⁘ Prologue ⁘
Dans la pénombre de la Grande Salle des Psychés, tous les regards sont tournés vers elle. Répartis en cercle, les six Manipulateurs, flanqués de leur meilleur assistant, ont les mains posées sur le rebord de leur vasque remplie d'eau et faiblement éclairée par des bougies vacillantes. Les respirations se font plus courtes. Quelques gouttes de sueur coulent le long des tempes, à l'ombre des lourdes capuches en velours. Pourtant, l'hiver n'a jamais été aussi rigoureux et le Palais peine à conserver la chaleur entre ses murs, en atteste les nuages de vapeur qui s'échappent de leur bouche.
— N'y a-t-il vraiment aucun autre moyen de nous protéger ?
La question qui a été posée d'une toute petite voix ricoche sur la pierre froide qui les entoure pour envahir toute la salle. Les pupilles d'Astri, d'ordinaire déjà ardentes, s'enflamment comme un brasier lorsqu'elle lève les yeux sur le Manipulateur qui a osé émettre tout haut les doutes de chacun. L'homme se mord l'intérieur de la joue et se recroqueville, incapable de soutenir le regard brûlant de la Monarque. Un sourire sans joie étire la bouche rouge sang. Majestueuse et terrifiante. Dès son plus jeune âge, ses aînés la qualifiaient déjà ainsi. Deux traits de caractère qu'elle n'a cessé de cultiver et renforcer jusqu'à son accession au trône il y a près de deux cents ans.
Un autre moyen ? Depuis des décennies que les plus brillants Adeptes Lentaciens de toute classe étudient le sujet, s'il y avait un autre moyen de protéger leur monde de la destruction, ils l'auraient déjà découvert.
— Le temps joue contre nous, Sieur Candel. Si nous voulons éviter le pire, nous n'avons d'autres choix que d'agir maintenant. Sauf si vous m'exposez un argument de poids de dernière minute qui remettrait en question notre décision prise à l'unanimité, ajoute-t-elle après une courte pause.
L'homme se voûte davantage en signe de capitulation. Il n'a pas d'arguments à opposer, simplement une peur viscérale de franchir la ligne rouge imposée par la Guilde Lentac depuis près d'un millier d'années maintenant.
— Un autre volontaire pour exprimer ses réserves ?
La question n'appelle aucune réponse, aussi, la Monarque se lève de son trône perché en haut de quelques marches pour rejoindre l'intérieur du cercle formé par les Manipulateurs et leur psyché. Les flammes des bougies se reflètent sur son visage, dessinant des ombres qui seront bientôt projetées dans une autre dimension. Le son des tambours s'élève dans le dos de chaque magicien. Le rythme est lent, la vibration intense, faisant entrer les corps et les âmes en harmonie avec la Toile.
Astri Lerck ferme doucement les yeux, bercée par cette agréable euphorie qui se répand en elle. Elle ne discerne pas clairement les pensées de ceux et celles qui l'entourent, mais elle peut en palper les contours cotonneux, rebondir entre elles et entrer en résonance avec la puissance de la Toile.
Néanmoins, elle fait l'effort de prendre du recul, observant la scène de haut. Chaque Manipulateur a dorénavant les mains plongées dans le liquide translucide d'où émane une lueur bleutée. Les yeux révulsés, le corps parcouru de frissons, ils concentrent toute leur énergie pour façonner la psyché à l'image de ce que leur âme en exploration perçoit de l'autre côté. Les ondes se propagent à la surface de l'eau, puis peu à peu des images prennent vie.
Un bassin en pierre blanche bondé d'enfants.
Une route sinueuse à travers des montagnes luxuriantes.
Une place scintillante remplie d'une foule en liesse.
Une rue fleurie et arborée où règne la tranquillité.
Un pont en verre suspendu au-dessus d'une gigantesque cascade.
Un paysage de campagne verdoyant et idyllique.
Bien qu'il ne s'agisse que d'une vue de l'esprit, le temps semble s'écouler plus lentement. Chaque geste doit être précis. Chaque visualisation doit être exacte. Chaque inflexion doit être parfaitement exécutée. La Toile vibre, se distord, se tend, jusqu'à émettre une pulsation en tempo des tambours battus par les assistants.
Le temps tourne toujours au ralenti. Les secondes durent des heures, les minutes, des jours. La fatigue transpire de chaque pore de peau des personnes présentes dans la Grande Salle des Psychés, mais chacun reste concentré sur sa tâche. Si l'un des six rompt l'équilibre fragile qu'ils ont établi entre eux, tous leurs efforts n'auront servi à rien. Alors ils endurent la souffrance, sans broncher. Les Manipulateurs puisent finalement dans leurs dernières ressources avant de lâcher l'ultime assaut.
Les cris de joie des enfants sont remplacés par des pleurs.
Les débris recouvrent la chaussée sur plusieurs dizaines de mètres.
La foule se disperse dans un mouvement de panique totale.
Les fleurs blanches tombent délicatement dans la mare de sang qui s'étend.
Les câbles hurlent, mais tiennent bon, alors que le pire s'est produit.
La boue, immonde masse rampante, continue de se frayer un chemin.
Ils ont tout donné. Jusqu'à la dernière goutte d'énergie qui coule dans leur veine. Pourtant, une effroyable douleur saisit Astri Lerck en même temps que les psychés implosent, répandant leur contenu au sol. Les Manipulateurs posent un genou à terre, le visage exsangue et les assistants tentent tant bien que mal de maintenir l'intégrité de la Toile, en vain. La faille se referme, scellant l'échec cuisant de l'opération, dont il leur faudra des années pour se remettre pleinement.
Aujourd'hui encore, leur monde restera en sursis.
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Je suis très heureuse de vous retrouver pour partager cette nouvelle aventure avec vous ! On commence doucement avec le prologue, assez mystérieux sans doute, mais qui contient déjà quelques informations non négligeables.
J'espère vous retrouver très vite pour la suite !
♪ Des bisous ♪
Lysiah
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