N'ayant jamais pratiqué une telle chose auparavant, ce fut complètement déboussolée et perdue que je lui donnais des cartes. Elle les disposa en demi-cercle avec deux autres au milieu. Elle les étudia attentivement, puis elle releva la tête pour me déclarer :

- L'amour vous hante, n'est-ce pas ?

Étonnée, j'acquiesçai vivement. Elle continua :

- Vous aimez, mais ce n'est pas votre fiancé. Vous aimez un autre homme. Une relation vous semble impossible. Cela vous désespère.

- C'est vrai...

- L'avenir vous effraie et vous dégoute. Vous ne voulez que cet autre homme... Pouvez-vous tirer une autre carte ici ? ajouta-t-elle en pointant un endroit avec son doigt.

J'acquiesçai et j'en reposai une autre. Elle sourit :

- Croyez-moi, il n'est pas insensible à vous, loin de là. Vous le charmez.

Je rougis légèrement en reposant une autre carte au même endroit, comme elle venait de me le demander. Elle continua :

- Seulement, il essaie de ne pas trop le montrer. Il sait que votre amour est impossible. Et surtout, il a peur.

- Peur ?

- Oui... Quelque chose l'effraie... Vous voulez en savoir plus, je suppose ?

- Oui.

- Alors vous allez me tirer six cartes après que je les aies mélangées.

Je hochai la tête en la regardant les reprendre. Quelques instants plus tard, elle les étala à nouveau devant moi. Je tirai et elle les observa attentivement. Elle me déclara :

- Voilà ce que je vois de lui. Financièrement, ce n'est ni un duc, ni un comte. Il n'est pas vraiment riche, n'est-ce pas ?

- C'est exact.

- Je vois qu'il n'aime pas se valoriser, qu'il est sincère et très entourant. Un bon homme. Pour ses sentiments, je vous le dis franchement, c'est évident : il est fou de vous.

- Fou de moi ? répétai-je, comme si elle venait de m'apprendre le plus grand des secrets.

- Pas un amour qui ne dure que quelques jours. Un amour qui s'est construit au fil du temps, un amour qui se renforce encore, un amour pur. Je ne dis pas cela pour satisfaire ou apaiser vos pensées, mais parce que c'est la vérité, m'annonça-t-elle en me fixant sérieusement.

J'avais l'impression qu'il y avait des milliers de mini moi qui sautaient de joie dans ma tête en criant, comme des soldats fêteraient leur victoire. Choquée, heureuse, tant de sentiments qui me parcouraient. Elle ajouta :

- J'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui pourrait tout arranger, de son côté, mais je n'arrive pas à voir quoi... Retirez s'il vous plaît.

Je me dépêchai de le faire. La divinatrice fronça les sourcils :

- Je ne comprends vraiment pas... N'appuyons pas dessus. Si les arcanes souhaitent garder le secret, alors ne leur lui volons pas. Pour ce qui est de ses réflexions, il ne fait que penser à vous. Mais il est préoccupé par la relation que vous entretenez à présent. Il me semble indécis, perdu. Pourtant, je vois très bien qu'il ne souhaite que le bonheur à vos côtes. Qu'il vous désire même si votre séparation sera évidente et brisante.

- Va-t-il s'avancer vers moi, faire quelque chose ?

- Je ne sais pas. Pas dans les jours qui viennent, c'est certain, bien que la relation que vous avez désormais soit assez intime, je ne me trompe ?

- Non. Il ne m'avait jamais été si proche auparavant.

- Si je vous dis qu'il se met en action car la menace du mariage l'effraie, vous me comprenez ? Il est jaloux. Il ne souhaite pas vous perdre.

Mes lèvres s'ouvrirent en un "o" parfait. C'est vrai que c'était logique... Je lui demandai :

- Dois-je faire des choses ?

- Non, restez vous-même. Ou continuez sur votre lancée si vous vous forcez de temps à autres à montrer votre amour pour lui.

- Je vois, merci.

- Nous allons refaire le premier tirage.

Je lui tirai quatorze nouvelles cartes. Elle m'annonça :

- Finalement, il va peut-être se passer quelque chose dans les temps à venir... Je vois un mouvement, de l'intimité...

- J'espère que ce sera le cas...

- Je l'espère pour vous aussi, me sourit-elle. Nous allons passer au tirage médium. Quatorze cartes.

Elle les mélangea, les étala, et je tirai. Ses yeux de mirent à briller :

- Je vous vois comblée ! Dans votre relation amoureuse, j'ai l'impression que vous serez ravie. Néanmoins, j'y vois toujours des craintes. Des peurs. Le mariage. Vous voudrez le repousser, vous n'y arriverez pas. Voulez-vous essayer d'avoir des précisions ?

- Cela ira.

- Donc passons au tirage à long terme. Toujours quatorze cartes.

J'acquiesçai. Je tirai, et elle ne sembla pas comprendre. Je retirai plusieurs fois des nouvelles cartes et elle finit par me déclarer :

- Un gros moment d'inquiétude... J'ai l'impression de voir une solution, je n'en suis pas sûre... Je ne peux rien dire d'autre, c'est très trouble...

- Je vois... Merci beaucoup, j'avais besoin de parler mais je n'avais personne à qui me confier... J'ai l'impression que mon cœur est plus léger, c'est soulageant.

- Je suis contente d'avoir pu vous aider, princesse. Revenons, je pense que les retrouvailles vont bientôt commencer ; j'imagine que vous avez des amies.

- Non, pas vraiment... Elles me parlent car je suis la princesse, mais je sais qu'elles chuchotent entre elles pour rire de moi.

- La jalousie est cruelle.

- C'est vrai.

Nous revînmes à la salle de fête. Tous les regards se postèrent sur moi ; Mère me manda :

- Alors ?

- C'était très instructif. Cette jeune femme a un véritable don.

- J'aimerais dans ce cas, essayer à mon tour, répondit-elle en souriant. Puis-je ?

- C'est un grand honneur pour moi, s'inclina la cartomancienne.

- Alors allons-y. Je reviendrai pour le bal.