CHAPITRE 2 - DIEGO

12.09.17,
Prison fédérale du Queens | QUEENS – 6:17 PM.

Je déteste venir ici mais, ça, je ne peux pas l'avouer. Je passerais pour une poule mouillée, ce que je ne suis absolument pas. Cela n'a rien à voir avec l'odeur, l'ambiance ou le bruit, loin de là. C'est simplement l'idée qu'un jour, certainement, ce sera moi de l'autre côté de ces portes blindées. Ça me fout le blues. J'aurais aimé que tout soit différent mais, malheureusement, ma vie est déjà tracée.

- Comment va maman  ?

Je serre les dents. Ma mère est la femme la plus exceptionnelle que je connaisse. Elle a toujours tout fait pour nous, s'est tuée le dos pour nous élever de la meilleure des façons qui soit, mes frères et moi. Nous ne sommes pas dignes d'elle. La seule personne dont elle puisse être fière, c'est Andrea – ma petite sœur.

- Tu oses me poser la question  ?

Le combiné dégoûtant contre mon oreille, je fixe Luis – de son vrai nom Luis Flores Junior – à travers le plexiglas crasseux du parloir.

- Parles meilleur, Diego.

- Je te parles comme je veux, hermano. T'as pas le droit de me demander comment va maman. Pas toi. T'as tout foutu en l'air.

C'est la vérité. Tout allait bien jusqu'au mois de mars. Je savais que Luis trempait dans des affaires pas nettes – comme tout le monde au quartier – mais jamais je n'aurais imaginé qu'il puisse intégrer de son plein gré le gang des AlasNegras, sans y avoir été contraint.

- Diego , il ricane, arrête de rejeter la faute sur moi.

- Tu te fiches de moi  ? Tu n'es qu'un enculé, Luis. Tu sais ce que maman vit depuis que t'es ici  ? Hein  ?! Elle n'ose même plus sortir de la maison  ! Des menaces, tous les jours  !

- Pendejo... , ricane-t-il.

- Es tu culpa  !

Oui, c'est de sa faute. Avant, tout allait bien. Mis à part le fait qu'on vivait à Brownsville, ça allait. On survivait et, même si papa a toujours fait partie des sales coups, on s'en sortait pas trop mal maman, Andrea, Abraham et moi. On se faisait discrets. Papa passait ses journées à fumer de l'herbe dans le hangar des AlasNegras et, désormais, je comprends que Luis était certainement avec lui. Tel père, tel fils.

- Il faut que tu me parles, Luis. Ils n'arrêtent pas de nous menacer, mais je n'y comprends rien. Qu'est-ce-que t'as foutu  ?

Je me sens plus seul que jamais  : les deux Luis de la famille sont en prison – le père et le fils, coffrés lors d'une même opération. Le boss des AlasNegras, Skull – c'est son surnom – n'a de cesse d'envoyer ses sbires nous terroriser. Enfin... terroriser maman. Moi, je n'ai pas peur. C'est étrange d'admettre que j'ai été élevé dans un environnement si dangereux que plus rien ne m'effraie désormais.

- Il est convaincu que c'est de ma faute si on s'est fait gauler par les flics. Tu le connais, c'est un malade. Les flics ont saisi toutes les armes et toute la came, il veut simplement tout récupérer.

Je hausse un sourcil. Le problème dans les histoires de gang, c'est qu'un rien prend très vite des proportions énormes. Je déglutis  : je comprends, là, que Skull ne nous lâchera pas de si tôt.

- Et Abraham dans tout ça  ? , je demande.

- Abraham  ? Es un maricòn. Il s'est tiré en floride avec sa meuf avant que Skull le recrute.

Je serre les dents. Abraham n'est pas une tapette, loin de là. Il a simplement été plus intelligent que nous tous  : il a fui, et il a eu raison.

- C'est terminé, messieurs.

Je lève les yeux vers le surveillant pénitentiaire, debout derrière Luis. Je hoche la tête avant de raccrocher le combiné. D'un côté je suis soulagé  : je commençais à m'énerver. Les discussions avec Luis me mettent toujours les nerfs en ébullition.

- Hasta luego, Diego.

Je lui lance un regard noir, en coin, et quitte la salle sans lui répondre. Arrivé dehors, je grimpe immédiatement sur ma moto. Mes muscles sont tendus, mes poings sont encore serrés, et je sens un monstre de colère gronder en moi. La clope au bec je démarre, quittant le parking de la prison dans un crissement de pneus.

Les AlasNegras. La famille Flores ne pouvait pas tomber plus bas.

X X X

Appartement n°4, HLM E, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 8:45 PM.

La chaleur de la journée est un peu retombée et je me sens mieux, là, à fumer ma cigarette accoudé à la rambarde du balcon. Les oiseaux chantent dans les arbres en bas de l'immeuble et on pourrait croire que c'est un quartier sans histoires, avant d'entendre les hurlements et les crissements de pneus à l'autre bout de la rue. Ce sont les sons habituels de la vie, ici, si bien que je n'y fais plus attention. C'est la routine.

Je jette mon mégot en contrebas et je le regarde tomber, les yeux vitreux. Je suis épuisé, pour la simple et bonne raison que je ne dors plus ces temps-ci. Je suis bien trop contrarié  : je pense à maman qui s'inquiète, à Andrea qui s'éloigne de plus en plus de nous, à Luis et aux AlasNegras.

Je pense à Skull, le big boss. C'est un type âgé d'une soixantaine d'années, bâti comme un joueur de catch américain. Contrairement à ce que j'imaginais quand j'étais gosse, il n'est ni tatoué ni piercé. Il est juste charismatique au naturel, et ça fait d'autant plus flipper. Il rôde autour de moi et j'en suis conscient  : mon père, Luis Flores, a fait – et fait encore - partie des AlasNegras, tout comme son fils aîné Luis Junior. Skull a tenté de recruter Abraham avant qu'il ne se barre en floride. Et, moi, je sais que je suis le prochain sur la liste. Et je sais aussi que, bientôt, je ferai aussi partie de tout ça. On ne peut dire non à Skull éternellement et j'ai déjà épuisé mes recours.

- Diego.

- Hola mamà.

Elle caresse affectueusement mon dos et mes reins, comme quand j'étais enfant, et ça me fait du bien. Ma mère est la femme de ma vie, et la savoir aussi malheureuse à cause de notre situation me brise le cœur. Parfois – tout le temps – je me sens plus bas que terre.

- Tu as vu Luis  ?

- Oui. Il va bien.

Je n'ai pas réellement envie de parler de Luis. C'est un connard. Tout comme je n'ai pas non plus envie de parler de papa. Même si je sais que leur choix a été forcé – d'une façon ou d'une autre – je leur en veux. J'ai honte de leur en vouloir  : moi aussi, bientôt, je serai un des leurs.

- Bien.

On ne parlera pas de papa ce soir et j'en suis heureux  : lui aussi c'est un connard. J'inspire profondément.

- Tu sais qu'Abraham est en floride  ? , elle hausse un sourcil perplexe. Luis m'a dit qu'il s'est enfui avec sa copine. Skull a voulu le recruter.

Elle baisse la tête et, un court instant, je crois même qu'elle va s'effondrer. Mais, au contraire, elle se ressaisit et reste bien droite. Ma mère est une femme forte et je l'admire pour ça.

- Bien.

- Je suis désolé, mamà.

- No seas.

- Si. Skull m'attend, mamà. J'ai déjà refusé plusieurs fois mais tu sais comment c'est... il a menacé de s'en prendre à Andrea si je ne me range pas de leur côté. Je suis désolé, mamà, vraiment désolé...

Je craque, même si je ne le devrais pas. Je devrais me montrer fort, me tenir droit les yeux rivés sur l'horizon mais, là, j'en suis incapable. On ne se sortira jamais de cette merde et j'en suis conscient. J'ai résisté jusqu'au dernier instant, vraiment. J'ai toujours décliné les propositions de Skull mais, dès l'instant où il s'est approché un peu trop près d'Andrea, j'ai su que j'étais fichu  : parce que c'est ma petite sœur et que je me dois de la protéger.

- Mirame , je lève les yeux vers maman tandis qu'elle pose ses mains sur mes joues. Je sais tout ça, Diego. Je ne t'en veux pas. C'est terrible à dire, mais je préfère ça plutôt que vivre dans la peur qu'on vous fasse du mal.

- Mais...

- Non, laisse-moi parler. Chez les AlasNegras tu seras respecté, et tu pourras nous protéger. Si tu ne te joins pas à eux, Dieu sait de quoi ils sont capables. Je ne t'en veux pas. Tu seras toujours mon fils, quoi qu'il arrive. Entiendes  ?

- Si, mamà.

Elle m'embrasse sur le front et je ferme les yeux. C'est agréable et ses mots me rassurent  : elle ne m'en veux pas même si je sais qu'elle a peur pour moi. Elle a le sens des priorités même si, à Brownsville, les priorités ne sont pas toujours les plus judicieuses.

Je me libère doucement de son étreinte pour retrouver ma chambre. Quand je referme la porte derrière moi, je me sens aussitôt dans ma bulle. La pièce sent la beuh et le déodorant, il fait chaud, c'est le bordel, mais c'est chez moi. Planté au beau milieu de mon bazar, je quitte mes vêtements  : j'envoie valser mes pompes contre un mur, mon jean troué et trop large tombe à mes chevilles, et mon t-shirt finit sa journée dans la corbeille à linge sale qui déborde depuis deux semaines. Puis, après avoir enfilé un sous-vêtement propre, je me laisse tomber sur mon lit.

Les yeux rivés aux plafond, pensant au flingue que je planque sous mon oreiller, je fixe ce poster immense qui représente la lune. Tout simplement. Rien de moins et rien de plus que la lune, pleine et dorée, dans un ciel étoilé.

La plupart des gamins du quartier finissent au chômage, en prison ou, pire, morts. Aucun ado ne se donne la peine de s'imaginer un avenir digne de ce nom, conditionné depuis trop jeune à l'idée qu'il vient de la cité et qu'il n'arrivera à rien. Il faut croire que je suis différent  : j'aime étudier et, aussi inaccessible soit-il, j'ai un rêve  : devenir astrophysicien. C'est mon secret. Personne ne le sait, pas même maman. Si j'étais un gamin aisé de Manhattan, je pourrais réussir  : je récolte toujours les notes maximales en matières scientifiques. Mais comme je le dis si bien  : je pourrais. Hypothétiquement.

Sauf que je ne suis qu'une racaille de Brooklyn et que, d'ici la fin de la semaine, je serai officiellement membre des AlasNegras.

.   .   . #eastriverFIC 

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