⁖ 9 · Len
Dimanche 11 novembre 2540
Quartier d'Onyxia – Levaria
KarhMane
La nuit a été courte. J'ai mal dormi, sans trop savoir qu'elle en est la raison principale entre ce qui s'est passé au café ou à l'embarcadère. Cela fait plusieurs jours que je ressasse ces deux événements en boucle, et lorsque l'obscurité s'installe, cela se transforme en véritables cauchemars.
Pour le premier incident, je revis encore et encore ce groupe d'ultra-antis qui ont réussi à me coincer au fond d'une ruelle, dans un premier temps pour me balancer toutes les horreurs qu'ils avaient en réserve au visage et dans un second, pour simplement vouloir me passer à tabac.
Si Lou n'était pas intervenu, je ne sais pas comment cela se serait terminé. Sans doute très mal pour moi, en atteste l'immense hématome verdâtre qui s'étale sur mon flanc suite à un coup de barre de fer que je me suis reçu dans la bataille. Je n'en ai parlé à personne, pas même à Lou qui s'évertuait à jouer de ses poings pour nous frayer un chemin à travers cet enfer. Le moindre mouvement me fait un mal de chien, mais je prends sur moi, trop heureux d'être encore en vie, et n'ayant absolument pas envie d'inquiéter les autres. Nous avons suffisamment de problèmes à gérer comme ça en ce moment sans que j'en rajoute une couche.
Et quand ce n'est pas cette situation que je revisite la nuit, c'est celle de l'embarcadère d'Ourvent où j'ai bien cru ma dernière heure arriver lorsqu'une partie de la toiture s'est effondrée sur nous. Dès que j'ai réalisé, coincé sous une armature en métal et un bloc de béton, que je n'avais que des égratignures légères, mes pensées se sont immédiatement tournées vers les autres et j'ai passé les minutes les plus affreuses de ma vie en dehors de celles où j'ai perdu mon père sous mes yeux, à imaginer le pire. J'ai vu des litres de sang se répandre au sol le temps que les secouristes nous sortent de là et je n'ai pu de nouveau respirer que lorsque les têtes ébouriffées et hagardes de Letho, Sun, Sina et Lou sont réapparues.
Bien que dans les deux cas, nous ayons évité le pire, je ne sais pas comment faire taire ce sentiment d'insécurité qui monte en moi depuis, car à chacun de mes cauchemars s'ajoutent une horde de canidés indéfinissables par leur taille hors norme, leurs crocs dégoulinants de venin et leurs silhouettes fantomatiques. Alors cette nuit, après un énième épisode cauchemardesque, j'ai craqué. Au bord des larmes, je me suis glissé dans la chambre de Lou, car je savais qu'il serait le seul à ne pas me virer à coups de pied aux fesses, pour finir ma nuit, collé à lui. Il a bien évidemment grogné quand je l'ai dérangé pour qu'il me fasse de la place et a bien tenté de me repousser pour que je retourne dans ma chambre, mais à moitié endormi, il n'a pas résisté longtemps, me menaçant juste de me mettre une raclée au prochain cours d'arts martiaux si je ronflais trop. Soit je n'ai pas ronflé, soit il n'a aucun souvenir de ce qu'il a dit. Dans tous les cas, il n'en a pas fait allusion lorsque nous avons partagé notre petit déjeuné avec les autres ce matin.
D'ailleurs, en y repensant, il n'avait pas l'air au sommet de sa forme. Je l'ai connu plus emmerdeur que ça au réveil. Je suppose que ce qui nous est arrivé lors de notre escapade avec Sina doit le travailler également. Bien qu'il sache se défendre, il n'a jamais aimé la violence alors j'imagine ce que ça a pu lui coûter d'écraser ses phalanges dans le faciès de ces types. Quant à ce qui s'est passé à l'embarcadère... il n'a pas été très loquace sur le sujet, néanmoins nous avons bien saisi qu'il est particulièrement affecté par l'enquête en cours sur la tentative d'assassinat à son égard et le sort de cette jeune femme qu'il a protégé avant même de penser à sa sécurité. Je ne remercierai jamais assez Jean de s'être jeté sur eux pour les repousser au pied d'un pilier. Sans ça, il ne serait plus de ce monde.
Assis au comptoir de l'îlot de la cuisine, je touille distraitement mon café pour jouer avec les formes dessinées par l'écume avant de souffler dessus et d'en boire une gorgée. Mon regard se pose alors sur Lou. Un rayon de soleil matinal frappe son visage soucieux, mettant en valeur la courbe de sa mâchoire sous sa tignasse noire en désordre. Il semble aussi perdu que moi dans ses pensées.
Ses aller et retour à l'hôpital sont forcément générateurs de stress pour lui, car il s'expose davantage aux paparazzis et aux torchons de la presse qui iront chercher des histoires à dormir debout simplement pour s'en mettre davantage dans les poches, sans se préoccuper de l'impact que ça peut avoir sur la vie des gens. Et s'il y a bien une personne dont je n'aimerais pas être à la place en ce moment, c'est bien la mère du gamin qui ne lâche pas Lou d'une semelle quand nous sommes à l'agence.
OniriQom a officiellement communiqué le licenciement de Lénaëlle Kalla, ravivant ainsi la haine des fans qui sont inondés d'articles tous plus racoleurs les uns que les autres sur la tentative d'assassinat dont il a été victime à l'embarcadère d'Ourvent. Le tremblement de terre ainsi que les dix personnes ayant trouvé la mort ont été complètement occultés par les images de Lénaëlle tenant un couteau ensanglanté devant Lou qui tournent en boucle depuis ce jour. Non que je ne tienne pas à la vie de Lou, bien au contraire, mais la presse, où ce qui s'en donne le nom, font les choux gras sur l'enquête en cours. Chaque jour, des dizaines de rumeurs naissent sur le sujet. Alors que dix personnes ont trouvé la mort. Dix. Bordel. Et pas un seul article sur eux et la tragédie que doivent traverser leurs proches.
Il arrive souvent à mon esprit d'imaginer quelles étaient leurs vies, ce qui les animait chaque matin pour se lever avant de se faire faucher de la sorte. Leurs parcours dessinent des fils qui s'entremêlent jusqu'à la rupture nette. Le sentiment de désespoir qui m'étreint dans ces moments-là manque souvent de me noyer alors je coupe court à ces pensées en m'investissant davantage dans le travail : la salle de danse, mon studio d'enregistrement, les bureaux des designers, ceux des équipes de production et de conception... peu importe, du moment que mon esprit et mon corps est occupé à penser à autre chose que ces personnes qui ont perdu ce qu'elles avaient de plus précieux ; leur vie.
Le marc de café forme désormais un cœur brisé, alors avec application, j'essaye de le recoller avec le bout de ma cuillère.
Nous avons bien tenté plusieurs actions pour désamorcer les choses, ou au moins détourner l'attention de la presse de Lou et Lénaëlle Kalla, en vain. Au final, tout ce que nous avons entrepris jusqu'à présent a été systématiquement déformé, alimentant les théories complotistes contre la jeune femme. Il est vrai que l'angle de la seule vidéo qui circule n'est pas à son avantage, mais cela ne prouve rien. Il n'y a pas l'intégralité de la séquence : on ne voit pas comment elle arrive devant Lou et Jean et d'où elle sort ce couteau. On n'aperçoit pas non plus l'homme que Lou affirme avoir vu s'échapper dans le dos de Lénaëlle.
Lou a proposé à plusieurs reprises à l'agence de s'exprimer publiquement, dans une vidéo que l'on diffuserait sur notre Sphère pour s'adresser à nos fans sans détour. Fanast – ou plutôt Phoenix – a refusé. Selon lui, ça exposerait Lou de façon trop directe et ça pourrait lui porter plus de préjudices qu'autre chose. Les services juridiques et communications de presse ont émis le même avis. D'après eux, il faut laisser la justice faire son devoir et réagir via la voix du label uniquement si cela porte atteinte à l'intégrité de Lou, que Fanast représente sur le plan légal. Bien évidemment, le plus jeune du groupe a grincé des dents et a manifesté son mécontentement contre le sac de frappes avec beaucoup de vigueur. Il a réussi à le décrocher de la chaîne fixée au mur en l'éventrant.
Le cœur brisé s'est transformé en gueule béante. Je fronce les sourcils et me mordille la lèvre le temps de savoir comment je pourrai rectifier le tir.
Même si je ne connais pas cette Lénaëlle, vraiment, je n'aimerais pas être à sa place. D'après ce que nous en rapporte Lou, pour l'instant, elle est protégée par le personnel médical qui veille à ce qu'elle ne soit pas soumise aux informations. Le but n'est pas de la mettre indéfiniment dans une bulle, mais pour lui permettre de se concentrer en priorité sur sa convalescence, il faut lui éviter toute émotion négative. Le choc sera rude quand elle sera confrontée à la réalité. J'espère sincèrement qu'elle sera bien entourée quand ça arrivera.
Alors que je continue de dériver dans mes réflexions, en triturant mon marc de café, Sun est obligé de me pincer le flanc pour me faire réagir.
— Aïeuh !
— Tu n'avais qu'à me répondre, rétorque-t-il d'un air placide. On part dans dix minutes.
— Oui, oui, grogné-je.
Lou a déserté depuis longtemps et le rayon de soleil est désormais masqué par la masse nuageuse qui s'amoncelle à l'horizon.
Je descends du tabouret haut, attrape ma tasse, puis la glisse sur le plateau du lavomatique, encastré dans l'une des colonnes de la cuisine. L'appareil se met en route et le plateau disparaît à l'intérieur du cube métallique. Dix secondes plus tard, un léger tintement sonore se fait entendre et le plateau ressort avec une tasse chaude et propre que je range à sa place dans les placards.
Ensuite, je traîne des pieds jusqu'à ma chambre, enfile le premier pantalon et le premier t-shirt qui me passent sous la main dans mon dressing, avant de faire un saut dans la salle de bain. Lou et Sina s'y trouvent déjà, en train de se disputer pour savoir lequel des deux est capable de faire la grimace la plus moche avec du dentifrice plein la bouche.
Je lève les yeux au ciel, les trouvant puérils, avant de me rappeler que, des trois, je suis sans doute le plus mal placé pour penser ça. Après un brossage de dents en bonne et due forme et un examen rapide dans la glace pour remettre un peu d'ordre dans mes épais cheveux bruns ondulés, j'enfile un sweat confortable, mon manteau et mes baskets. Finalement, je suis le premier à être prêt à partir.
Avec un bon quart d'heure de retard, nous quittons l'appartement, nos gardes du corps sur les talons. Deux flotteurs nous attendent sur le boulevard. Les nuages se sont bien installés dans le ciel, recouvrant la ville d'un voile humide et nostalgique. Quelques badauds se pressent autour des véhicules, mais nos gardes du corps les éloignent rapidement tandis que les chauffeurs ouvrent les portières.
Même si aujourd'hui ils sont peu nombreux – une trentaine environ – je dois compter sur les doigts d'une main le nombre de fois où nous n'avons eu absolument personne avant un trajet planifié dans notre agenda. Par moment, je me demande ce que font ces gens dans la vie. Travaillent-ils ? Passent-ils leur journée à épier nos faits et gestes ? Sont-ils de simples curieux qui passaient par là, sans même n'avoir jamais entendu parler de nous ? Qu'attendent-ils exactement, agglutinés comme ils le sont autour de nous ?
David, le chauffeur attitré de Letho, coupe court à mes pensées en claquant la portière derrière moi, étouffant de fait les cris de la petite foule. J'appuie alors ma joue contre la vitre teintée et me perds dans l'observation des tours, plus ou moins immenses, plus ou moins végétalisées, mais toutes aux courbes et lignes esthétiques, conférant une atmosphère très design à ce quartier.
Le trajet se déroule sans encombre et même si nous venons uniquement pour répéter aujourd'hui, nous faisons un saut par les équipes de maquilleurs et de coiffeurs. Il est vrai que je n'ai pas fait beaucoup d'effort afin d'être présentable et comme il y a toujours une ou deux caméras qui traînent lorsque nous répétons, Edinin et Sacha ont un peu de boulot.
Le premier peste contre mes cernes. Le second contre mon épi rebelle qui a décidé de ne pas se laisser faire ce matin. À côté, Hastan – mon manager personnel depuis que nous avons les moyens d'en avoir un chacun – me récapitule le déroulé de la journée à venir ainsi que les deux suivantes. Sa voix ainsi que les doigts de Sacha dans mes cheveux me bercent et je me surprends plus d'une fois à piquer du nez.
— Hé, tu m'écoutes ? s'agace Hastan en me claquant la cuisse avec sa tablette.
Je sursaute et réponds aussitôt par l'affirmatif. Il soupire de désespoir. De deux ans mon aîné, c'est le plus jeune manager du label. Au départ, Phoenix était réticent à prolonger son contrat du fait de son inexpérience, mais comme le courant passait très bien entre nous et qu'il était exemplaire dans son travail, cela fait maintenant cinq ans qu'il est à mes côtés pour m'accompagner dans ma carrière. J'aurais du mal à me passer de lui, maintenant.
— Qu'est-ce que tu as, ce matin ? Ça fait trois fois que je te répète ton planning, mais tu ne m'écoutes pas !
— Tu parles trop, mes oreilles filtrent les bruits indésirables, tu le sais bien.
— Sale petit c...
Il se retient au dernier moment, tablette en l'air au-dessus de ma tête, devant les regards effarés de Sacha et Edinin. Un sourire contrit s'affiche sur son visage et il se rassoit en s'éclaircissant la gorge.
— Hum... désolé.
D'ordinaire, nous gardons ce genre de joute verbale quand nous sommes seuls, mais il faut croire que mon inattention l'a agacé plus que je ne le pensais.
— Ne vous en faites pas, lancé-je à l'intention des deux autres hommes. Nous nous connaissons depuis longtemps et il n'est pas le dernier à lancer des insultes. N'y voyez rien d'outrageant là-dedans.
Sous-entendu : « Pas la peine d'aller faire un rapport auprès des ressources humaines. ».
Après m'avoir répété une énième fois le programme des jours à venir pendant que le maquilleur et le coiffeur finissent de faire des miracles pour me rendre présentable devant une caméra, Hastan me libère enfin afin que je puisse rejoindre notre salle de répétition. Lou et Letho sont déjà sur place et commencent doucement à s'échauffer. Je les rejoins, répétant les mêmes exercices qu'eux : mobilité, cardio, renfo... tout y passe et peu à peu l'ensemble des fibres de mon corps se réveille. La chaleur se répand dans mes muscles à mesure que mon rythme cardiaque s'accélère et une énergie nouvelle coule dans mes veines.
Sina et Sun ne tardent pas à nous rejoindre et après une bonne heure passée à s'échauffer et travailler quelques pas de danse spécifiques, nous commençons à répéter le programme dans l'ordre.
Le premier tour, nous enchaînons les chansons sans chanter et sans nous donner à fond. Nous en profitons pour travailler la coordination et les détails, répétant plusieurs fois si nécessaire les passages plus difficiles. Bien évidemment, je me plante toujours au même endroit, faisant râler Sina qui ne cesse de me corriger, sans succès. Mais je sais que le jour J, je serai prêt. J'irai répéter toutes les nuits au rez-de-chaussée de la résidence s'il le faut pour ça. Et l'avantage, c'est que mes erreurs répétées me permettront de parer à toutes éventualités et d'improviser en cas de besoin.
Alors que nous prenons une pause avant le deuxième tour, incluant cette fois le chant, la porte de la salle de danse s'ouvre en grand et Morgan déboule comme un fou, suivi de près par Hastan et Zati, le manager de Lou.
— Reviens ici ! s'exclame ce dernier. Tu n'as pas le droit d'aller là.
Le petit garçon glisse entre les mains d'Hastan et fait le tour de la salle en courant avant de se précipiter vers Lou, assis en tailleur, pour se cacher dans son dos. Sa respiration est sifflante et son visage rouge pivoine.
— D... do... se...
Ses yeux se révulsent et il s'écroule sur l'épaule de mon meilleur ami qui le rattrape avant qu'il ne touche le sol.
— Morgan ?!
Nous bondissons sur nos pieds avec une synchronisation parfaite pour lui porter assistance.
— Morgan ?! s'exclame à nouveau Lou en lui tapotant les joues. Hey ! Réponds-moi, morpion !
Sa respiration sifflante ne laisse rien supposer de bon.
— Est-ce que sa grand-mère est...
— Morgan !
Je n'ai pas le temps de finir ma question, que cette dernière fait également une entrée fracassante dans la salle de danse pour se jeter à genoux au chevet de son petit-fils. Elle a les joues aussi rouges que ses cheveux et de façon tout à fait déplacée vu les circonstances, je me dis que soit ils ont très peu d'écart entre chaque génération dans leur famille, soit elle est très bien conservée pour son âge.
— Je t'avais dit de ne pas faire l'imbécile !
Tout en rouspétant, elle fouille dans son sac à main qu'elle ne quitte jamais et en sort un petit tube métallique qu'elle applique à la base du cou de Morgan. Du pouce, elle appuie sur l'extrémité et un chuintement se fait entendre. Aussitôt après, elle décolle le tube et une minuscule piqûre rouge apparaît sur la peau pâle du petit garçon.
— Qu'est-ce qu'il a ? s'inquiète Sina.
— Une maladie orpheline qui lui provoque des troubles de la respiration pouvant aller jusqu'à la perte de connaissance et un décès si ce n'est pas pris en charge rapidement, explique-t-elle d'un ton affreusement calme alors que Morgan semble revenir à lui. Ce matin, il n'était pas en très grande forme alors je lui ai demandé de rester tranquille, mais il n'écoute rien ! Il voulait absolument venir vous voir répéter et il s'est mis à courir partout dans l'agence. Ah ! Pourquoi Léna n'est pas là ? Qu'est-ce qu'elle fiche ?
— Il s'est passé quoi ? murmure Morgan faiblement en nous regardant tour à tour.
Lou le redresse doucement pour l'installer en position assise, sur ses jambes croisées, pour l'entourer de ses bras et le garder contre lui.
— Tu as perdu connaissance, répond Sun sans ambages.
Morgan cligne des yeux en le fixant.
— J'ai eu une crise ?
— Oui, mon grand, répond Solstice. La prochaine fois, il faudra que tu m'écoutes. Quand je te dis quelque chose, ce n'est pas pour t'embêter.
— Même quand tu me dis de finir mon assiette ?
Sa question, innocente, nous arrache à tous un sourire, même à sa grand-mère.
— Je ferais mieux de le raccompagner pour qu'il se repose, suggère Lou en faisant mine de se lever.
— Non ! s'exclame le petit garçon. Je veux rester.
Indécis, le plus jeune d'entre nous jette un coup d'œil à Solstice. Cette dernière semble réfléchir avant d'acquiescer.
— Je suppose que ce serait plus sage que tu ailles te reposer, mais tu vas m'en faire voir de toutes les couleurs si je te force à retourner dans notre dortoir. Tu peux rester, à condition que tu restes assis avec moi.
Morgan hoche vigoureusement sa tête et ses cheveux châtains, tirant sur un blond très clair, ondulent en rythme sur son front et ses oreilles. Ses grands yeux bleus et ses taches de rousseur lui donnent un air candide auquel il est difficile de résister.
Lou lui fait signe de monter sur son dos et il l'accompagne en quelques pas jusqu'à un fauteuil plus confortable d'où il pourra assister à notre répétition. Sa grand-mère les suit de près et prend place à ses côtés.
Du coin de l'œil, je vois Sina passer un appel. Des bribes de conversation que j'entends, il demande à ce qu'un médecin vienne examiner Morgan par mesure de précaution. Je le reconnais bien là, toujours prévenant. Parfois trop. Mais dans ces cas-là, mieux vaut trop que pas assez. Et c'est pour ce trait de personnalité aussi qu'on l'aime.
Lorsque Lou revient vers nous, je vois qu'il masse discrètement sa main bandée.
— Elle te fait mal ? m'inquiété-je.
Il hausse les épaules et s'empresse de cacher sa main droite à l'intérieur de son pull large, mais je m'avance et lui prends le bras pour retrousser la manche et l'examiner de plus près. Le bandage s'est un peu défait et je l'écarte davantage pour observer les points de suture qui referment sa plaie. La chair est encore rouge par endroit, mais ça ne semble pas infecté. Délicatement, je lui remets la compresse cicatrisante en place et resserre la bande pour la nouer comme il faut afin qu'elle résiste au deuxième tour de répétition.
— Tu devrais faire un peu plus attention, si tu veux que ça guérisse rapidement, lui conseille Letho alors qu'il était penché au-dessus de son épaule pour constater l'état de sa blessure.
— Ouais, ouais, grogne le concerné. Ne vous inquiétez pas.
— Tu as eu une sacrée chance, quand même.
Lou lève les yeux vers Sina qui nous observe assis par terre et alors que je lui tiens toujours la main, je sens un frisson parcourir son corps.
— Bon, on y retourne ? Je vais bien, pas besoin d'avoir trois mères poules qui veillent sur moi.
— Tu as raison, quatre c'est mieux, intervient Sun.
Il adresse un large sourire à Lou à travers le miroir et ce dernier lui tire la langue en guise de réponse avant de dégager sa main des miennes pour aller relancer la musique. Aussitôt, nous reprenons notre formation.
C'est alors que nous entamons la quatrième chanson que le médecin entre dans la salle pour s'approcher de Morgan. Tandis que je suis la scène du coin de l'œil, je me plante dans la chorégraphie et au lieu de contourner Sun en effectuant un saut en arrière, je lui rentre dans le flanc, écrase le pied de Letho et finis par chuter en bousculant Sina. Allongé au sol, les bras écartés, ma poitrine se soulève frénétiquement.
— Tu n'as pas l'air en forme, aujourd'hui, remarque Letho en s'accroupissant à côté de moi pour me tapoter l'épaule.
Je suis fatigué. C'est vrai.
— Tout va bien, expiré-je avant de me redresser.
— Tu t'es vraiment regardé dans le miroir ?
Sun pointe le miroir tandis que Lou arrête la musique. J'observe mon reflet. J'aurais peut-être dû laisser Edinin me mettre davantage de fond de teint comme il le souhaitait pour masquer les cernes noirs qui entourent mes yeux.
— Si tout va bien, tu m'expliques pourquoi tu as rappliqué dans ma chambre cette nuit ?
Lou n'a pas hésité une seconde à enfoncer le clou, campé sur ses deux jambes et les poings sur les hanches, un regard insistant braqué sur moi. Comme les autres, de la sueur coule le long de son visage et marque ses vêtements. Je souffle et glisse mes doigts dans ma tignasse brune avant de me frotter le visage.
— Len, dis-nous ce qui ne va pas, insiste Sina en posant une main sur mon genou.
— Je ne sais pas..., hésité-je.
Les regards pesants de mes amis finissent par avoir raison de moi.
— Je... Depuis ce qui s'est passé au café et à l'embarcadère d'Ourvent, je ne sais pas pourquoi, mais j'ai constamment l'impression d'être observé et suivi.
— Tu devrais être habitué depuis le temps, soupire Letho, l'air néanmoins moins assuré que d'ordinaire.
— Non, ce n'est pas comme d'habitude. Ce... c'est... Honnêtement, je ne saurais pas l'expliquer. C'est... c'est comme une ombre qui m'entoure.
— Tu ne te laisserais pas un peu trop envahir par l'univers que nous avons conçu autour de Chaos ?
Je sonde le regard de Sina un long moment.
— Qui essayes-tu de convaincre ?
Un lourd silence ponctue ma question plus rhétorique qu'autre chose. Lou se laisse choir à mes côtés et défait son bandage pour inspecter sa plaie. À la tête étonnée qu'il fait, je baisse les yeux sur sa blessure. Alors que la chair devrait être encore rouge autour des points de suture, celle-ci a désormais une couleur parfaitement normale et plusieurs points semblent prêts à tomber. Je fronce des sourcils.
La main de Letho s'abat sur mon épaule et je lève la tête vers lui. À son regard, je comprends. Je comprends que je ne suis pas le seul à me sentir étrangement oppressé. Et ce que je lis dans les yeux des autres me conforte dans cette idée. Ce n'est pas la pression due à notre très attendue performance au Fest'Pop Art. Ce ne sont pas les efforts sans relâche que nous avons fournis pour donner davantage de profondeur à notre concept. Ce n'est pas la réminiscence de l'incident du café et ce qui s'est ensuite passé dans cette ruelle sombre. Ni celle du tremblement de terre à l'embarcadère. Non. C'est autre chose. Quelque chose de différent. De palpable tout en étant insaisissable. Quelque chose d'effrayant parce que je ne le comprends pas.
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Coucou !
Je reviens après un long silence sur Wattpad ! J'espère que vous allez bien <3
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