⁖ 6 · Lou


Vendredi 19 octobre 2540

Quartier d'Onyxia – Levaria

KarMane

Mon réveil sonne à tue-tête et je pousse un grognement, sortant juste un bras de la couette pour claquer des doigts. La musique diminue pour s'éteindre complètement tandis que la luminosité des lampes augmente progressivement, simulant le lever du soleil dans ma chambre.

J'ai encore mal à la tête des quelques verres servis par Sun la veille. Il a eu la main un peu plus lourde que d'ordinaire. Sans doute pour m'aider à oublier le cauchemar que nous avons vécu avec Sina et Len. Le plus à plaindre serait sans doute ce dernier, car nous avons vite été séparés, et le moins qu'on puisse dire c'est qu'il s'est retrouvé dans une situation plutôt délicate. Encore ce matin, j'ai des réminiscences du soulagement que j'ai ressenti lorsque je l'ai retrouvé avant que ça dégénère.

Jamais je n'ai eu une telle poussée d'adrénaline. C'est la première fois depuis des années que j'ai dû jouer des poings pour protéger l'un des miens, et rien à voir avec les précédentes fois. Là, sa vie était clairement en jeu, et nous sommes passés à deux doigts d'une autre affaire de célébrité se faisant lapider par une bande de fous furieux. Si j'ai bien veillé à protéger mon visage, en revanche, je n'ai pas hésité une seconde à mettre toute ma force dans mes coups. J'ai dû briser quelques côtes et décrocher quelques mâchoires, et bien que je ne sois pas de nature violente, je n'ai eu aucun scrupule. C'était eux ou Len, le choix était vite vu.

Je ne saurais dire combien de temps a duré cette scène surréaliste : Len accroché à mon pull, terrifié, et moi nous frayant un passage pour nous extirper de là. Le tout devant l'indifférence totale des passants qui devaient simplement nous prendre pour une bande de potes mettant le bazar dans la rue. Une fois que nous avons pu leur échapper, nous avons couru un long moment à perdre haleine, afin de les distancier le plus possible. Nous avions beaucoup plus d'endurance qu'eux et c'est ce qui nous a permis de les semer.

Et quand nous avons enfin pu nous arrêter quelque part, Len est tombé dans mes bras, en pleurs. Il lui a fallu de longues minutes pour se calmer, cramponné à moi, comme s'il avait peur de sombrer. Je l'ai rarement vu dans un tel état et ce matin encore, ça me retourne les tripes. Nous savons tous qu'il a la phobie de la foule depuis que son père a été assassiné en pleine rue quand il était plus jeune. Il n'est jamais rentré dans les détails et nous savons que c'est un sujet sensible pour lui, alors nous attendons toujours le moment où il voudra nous en parler plus ouvertement.

Lorsque nous sommes finalement rentrés sains et saufs à l'appartement, tous les deux, nous nous sommes bien gardés de mentionner ce qui s'est passé. Nous étions d'accord pour ne pas inquiéter davantage les autres. Alors, j'ai pris soin d'éviter d'exposer mes jointures, les gardant à l'intérieur des manches de mon pull. Et aujourd'hui, il faudra que je pense à appliquer du maquillage pour masquer les hématomes, car si Letho apprend ce qui s'est passé... je ne donnerai pas cher de ma peau. Je risquerai d'être consigné dans ma chambre pour l'éternité. Inimaginable. Plus sérieusement, la dernière chose que je veux, c'est qu'il se fasse du souci pour moi. Il a déjà suffisamment de choses à gérer pour que j'en rajoute une couche. Et Len a tout de suite abondé dans mon sens quand je lui ai demandé si l'on pouvait garder le silence.

Je me frotte les yeux et m'étire de tout mon long en grognant. N'ayant pas prévu une grande marge entre mon réveil et l'heure de notre départ, je ne traîne pas plus longtemps au lit et fouille dans mon dressing pour sortir ma tenue du jour. Même si le vol est court, je préfère toujours voyager confortablement. Pantalon ample, t-shirt en coton à manches longues et veste large feront l'affaire. Puis, je file dans la salle de bain que je partage avec Len et Sina pour prendre une douche en quatrième vitesse avant de passer quelques minutes à appliquer une crème couvrante sur mes jointures. Si je ne les colle pas sous le nez des gens, tout le monde n'y verra que du feu.

Un dernier regard dans le miroir pour m'assurer que je n'ai pas l'air trop fatigué, puis après avoir jeté à la va-vite dans mon sac de quoi survivre pour trois jours à Sevian, je rejoins les autres qui ont déjà rassemblé leurs affaires dans le salon.

— Tu devrais manger avant de partir, me conseille Letho.

— Il y a toujours plein de trucs à bouffer dans les navirovans, ça ira.

— Bien, comme tu veux. Si vous êtes prêts, enchaîne-t-il, Sun et Len, vous partez en premiers, avec Lou et Sina on prendra le deuxième flotteur.

Tout le monde acquiesce et l'aîné du groupe attrape l'anse des deux valises pour les faire rouler vers la porte d'entrée.

— On se revoit à l'embarcadère, nous salue-t-il de la main avant de sortir.

Len le suit, rapidement encadré par Jay et Fabien qui attendaient dans le couloir. Avant que la porte ne se referme sur lui, il n'a pas pu s'empêcher de me lancer un regard légèrement perdu. Il est encore secoué et il risque d'avoir du mal à le cacher.

Histoire de m'occuper un peu l'esprit, et de ne pas trop ruminer le temps que ce soit à nous descendre, je retourne dans la salle de bains afin de faire quelques ajustements : discipliner un peu mieux mes cheveux qui ont décidé de se la jouer rebelle ce matin, et changer les trois anneaux de mon oreille gauche afin de les accorder à la couleur de mon t-shirt.

Lorsque je reviens dans la grande pièce à vivre comprenant la cuisine, la salle à manger, le salon et un coin bibliothèque semi-cloisonné, je retrouve Sina vautré sur l'un des canapés, les jambes perchées sur le dossier, et Letho agenouillé devant la table basse, juste à côté. Je m'affale à côté du premier et observe avec attention le dos de sa main recouvert par l'interface holographique de son chiX. Il faut que je me trouve une occupation. Sinon mon cerveau va tourner en boucle sur le mal-être de Len.

— Tu fais quoi ? lui demandé-je.

Il me tend son bras et j'observe l'image qui s'affiche.

— Qu'est-ce que tu en penses ?

— C'est la chose la plus laide que j'ai jamais vue sur terre.

Sina se renfrogne et je me marre en silence avant de reprendre :

— Les fans vont adorer, tu attends quoi pour la poster ?

Son visage s'illumine et je le vois pianoter à toute vitesse un message pour accompagner la photo de lui qu'il vient de prendre. Néanmoins, derrière sa jovialité, je perçois une tension sous-jacente, vestiges de son propre traumatisme de la veille.

— Tiens, regarde ce fanart de toi, il est canon, tu ne trouves pas ?

Il me tend à nouveau son bras et j'attrape son poignet pour regarder de plus près. J'esquisse une moue dubitative avant de soulever mon t-shirt pour examiner mon abdomen.

— Si seulement mes abdos pouvaient ressembler à ça...

Cette fois, c'est au tour de Sina de se moquer de moi et je lui renvoie un sourire crispé. Le sport n'a jamais été une corvée pour moi, contrairement à Sun que ça rebute un peu plus, malgré tout, entretenir son image est un effort de tous les instants. Le moindre écart doit être rapidement compensé, et parfois, j'aimerais pouvoir me laisser un peu aller à manger tout un tas de cochonneries.

Je laisse Sina continuer à répondre à quelques fans sur notre sphère officielle pour m'intéresser de plus près à Letho que je trouve bien silencieux depuis tout à l'heure. Je me redresse et regarde par-dessus son épaule ce qu'il est en train de faire, ainsi penché sur la table basse. Il a l'air de griffonner quelque chose dans un de ses nombreux carnets. J'imagine qu'il doit avoir une mélodie ou des paroles en tête pour être aussi concentré. Il pourrait prendre des notes directement sur son chiX, mais depuis que je le connais, il a toujours préféré noircir des pages entières. Je dois reconnaître que ce n'est pas désagréable de tourner dans tous les sens ces bouts de papier pour grabouiller dessus.

Je me lève et me dirige vers le mur où se trouve l'immense écran de télévision avant de le contourner pour me retrouver dans l'espace bibliothèque. J'allume les lampes des étagères et pars à la recherche d'un stylo ou d'un crayon de papier. Quand je trouve enfin l'objet de mes désirs, je reviens vers Letho, et m'approche discrètement pour essayer de passer au-dessus de son épaule. Ce dernier m'a vu arriver et bloque aussitôt mon bras avant que la mine touche la feuille.

— Même pas en rêve, Lou. Tu ne touches pas à mon carnet.

J'insiste, mais Letho se défend plutôt bien, alors je finis par lui barbouiller la joue. J'ai vraiment besoin de faire le con pour décharger le poids qui me pèse.

— P'tain, mais tu as quel âge ? bougonne-t-il en frottant énergiquement sa peau. Tu ne peux pas te trouver une occupation au lieu de venir m'emmerder ?

— Non, j'aime bien te voir râler de bon matin.

Je souris de toutes mes dents et il m'attrape par le cou pour frotter ses phalanges sur mon crâne.

— Sale gosse ! Qui t'a élevé comme ça ?

— Vous ! rié-je.

Et la vérité n'est pas très loin. Ayant perdu mes parents assez jeunes et hérité de grands-parents qui n'ont pas été fichus de s'entendre à mon sujet, j'ai été placé en internat jusqu'à ce que Fanast nous recrute. Alors les seuls véritables modèles que j'ai eus dans ma vie sont les quatre gaillards avec qui je vis depuis.

En essayant de me dégager de son étreinte, mon pied bute contre celui de la table basse et je me serais affalé dessus si Sina ne m'avait pas rattrapé au dernier moment.

— Arrêtez de faire les gamins tous les deux, ce n'est pas le moment de casser un truc... ou de se faire mal, ajoute-t-il.

— J'admire ton sens des priorités, Sina, marmonne Letho qui se frotte à nouveau la joue pour faire partir les dernières traces de mon méfait tandis que je souris à pleines dents.

— Je tiens beaucoup à cette table basse, elle appartenait à ma mère.

Mon sourire s'efface aussitôt et je baisse les yeux, l'air coupable. L'espace d'un instant, j'avais oublié la règle disant que nous avions interdiction de nous battre dans cette partie du salon.

— Tu devrais peut-être mettre cette table dans ta chambre, suggère Letho. C'est un miracle qu'elle soit encore en un seul morceau après tout ce temps... surtout avec un énergumène comme Lou dans les parages, ajoute-t-il en me foudroyant du regard.

— Ouais, mais vous savez que j'aime bien voir vos tronches autour.

Sina passe ses doigts dans ses cheveux blonds, courts d'un côté, plus longs de l'autre, pour les arranger. Il fait toujours ce geste quand quelque chose lui pèse. Letho s'approche de lui pour l'enlacer brièvement en lui tapotant le dos et je viens à mon tour pour les serrer dans mes bras tous les deux en signe d'excuse.

— Ouais, ouais, moi aussi je vous aime, les gars.

Il nous repousse gentiment en fronçant du nez, puis Letho se dirige vers l'entrée.

— Mais franchement, on se demande qui est le plus âgé de nous trois ici.

— Pas moi, ricané-je.

— Sans blague.

Sina lève les yeux au ciel, l'air faussement désespéré.

— Allez, on y va.

Letho range son carnet dans son sac à dos de voyage, tandis que je repose le stylo dans la bibliothèque et éteins les lumières. Je fais une halte dans le dressing, attenant au mur séparant la vaste pièce de vie, du reste de l'appartement composé de nos chambres, nos studios et les deux salles de bains, pour y prendre quelques accessoires. Dans l'entrée, nous sortons nos manteaux et chaussures du placard pour les enfiler. Puis, je distribue une paire de lunettes à Sina, une casquette à Letho, et enfile un bonnet sur ma tête.

Je m'examine une dernière fois dans le miroir qui se trouve à côté du petit fauteuil. Non qu'il fasse excessivement froid, mais certains accessoires nous permettent parfois de nous rassurer quand nous sommes face à la foule et, en l'occurrence, moi, avoir un truc sur la tête me fait me sentir plus en sécurité. Une sécurité totalement illusoire, on est bien d'accord.

Lorsque nous sortons de l'appartement, Elouen, Tarick et Jean, qui campaient devant la porte, nous saluent tous du poing avant d'empoigner nos valises.

— Les gars, vous nous avez fichu la trouille hier soir, quand même, déclare Jean alors que nous attendons l'ascenseur. La prochaine fois que vous voulez faire une escapade de la sorte, mettez-nous sur le coup qu'on puisse au moins vous protéger correctement en cas de pépin.

Du haut de ses deux mètres de muscles, il me lance un regard appuyé. En réponse, je lui adresse un sourire contrit en haussant les épaules.

— On sait se faire oublier pour que vous ayez l'impression d'être seuls, insiste-t-il.

Même si ça ne fait que quelques mois qu'il a pris son rôle de garde du corps auprès de moi, je l'apprécie beaucoup et lui accorde une totale confiance. Il est capable de jongler entre attitude amicale, protectrice ou agressive en fonction de chaque situation. Et il s'y connait un peu en musique, alors les discussions sont plutôt plaisantes quand je me retrouve seul avec lui.

— Bon, par contre dehors il y a foule. La presse a réussi à savoir que vous partiez pour Sevian ce matin.

Letho souffle, résigné. Ce n'est pas la première fois que ça arrive et ce ne sera sans doute pas la dernière fois.

Dans l'habitacle, le silence reprend ses droits, ni gênant ni pesant, dernier moment de calme privilégié que nous savourons d'autant plus à sa juste valeur. Une fois dans le hall de l'immeuble, Elouen, le garde du corps de Letho, prend la tête de notre colonne pour ouvrir la grande porte et nous la tenir. Son protégé sort en deuxième, cueilli de plein fouet par des centaines de flashs et des cris. Letho se prête au jeu de la pose, saluant tour à tour ceux et celles qui l'interpellent pour accompagner leur article qui sera posté quelques minutes plus tard. Sina ajuste ses lunettes sur son nez et le rejoint, agitant sa main au bon vouloir de la foule. N'étant pas trop friand de ce genre de démonstration, je me glisse entre eux, restant légèrement en retrait et balaye l'esplanade du regard.

Il fait encore nuit noire, pourtant, avec les flashs qui nous assaillent de toute part, nous avons l'impression d'être en plein jour. J'aurais peut-être dû faire comme Sina et opter pour une paire de lunettes de soleil, car j'ai une furieuse envie de cligner les yeux.

Letho met fin à la séance photo en remerciant la presse et les fans et avec Elouen ouvrant toujours la marche et Tarick et Jean sur les talons, nous prenons la direction de notre flotteur qui nous attend sur le boulevard. Le fuselage du véhicule, d'un noir mat, orné d'arabesques dorées pour en épouser la ligne aérienne, est plutôt à la mode en ce moment.

Cette fois-ci, c'est le chauffeur attitré de Sina qui nous conduit jusqu'à l'embarcadère. L'homme, aussi baraqué qu'un taureau et aussi aimable qu'une porte de prison, s'extirpe de son siège pour faire le tour du véhicule. Comme l'ensemble du personnel qui nous entoure lors de nos activités de scène — managers, gardes du corps, chauffeurs, designers et maquilleurs —, il est vêtu du même costume sombre cintré. Ses cheveux, plaqués avec une tonne de gel, lui donneraient presque l'air d'un mannequin de vitrine de magasin s'il n'était pas aussi large d'épaules.

Jordan nous ouvre la portière latérale pour que nous puissions nous engouffrer à l'intérieur, nous adressant un léger rictus en coin de bouche. Lorsqu'elle claque derrière nous, je relâche la tension qui s'était installée dans mes épaules. .

— Jordan a dû se faire remonter les bretelles par le grand patron de l'équipe sécu', remarque Sina avant que ce dernier ne réintègre son siège à l'avant. C'est la première fois que je vois un truc qui ressemble vaguement à un sourire sur son visage.

Nos trois gardes du corps montent dans le deuxième flotteur, le troisième étant déjà occupé par nos managers, et les véhicules démarrent aussitôt pour traverser la ville et rejoindre l'embarcadère qui se trouve en périphérie. Même s'il est encore très tôt, les rues de la capitale commencent progressivement à se remplir. Je pose ma joue contre la vitre teintée et observe avec attention tout ce qui se déroule de l'autre côté. Les commerçants installent leur boutique, les livreurs se frayent un chemin pour acheminer en temps et en heure leurs paquets, les travailleurs les plus matinaux s'agglutinent aux arrêts de navelottantes ou s'engouffrent dans les bouches de monorail, les nettoyeurs vident les poubelles et ramassent les détritus jetés au sol. Parfois, j'aimerais me tenir là, au milieu de tout ce monde, sans craindre pour mon intégrité physique.

Nous quittons les quartiers fréquentés pour en traverser d'autres, plus calmes, plus résidentiels. De la lumière s'échappe de quelques fenêtres. De la vapeur d'eau s'exhale des conduits métalliques pointant vers le ciel. Les vibrations du moteur me bercent et mes yeux se ferment sans que je puisse l'en empêcher.

***

Quelque chose me pince la joue et je me réveille en sursaut pour faire face à Sina qui me regarde d'un air amusé par-dessus ses verres fumés.

— Ça fait mal !

— Le carrosse du prince est arrivé, se moque-t-il en remontant les lunettes de son index sur le nez.

Je jette un œil à ma tête dans le miroir incrusté dans la têtière du siège conducteur. J'ai la joue un peu rouge et m'essuie le coin de la bouche. Même si je ne le montre pas, ces moments-là me stressent particulièrement. Je redoute toujours le mauvais geste ou la mauvaise parole qui, sorti de son contexte, fera les choux gras de la presse, ternira l'image du groupe et plombera la côte de Fanast.

Jordan s'extirpe du flotteur et en fait le tour pour ouvrir la portière du côté de Letho. Elouen, Tarick et Jean font déjà le pied de grue devant, accompagnés de nos managers, chacun tenant la valise de son protégé. Un filet de sécurité a été tendu entre la descente de la voiture et les portes d'entrée de l'embarcadère. Comme devant chez nous, une foule se masse derrière, bras tendues, flashs crépitants, voix criardes.

Cette fois, nous ne nous attardons pas, nous contentant de saluer de la tête et de la main ceux qui nous appellent. Dans ce chaos, j'entends aussi quelques huées et insultes. La plupart ciblent Sina, mais je suis également visé. Jean semble les avoir entendus, car il se rapproche de moi et glisse sa main sous mon bras. Bien que je sois loin d'être gringalet, il en impose beaucoup plus que moi, alors le savoir à mes côtés me rassure. Néanmoins, les événements de la veille se rappellent à moi et l'appréhension gagne du terrain, me nouant légèrement l'estomac. Je plaque un sourire chaleureux sur mon visage et me concentre dessus pour ne rien laisser paraître.

Tout le long de notre parcours à travers l'embarcadère, nous sommes suivis par des mouvements de foules qui se pressent devant les cordons de sécurité. Ces cordons ne sont d'ailleurs là que par principe. N'importe qui pourrait passer en dessous ou par-dessus, ou simplement faire tomber les piquets au sol. Il me tarde de monter à bord du navirovan.

Devant nous, Letho et Sina avancent d'un bon pas pour coller aux basques de nos managers et nous nous faisons légèrement distancer. Malgré mon inquiétude grandissante, je prends la peine de saluer quelques personnes qui s'époumonent en criant mon prénom. Ce dernier se répercute sur la structure métallique des immenses arches soutenant les carreaux vitrés du hall principal. Quand cela arrive, j'oscille toujours entre le réconfort de me savoir autant apprécié, mais aussi la culpabilité, n'arrivant pas à me débarrasser de l'idée que toute cette attention, je ne la mérite pas vraiment, que d'autres sont bien meilleurs et plus légitimes que moi.

Alors que je me perds dans des réflexions internes et que nous approchons du portique de sécurité, un étrange malaise me saisit soudain. Mon rythme cardiaque s'emballe, ma respiration se saccade et l'air se fait plus rare dans mes poumons. Je tente de garder un visage impassible, mais ne peux m'empêcher de poser une main sur celle de Jean. Ce dernier tressaille, puis, sans me regarder, resserre sa prise sur mon bras et allonge le pas. Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Je n'ai jamais été sujet aux crises d'angoisse et ça y ressemble fortement.

Un mouvement attire mon attention et, à peine ai-je le temps de tourner la tête, que Jean fait barrage avec son corps pour arrêter une jeune femme qui se précipitait vers nous. Par-dessus l'épaule de mon garde du corps, je croise son regard. Vert. Irisé d'or. Teinté de surprise, de soulagement et de douleur. Elle tourne la tête pour regarder derrière elle, et à travers ses cheveux bruns, j'aperçois l'ombre d'un homme qui s'échappe à toutes jambes pour fuir à travers une foule plus houleuse que jamais. Les flashs n'ont jamais été aussi vifs, les cris jamais aussi perçants. Et dans tout ce tumulte, je crois discerner des silhouettes fantomatiques effrayantes, certaines humaines, d'autres bestiales aux crocs acérés, s'enroulant autour des piliers du hall. Sans doute le fruit de mon imagination délirante à cause de l'angoisse qui me saisit tout entier cette fois.

— Lâchez ce couteau.

Même si cela n'a été qu'un murmure, j'ai parfaitement entendu les mots prononcés par Jean. Son ton, glacial, n'appelle aucune discussion.

Les ombres se délitent et mon regard se pose à nouveau sur la jeune femme, ou plus précisément sur sa main qui tient un couteau ensanglanté. Mon cœur cogne fort dans ma cage thoracique.

— Ça fait un mal de chien...

Sa voix, semblable à une brise légère, s'éteint. Ses iris cherchent désespérément les miens à travers de longs cils qui battent un lent tempo. Puis son corps lâche prise. Dans un réflexe que je ne contrôle pas, je passe sous le bras de Jean et me jette à genoux pour tendre la main sous sa tête avant qu'elle ne se fracasse sur le sol. Mon autre main prend malencontreusement appui sur la lame du couteau qu'elle a fait tomber, m'entaillant cruellement la paume. Au même moment, une violente secousse ébranle l'embarcadère, déclenchant cette fois des cris de détresse et de panique autour de nous.

Je redresse la tête pour observer ce qu'il se passe. Le chaos est total. Les cordons de sécurités se font happer par la foule qui s'éparpille de tous les côtés alors que je sens des projectiles me percuter le dos. À peine ai-je le temps d'apercevoir les piliers rongés jusqu'à la dernière molécule par ces silhouettes fantomatiques que Jean se couche sur moi, m'obligeant à me plaquer contre la jeune femme inconsciente. Je me contorsionne pour tenter de protéger son visage. Une seconde secousse se fait ressentir, aussitôt suivie d'un bruit sinistre de tôle qui se froisse, de verre qui se brise et de béton qui s'effrite en mille morceaux. Mon cœur s'emballe comme jamais il ne l'a fait depuis ce fameux jour.

Alors c'est comme ça que ça doit se passer...

Moi qui n'ai jamais cru au destin, le voilà qui me rattrape.

Seize ans plus tard.

♪♪♪

♪♪♪

Et voici donc le petit dernier de Chaos : Lou. Vous avez enfin fait la connaissance de tous les personnages principaux de "De l'autre côté" !

Avez-vous déjà un personnage préféré après cette série de chapitre introductif ? Moi je n'arrive toujours pas à me décider, comme dans chacune de mes histoires, je les aime tous autant qu'ils sont, aussi bien pour leurs qualités que leurs défauts.

Jusque-là, qu'est-ce qui vous plaît le moins ?

À l'inverse, qu'est-ce qui vous plaît le plus ?

Si c'était vous qui écriviez la suite, comment l'envisageriez-vous ?

D'ici là, je vous dis à la semaine prochaine !

♪ Des bisous ♪

Lysiah

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