eu à porter ce poids – ce secret – sur mes épaules  : Luis s'en est vanté une fois au parloir, discrètement et sans entrer dans les détails, et depuis ce jour là je ne cesse d'y penser  : mon frère est un meurtrier. J'avais besoin de me libérer de tout ça. De plus, Wayne a le droit de savoir  : il fait partie des nôtres.

- Non, t'es sérieux  ?

- Ouais.

Je me lance dans une série de coups de poing et de coups de pieds contre le sac de boxe. La chaîne qui le maintient à une poutre au plafond tinte contre la ferraille du bâtiment et je serre les dents pour ne pas crier ma rage, même si je suis conscient que cela me ferait un bien énorme.

X   X   X

Appartement n°4, HLM E, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 5:26 PM.

Je suis assis à la table de la cuisine, en compagnie d'Andrea et de maman. Cette dernière est en train d'éplucher des pommes de terre tandis qu'Andrea, elle, se vernit les ongles d'une couleur rouge bonbon. Un stylo à bille entre mes doigts, une copie double sous les yeux, je réponds aux questions du devoir de physique du professeur Powell. J'enchaîne les exercices à la vitesse de l'éclair  : les formules sont toutes mémorisées dans un coin de ma tête et tous les problèmes me semblent si simples qu'ils en deviennent ridicules.

- Au fait, lance Andrea, j'ai eu Abraham au téléphone aujourd'hui.

- Ah. Et  ? , s'intéresse maman.

- Il vous embrasse fort. Il a dit qu'il reviendrait peut-être pour Noël.

Mon cœur se réchauffe un peu à cette annonce mais se serre aussi : mon moi égoïste veut qu'Abraham revienne passer Noël avec nous, mais mon côté réfléchi préférerait qu'il reste en Floride. Il est bien mieux là bas, loin de toute cette merde.

M'intégrant peu à la conversation, je termine mon devoir en silence avant de le ranger soigneusement dans mon cahier dont la couverture tombe en ruines. Les jambes engourdies, ce goût ferreux et amer encore présent dans ma bouche, je pars dans ma chambre.

À l'intérieur de la pièce, c'est le foutoir complet  : des fringues et sous-vêtements par terre – propres ou sales, je ne sais même plus – et je ne distingue même plus mon bureau sous les tonnes de choses inutiles qui s'y trouvent. Je range mon cahier dans mon sac de cours, qui repose derrière la porte près d'une bibliothèque branlante. Puis, les bras chargés d'un boxer, d'un jogging et d'un hoodie propres, je m'enferme dans la salle d'eau.

Mon reflet dans le miroir au dessus du lavabo fait peur à voir  : un bleu énorme au niveau de la mâchoire et ma lèvre légèrement entrouverte du côté gauche. J'ouvre la bouche et dirige le spot lumineux au dessus de mes dents  : le trou est bien là, au fond juste après ma canine, et j'ai l'air ridicule. Quand je pousse ma langue contre la blessure, sur les chairs à vif de ma gencive, je grimace  : c'est assez douloureux.

Pendant un moment, je ne fais que me regarder  : mon regard vide me fait honte, tout comme ma mâchoire enflée, signe que je me suis pris une raclée par le grand chef, comme la pauvre petite merde que je suis à ses yeux. Je serre les dents  : je hais cette putain de vie. Je hais Skull et je hais mon père d'avoir fait le caïd dans sa jeunesse et de nous avoir fichus dans cette merde qu'est ce putain de gang.

Finalement, un sourire étire mes lèvres lorsque je vois deux tâches violacées au creux de mon cou. Instantanément, ma peau se recouvre de chair de poule au souvenir de la nuit passée  : la première pipe d'Evan. Je crois que je m'en rappellerai toute ma vie, tellement c'était bon et, aussi, incroyable. Plusieurs fois au Monster des gars m'ont sucé avant qu'on ne baise au sous-sol, mais jamais de cette façon. En plus de son côté timide et maladroit dans ses gestes, j'ai adoré son audace  : il m'a sucé sans me quitter des yeux et m'a clairement aguiché avec sa langue. Je ricane  : il m'a rendu dingue et, si je n'avais pas de self-control, je l'aurais allongé sur le lit et l'aurais pris toute la nuit.

Chassant ces pensées excitantes de ma mémoire et de mon esprit, je me sépare de mes vêtements que je viens jeter dans le panier à linge sale. Quand j'entre sous la douche, je constate vite qu'il n'y a plus d'eau chaude  : la faute à Andrea, qui a certainement passé 20 minutes sous l'eau comme à chaque fin de journée.

Malgré tout, l'eau glacée me fait du bien. Je frotte énergiquement mes bras avec mon gel douche pour enlever la poussière du hangar ainsi que la sueur, et viens ensuite frotter mes cheveux avec une noisette de shampooing. Les yeux fermés, je ne pense plus à rien.

C'est le genre de moment de la journée que j'adore, car je fais enfin le vide. Je ne pense plus à Evan. Je ne pense plus au gang non plus. Et, surtout, je ne pense plus que je suis destiné à vivre une vie de délinquant de merde.

X   X   X

Il fait déjà nuit noire même s'il n'est que 6:15 PM. L'hiver arrive à grands pas, dans quelques semaines seulement, mais il fait déjà un froid polaire lorsque les nuits tombent. Il commençait à neiger à Boston samedi soir, et, ici à New-York, je pense que cela ne va pas tarder.

La fumée de ma cigarette s'envole dans les airs, au gré de cette petite brise glaciale. Les étoiles commencent un peu à briller dans le ciel et j'observe le croissant de lune  : je pourrais passer ma vie à faire ça le soir, seul sur le balcon, emmitouflé dans mon jogging et mon hoodie polaires. C'est le genre de moment où je me pose tout un tas de questions existentielles qui m'intriguent autant qu'elles me terrifient  : sommes nous seuls dans l'univers  ? Pourquoi existons nous  ? Pourquoi nous et sur Terre et non pas une autre civilisation sur une autre planète, par exemple  ? Toutes ces questions me trottent dans la tête à chaque fois que je lève les yeux vers le ciel.

- Hey. Tiens.

Je sursaute et tourne la tête vers Andrea  : la tête passée dans l'entrebâillement de la baie vitrée, elle me tend mon téléphone.

- Il a sonné deux fois. Un message d'Evan , elle me fait un clin d'oeil. J'ai pas lu, t'inquiète.

Je la remercie silencieusement du regard. J'attends qu'elle referme la baie vitrée avant de venir lire mes textos. Je souris comme un imbécile.

DE  : EVAN ✉
6:17 PM – Merci encore pour ce week-end, c'était génial. Je sais que c'est pas facile pour toi de te montrer avec moi. Je veux dire, m'embrasser devant les gens, tout ça. Je suis content que tu l'aies fait. J'ai passé un super moment, je voulais pas que ça s'arrête.
6:18 PM – J'ai hâte de te voir demain.

Je me sens ridicule quand mon cœur se réchauffe inexplicablement dans ma poitrine. Mes yeux se mettent à briller – je le sens – et mes lèvres s'étirent en un sourire attendri. Rapidement, je tape une réponse  :

À  : EVAN ✉
6:19 PM – J'ai adoré ce week-end aussi. Ça me fait plaisir que tu sois venu au match même si je sais que tu détestes ça en général. On refera ce genre de sortie bientôt, je te le promets. Moi aussi j'ai hâte de te voir demain.

Je reviens regarder les étoiles un moment tout en tirant une nouvelle taffe de ma cigarette. Puis, je me souviens que nous sommes dimanche et que, les dimanches après-midi, il les passe avec sa sœur.

À  : EVAN ✉
6:20 PM – Comment va Abby  ?

Il m'a parlé d'elle. En réalité, la conversation pendant le trajet en voiture jusqu'à Boston samedi après-midi ne portait que sur elle : il m'a expliqué son histoire, sa maladie, le jour où ils l'ont appris. Il m'a aussi parlé de leur routine de vie depuis qu'elle est hospitalisée, des choses qu'elle aime et qu'elle déteste en passant par sa chimiothérapie qui ne porte pas énormément ses fruits. Même si je ne connais pas Abby, j'ai comme l'impression de déjà tenir à elle  : c'est une gamine courageuse, à n'en pas douter.

DE  : EVAN ✉
6:22 PM – Elle allait assez bien aujourd'hui, mais elle est toujours autant fatiguée. Au moins, son visage était un peu rosé et pas pâle comme d'habitude. J'ai vu son docteur, ils veulent mettre en place des essais cliniques. Apparemment lui et l'équipe en ont déjà discuté avec mes parents il y a quelques semaines. Je sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose, mais apparemment ça coûte la blinde. Je sais même pas si on aura les moyens de faire quelque chose de plus pour elle.
6:22 PM – J'ai super peur Diego.

Ma gorge se serre. Je ne sais pas quoi répondre à ça, pour la simple et bonne raison que je m'inquiète aussi désormais. Je suis convaincu qu'aucun enfant – ou être humain tout simplement – ne devrait vivre ce que vit Abby. Je ne connais rien aux cancers et je n'ai aucune idée de comment le rassurer, là. Je suis frustré de ne pas pouvoir le serrer dans mes bras.

À  : EVAN ✉
6:24 PM – Ça va aller, t'inquiètes pas. Vous êtes une famille unie, elle s'en sortira je te le jure. T'es un grand frère super, Evan, il ne faut pas que tu aies peur.

DE  : EVAN ✉
6:24 PM – Merci... t'es génial, Diego.

Je souris un peu, triste. Ce n'est pas la première fois qu'il me dit que je suis génial et, à force, je vais bien finir par le croire, je suppose. Mes doigts survolent le clavier sans que je ne saches quoi répondre. Mais, avant que je n'ai eu le temps d'envoyer quoi que ce soit, l'appel d'un numéro inconnu localisé à Manhattan s'affiche à mon écran. Nonchalant et bourru comme à mon habitude, je décroche  :

- Ouais  ?

- Monsieur Diego Flores  ?

- Ouais, c'est moi.

- Bonsoir, Lieutenant Paulson à l'appareil, du 9th Precinct.

Panique. Les flics. Aussitôt, je commence à me faire tout un tas de films aussi farfelus les uns que les autres. Je pense à papa, à Luis, à Dgina et à Skull. Puis, surtout, je pense à cette affaire de drogue et d'arme retrouvés quelques semaines plus tôt dans mon casier. J'inspire profondément pour me calmer.

- Oui  ? , je demande.

- Je vous appelle par rapport à votre arrestation du 27 Octobre. Comme vous le savez, nous vous avons libéré faute de preuves.

- Oui. Et...  ? , je m'inquiète.

- Je vous appelle simplement pour vous tenir informé  : nous avons arrêté Liam Whitaker cet après-midi, ses empruntes ADN l'ont trahi. Sachez qu'il a avoué les faits.

Si mon téléphone n'était pas aussi solide, je l'aurais certainement broyé. Je serre les poings et la mâchoire, désormais bouillonnant de rage. Ce sale fils de pute de Whitaker. S'il était là, devant moi, à cet instant précis, je serais bien capable de le tuer. Je le hais, du plus profond de mon être. Je déteste et méprise ce genre de fils à papa qui se croit intouchable et au dessus des lois.

- Sachez qu'il a été libéré sous caution mais qu'il devra régler une amende.

- D'accord. Hem... merci beaucoup.

- Bonne soirée, monsieur Flores.

- Merci, vous aussi.

Je raccroche bien avant lui en cliquant sur le bouton rouge de mon écran tactile. Mon portable en veille entre mes mains, je regarde le ciel tout en inspirant profondément avant d'expirer  : je m'efforce de me calmer. Je pense à Evan  : son visage m'apaise toujours. Il fait ressortir ce qu'il y a de bon en moi. C'est comme un pansement pour guérir mes plaies, en quelque sorte. Sa présence ou son souvenir rend tout beaucoup plus supportable et beaucoup moins important.

DE  : EVAN ✉
6:31 PM – Je peux te poser une question  ?

Curieux et soulagé par son message qui vient me distraire et me détendre, je réponds rapidement  :

À  : EVAN ✉
6:31 PM – Oui, vas-y.

Je reçois alors deux messages, coup sur coup. Mon ventre se tord délicieusement.

DE  : EVAN ✉
6:32 PM – Je sais que ça ne fait que 3 semaines que toi et moi on est ensemble. J'ai compris que tu ne veux pas aller trop vite avec moi et t'imagines pas à quel point je trouve ça adorable de ta part. Mais tu me repousses souvent, même si hier t'as un peu baissé ta garde. C'est plus facile de te dire tout ça par SMS parce que j'aurais été mort de honte en réalité mais, quand est-ce-que tu vas te décider  ? Je n'en peux plus. Je te désire tellement que j'ai l'impression de devenir dingue. J'ai besoin de toi comme ça.
6:33 PM – Réponds-moi sérieusement s'il-te-plaît. Sois honnête avec moi.

Je me mordille la lèvre, mes doigts survolant le clavier. Je me passe la main dans les cheveux ensuite, en soupirant, mal à l'aise même si je suis seul. D'un côté, je suis aussi soulagé que cette conversation se fasse par SMS  : autrement, je lui aurais certainement sauté dessus avant même de lui répondre.

À  : EVAN ✉
6:34 PM – J'en ai envie, tu sais. J'y pense beaucoup. J'ai fait ça avec pas mal de gars, des coups d'un soir, avant de te connaître. C'était juste... c'était rien. Je n'ai jamais fait ça avec quelqu'un qui compte pour moi, et j'ai pas envie de tout faire foirer en me précipitant. Et puis, vois le bon côté des choses, ça fait monter la pression ;)

Je joue la carte de l'humour pour enlever le côté sérieux et sensible de ce que je viens de lui envoyer. En attendant sa réponse, désormais frigorifié, je quitte la terrasse pour venir m'enfermer dans ma chambre. Je referme la porte derrière moi et me glisse sous ma couette après m'être délesté de mes vêtements polaires d'hiver. Mes volets entrouverts permettent à la lumière de la rue d'éclairer l'affiche de la lune au dessus de mon lit. Je la fixe d'un air absent.

Je pense à tous ces gars – ados ou adultes – que j'ai baisés au Monster lorsque j'étais trop défoncé pour prendre les choses au sérieux. Je ne compte plus le nombre de pipes que j'ai taillées au sous-sol sur les canapés en cuir rouge et je ne me souviens pas du nombre de gars que j'ai défoncés sur les draps en satin. Ce n'était que ça  : de la baise sauvage et violente, faite simplement pour prendre son pied et se vider les couilles. C'était agréable sur le coup, mais je me sentais toujours minable ensuite sur le chemin du retour lorsque j'y pensais.

Evan est différent à mes yeux et, en réalité, j'ai peur d'admettre que j'ai peur  : je n'ai aucune idée de comment faire l'amour à mon petit-ami pour la simple et bonne raison que je j'en ai jamais eu. Ni de petite-amie, d'ailleurs. Personne ne m'a retourné le cœur comme Evan. Personne ne croit en moi comme lui croit en moi. Et je n'ai aucune envie de faire foirer ce moment en me comportant comme un connard qui n'est bon qu'à baiser des gars en chien dans un club gay.

DE  : EVAN ✉
6:35 PM – Tu le penses vraiment  ?

À  : EVAN ✉
6:35 PM – Quoi donc  ?

DE  : EVAN ✉
6:35 PM – Je compte pour toi  ?

Au moment où je m'apprête à répondre, quelques coups sont frappés à la porte de ma chambre. Cette dernière s'ouvre sur maman.

- Vienes a comer  ? , me demande-t-elle.

- Non, je n'ai pas faim. Je vais dormir, je suis fatigué mamà.

- Oh. Buenas noches cariño.

Elle me souffle un bisou et je le lui rends, juste avant qu'elle ne referme la porte derrière elle. Ce n'était pas un mensonge : je n'ai pas faim et je suis vraiment fatigué. En réalité je suis épuisé : à cause de Boston, du froid, de ma séance de boxe au hangar et de l'humiliation de Skull.

À  : EVAN ✉
6:37 PM – Oui, Evan. Je tiens à toi et tu comptes pour moi. Tu me rends heureux, et je ne l'avais pas été depuis longtemps.

Il me rend heureux, c'est vrai. Les moments que je passe avec lui sont comme une échappatoire à ce monde de merde dans lequel je vis. Je ne pense à rien d'autre qu'à lui en sa compagnie et je ne me soucie plus de rien. Il est mon coin de paradis au milieu de tout cet enfer. Je suis heureux que le destin l'ait mis sur ma route.

À  : EVAN ✉
6:38 PM – T'es mon paradis au milieu de l'enfer, Evan.

Je tombe de fatigue sans avoir le courage d'attendre sa réponse. 

.   .   . #eastriverFIC 

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