CHAPITRE 16 - DIEGO
28.10.17,
Quelque part dans les rues... | BROOKLYN – 6:52 PM
J'apprécie en silence sa présence et la caresse de ses doigts sur mon genou, par dessus mon jean. On dévale les avenues et boulevards de Brooklyn en direction de Brownsville, mais je ne pense à rien d'autre que lui. C'est étrange pour moi d'être là, dans sa voiture de riche, à me laisser papouiller comme si on était ensemble depuis des années déjà. Je n'arrête pas de me dire qu'on a carrément l'air d'un vrai couple, là, et ça me fait sourire un peu.
D'un côté je suis heureux : on a parlé, on s'est embrassés et, là, je sais que nous formons un genre de couple secret. Je suis heureux parce que je n'arrive pas à lui résister et que, pour une fois, ça me fait du bien de lâcher prise et de ne penser qu'à moi. Mais de l'autre côté, je me sens aussi coupable et honteux : je n'aurais jamais dû craquer.
J'avoue que j'ai flippé. Quand il a bluffé – j'y ai réellement cru – en me disant qu'il allait partir et que je devais l'oublier, j'ai vraiment eu peur. Comment pourrais-je l'oublier, tirer un trait sur lui ? Il hante mes pensées depuis des semaines. L'idée de devoir passer à autre chose m'a tiraillé le cœur. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander de rester. Ce qui a suivi ce moment là, je ne l'oublierai jamais.
Je n'ai pas eu le courage de lui mentir. Lorsqu'il m'a posé la question tant redoutée, je me suis senti obligé de lui dire la vérité. Parce qu'il s'agit d'Evan et que je ne veux rien lui cacher. Là, assis dans sa voiture, j'ai l'impression de sentir encore la chaleur et l'humidité de sa bouche sur la brûlure au creux de mes omoplates. À cet instant précis où il y a déposé un baiser, j'ai failli pleurer : j'ai compris qu'il m'accepte tel que je suis et qu'il n'a pas peur ni honte de moi. En réalité, je ne le mérite pas.
- Je te dépose où ? , demande-t-il tout bas.
- Heu... là, ça ira.
Il se gare le long du trottoir devant une boulangerie, à une centaine de mètres de l'entrée de Brownsville. Je soupire. Sa main a quitté mon genou pour venir rétrograder les vitesses. Je tourne la tête pour le regarder, en silence. Je n'ai aucune envie de descendre de cette voiture.
- On se revoit bientôt ? , demande-t-il.
- Lundi ? J'ai des trucs à faire, demain.
Il fronce les sourcils et je comprends qu'il a envie d'en savoir plus. Or, je n'ai pas envie de lui expliquer : il s'agit de trucs de gang, et je n'ai en aucun cas envie qu'il soit au courant.
- D'accord.
Il me sourit, un peu, gêné. Mes yeux glissent de son visage à son torse. Je souris quand je vois sa veste en jean, fermée jusqu'au cou, pour cacher son t-shirt déchiré. Un sourire sournois étire mes lèvres et je pose ma main sur son genou. Je la fais remonter jusqu'à sa cuisse. Il se tourne vers moi pour me faire face. Mon cœur s'emballe quand je vois qu'il se mordille la lèvre.
- Désolé pour ton t-shirt , je m'excuse amusé.
- T'inquiète.
Je me penche pour l'embrasser. Ses mains se perdent aussitôt dans mes cheveux, sur ma nuque, et j'adore ça. Pressé, je force le passage de ses lèvres avec le bout de ma langue. Nos deux morceaux de chair se trouvent finalement et commencent à danser ensemble. Ma main presse sa cuisse, sans que je ne le contrôle vraiment, parce que je le désire. Mon corps s'embrase en un quart de seconde, surtout quand sa main droite vient glisser le long de mon torse par dessus mon t-shirt.
- Je dois y aller...
Je met fin au baiser avant que ça ne devienne trop torride. Je le sens sourire, timide, contre mes lèvres. Mon cœur loupe un battement : je craque totalement pour lui.
- OK. À plus alors.
- Oui. J'essaie de t'appeler demain.
Il me sourit en guise de réponse et vient me voler un petit baiser chaste sur les lèvres, avant de se reculer un peu. J'effleure sa joue du bout des doigts avant de quitter le véhicule.
Je le regarde s'éloigner en direction de Manhattan.
X X X
Appartement n°4, HLM E, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 10:42 PM.
Je suis passé au hangar avant de rentrer à la maison. Comme toujours, Skull est resté enfermé dans son bureau à passer des coups de téléphone tandis que les gars vaquaient à leurs occupations habituelles. J'ai profité de ce moment pour cogner un peu dans le sac de boxe que Luis avait fait installer, quelques années auparavant. Cela m'a permis d'évacuer un peu tout : ma colère d'avoir craqué et d'avoir enfin dit « oui » à Evan, ma haine au souvenir de ma conversation avec le professeur Powell à propos d'Harvard. Mes poings ont cogné pendant près d'une trentaine de minutes et, là, je me sens enfin un peu plus détendu.
Assis sur la terrasse, sur une chaise bancale, je regarde les quelques étoiles dans le ciel tout en tirant une taffe de ma cigarette roulée. Le tabac qui entre dans ma bouche pour finir dans mes poumons, la fumée en fait, me fait du bien. Je ferme les yeux quand je tire une nouvelle taffe. Le grincement de la porte vitrée en train de s'ouvrir me sort de mes pensées. Andrea s'installe sur une chaise à côté de moi.
- Hey , dit-elle tout bas.
- Hey.
Je lui tends la cigarette. Je la regarde faire tandis qu'elle tire une taffe : ses cheveux mouillés tombent ondulés sur ses épaules et elle sent une agréable odeur d'agrumes. Elle porte son pyjama : un short de sport et un t-shirt à moi bien trop grand pour elle. Je souris. Je suis fier d'être son grand frère : elle est magnifique.
- Ça va ? , demande-t-elle.
- Oui, pourquoi ? , je me méfie.
- C'était qui ce gars cet après-midi ? T'as disparu pendant des heures, après.
Je la regarde. Je sais qu'elle était ici, à la maison, lorsqu'Evan s'est pointé. Elle a certainement assisté à toute la scène en direct depuis le balcon. Je m'efforce de rester calme.
- C'est un ami du lycée.
Je baisse les yeux sur mes chaussures, honteux. Ami. Un ami que j'embrasse et que je ne peux m'empêcher de toucher. J'ai envie de rire, mais je me retiens. Un sourire débile menace d'étirer le coin de mes lèvres au souvenir de notre embrassade torride sur le capot de sa voiture.
- Ah. Et... il a une copine ?
Je lève un sourcil et détaille Andrea du regard. Je jurerais pouvoir voir ses joues rougir. Je remarque aussi ses doigts, qu'elle craque nerveusement sur ses cuisses. Inexplicablement, je serre les dents et lutte pour ne pas m'emporter : j'ai compris.
- Pourquoi ? , je demande malgré tout.
- Il est mignon.
Dios. Oui, il est mignon. Mais il est aussi beaucoup plus que ça. Ma jambe commence à remuer nerveusement : je suis clairement jaloux et possessif. Et je n'assume pas.
- Si tu le dis , je m'efforce de rester naturel.
- Il a une copine alors ou quoi ? , s'intéresse-t-elle.
- Oui. Laisse tomber, Andrea.
Je n'ose pas la regarder : j'ai l'impression qu'elle pourrait lire en moi comme dans un livre ouvert si elle croisait mon regard. Du coin de l'oeil, je la vois hausser les épaules alors qu'elle recrache un peu de fumée.
- Bon... après tu me diras, c'est pas parce qu'il y a un gardien qu'on ne peut pas marquer de buts.
Je ferme les yeux. L'idée qu'elle puisse s'intéresser à lui, de quelconque façon, me contrarie. Je sais qu'il n'en aurait rien à faire d'elle, mais le fait que quelqu'un d'autre s'intéresse à lui me fout la rage. Bon sang, qu'elle se taise.
- N'importe quoi , je pouffe nerveusement de rire.
- Bah ? Bien sûr que si. Comment il s'appelle ? Je vais essayer de le...
- Evan ! Il s'appelle Evan ! Et crois-moi tu ne vas rien faire du tout parce qu'il est à moi ! Alors càllate maintenant !
Je me mords violemment la lèvre pour ne pas continuer à hurler. Encore une fois, j'ai perdu mon calme. Je me sens stupide quand je vois la bouche d'Andrea former un parfait « o » de choc et de surprise : elle ne s'y attendait pas, et moi non plus. Je n'ai pas imaginé une seule seconde pouvoir tout lui avouer, là, comme ça. Je me sens comme une merde. Je ne sais plus où me mettre. Finalement, je me lève pour m'enfuir.
- Diego... qu'est-ce...
- Tu as très bien entendu. T'as intérêt à le garder pour toi, sinon je t'étrangle.
La porte de la baie vitrée et celle de ma chambre claquent après mon passage. En colère, je me laisse tomber sur mon lit. Je me prends le visage entre les mains ensuite, tout en soupirant de désespoir : je suis stupide. Je hais mes sautes d'humeur et je me déteste d'être incapable de garder mon calme. Désormais, Andrea est au courant. Je lui fais confiance, je sais qu'elle ne dira rien à qui que ce soit, mais je ne voulais pas que ça se sache. Je ne suis même pas à l'aise moi-même avec le fait d'être gay. Quelle merde.
Allongé sur le dos, les mains croisées sous ma nuque, je regarde le plafond. Je fixe cette affiche énorme de la lune accrochée juste au dessus de mon visage : c'est joli. J'ai un peu l'impression d'être dans les étoiles, ailleurs, comme si cet univers dans lequel j'évolue depuis petit n'existait plus. Deux petits coups discrets frappés contre ma porte me ramènent à la réalité.
- Quoi ? , je grogne.
Andrea passe sa tête dans l'entrebâillement de la porte, une petite moue désolée sur les lèvres. Je lui fais signe d'entrer. Dans l'obscurité de la nuit, malgré la lumière des lampadaires de la rue qui perce à travers ma fenêtre, elle se prend les pieds dans quelques unes de mes affaires. Puis, doucement, elle vient s'installer sur le lit à côté de moi. Assise en tailleur, elle me fait penser à Buddha.
- Je voulais pas t'énerver , s'excuse-t-elle d'une petite voix.
- Je sais. J'aurais pas dû réagir comme ça non plus.
On se regarde un instant sans rien se dire, avant que je ne revienne regarder la lune accrochée à mon plafond. Je ne pense à rien à cet instant précis, pas même au gang ni à Evan. Je suis comme dans les étoiles.
- Tu sais... , commence-t-elle tout bas. J'ai jamais osé te poser la question, mais je m'en doutais un peu.
Je viens la regarder, sérieux. Elle me sourit un peu, gênée, et je remarque qu'elle caresse mes doigts avec les siens. Elle vient me donner la main ensuite, et mon cœur se réchauffe. Malgré tout, je fronce les sourcils.
- De quoi tu parles ?
- De toi. Gay.
Je roule des yeux et tout mon corps se crispe. Je sais qu'il s'agit de ma sœur et que je n'ai aucune raison d'être mal à l'aise ni aucune raison de me sentir menacé, mais c'est le cas. Je m'efforce de rester calme, et je l'écoute.
- Comment ? , je demande.
- Je t'ai jamais vu avec une fille. Et tu me disais toujours que c'étaient des plans cul. Et... je sais pas. T'es pas comme tous les autres gars à parler de gonzesses et de fesses tout le temps alors... j'avais quelques doutes, mais j'aurais jamais cru que...
- Je te dégoûte ? , je la coupe.
- Quoi ? Non ! Je suis juste... surprise.
Je la fixe, pour essayer de voir si elle est sincère ou pas. Je crois qu'elle l'est, parce qu'elle me sourit de cette façon adorable qui me fait craquer. J'ouvre mon bras pour qu'elle vienne y poser la tête, allongée contre moi désormais. Elle pose une main sur mon ventre et se blottit contre moi.
- Tu n'as pas peur... ? , me demande-t-elle.
- De ?
- Du gang. Ils aiment pas trop les... gays, tu sais.
- Je sais, oui. C'est pour ça que je compte sur toi pour ne rien dire.
- T'inquiète pas, tu peux me faire confiance.
Je dépose un baiser sur son front. Les battements de mon cœur redeviennent réguliers, peu à peu, et ma respiration se calme. La pression retombe et, là, je suis si paisible que je pourrais presque m'endormir. Dans la panique qui a suivi ma révélation, désormais c'est le soulagement. Pouvoir parler de ça avec quelqu'un me fait du bien.
- Alors... il s'appelle Evan, c'est ça ?
- Mhmh.
- Parle-moi de lui. Comment vous vous êtes rencontrés ?
- Tu te souviens du pendejo qui a renversé ma moto sur le parking ? , je souris en coin.
- Jure ?! Ohlala.
Je ricane. En fait, nous ricanons tous les deux. Mon cœur s'emballe au souvenir de ce moment : il était terrorisé, je le sais, mais cela ne l'a pas empêché d'être audacieux et de me tenir tête. Je crois qu'il a commencé à m'intriguer à ce moment là.
- Et... vous êtes ensemble ? , me demande Andrea.
- Oui. Enfin... oui, même si on ne peut pas se comporter comme un couple lui et moi.
- Pourquoi ?
- Je ne peux pas m'afficher avec lui. Pas parce que j'assume pas, mais parce que... c'est compliqué, tu le sais. Le gang, tout ça... être gay à la cité, c'est la merde. J'ai pas envie d'en prendre plein la gueule et j'ai pas envie qu'il lui arrive quelque chose aussi. J'préfère le préserver de tout ça.
Je le pense réellement. Si lui et moi étions du même monde – le sien bien évidemment – je n'aurais aucune honte à me montrer en public avec lui, lui tenir la main au lycée ou l'embrasser devant tout le monde. Sauf que nous ne sommes pas du même monde et je préfère que personne ne sache. Du moins, personne sauf Andrea désormais.
- Il a de la chance de t'avoir.
Je n'en suis pas si sûr, mais je décide de ne pas répondre. A-t-il vraiment de la chance de m'avoir ? Je tiens à lui, c'est vrai. Mais je continue de penser qu'il mériterait mieux. Il devrait plutôt s'intéresser à un garçon qui peut lui offrir ce qu'il veut, un garçon qui n'a pas de problèmes dans sa vue plutôt que moi. Je ne sais même pas ce qu'il me trouve, en réalité.
- Je vais me coucher, m'annonce-t-elle. Et t'en fais pas, je dirai rien.
Elle me claque un baiser sur la joue avant de se lever. Je la regarde quitter la chambre et, après avoir entendu la porte de sa chambre se refermer, je m'autorise enfin à me détendre. Je retire mon t-shirt et mon jean que je laisse traîner au pied du lit, avec chaussettes et boxers sales – j'avoue c'est très peu hygiénique – et je soupire.
Quand mon téléphone vibre sur mon lit une trentaine de minutes plus tard, alors que je commence à m'endormir, je me précipite dessus. Evan. Je tape le code sur l'écran tactile pour le déverrouiller et clique sur l'icône des messages. Un MMS. Une photo. Je manque de m'étouffer. Il n'y a pas de texte, juste un petit émoji bisou et un croissant de lune pour me souhaiter bonne nuit. Aussitôt, je sens mon bas-ventre se réveiller.
Evan dans son bain, totalement nu. Bien évidemment, je ne distingue rien de ses parties intimes à cause de la mousse. Je souris : il est assez malin pour ne pas m'envoyer un nude total. Malgré ça, j'apprécie ce que je vois : sa peau assez pâle, le haut de ses abdominaux finement dessinés, ses jambes légèrement poilues, ses bras et son visage adorable. Je me sens bander quand j'imagine ses lèvres partout sur moi et je craque en fixant ses beaux yeux noisette : là, j'ai l'impression qu'il me regarde et me nargue à travers l'écran de mon téléphone. C'est terrible.
Puis, même si ce n'est pas mon genre, j'allume ma lampe de chevet. Un sourire totalement débile placardé sur le visage, je clique sur l'application d'appareil photo. Le cœur battant à tout rompre, je décide de faire une photo bien plus aguicheuse que la sienne. Collé contre mon menton, allongé sur le dos, la caméra est braquée sur mes abdominaux musclés et mes cuisses. De ma main libre, j'abaisse légèrement un côté de mon boxer dans le but de le frustrer – je l'avoue : on voit désormais quelques poils juste au dessus de ma virilité qui, elle, reste bien cachée. J'appuie sur le bouton pour prendre la photo.
✉ À : EVAN ✉
11:36 PM – Fais de beaux rêves.
Finalement, je tombe de fatigue avant même d'obtenir une réponse.
X X X
29.10.17,
Hangar des AlasNegras, Quartier de Brownsville | BROOKLYN – 5:20 PM.
Je reste silencieux, comme à peu près tout le monde ici. La chaleur m'assomme, je sue comme pas possible. On est une trentaine, entassés dans ce hangar défoncé qui nous sert de QG. Nous formons un cercle autour de cette chaise sur laquelle, quelques semaines plus tôt, j'étais assis. Je vais enfin savoir ce qui m'est arrivé. Je déglutis.
- Amigos, laissez-moi vous présenter Wayne.
Je regarde le dit Wayne. Assis sur la chaise, comme je l'ai été, ses poignets sont accrochés aux accoudoirs avec du scotch marron de travaux. Un morceau recouvre également sa bouche. Ses pieds qui, eux, ne sont pas attachés, sont tranquillement posés sur le béton poussiéreux. Il semble relativement calme.
Pas loin de nous, un feu crépite dans un vieux barbecue de jardin. Les flammes montent haut vers le plafond, ce qui n'arrange en rien la chaleur ambiante. Dans les flammes, je distingue ce fichu morceau de fer : ma brûlure se met à me gratter étrangement.
- Vous ferez plus ample connaissance plus tard. Pour l'heure, il est temps d'enseigner le code à notre nouvelle recrue.
Je suis surpris par le calme plat de ce Wayne. Skull lui tapote l'épaule, un sourire répugnant sur les lèvres, mais il ne dit rien. Je ne le vois même pas bouger un doigt. Je profite d'un court instant de battement pour l'observer : une barbe assez bien fournie mais pas énorme, des cheveux bruns épais, des lèvres fines et une peau marquée. Il semble avoir environ la quarantaine, peut-être un peu moins. Son torse nu est musclé et ses abdominaux sont marqués. Ses cuisses sont bombées, musclées elles aussi. C'est un homme solide. Si Evan ne hantait pas mes pensées, je pourrais presque le trouver séduisant.
- Wayne. Tu as tout intérêt à retenir ce que mes gars ont à te dire , annonce Skull. C'est parti.
J'ai la pression. Ce putain de code, j'ai l'impression qu'ils me l'ont rentré dans le crâne à coups de marteau. Chaque jour, il tourne dans ma tête comme une mauvaise chanson du Top 50. En cœur, nous les gars de Skull, nous récitons :
Loyal tu seras.
Honnête tu seras.
L'Organisation tu ne voleras pas.
Au Chef tu obéiras.
Pour protéger le Chef tu mourras.
En prison tu te tairas.
Aucun frère tu ne tueras.
Aucun citoyen tu n'offenseras.
Je ferme les yeux quand le récit se termine, car l'écho se répercute encore sur les parois métalliques du hangar. J'ai les frissons. Scandé à haute voix comme si c'était l'hymne nationale, ça nous galvanise tous.
- Wayne ? , chantonne Skull.
- Loyal tu seras, honnête tu seras...
J'écarquille un peu les yeux, surpris par l'aplomb dont fait preuve ce type. Il répète le code avec calme, comme s'il le connaissait depuis des années et que c'était devenu une habitude. Il ne fourche pas sur un seul mot et, confiant, vient lever les yeux sur Skull lorsqu'il a terminé. Je remarque que ce dernier tique, pinçant nerveusement les lèvres.
- Bien. Nous pouvons passer à la deuxième étape.
En général, lorsqu'un nouveau foire le récit du code, il se récolte quelques coups dans la gueule par des types choisis au hasard par Skull. Mes souvenirs sont flous, mais il me semble avoir bloqué sur le cinquième point.
Je me crispe quand je vois Skull se munir du fer rouge avec un gant noir de cendre. La plupart des gars regardent la scène avec passion et grand intérêt. Pour ma part, j'ai juste envie de me barrer de toute cette merde. Ma brûlure me pique, c'est à devenir fou, et mon estomac semble se retourner quand j'entends le cri étouffé de Wayne, alors que Skull abaisse les ailes brûlantes sur sa peau, au creux de son dos. Je ne vois pas sa peau en train de brûler, mais je vois la fumée remonter en de petites volutes au dessus de sa tête. Et, encore une fois, je suis surpris de voir à quel point il garde son calme : son petit cri était un cri de surprise. Si ses muscles tendus ne trahissaient pas sa douleur, on pourrait presque croire qu'il encaisse plutôt bien.
- Et pour finir, troisième étape, annonce Skull en laissant tomber le fer rouge au sol. Pour commencer... Miguel, Jose et Diego.
Je le déteste. Je ne peux m'empêcher de lui lancer un regard noir : il sait très bien que je suis le meilleur à ce jeu là. Tabasser quelqu'un ? C'est la seule chose que je réussis dans ma vie. En revanche, je ne me vois pas foutre sur la gueule à ce pauvre Wayne sans raison. Les jambes tremblantes, je m'avance vers la chaise. Miguel, en bon bras droit de Skull, détache les mains de la nouvelle recrue et l'empoigne par les cheveux pour le jeter au sol.
Quand Jose commence à frapper, d'abord avec le pied, j'attends de voir comment le type réagit. Il semble vouloir se relever, mais Miguel lui envoie son poing dans la mâchoire. Quand je regarde autour de moi, je remarque Skull qui me fixe. Je sais : « si tu ne le tabasses pas c'est moi qui vais te tabasser ». Finalement, comme un lâche, j'obéis. Je m'efforce de penser à quelque chose d'horrible pour entrer dans ma bulle et, là, le visage de papa m'apparaît. Et je pète les plombs.
Je ne suis plus moi-même, tellement que je ne réalise même pas que le pauvre Wayne est déjà inconscient.
X X X
Le hangar est désert. Skull est rentré chez lui retrouver sa femme et Dgina, et je me sens stupide. Mes poings saignent, à force d'avoir trop tapé sur Wayne et sur ce fichu sac de boxe. Le revêtement en cuir de ce dernier est en train de se déchiqueter par endroits, tant il est usé par la force de mes coups. Je craque par terre, une salive au goût amer, avant de recommencer à cogner : cette fois, c'est le visage de Skull que je vois.
- Merde...
Je me stoppe net quand j'entends une plainte, loin derrière moi, et le bruit sourd d'une masse qui s'écroule au sol. Quand je me retourne, torse nu et la peau luisante de sueur, je vois Wayne. Près d'une heure s'est écoulée depuis la fin de son initiation et il n'émerge que maintenant. Mon ventre se tord. Je bois une gorgée de bière avant de trottiner vers lui, une bouteille d'eau dans la main.
- Attends, tiens.
Je suis trop gentil, et je le sais. Quand je me suis réveillé dans le même état – voire pire – que lui, personne n'était là pour me rassurer et me donner à boire. Je me suis démerdé tout seul, mais c'était le pire moment de toute ma vie : souvenirs flous, j'avais le sentiment de ne même plus savoir qui j'étais. Je m'accroupis près de lui, alors qu'il rampe au sol pour venir s'asseoir.
- Bois un peu d'eau.
Je lui souris tristement, en une petite moue, alors qu'il me lance un regard méfiant. Son torse est recouvert de bleus, et je ne peux m'empêcher de remarquer cette chose que j'adore chez les hommes : cette ligne verticale de poils bruns qui trace à travers ses abdominaux jusqu'à se perdre dans son jean, jusqu'à son sexe.
- Comment tu te sens ? , je demande.
- Très bien.
D'un geste brusque, il vient prendre la bouteille d'eau que je lui tends. Il la vide en seulement quelques gorgées avant de la jeter par terre. Je le regarde faire tandis qu'il se relève, non sans difficulté. Je trottine pour lui jusqu'à l'autre bout du hangar pour récupérer son t-shirt, que Skull avait laissé sur le sofa défoncé.
- Merci.
- De rien.
Il l'enfile, et je vois à ses gestes qu'il a mal même s'il ne le dit pas. Je sais à quel point les côtes peuvent être douloureuses, tout comme l'estomac. Par chance, son visage n'est pas aussi amoché que je ne l'aurais imaginé.
- Tu... toi c'est Wayne, c'est ça ?
- Ouais.
Il me regarde d'un air ahuri, comme si le fait que je sois là à lui parler l'étonnait. Je hausse les épaules et fais la moue. Puis, finalement, je lui tends la main pour la serrer :
- Moi c'est Diego.
- Flores ? , il lève un sourcil.
- Ouais.
Ce regard qu'il me lance est vraiment étrange : j'ai l'impression qu'il se méfie et qu'il me déteste déjà, alors qu'on ne se connaît pas et que nous sommes dans la même merde. Je suis surpris qu'il connaisse déjà mon nom.
- Enchanté.
Contre toute attente, il serre mes doigts dans une poignée de main vigoureuse. Décidément, ce type est hyper bizarre.
. . . #eastriverFIC
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