⁖ 4 · Letho


Jeudi 18 octobre 2540

Quartier du Canor – Levaria

KarMane


David arrête la voiture devant l'immeuble vertigineux de Fanast. De l'autre côté de la vitre, je vois déjà une horde de journalistes se précipiter vers nous. Les flashs crépitent alors que je ne suis même pas encore sorti.

— Tu es prêt ?

Je tourne la tête vers la gauche et dévisage un instant Elouen qui se tient à mes côtés, les biceps gonflés à bloc sous son costume trois-pièces. Il m'est arrivé à plusieurs reprises d'insister pour que les gardes du corps portent une tenue plus confortable et adaptée à leur fonction, mais le directeur de la sécurité de Fanast, Gus Dilo, ne veut rien savoir. Il m'a avancé l'argument que cela nuirait à notre image et, comme sur tous les sujets liés à la sécurité, la décision finale lui revient, je n'ai toujours pas eu gain de cause.

J'acquiesce silencieusement et le visage jovial d'Elouen se transforme d'un coup, prenant une expression sombre et sinistre. Dans ces moments-là, il ne vaut mieux pas trop se frotter à lui. Certains s'y sont essayés et n'en ont pas forcément gardé un heureux souvenir. Mon garde du corps ouvre la portière arrière gauche et contourne rapidement le véhicule pour fendre la foule qui s'y est agglutinée. En distribuant quelques coups de coude bien placés, il fait un peu de place autour de ma portière qu'il ouvre à son tour pour me faire sortir. Sa poigne sur mon bras est ferme et il m'enveloppe de sa carrure colossale pour m'escorter jusqu'à l'entrée du bâtiment. Il n'y a qu'une vingtaine de mètres à parcourir, pourtant j'ai l'impression que la distance est bien plus grande.

Les journalistes et les fans me hurlent tous de les regarder, de leur faire un signe, de leur dire un mot. La plupart du temps, nous passons par les sous-sols pour éviter qu'un attroupement se forme devant l'agence, mais aujourd'hui nous avons communiqué officiellement mon agenda pour faire plaisir à la presse et aux fans et commencer à attiser l'attention sur nos prochains événements. Sauf qu'à cet instant précis, je ne me sens pas d'humeur. L'envie de poser n'est absolument pas au rendez-vous. Il y a des jours avec, des jours sans, et aujourd'hui j'aurais préféré une arrivée discrète afin de ne pas être sous le feu des projecteurs. Cependant, ça fait partie de mon métier, alors j'affiche un sourire affable sur mon visage, agite plusieurs fois ma main, leur envoie quelques cœurs et leur demande s'ils vont bien.

La célébrité n'a pas que des avantages. Parfois, j'aimerais juste pouvoir déambuler dans la rue en toute tranquillité ou m'asseoir à une table en terrasse, sans avoir besoin de me couvrir le visage. Mais par-dessus tout, ce que j'aimerais, c'est pouvoir discuter avec ceux qui nous suivent depuis le début, ou même plus récemment, sans être parasités. Parler de tout et de rien. De ce qu'ils font dans la vie. Quelles sont leurs passions ? Leurs rêves ? Avoir une discussion normale, entre gens normaux. Quelque chose qui est devenu très compliqué aujourd'hui. Chaque personne que nous approchons finit par se retrouver au cœur de rumeurs toutes plus absurdes les unes que les autres, si bien que nous avons décidé de restreindre au strict minimum nos relations extérieures au groupe. Némeïs est une exception, bien qu'elle et Sun gardent leur relation secrète aux yeux du public pour l'instant. Mais si Sun est heureux avec elle, ils ont toute notre bénédiction et Némeïs a toute sa place parmi nous.

Un souffle chaud me fait sortir de ma bulle et nous pénétrons avec Elouen dans le hall du QG de Fanast. L'étreinte de mon garde du corps se relâche lorsque nous passons les portiques sécurisés et il reprend une distance convenable avec moi. Je le remercie d'un hochement de tête. Même si je me sens capable d'affronter la foule seul, le savoir à mes côtés est source de réconfort. Avec le temps, il est devenu plus qu'un porte-flingue. Il est devenu un ami, une oreille attentive sur qui je peux compter. En toute circonstance.

Nous passons devant l'accueil épuré et les agents nous saluent poliment avant d'annoncer notre arrivée au Directeur général. Nos semelles claquent sur le sol lisse et brillant, résonnant sous le plafond du hall, jusqu'à ce que nous arrivions près des ascenseurs. Quelques plantes et tableaux décorent les lieux, mais globalement nous avons tenu à conserver une certaine sobriété dans les locaux de Fanast. Une ambiance chaleureuse et confortable pour les employés, agréable aux yeux des visiteurs, mais sans tomber dans le fastueux, et surtout un agencement fonctionnel pour que chacun puisse travailler dans les meilleures conditions possibles.

Avec Elouen, nous montons dans les ascenseurs qui nous transportent jusqu'au dernier étage de l'immeuble. Lorsque les portes s'ouvrent, nous arrivons directement au milieu du bureau de Daniels Grissim, plus connu sous le nom de Phoenix auprès du grand public. Son bureau occupe tout l'étage, vaste pièce parsemée de paravents plus ou moins ajourée, jouant élégamment avec la lumière qui entre à flots par les grandes baies vitrées, et donnant sur une immense terrasse avec une vue imprenable sur Levaria.

Il arrive que le dernier étage se transforme parfois en salle de réception. La plupart des trophées que nous avons remportés sont exposés ici, mis en valeur sur des stèles précisant l'événement et l'année auxquels ils se réfèrent, ce qui surprend souvent les invités qui se rendent alors compte de notre véritable parcours. Phoenix a également rajouté quelques toiles et œuvres variées d'artistes célèbres qui égayent le lieu par leurs couleurs chaleureuses. Cet endroit ressemble plus à une galerie d'exposition qu'un bureau, mais toujours avec la sobriété qu'on retrouve à tous les étages.

— Letho !

La voix granuleuse de Phoenix me sort de ma contemplation et je le salue de la tête tandis qu'il traverse les mètres qui nous séparent.

— Comment vas-tu, depuis le temps ?

— On s'est vu il y a deux jours au quatrième, remarqué-je avec un rictus en coin.

Phoenix lève ses yeux verts d'eau en amande au ciel, l'air de réfléchir avant de s'exclamer :

— Ah oui, c'est vrai ! J'ai tellement de choses à faire que j'ai l'impression qu'il s'est passé un mois depuis la dernière fois que je t'ai croisé.

— Non, seulement 48 heures.

Devant mon sarcasme, l'homme maugrée entre ses dents, ce qui m'arrache un sourire plus franc.

— Nous devons parler affaires, lâche-t-il finalement. Elouen, est-ce que tu peux nous laisser ?

Ce dernier s'incline et s'éloigne pour gagner une autre partie du dernier étage, où il pourra patienter confortablement, non sans m'adresser un petit signe de main.

— Viens t'asseoir, on en a pour un petit moment.

Je suis Phoenix jusqu'à un espace où plusieurs canapés et fauteuils ont été disposés chaleureusement autour d'une table basse. Je prends place en face de lui et attrape un coussin pour le poser sur mes genoux et y planter mes coudes tandis qu'il s'évertue à remettre en ordre ses cheveux châtains courts et aussi raides que des épis de blé.

— Comme tu le sais, nous avons fait un appel d'offres pour gérer l'organisation de notre participation au Fest'Pop Art, car nous nous séparons de notre agence de communication événementielle actuelle. Je te passe les détails, d'autant plus que tu en connais déjà une bonne partie, mais pour résumer : ils ont manqué de professionnalisme à bien des égards. Nous jouons gros sur cet événement, car certains sponsors sont en train de revoir leur stratégie et pourraient se désengager pour réinvestir dans d'autres secteurs. Nos finances ne sont pas au plus haut, suite aux récents investissements que nous avons faits pour développer Zalam' et Talo ; nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ces partenaires.

— A-t-on reçu des propositions intéressantes ?

Phoenix tapote la table basse de l'index et celle-ci s'illumine aussitôt. Un hologramme est projeté entre nous deux, représentant deux dossiers. Le premier porte le nom de Lacetcygne et le second d'OniriQom.

— Le service juridique avait retenu ces deux candidatures, mais j'en ai écarté une, car l'entreprise est soupçonnée d'avoir payé des pots de vin pour manipuler leur audience. Même si la justice n'a pas encore tranché sur leur cas, je préfère éviter de nous engager dans une situation qui pourrait se compliquer. Il n'en reste plus qu'une et comme nous sommes à court de temps, nous ne pouvons pas refaire un appel d'offres.

— OniriQom..., murmuré-je. N'a-t-on pas déjà travaillé avec eux ?

— Tout à fait. C'était il y a trois ans, pour la promotion de notre campagne de don pour l'association d'aides aux orphelins de guerre au moment de la sortie de « Entre terre et ciel ». À l'époque, ils avaient fait du très bon travail et depuis l'agence s'est bien développée, intégrant même le quartier d'affaires de Lumia.

— Ils ne se trouvent pas loin d'ici, énoncé-je à voix haute. Cela facilitera les échanges si notre collaboration perdure après le festival.

— C'est effectivement un des points positifs, mais ce que je retiens surtout c'est qu'à l'époque, bien que je n'aie pas pu superviser moi-même la campagne de don il y a trois ans, Toni et Éloïse m'avaient fait beaucoup d'éloges sur leur cheffe de projet événementiel. Une petite jeune qui ne payait pas de mine apparemment, mais qui a su gérer toutes les difficultés d'une main de maître afin que tout se déroule comme prévu pour vous.

Phoenix exécute quelques mouvements de l'index pour fouiller le dossier d'OniriQom.

— Il s'agit d'une certaine Lénaëlle Kalla. Comme elle travaille toujours pour eux, j'ai demandé explicitement à ce que ce soit elle qui soit en charge de cet événement. Nous devons la rencontrer pour faire le tour des lieux. Nous en profiterons pour ajuster certains détails avec vous cinq, mais avant, j'aimerais ton avis sur leur proposition pour préparer un peu le terrain.

J'acquiesce et déploie les documents devant moi. Les deux premières années après la formation de Chaos, lorsque nous avons sorti nos premières EP et premiers singles, nous nous investissions assez peu dans les concepts des événements auxquels nous participions. Nous nous contentions d'écrire nos chansons et de les répéter, encore et encore, ainsi que les chorégraphies pour que tout soit parfait le jour J. Phoenix gérait tout le reste pour que ça colle aux messages que nous souhaitions véhiculer.

Néanmoins, nous avons rapidement ressenti le besoin de nous investir davantage dans tout ce que nous faisons. De l'écriture des chansons, à la composition, en passant par la production, la chorégraphie, les clips promotionnels et les concepts photo... Nous voulions maîtriser toute la chaîne, de la conception à la production devant le public. Nous voulions construire un univers propre à notre groupe, racontant plus que des histoires décousues et nous permettant de mettre toutes nos tripes dedans. Je pense, en toute humilité, que nous avons réussi au-delà de nos espérances. Le chemin a été long et compliqué, mais nous n'avons rien lâché.

Je me reconcentre sur les informations étalées sous mes yeux. Avec les gars, nous avions donné un brief très complet à Phoenix pour réaliser l'appel d'offres et je vois qu'OniriQom y répond point par point, faisant preuve d'originalité sur certains axes. En lisant la proposition, ça me donne l'impression d'avoir à faire à des gens qui nous connaissent réellement, comprenant le sens de notre musique au-delà de la première impression que l'on peut laisser. C'est assez rare avec nos partenaires pour le souligner.

Je passe encore un long moment à éplucher tous les documents, prenant des notes sur ce qui pourrait être amélioré ou sur les éléments à confirmer selon la disposition des lieux. Même si les costumes sont bien pensés par rapport au concept, je pense qu'ils manquent un peu de contraste et ne ressortiront pas suffisamment sur le décor prévu. L'ordre des animations pourrait également être légèrement modifié pour faire davantage monter l'engouement des spectateurs, mais tous ces éléments relèvent de l'ordre du détail. Je suis franchement impressionné par la qualité de cette candidature. Aussi bien sur la forme — les documents ont une mise en page impeccable et les épreuves audiovisuelles et photographiques sont abouties — que sur le fond.

— Honnêtement, je n'ai pas grand-chose à redire, conclus-je. Quand doit-on les rencontrer ?

— Demain.

— Demain ? N'est-ce pas un peu précipité ?

— Le contrat a été signé ce matin à la première heure et je veux que nous ayons suffisamment de temps pour anticiper les éventuels aléas que nous pourrions rencontrer. Lors de la dernière édition du Fest'Pop Art, nous avons fait preuve de trop de confiance et nous ne sommes pas passés loin du fiasco.

Je m'en souviens comme si c'était hier, alors qu'un an s'est écoulé depuis. Jamais nous n'avions ressenti une pression aussi forte avant de monter sur scène. Les décors avaient été faits de bric et de broc suite à un défaut de livraison des fournisseurs, les costumes n'avaient pas été réalisés aux bonnes dimensions, une partie du matériel était défectueux, notamment nos oreillettes, ce qui nous a obligés à chanter sans retour son et Sina et Lou souffraient d'une mauvaise fièvre ce jour-là. Notre assiduité aux répétitions et entraînements que nous nous imposons constamment pour rester au top nous a permis d'éviter le pire et de donner le change sur scène. Nous avons même réussi à remporter plusieurs prix à cette occasion, ce qui relevait du miracle vu les circonstances. Cependant, si nous pouvons éviter ce stress inutile à l'avenir, tout le monde s'en portera mieux. Moi le premier.

— Le Directeur général de l'agence, Lastan Folkuri, nous fera l'honneur de sa présence en plus de Lénaëlle Kalla demain sur les lieux du festival à Sevian. Je nous ai pris des billets pour le premier navirovan au départ de Levaria, demain. Avec un peu de chance, l'information n'aura pas le temps de fuiter, et ce sera relativement calme à l'embarcadère.

Je lève un sourcil.

— Tu y crois vraiment ?

Phoenix grimace.

— On peut toujours espérer. De toute façon, vos gardes du corps et managers viendront avec nous également. Donc vous serez bien entourés, quoi qu'il arrive. La sécurité de l'aéroport sera aussi renforcée sur votre trajet. Est-ce que tu veux boire un verre avec moi avant de repartir ? me demande-t-il soudain afin de clôturer le sujet.

Alors que j'allais volontiers accepter, une sensation bizarre s'empare de moi. Ça pourrait ressembler à un malaise, mais ce n'est pas ça, car je ne me sens pas partir. J'ai juste l'étrange impression que mon corps et mon âme se rétractent sur eux-mêmes, comme s'ils allaient disparaître. Je ne sais pas pourquoi, mais aussitôt, les visages de Sun, Sina, Lou et Len me frappent l'esprit. Cette sensation bizarre se transforme en mauvais pressentiment.

— Une autre fois, peut-être, décliné-je d'une voix ferme, malgré tout. Je vais rentrer pour préparer mes affaires.

— Comme tu voudras. Je vous envoie les informations du vol pour demain dans la soirée.

Je me relève, portant une main à ma poitrine dans l'espoir de faire disparaître ce sentiment désagréable qui m'étreint, mais rien à faire. Il faut que je rentre. Maintenant.

♪♪♪

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Je suis désolée, j'aurais dû publier hier, mais j'étais sur la route des vacances, plus quelques petits pépins de dernières minutes et la journée a filé à toute vitesse.

Nous revoilà en compagnie de Letho, autre membre appartenant au groupe Chaos ! On continue l'introduction des personnages, le rythme est peut-être un peu plus lent sur ce chapitre, mais Letho est aussi un personnage plus posé. Les hostilités reprendront bientôt !

Petite note concernant l'illustration : sachez que c'est la seule version qu'il me reste de Letho. Je ne sais pas comment cela a pu arriver, mais j'ai perdu le fichier source avec tous les différents calques, me permettant d'enlever les effets et de refaire d'autres montages par la suite si je le souhaite. Eh bien pour cette illustration, ce n'est pas possible et croyez-moi, ça m'a fendu le cœur, parce que j'y ai passé plusieurs longues heures. Il faut absolument que je refasse une autre illustration pour ce personnage. Mais c'est la raison pour laquelle il sera le seul avec les éclairs dans les yeux.

À la semaine prochaine pour la suite !

♪ Des bisous ♪

Lysiah

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