« Des limbes de la Toile émergeront ceux qui signeront la fin de notre ère. Masque d'innocence, mais cœur perfide, il sera aisé de leur accorder notre confiance. Elijha ne se trompe jamais et tous les signes concordent à nous implorer la plus grande prudence. Si je poussais l'interprétation un peu plus loin, j'irais même jusqu'à dire qu'il nous implore de ne pas attendre que l'irréparable se produise. Quand viendra l'heure de se défendre, il sera déjà trop tard et nous ne pourrons plus que retarder l'inéluctable. Alors nous devons agir, le plus tôt possible. »

An 563

Les Destructeurs de Mondes

Volume 1 – Lever le voile

Agricae Lentac


Elle referme le livre et pousse un soupir exténué. Son index suit lentement le tracé des gravures présentes sur la couverture de l'ouvrage ô combien précieux. Au fil du temps, les dorures ont presque entièrement disparu, ne laissant plus qu'un sillon sur le cuir usé. Une mèche blonde s'échappe de son chignon relâché et vient lui chatouiller le nez. D'une main agacée, elle la balaye sur le côté et rassemble ses jupons pour se relever.

Cette fois, ils y étaient presque. Et ce sentiment d'échec n'en est que plus cuisant. À chaque tentative, les forces en présence sont plus puissantes, pourtant ils restent intouchables. Une sorcellerie mystique semble œuvrer pour leur éviter le funeste destin qu'ils mériteraient amplement afin de protéger notre monde.

La Monarque Astri contemple une dernière fois le premier volume de la trilogie de grimoires rassemblant tous les écrits d'Agricae Lentac au sujet de la Prophétie des Destructeurs de Mondes. Ce soir, vidée de toute son énergie, la tâche lui paraît insurmontable. Bien qu'elle semble avoir toutes les pièces maîtresses lui permettant de remporter la victoire, ils continuent de la tenir en échec. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir tenté d'attaquer le mal à la racine il y a de ça plus d'une décennie maintenant. Mais il faut croire que ce n'était pas suffisant. Ils auraient dû remonter jusqu'aux générations précédentes. Peut-être auraient-ils même dû éradiquer des villes entières, quitte à sacrifier des innocents sur l'autel de la préservation de leur monde. C'est un choix que ses prédécesseurs s'étaient refusé de faire, et jusqu'à présent, il lui paraissait normal de rester fidèle aux principes de la Guilde Lentac. Mais aujourd'hui, le doute s'insinue en elle avec plus d'insistance. Sans doute ont-ils eu tort de faire preuve d'autant de clémence.

Un soupir s'échappe de la gorge nouée de la Monarque. Seule dans sa grande bibliothèque, elle n'a pas besoin de s'infliger le masque de fer qu'elle aborde en permanence. Ce lieu est son unique sanctuaire. Le seul endroit où ses larmes peuvent trouver le chemin de ses joues sans qu'elle en éprouve une quelconque honte. Le seul endroit où sa voix peut trembler de rage ou de peur. Le seul endroit où elle peut laisser son titre de Monarque sur le seuil et juste redevenir Astri ; une jeune fille de bonne famille qui avait pour ambition de devenir peintre. Les années, puis les décennies ont passé, quelques rides se sont installées au coin des yeux, et les épaules sont devenues plus lourdes. Beaucoup plus lourdes.

Ses pas la mènent à proximité d'une grande fenêtre dont l'arche, finement ciselée dans la pierre noire, donne sur l'un des plus beaux jardins intérieurs du Palais. Cet écrin de nature, elle est également la seule à pouvoir en jouir si l'on exclut les jardiniers qui y travaillent avec ferveur pour conserver la beauté des fleurs bleues luxuriantes qui s'enroulent autour des piliers décoratifs, pour venir chatouiller le bout des feuilles de l'Arbre de Vie qui s'épanouit en son centre.

Cet arbre est un mystère de la nature. Il n'est répertorié dans aucun ouvrage, et Elijha sait à quel point Astri a pu s'abreuver de savoir à travers les livres, et à ce jour, aucun autre spécimen de son espèce n'a été trouvé. Les feuilles, de la taille d'une main moyenne, sont duveteuses et changent de couleur selon la luminosité. Lorsqu'un rayon de soleil perce la voûte formée par le lierre verdoyant, elles prennent une teinte pourpre gourmande et lorsque l'obscurité commence à poindre, elles se parent d'une délicieuse couleur orangée pigmentée d'or. L'écorce, rugueuse et noueuse, recouverte de lichen d'un vert tirant sur l'émeraude, sécrète une sève que le Palais récolte depuis des siècles pour venir alimenter les vasques de la Grande Salle des Psychés.

L'Arbre de Vie tient une place prépondérante au sein de la Guilde Lentac qui a bâti de nombreux concepts autour de cet élément sacré qui est pourtant loin d'avoir livré tous ses secrets.

Quelques braseros, soigneusement entretenus par les jardiniers pour éviter tout risque d'incendie, diffusent une lueur chaleureuse tandis que le crépuscule s'installe. Cette vision aurait dû réconforter la Monarque qui vient toujours se ressourcer dans ce lieu empreint d'une force chaleureuse et réconfortante, pourtant il n'en est rien. Ce soir, l'échec des Manipulateurs douloureux à endurer, car une fois de plus l'espoir d'un avenir radieux pour son royaume s'amenuise. Certes, cette tentative était précipitée ; ils ont eu peu de temps pour se préparer après avoir détecté l'ouverture d'une faille, mais la défaite n'en reste pas moins amère.

Elle qui rêvait d'une vie douce et paisible n'a finalement fait face qu'à une série de défis tous plus insurmontables les uns que les autres. Parfois, elle aimerait revenir à cet âge où tout lui paraissait possible, où les seules questions qui embarrassaient son esprit étaient de savoir si elle aurait le droit de manger les délicieux gâteaux cuisinés par Madame Doiërnel, où si elle trouverait son prince charmant au prochain bal. Que cette naïveté et cette insouciance lui manquent.

— Bah ! À quoi ça te sert de ressasser tout ça ? C'est du temps et de l'énergie perdue.

Seul le bruit de la brise dans les feuilles graciles de l'Arbre de Vie lui répond. Les murs noirs de sa bibliothèque restent froids. Les étagères en bois croulant sous les livres et lanternes silencieuses. Son cœur vide de toute chaleur.

♪♪♪

♪♪♪

Hello tout le monde !

Avec un petit jour de retard, voici la suite de "De l'autre côté", avec un petit chapitre transitoire qui tranche un peu avec les précédents que vous avez pu lire.

Qu'est-ce que ça vous inspire ?

Il faut que je me remette au travail pour corriger/améliorer le prochain chapitre à venir !

D'ici là, bon courage à tous ceux qui préparent la rentrée demain :)

♪ Des bisous ♪

Lysiah

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