CHAPITRE 13 - EVAN
27.09.17,
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 11:58 PM.
- Evan, mon chéri, viens me voir !
Ma mère est assise sur le canapé de notre bel appartement, les yeux rivés sur une chaîne de musique classique tandis qu'elle tapote sur les touches de son ordinateur. Le cœur en vrac, le cerveau à l'envers, je grogne :
- Pas maintenant, maman.
Sans rien dire de plus, je pars m'enfermer dans ma chambre. Je me laisse glisser contre la porte, que je viens de verrouiller à double tours pour m'assurer que ma mère ne viendra pas me surveiller : elle me connaît plus que n'importe qui d'autre et je sais, là, qu'elle a certainement entendu à ma voix que quelque chose n'allait pas.
- Evan ? Tout va bien ?
Je l'entends murmurer, tout bas pour ne pas réveiller papa, tandis qu'elle frappe tout doucement à ma porte. Pour une raison que j'ignore, des larmes silencieuses commencent à rouler sur mes joues. Je n'essaie même pas de les retenir.
- O-oui ça va, maman.
- Tu es sûr mon chéri ?
- Oui. Tout va bien.
Je me fais violence pour parler d'une voix la plus normale possible, mais c'est difficile : ma gorge est étranglée par les sanglots que je me force à retenir. J'entends des pas dans le couloir, signe qu'elle s'en retourne au salon. J'inspire profondément avant d'expirer, pour me calmer. Je suis chamboulé.
Je n'avais pas passé une aussi belle soirée depuis longtemps. Contrairement à ce que j'avais imaginé et contrairement à ce que tout le bahut semble penser, la compagnie de Diego est très agréable. J'ai découvert en lui un garçon délicat et intelligent, et j'apprécie beaucoup. Je n'aurais aimé que cette soirée se termine pour rien au monde. J'aurais pu rester dans Central Park toute la nuit s'il l'avait voulu. Je n'avais aucune envie de le quitter.
Quand je ferme les yeux pour empêcher mes larmes de déception de couler encore, j'ai l'impression de vivre à nouveau ce moment où on s'est laissés aller : ses mains sur mon dos étaient délicieuses, tout comme ses lèvres sur mon cou. Je n'arrête pas de me demander ce qui serait arrivé si ce type ne nous avait pas interrompus. Même si nous étions au beau milieu de Central Park, exposés à la nuit, je suis conscient d'avoir eu envie de beaucoup plus.
Un frisson me remonte sur la nuque. J'ai flippé. Quand Diego s'est mis à fracasser le visage de ce type, j'ai vraiment cru qu'il allait le tuer. Je ne sais pas où j'ai trouvé le courage de me jeter sur lui pour l'en empêcher : n'importe qui d'autre aurait certainement pris la fuite.
Après quelques minutes passées assis contre ma porte, je décide de me lever. Les jambes engourdies, je marche jusqu'à mon placard pour en sortir un boxer ainsi qu'une serviette de bain propre. En seulement quelques secondes, je me retrouve dans ma douche sous l'arrivée d'eau chaude. Je soupire.
J'aime ces douches que je prends le soir, avant d'aller dormir, quand je ne me sens pas bien. Même si je ne réfléchis pas forcément au sens de la vie comme le font certaines personnes, cela me permet de faire le point. En fait, je fais le vide. Je ne pense plus à rien. C'est simplement un moment de calme et de silence. J'apprécie l'eau chaude et douce qui coule sur mon corps. Avec mes mains, je viens shampooiner mes cheveux et savonner ma peau.
Sous le pommeau de douche, frottant mon ventre pour rincer la mousse, je me rends compte que ma main dérive. Humide, mon sexe glisse avec facilité au creux de mes doigts. La bouche entrouverte, yeux fermés, je commence ainsi à me toucher : j'imagine que ce sont les doigts de Diego, ces doigts qui ont si bien caressé mon dos il y a près d'une heure désormais. Je vois ses yeux gris comme la lune, sa bouche pulpeuse et ses mains calleuses. Je vois aussi ses tatouages et la couleur légèrement basanée de sa peau si chaude. Même s'il n'est pas là, à cet instant précis, j'ai comme l'impression de sentir la tension de son corps et la masse de ses muscles.
Quand je viens m'écrouler sur mon lit, une quinzaine de minutes plus tard, mon entrejambe me fait délicieusement souffrir à cause de la jouissance. Allongé sur mes draps, simplement vêtu d'un boxer, je fixe le plafond de ma chambre en faisant tourner entre mes doigts un morceau de tissus rouge : son bandana. J'ai honte de le lui avoir dérobé dans la poche de sa veste tandis qu'il conduisait sa moto, et j'ai d'autant plus honte quand je réalise que je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ça.
Je viens humer son odeur, mon nez enfoui au creux des plis de ce simple tissus abîmé. Il sent son odeur : un mélange de sueur, de déodorant et du parfum naturel de sa peau. J'ai l'impression que mon estomac est rempli de papillons à cet instant là, tant son odeur me fait du bien.
Je pensais tout ce que je lui ai dit : oui, il me plaît et oui, je me sentais bien avec lui. J'ai tout aimé de cette soirée, même si elle s'est mal terminée. J'ai adoré l'entendre m'expliquer la Galaxie d'Andromède parce que, pour la première fois, j'ai vu des étoiles dans ses yeux et un beau sourire sur son visage. Sur le coup je n'ai pas osé lui dire que ça ne m'intéressait en aucun cas et que je n'y comprenais pas grand chose à tout ça, mais je l'aurais laissé parler pendant des heures s'il l'avait souhaité, rien que pour voir cet éclat dans ses yeux.
Quand je me glisse sous ma couette, en position foetale, et que je viens enfouir mon nez contre son bandana que je tiens contre mon visage, je pense à notre au revoir sur le trottoir. « J'peux pas Evan ». Je sais pourquoi : parce qu'il est lui, et que je suis moi. Parce qu'on ne vient pas du même monde. Parce que c'est un gars des quartiers et que je suis fils de policier.
Mais « je ne peux pas » ne signifie pas pour autant « je ne veux pas ». Une lueur d'espoir me réchauffe le cœur avant que je ne tombe de fatigue.
X X X
28.09.17,
East Side Community High School | MANHATTAN – 12:25 PM.
Léa s'étant absentée pour déjeuner avec sa mère, je me retrouve assis à la table de Lily : celle des cheerleaders et du trio inséparable de footeux. Le soleil tente de percer à travers les nuages mais, même s'il fait sombre aujourd'hui, il ne fait pas froid. En fait, j'étouffe. Je ne porte qu'un t-shirt et j'ai l'impression d'être en train de mourir de chaud. C'est peut-être l'effet que me fait Diego.
Je regarde ce qui se passe autour de moi sans vraiment m'y intéresser : Cody a passé son bras autour des épaules de Lily et ne cesse de la complimenter sur ses jolis yeux et la douceur de ses cheveux. Je trouve adorable cette façon qu'il a de tenter de la draguer, parce que c'est maladroit. En revanche, je me surprends à penser qu'ils feraient un joli couple tous les deux. Lily a l'air de bien l'aimer aussi : elle rougit. Tandis que les filles parlent de potins et de faux ongles, Emmett et Kyle refont le monde en s'imaginant déjà remporter le championnat.
- On est en septembre ! Calmez-vous.
Lily tape dans l'épaule de Kyle qui est assis à sa gauche. Je souris sans grande conviction en voyant le regard amusé que me lance ma cousine. Tous ici m'apprécient et essaient de m'intégrer, mais je n'arrive pas à entrer dans leurs conversations. À nouveau, je détourne le regard.
Je me fais violence pour ne pas lui faire un signe de main, aussi discret soit-il. Je me contente simplement de lui sourire, un peu, tandis que ses yeux gris sont braqués sur moi. Alors que je pensais qu'il allait me sourire en retour, il vient simplement détourner les yeux. Je dois avouer que mon cœur se serre un peu. Je me sens vide quand il quitte finalement sa table pour s'en aller vers le parking. Quelques secondes plus tard, je le vois quitter le lycée sur sa moto.
D'une façon inexplicable, il me manque. J'ai adoré cette soirée que nous avons passée ensemble hier soir, et ne pas avoir de ses nouvelles aujourd'hui me fait de la peine. Je ne parle pas forcément d'une parole ou d'un SMS, mais un simple sourire m'aurait suffit. J'ai mal au ventre.
- Et toi Evan, t'en penses quoi ? , me demande Cody.
- Hein ? , je cligne des yeux pour me remettre les idées en place.
- Le championnat. Tu penses qu'on a nos chances ?
- Je sais pas. J'aime pas le football, ça m'intéresse pas.
C'est la pure et simple vérité. J'ai déjà assisté à quelques matches dans mon ancien lycée de Butler, mais c'était plus pour faire genre qu'autre chose. Je ne me suis jamais intéressé aux règles, je n'y comprends rien et, donc, regarder un match m'ennuie. Je suis incapable de différencier une bonne équipe d'une mauvaise, sans score à l'appui.
Ma réponse jette un froid sur notre tablée, car tout le monde se tait. Les gars me fixent les yeux écarquillés tandis que les filles, choquées, ont la bouche entrouverte. Lily, elle, me fixe en fronçant les sourcils, un sourire triste sur les lèvres : elle me connaît et a certainement remarqué que quelque chose ne va pas.
- Heu... désolé je... excusez-moi.
Je me lève de table et quitte les lieux en quatrième vitesse. J'ignore Lily qui m'interpelle. En moins de temps qu'il ne me faut pour le dire, je me retrouve assis derrière le volant de ma voiture. Le moteur démarre et, sur un coup de tête, je décide de sécher les cours. C'est quand je me retrouve sur la route que je réalise que je ne sais pas quoi faire, ni même où aller.
- Et merde.
Je suis ridicule.
X X X
Quad Cinema NYC | MANHATTAN – 1:28 PM.
La salle n°3 n'est pas encore accessible. Il faut dire que je suis arrivé au cinéma 30 minutes avant le début de la séance. J'essaie de m'occuper comme je le peux, feuilletant un magazine de cinéma. Je mordille la paille de mon énorme gobelet de soda tout en me faisant violence pour ne pas dévorer mon seau de popcorn avant que le film n'ait commencé. Mon téléphone portable tinte sur la table.
Mon cœur s'emballe quand je vois son prénom à l'écran. Je pouffe aussi de rire, bien conscient que j'ai l'air d'un amoureux transi à sourire comme un idiot devant son message.
✉ DE : DIEGO ✉
1:32 PM – Tu n'es pas au lycée ?
Je réfléchis un moment, avant de réaliser qu'il a certainement repéré l'absence de ma voiture. Je pensais que lui aussi avait séché les cours. Apparemment, je me suis trompé.
✉ À : DIEGO ✉
1:32 PM – Non. J'avais besoin de prendre l'air. Je suis au cinéma. American Assassin a l'air pas mal. LOL.
✉ DE : DIEGO ✉
1:33 PM – Excellente idée d'aller au cinéma pour prendre l'air.
✉ À : DIEGO ✉
1:33 PM – Tu as très bien compris ce que je voulais dire. Ne cherches pas la petite bête.
Je pouffe de rire. D'un côté il a raison : quand on veut prendre l'air, on ne s'enferme pas dans une salle de cinéma. Je sais que je me suis mal exprimé : penser à autre chose aurait été la formulation la plus exacte. Quand je regarde un film, surtout au cinéma, j'oublie tout le temps de quelques heures. C'est parfois plus un besoin qu'une simple envie de divertissement.
✉ DE : DIEGO ✉
1:33 PM – Oui, j'ai compris :)
1:34 PM – Quel cinéma ?
✉ À : DIEGO ✉
1:34 PM – Le Quad Cinema, pas loin du lycée.
Je ne prête pas attention à ses questions, pas vraiment. Je suis trop abruti par le fait que je suis en train d'échanger quelques messages avec lui. Plus rien d'autre ne me semble important à cet instant précis.
Je trépigne quand je vois des gens sortir de la salle n°3, devant laquelle je patiente depuis une bonne dizaine de minutes déjà. Quelques minutes après, l'énorme ampoule au dessus de la porte s'allume en vert et je quitte le fauteuil en mousse dans lequel j'étais assis. Quand je rentre dans la salle, après avoir traversé un sas sombre et étouffant, je monte quelques marches afin de m'installer sur un siège, ni trop en haut ni trop en bas, bien en face de l'écran. J'ignore les autres personnes qui s'éparpillent ça-et-là dans les rangs.
Après plusieurs minutes passées à regarder les publicités défiler à l'écran tout en grignotant mes popcorn, mon portable tinte à nouveau dans ma poche. Je m'empresse de le mettre en silencieux pour ne pas gêner la séance. Le petit sourire qui naissait au coin de mes lèvres s'efface quand je remarque que ce n'est pas un message de Diego.
✉ DE : LILY ✉
1:52 PM – T'es passé où ? On raconte au lycée que c'est Flores qui a fracturé ton casier. Apparemment, un élève l'a vu. Rappelle-moi au plus vite, je suis inquiète.
Mes doigts survolent le clavier sans que je ne saches quoi répondre. Je tape un petit « je te rappelle plus tard » avant de l'effacer aussitôt, car ne j'ai même pas envie de répondre. Lily peut bien patienter quelques heures, le temps que je visionne mon film tranquillement.
- Je peux m'asseoir ?
Un frisson me remonte tout le long du dos et les poils se dressent sur mes bras. Quand je lève les yeux de mon téléphone portable, je crois un instant voir un mirage.
- Fermes la bouche, tu vas gober des mouches , ricane-t-il.
- Hem... je... qu'est-ce-que... pourquoi t'es là ?
Je le regarde. Il porte son éternel blouson de cuir, un t-shirt gris foncé par dessous, et un jean noir troué au genou gauche. Il est magnifique. Je meurs de chaud.
- J'suis pas fan des cours d'anglais.
Il ricane à nouveau, son gobelet de soda à la main. Je retire mon sac du siège à ma droite pour le basculer à ma gauche, afin qu'il puisse s'installer. Je le regarde du coin de l'oeil, mort de honte, tandis qu'il s'affale dans le siège en tissus rouge.
- Ça va ? , me demande-t-il.
- Mh. Et toi ?
- Oui. Qu'est-ce-qui ne va pas ?
Il tourne la tête pour me regarder sans pour autant la décoller du dossier de son siège. Ses cheveux sombres sont décoiffés sur sa tête et ses beaux yeux gris me font chavirer le cœur. Je meurs d'envie de l'embrasser, là, quand il me regarde comme ça. Ses lèvres son appétissantes, brillantes à cause de la gorgée de soda qu'il vient de boire.
- Rien, t'inquiète. J'avais juste pas envie d'aller en cours, c'est tout. Des fois j'ai besoin de calme.
Il me sourit, un peu, avant de porter son regard sur l'écran. La bande-annonce de Thor Ragnarok est en train d'être diffusée. Diego semble intéressé.
- C'est mon super-héro préféré , je dis.
- Thor ? , il hausse un sourcil avant de me lancer un regard.
- Mh.
- Moi c'est Star Lord.
Je souris. Pour calmer la température de mon corps qui augmente et pour me détendre, je bois une immense gorgée de ma boisson fraîche : ça fait du bien par où ça passe.
- Tu aimes les films Marvel ? , demande-t-il.
- Oui, j'adore. Je les préfère aux DC Comics.
- Je suis d'accord avec toi.
Quand il s'affale un peu plus dans son siège, son odeur vient titiller mes narines. Je me souviens alors de la nuit que j'ai passée, le visage blotti contre son bandana. Je me demande s'il s'est aperçu de sa disparition, d'ailleurs. Je me sens coupable et honteux.
Alors que je m'apprêtais à engager la conversation, les lumières s'éteignent. Le film commence. À partir de ce moment là, j'arrive à me détendre. Malgré la présence de Diego qui me met mal à l'aise, parce qu'il est si proche de moi que je sens les tensions de son corps, j'arrive à oublier le reste. J'oublie la santé d'Abby, le boulot de mon père et la soirée d'hier avec Diego. Je me concentre sur le film, envoûté par la beauté et le charme évidents de Dylan O'Brien. J'adore son petit nez en trompette.
Ainsi, pendant près d'une heure et demie, les scènes s'enchaînent : la tuerie sur la plage, le recrutement de Mitch Rapp – le personnage de Dylan O'Brien – par les forces spéciales de la CIA, son entraînement intensif, la mission à Istanbul, et j'en passe. Je trouve ce film passionnant et l'histoire très intéressante. Mes yeux ne quittent pas l'écran, même quand je viens boire ou fourrer mes doigts dans le seau pour m'empiffrer de popcorn.
Soudain, je me fige. Affalé en travers sur mon siège, le bras tendu sur l'accoudoir en direction de l'écran, je sens une légère caresse sur mon poignet. Mon corps réagit immédiatement à cette douceur et les poils se dressent sur mes bras. Feignant l'indifférence, je baisse à peine les yeux : l'index de Diego effleure ma peau. Mon cœur s'emballe et, à nouveau, je meurs de chaud. Mon souffle s'accélère et ma nuque me pique. Son majeur vient rejoindre son index, tandis que ses caresses descendent le long de mon poignet pour venir trouver le dos de ma main et mes doigts. Brûlant, je viens me redresser dans mon siège mais je n'ose pas pour autant le regarder. Je me contente de fixer ses doigts qui, peu à peu, deviennent plus confiants. Finalement, il vient les entrelacer aux miens.
Nous jouons à ce petit jeu là les 30 dernières minutes restantes : je caresse ses doigts et il caresse les miens. Arrive un moment où je capitule et je tourne la tête pour le regarder : il fixe l'écran, sérieux, comme si de rien n'était. Bien décidé à le déstabiliser un peu, plus pour m'amuser qu'autre chose, je porte nos doigts enlacés à ma bouche et dépose un baiser sur le dos de sa main. Je le sens perdre toute contenance près de moi, mais pour autant il ne dit rien. Je souris, satisfait. Je viens finalement lâcher ses doigts lorsque l'écran se fait noir, juste avant le générique, et que les lumières se rallument.
Il me lance un regard noir. Je lui souris de toutes mes dents.
X X X
Pete's Tavern | MANHATTAN – 4:39 PM.
- Tu sais, si tu voulais mon numéro tu n'avais qu'à me le demander. Au lieu de forcer mon casier.
Je jurerais pouvoir voir ses joues rougir tandis que je lui lance un sourire narquois. Nous sommes assis à une table dans un bar un miteux pas très loin du lycée, sirotant tranquillement une bière à l'abri des regards. Je le bouffe des yeux.
- Ouais, t'as raison. J'sais pas pourquoi j'ai fait ça.
- Parce que t'avais la trouille de me le demander.
Il me lance un regard amusé avant de rouler des yeux. Il est beau, j'en mourrais presque. S'il savait toutes les choses que j'aimerais qu'il me fasse, là. Je bois une gorgée de bière pour chasser ces idées perverses de mon esprit.
- Je suis désolé pour hier soir , commence-t-il. J'ai perdu mon sang froid et... t'aurais jamais dû voir ça.
Je suis content qu'il s'excuse : au moins il se rend compte que sa réaction était démesurée. Néanmoins, je sais qu'il n'a pas une vie facile : c'est ainsi que ça fonctionne chez lui, et je l'ai compris. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ça ne m'effraie pas. Au contraire, ça m'attire. J'ai toujours été le genre de gars qui fonce tête baissée quand c'est dangereux et qui se désintéresse quand il n'y a pas de risque. Si je disais ça à Diego, que sa vie de quartier ne me fait pas flipper tout comme sa réputation, il me prendrait certainement pour un cinglé.
- Je peux te poser une question ? , je demande sans vraiment réfléchir.
- Oui, vas-y.
- Tu... c'est vrai ce qu'on raconte sur toi ?
Il braque son beau regard dans le mien. Je vois la veine super sexy de son cou apparaître sur sa peau, comme s'il tentait de contrôler sa tension ou sa colère et je déglutis.
- Quoi donc ? , s'efforce-t-il de demander calmement.
- Que... que tu es dans un gang ?
Il soupire et vient passer sa main dans ses cheveux : ma question l'ennuie. Il se racle la gorge avant de me répondre, yeux dans les yeux :
- Tu en penses quoi, toi ?
- Sérieusement ? , je questionne.
- Oui.
- Je pense que c'est faux.
Ses yeux s'écarquillent légèrement avant qu'il ne me sourie, juste un peu. Je distingue à peine le coin de ses lèvres qui se retroussent d'une façon adorable. Je crois qu'il est touché par ce que je viens de lui dire.
- J'aime ta façon de penser.
Un court instant, pour confirmer ses dires, il vient caresser le dos de ma main près de nos pintes de bière. Surpris, je retire mes doigts rapidement. Je suis gêné.
- J'aimerais apprendre à te connaître, tu sais. Passer du temps avec toi , je me lance. C'est peut-être stupide dit comme ça... parce que tu es toi et que je suis moi, mais... j'aimerais beaucoup.
- Moi aussi, Evan.
- On pourrait... sortir, de temps en temps ? Faire des trucs de potes, quoi.
Je bois une gorgée de ma bière l'air de rien même si, en réalité, mes joues me brûlent et mon cœur s'emballe. Je suis surpris par l'audace dont je fais preuve, là, à lui proposer tout ça. Une moue triste naît sur ses lèvres pulpeuses.
- Toi et moi on ne pourra jamais être « potes », Evan.
- Pourquoi pas ?
Je sais ce qu'il va me dire : parce qu'on n'est pas du même monde, lui et moi. Je m'apprête à reprendre, mais finalement il me répond :
- Parce que je crève d'envie de te sauter dessus, là, et que tu n'attends que ça.
Je louche sur sa bouche. Mon ventre semble se transformer en tambour de machine à laver, tant ça remue à l'intérieur. Les poils se dressent sur mes bras et ma nuque me brûle tellement que ça commence à piquer. Comment peut-il dire des choses comme ça ? Je vais défaillir.
- J'ai pas peur, tu sais , je dis.
- Quoi ? , il fronce les sourcils avant de se redresser sur sa chaise.
- De toi. Personne ne m'a jamais autant attiré que toi. Je me fiche de ta vie différente de la mienne. Je suis assez grand pour savoir ce que je veux.
- De quoi tu parles, Evan ?
J'ai l'impression que le scénario avec Dylan Campbell est en train de se répéter, à la seule différence que les rôles sont inversés : cette fois, je ne mets pas un râteau à quelqu'un mais quelqu'un me met un râteau.
- De toi. J'ai envie d'être avec toi, et je sais même pas pourquoi.
- Evan. Arrête.
- Je me fiches de tout ce qui nous sépare.
Je crois que je suis allé trop loin. Bouche bée, je le regarde enfiler sa veste avant de se lever de sa chaise. Il termine cul-sec sa pinte de bière avant de me regarder, debout près de la table. Je me lève à mon tour.
- Où... où tu vas ? , je bégaie.
-J e peux pas, Evan. C'est trop... c'est trop dangereux. Tu ne sais rien de ma vie.
- Alors explique-moi !
Il hoche la tête de gauche à droite, résigné. Il ne me parlera pas. D'ailleurs, après tout, on ne se connaît même pas réellement. Pourquoi me parlerait-il de sa vie qui semble si merdique ? Hier soir j'ai tout déballé sur la mienne, mais lui n'a laissé entrevoir qu'une toute petite partie aussi futile soit-elle de la sienne : sa passion pour l'astronomie. Je ne sais rien de ce qu'il ressent, de ce qu'il souhaite et de ce qu'il traverse.
- Tu ne peux pas, d'accord, je reprends. Mais est-ce-que tu en as envie ?
Ma question reste sans réponse : la porte du bar claque derrière son passage.
X X X
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 9:39 PM.
Je referme mon trieur après y avoir laissé ma dissertation désormais terminée. Je ne sais pas par quel miracle j'ai réussi à me mettre au travail en rentrant chez moi, ni même par quel miracle j'ai réussi à assez me concentrer pour écrire cinq pages. Des voix au salon m'indiquent que mon père vient de rentrer du boulot. Je déglutis. Quand j'entends des pas lourds et précipités dans le couloir, je sais que c'est pour moi. La porte de ma chambre s'ouvre avec fracas.
- Je peux savoir où tu étais ?!
Il agite sous ses yeux son téléphone portable. Mes muscles se tendent : il porte encore sa tenue de police et semble donc encore plus impressionnant que d'habitude. Il est fou de rage : il a reçu ce fichu SMS automatique du lycée.
- Je heu... , je commence.
- Tu sais combien j'ai de SMS, là-dedans ?! , il gronde. 4 ! Ce qui signifie que tu n'as pas séché seulement la première heure, mais tout l'après-midi ! J'attends des explications, Evan !
Ma mère débarque derrière lui, l'air perdu. Je continue de penser que j'aurais dû donner son numéro à la vie scolaire plutôt que celui de mon père.
- Evan, chéri, tu as séché ? , demande-t-elle avec surprise.
- Bien sûr qu'il a séché, Laura ! , s'agace mon père.
Je craque nerveusement mes doigts sur mes cuisses, tout en baissant mes yeux sur mes pieds. Je ne sais pas quoi dire. Finalement, j'opte pour la vérité.
- Je... j'avais besoin de... de prendre l'air.
- Oh, voyez-vous ça , ricane papa. Tu te fiches de moi, Evan ?!
- Non, papa. Je... je suis désolé, je le referai plus.
Je force un petit sourire triste en guise d'excuse. Le regard de chien battu que je lui lance ne semble pas l'attendrir pour autant. Au contraire, il gronde encore plus fort :
- Il va falloir que tu te reprennes, Evan ! Je ne te vois jamais bosser à la maison, à croire que tu n'as jamais de devoirs ! Et désormais tu sèches les cours ! Si tu continues comme ça, ça va mal aller pour toi. Ma patience a des limites ! , il souffle. Où étais-tu ?!
Je me lève. Je sens les larmes me monter, parce que tout en moi est en train de bouillonner. Je pense à mes notes, que je m'efforce de maintenir à un bon niveau car je sais à quel point les études sont importantes pour mon avenir. Je pense à Abby et à sa chimiothérapie de merde. Je pense à tous ces mauvais souvenirs de Butler qui me perturbent encore, ces humiliations. Je pense à Diego, ce fichu Diego Flores dont je suis en train de m'amouracher et qui ne veut même pas de moi. Colère, je lâche :
- J'étais au cinéma ! J'avais besoin d'être tranquille et de penser à autre chose ! Parce que quoi ? Parce qu'en ce moment ça ne va pas dans ma vie, et si t'étais là plus souvent tu le remarquerais ! , des larmes roulent sur mes joues. Je ne te reproches pas de bosser, j'ai très bien conscience que c'est grâce à toi qu'on a de la nourriture dans notre assiette, papa. Mais arrête de m'engueuler..., je renifle. Tous les ados sèchent les cours au moins une fois dans leur putain de vie, toi même tu l'as déjà fait et je le sais. Alors arrête, il n'y a pas mort d'homme !
Je donne un coup de pied dans la poubelle qui se trouvait là, parce que j'ai besoin d'extérioriser d'une manière ou d'une autre. Dans un premier temps, mon père semble être encore plus en colère qu'il ne l'était déjà. Mais ensuite, à ma grande surprise, il se radoucit. Ma mère décide de quitter ma chambre à cet instant là, préférant le laisser seul avec moi.
- Evan..., reprend-t-il doucement. Que se passe-t-il ? Tu as des problèmes au lycée ?
Je soupire en roulant des yeux. Je me laisse tomber sur mon lit, vêtu d'un simple jogging et d'un t-shirt trop ample. Il vient s'installer à mes côtés, son bras dans mon dos qu'il caresse avec sa main comme pour me consoler. J'essuie vulgairement les larmes sur mes joues avec le dos de ma main. Je renifle.
- J'ai pas de problèmes au lycée, papa. Tu seras le premier au courant si ça arrivait , j'inspire. C'est juste... je m'inquiète pour Abby, tu sais. Je pense tout le temps à ça. Et puis... , j'hésite et me mordille la lèvre inférieure. Il y a un garçon qui me plaît beaucoup et... ça me fait vriller un peu le cerveau.
- Ah, l'amour.
- J'suis pas amoureux, hein.
Enfin, pas encore, disons. Diego me plaît et m'attire comme un aimant, mais pour l'instant je suis conscient qu'il n'y a pas de réels sentiments là dessous. Je crois que c'est en fait quelque chose d'étonnamment passionnel, et ça me fait d'autant plus flipper.
- Ah ? , mon père s'interroge.
- Non , je ricane. J'en suis pas encore là.
Il m'embrasse sur le haut du crâne et ça me réchauffe le cœur. J'aime discuter avec lui parce qu'il est très ouvert quant à ma sexualité. Même si ma mère l'a accepté, je vois qu'elle est encore un peu mal à l'aise avec cette idée.
- Excuse-moi d'avoir séché. Je le pensais, tu sais, je le referai plus.
- T'en fais pas. Je n'aurais pas dû me mettre en colère comme ça.
Je souris, rassuré. Au moins, il ne m'en veut pas.
- Fais attention à toi avec ce garçon, d'accord ?
- T'inquiètes.
Je pouffe de rire : j'adore son côté protecteur. Il se lève finalement de mon lit et m'abandonne pour aller prendre sa douche après m'avoir embrassé sur le front. Quand il referme la porte derrière lui et que je m'écroule sur mon lit, mon portable tinte dans ma poche.
Un sourire étire mes lèvres lorsque je vois qu'il s'agit d'un message de Diego. Je m'empresse de lui répondre.
. . . #eastriverFIC
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top