Discours sur la dispute amoureuse

Monsieur B m'a mise au défi de parler en langue de Shakespeare, doublée en langue de Molière, de ce que je ne connais absolument pas : la dispute amoureuse.

Car c'est bien connu, je ne me suis jamais laissée emportée, mon cœur ne s'est jamais emballé - de colère. Le rouge ne m'est jamais monté à la face et mes mains n'ont jamais tremblé, au point d'avoir besoin de casser un plat plutôt que de donner un coup de poing dans la tête de l'être tant aimé.

Oui il est vrai que je ne connais pas la colère. Je suis un être ennuyeux sans aucune maladresse. Je ne commets pas l'irréparable mais passe mon temps à demander pardon. Tout est dit...

Il est vrai que je ne monte guère au-delà des cent vingt décibels et seulement quand mon cœur explose. Oui j'épargne à mon entourage ma puissance vocale car j'ai déjà donné dans les bombes et autres pétards qui laissent aux tympans très peu de chances … de rémission… Oui, je m'arrête avant : vingt décibels de moins pour être tout à fait exact.

Vingt est la note maximale et sur ce point je pourrais en parler car j'en ai collectionné. Mais Monsieur ne me demande pas mon avis mais un exercice d'écrits.

Alors mission impossible, Monsieur B ; j'abandonne et fuis. Vous connaissez mes faiblesses. Me faire parler de ce que je ne pratique guère… 1-0 pour vous. Vous l'emportez au jeu de la colère.

Ne voulant toutefois point vous décevoir, je prends sur moi de vous expliquer mes raisons ou objections.

Mon père, homme de grande valeur militaire, n'avait de cesse d'être en colère. Il en voulait au monde entier d'être si bas dans l'échelle, lui qui se voyait au sommet.

Sa colère je l'ai vue dans les larmes de maman et dans certains bleus aussi. Sa colère je l'ai perçue dans les meubles en morceaux, dans les murs émiettés et les poings ensanglantés.

Oui mon ami, la colère vit en moi. Je l'ai héritée. Elle s'insinue, goutte à goutte, contre les injustices, contre cette vie qui n'a ni sens, ni direction, encore moins de justice.

Jalousie et colère ont été, pour moi, un couple détonnant. Mais un jour elle est partie… Elle, c'est mon tout, ma raison d'être sur Terre... Depuis je ne crie plus, ou beaucoup moins, je ne me casse plus et laisse l'exemple de maman déteindre sur moi. Elle avait appris, d'expérience, que la colère ne blesse que le cœur de celui qui l'exprime.

Je ne me mets donc plus en colère pour raison personnelle mais j'explose de tout mon être devant les injustices faites aux autres.

Oui la colère est en moi mais je ne l'exprime que pour autrui. Défendre la veuve et l'orphelin, voici mon leitmotiv.

Alors pour les disputes amoureuses, je botte en touche et pleure jusqu'à la dernière larme...

22/01/22
Wafa Babin