Chapitre 3 [part I] - Survivre
Jamais le calme et le silence ne m'avaient fait aussi peur. Il y avait un bruit de fond, aussi faible qu'un murmure, provenant des étages inférieurs, mais il ne parvenait pas à couvrir le tamtam assourdissant de mon cœur contre mes tempes. Mon corps continuait de trembler comme une feuille et j'ignorais si je serai capable de faire un pas de plus. Non loin d'ici, partout autour de moi, des vampires et des lycans s'affairaient à leurs activités quotidiennes, et j'étais terrorisée de ne pas savoir quelle réaction ils auraient auprès de moi. Allam n'avait clairement pas été un maître de courtoisie, mais Victoria m'avait semblée plus douce et compréhensive. Mais quelle garantie avais-je avec tout cela ? Ces êtres tuaient, se transformaient en monstres hideux assoiffés de sang et meurtriers. J'avais beaucoup trop de mal à les imaginer serviables et aimants pour réussir à me rassurer.
Mais il fallait pourtant que je me bouge. Autour de moi, ce n'était qu'une douce obscurité, simplement brisée par les chandelles aux flammes vacillantes accrochées aux murs. Mes mains commençaient sérieusement à s'engourdir dû à la fraîcheur constante de la demeure et ma tête allait probablement exploser si je ne trouvais pas un moyen de me calmer. J'optai alors pour un tout nouvel objectif : rejoindre la chambre qui renfermaient toutes mes affaires, et si possible en un seul morceau.
Ce troisième – et dernier – étage était aussi spacieux que les précédents mais semblaient abriter essentiellement des pièces privées, probablement des chambres, au regard des innombrables portes numérotées qui m'entouraient. Comme pour remplir cette espace outrageusement trop grand et vide, des petits salons d'appoint étaient disposés dans chaque coin de la pièce, où étaient accommodés des petits pots-pourris de pétales et de fleurs séchées dans des bocaux de cristal. C'était les premières plantes que je voyais dans ce manoir, et elles étaient mortes et desséchées ; la subtilité du décorateur d'intérieur laissait franchement à désirer.
Je tentai de m'agiter un peu, jetant un coup d'œil à l'immense fenêtre qui me renvoyait l'éclat somptueux d'un croissant de Lune. Je savais que je me trouvais au troisième étage d'un immense manoir victorien, mais une furieuse envie de me jeter dans le vide pulsait dans mes veines. Pas pour mourir, mais pour fuir les monstres qui pullulaient en dessous de moi. Je pris une grande respiration et réussis enfin à mettre un pied devant l'autre, fonçant vers une chaise installée à quelques mètres qui paraissait plus faiblarde que le reste du mobilier. Je m'en emparai d'un geste vif et gorgé d'adrénaline, la fis basculer sur deux pieds, et balançai mon talon dans celui qui se trouvait face à moi. Le bois grinça de mécontentement et je réitérai mon geste jusqu'à ce qu'il cède complètement. Ma toute nouvelle arme en main – certes ridicule, mais je n'avais guère mieux à proposer – je rassemblai tout le courage que je possédais et m'avançai vers les marches.
Un étage. C'était tout ce qu'il me fallait parcourir pour rejoindre la chambre. Et c'était visiblement trop demander pour ces créatures ignobles qui m'entendirent descendre malgré mes pas de loups. J'arrivais en bas des marches, à dix mètres de la porte que je convoitais, mais dû m'arrêter en plein mouvement, puisque trois silhouettes s'avançaient dans ma direction. Elles étaient plutôt filiformes, celle du milieu cependant plus grande et beaucoup plus maigre que les autres. Lorsqu'elles furent à ma hauteur, je distinguai deux hommes et une femme absolument ahurissants. Ils avaient la même peau d'albâtre que j'avais pu observer chez Ingham, et cette carrure plus fine et aux traits plus doux que celle d'Allam ou Edmund. De plus, ils avaient tous les trois cette teinte d'yeux si particulière de mélange de bleu et de gris, néanmoins plus sombre, plus voilée que celle du directeur. J'en déduisis immédiatement que je me trouvais face à trois vampires, qui m'observaient avec une curiosité quelque peu vorace.
Je reculai d'un pas, le pied de chaise fortement serré entre mes doigts. Celui du milieu, grand et maigre à faire peur, plissa doucement les yeux en apercevant mon arme de fortune. Il pencha la tête de côté, et souffla, davantage à l'adresse de ses acolytes qu'à la mienne :
- Alors la voilà, la petite protégée d'Eli.
Je ne relevai même pas l'information. Ce qui m'importait, c'était de rejoindre cette chambre au plus vite, et de, surtout, ne pas céder à la panique face aux monstres. Ma nausée revint en force battre dans ma gorge et je jetai un coup d'œil dans le dos des trois individus, espérant pouvoir m'échapper en me mettant à courir. Cependant le type de droite ne m'en laissa pas l'occasion et glissa un long bras, fin mais puissant, juste devant moi, ses doigts accrochés à la rampe pour me faire barrage. Je reculai de nouveau et grimpai une nouvelle marche à reculons.
- Cela faisait longtemps que je n'avais pas approché un humain d'aussi près. J'avais oublié à quel point ils sentent bon.
La fille, superbe brune voluptueuse – qui me rappelait un peu mes collègues en version vampirique – lâcha un soupir d'agacement.
- Calme toi, Sean. On va s'attirer des problèmes avec tes idées à la con.
- Oh, ça va. Je ne vais pas la manger.
Il s'approcha de nouveau et mon dos cogna sur la rampe derrière moi. Ledit Sean avait des cheveux roux aussi vifs que le feu, des taches de rousseurs partout sur son visage marmoréen et de long cils blonds qui ombrageaient ses grands yeux félins. Humain, il devait avoir le look typique du jeune irlandais un peu timide. Vampire, c'était des traits époustouflants de charme nordique qui masquaient une laideur d'âme et d'esprit absolument écœurante. Il fit glisser le dos de son index glacé sur ma joue, descendant doucement vers ma nuque, sous les rires encourageants des deux autres.
- Tu es brûlante, ma jolie, souffla-t-il.
Je fermai les yeux, tentant de maîtriser ma respiration, priant pour qu'il se lasse. Mais soudain je sentis avec horreur son corps se presser contre le mien et son visage n'être plus qu'à quelques infimes centimètres de ma nuque, son souffle tiède glissant sur ma peau. Je me paralysai de surprise.
- Alors, n'es-tu pas tentée par...
- Lâche-moi, espèce de dégénéré !
Dans mon hurlement, je glissai d'une marche pour lui faire perdre l'équilibre et récupérer ma mobilité, avant de brandir mon arme de bois et de la lui éclater en plein sur le crâne. C'était la seconde fois en moins d'une heure que je balançais quelque chose sur le visage d'un vampire, et je ne comprenais toujours pas d'où je tirais cette énergie. Le bois se scinda en deux comme si je m'étais acharnée sur du béton et je fis aussitôt volte-face pour tenter de m'élancer vers la porte. Peine perdue, le grand type trop maigre me saisit le bras et me projeta en arrière. Mon dos percuta les marches et je poussai un cri de douleur, sans néanmoins m'attarder trop longtemps dans cette position. En vitesse, je reculai de plusieurs marches supplémentaires tandis que les trois vampires me dévisageaient dans un mélange d'ahurissement et de colère, me bloquant définitivement la sortie. Sean, qui bien entendu n'avait pas l'air de souffrir d'un quelconque vertige malgré mon attaque, finit par cracher avec véhémence :
- Comment as-tu osé me frapper sale petite traînée ! Pour qui tu te prends ?!
- Va te faire foutre !
Il commença à s'élancer vers moi et mon cœur bondit de terreur dans ma poitrine, mais ses deux acolytes s'interposèrent en le retenant par le bras.
- Arrête, bordel ! Eli va te tuer ! siffla la fille.
- J'en n'ai rien à foutre d'Eli ! Cette garce a osé me frapper !
- On sait et elle paiera pour ça, mais pas aujourd'hui ! gronda le plus grand.
La respiration de Sean agitait son corps tout entier, et l'espace d'une seconde je cru vraiment qu'il allait laisser tomber le masque pour devenir le monstre qui habitait en lui. J'avais commencé à reculer davantage, avec la vague idée de courir rejoindre les directeurs pour me protéger, mais une nouvelle voix claironna dans le hall, beaucoup trop joyeuse et enthousiaste pour passer inaperçue.
- Non mais j'hallucine ! De tous les idiots sur lesquels la petite Léna aurait pu tomber, il fallait que cela soit sur vous !
- Ta gueule Léonard, retourne jouer à la poupée ! siffla Sean sans même jeter un œil au nouvel arrivant, ne me quittant pas des yeux.
Le propriétaire de cette mélodieuse voix ténor apparu à droite de la brune, d'une façon tellement féline que je n'étais même pas certaine qu'il touchait le sol. C'était un homme plutôt petit et mince, aux cheveux si blonds qu'ils en paraissaient blancs et qui lui descendaient jusqu'aux hanches. Il avait des traits fins, juvéniles et délicats, presque féminins, et était habillé d'un jean-slim noir par-dessus des bottines de cuir délacées, et d'une chemise bleue surplombée d'une veste grise ajustée. Un foulard dans les tons roses était noué autour de sa nuque et de nombreux bijoux ornaient ses doigts et ses poignets. Je restai un instant ébahie devant ce style vestimentaire plutôt hors du commun par rapport à tout ce que j'avais pu constater chez les autres habitants de ce manoir, mais je reviens très vite à mon assaillant, qui continuait de me regarder comme une bête féroce prête à bondir.
- Sérieusement, Sean ? Tu es tellement en manque d'attention qu'il faut que tu menaces notre pauvre marquée pour te faire remarquer ?
- Ça ne te regarde pas abruti, vas voir ailleurs, gronda le grand maigrichon.
Léonard éclata d'un rire cristallin en accompagnant ça de grands gestes excessifs un peu loufoques.
- Ah, mon très cher Karl, jouer les voyous ne te va vraiment pas au teint. Et je ne suis pas persuadé que la colère de notre Allam National arrangera beaucoup les choses.
S'ils n'avaient pas déjà eu la mine grisâtre de cadavres ambulants, les trois vampires auraient probablement viré au verdâtre. Ils se redressèrent tous d'un mouvement, déviant vers la gauche, d'où résonnaient les pas lourds et angoissants de l'homme-montagne. Il apparut dans mon champ de vision, dominant le reste de l'assemblée d'une bonne tête, et me jeta un coup d'œil interdit avant de revenir vers les trois vampires.
- Vous foutez quoi, exactement ?
Bon sang, il était terrifiant. Je n'avais rien fait de mal, mais j'avais tout de même peur de me faire tuer. Victoria se révéla elle aussi, mais s'attarda un peu plus longtemps sur mon cas, l'air d'abord surprise de me trouver affalée dans les marches, puis franchement irritée. Elle jeta un regard sombre à Sean qui ne la remarqua même pas, contourna la petite troupe et s'avança dans ma direction. Pendant ce temps, la fille vampire tentait de s'expliquer face à Allam :
- Euh, rien, on s'amusait juste. Pas de quoi fouetter un chat, vraiment...
- Elle est blessée, ça se sent à des kilomètres. Vous voulez créer une émeute, sombres crétins ?
Quoi ? J'étais blessée ? Victoria était arrivée à ma hauteur lorsque je me rendis compte, effectivement, que ma chute dans les escaliers ne m'avait pas laissée indemne. Une douleur stridente inondait mon dos, et la peau de mes mains était éraflée.
La femme lycan s'accroupit près de moi et me tendit prudemment la main, me demandant silencieusement la permission d'examiner les miennes. Je serrai les dents, une part de moi foncièrement mal à l'aise avec l'idée de la toucher, mais me laissai faire tout de même. Sa paume était brûlante, aux antipodes du contact que j'avais eu avec Ingham ou Sean, et mon cœur s'emballa aussitôt pour manifester son désaccord. Elle fut douce cependant, examinant mes plaies d'un œil concentré, comme si elle voulait s'assurer de quelque chose.
- Elle m'a frappé avec un pied de chaise, Allam, je ne pouvais pas...
- Elle vient d'apprendre l'existence des vampires et des lycans il y a de cela une demi-heure ! gronda le loup d'une voix si puissante qu'elle me fit vaciller de terreur. Elle a de quoi être un minimum sur la défensive quand vous vous attaquez à elle !
J'étais à la fois reconnaissante de l'énergie qu'il prodiguait à me défendre et abasourdie par son culot, lui qui m'avait projeté au sol sans ménagement dès notre rencontre. Deux fois.
Mes remarques intérieures durent se lire sur mon visage, puisque Victoria m'envoya un regard à mi-chemin entre l'amusement et la désolation.
- Mais on ne l'a pas attaqué, se défendit Sean d'une voix néanmoins plus assurée que ses confrères. On voulait juste apprendre à la conn...
- Ne te fous pas de moi, espèce de trou du cul, ou ça va mal finir.
Il y eu un long silence durant lequel les trois vampires reculaient doucement devant la majesté d'Allam, abandonnant la partie, humiliés. La fille, visiblement terrorisée, tirait la manche de Karl, qui lui-même tentait d'entraîner son acolyte. Sean hésita une seconde tandis qu'Allam lui lançait un regard à en congeler l'astre solaire, puis rendit les armes et se détourna. Dans son mouvement, il m'envoya un coup d'œil assassin qui me fit frémir d'appréhension, puis disparu en bousculant violemment l'épaule de Léonard, resté silencieux et tout sourire devant la scène.
Les épaules d'Allam s'affaissèrent, comme s'il relâchait la tension accumulée, tandis que le vampire blond virevoltait dans sa direction.
- Ah, quel preux chevalier tu fais ! Je ne me lasserai jamais de te voir en action.
Le loup roula des yeux face à cette remarque.
- Tu n'as rien de mieux à faire ?
- Jamais ! Tu sais bien que de m'occuper des nouveaux arrivants est mon dada !
Ce faisant, il fondit dans ma direction, dans un déluge de cheveux blonds et d'iris bleus célestes ahurissants.
- Encore plus si c'est une fille, souffla-t-il, tout sourire. Alors, jolie Léna, comment vas-tu ? Oh, j'ai vu ce que tu as envoyé dans la figure de cet imbécile de Sean ! C'était fantastique !
Tant d'énergie me donnait le tournis, et il parlait tellement vite que je n'étais pas bien sûre de tout saisir. Je lui accordai un sourire crispé mais il ne sembla pas se formaliser de mon mutisme, m'étudiant sous toutes les coutures comme s'il découvrait un nouveau jouet.
- Alors ? demanda brusquement Allam, resté en bas des marches.
Victoria lâcha doucement ma seconde main et répondit d'une voix douce :
- Elle ne saigne pas. Mais elle a quelques griffures qui pourraient s'épaissir, et de beaux hématomes dans le dos. Il vaut mieux soigner ça au plus vite.
L'homme-montagne assimila l'information dans un bref hochement de tête puis s'avança d'un pas rapide vers la porte que je tentais d'atteindre depuis plusieurs minutes.
- Bon, on s'active. Faut pas qu'elle reste dans le coin pour le moment.
- Tu peux te lever ? me demanda Victoria.
Je hochai la tête et poussai sur mes bras pour me redresser, après un micromouvement de recul à l'encontre de Léonard qui tenta de m'aider. Tout le haut de mon corps hurla d'agonie lorsque je fus redressée, mais je m'empêchai d'émettre la moindre plainte pour ne pas inquiéter davantage mes acolytes. Pour une raison qui m'échappait encore, ils avaient l'air de prendre particulièrement à cœur mon état de santé, et je n'avais guère envie qu'ils intensifient leurs égards envers moi.
***
Et voilà de nouveaux personnages, dont quelques uns pas très aimables... Croyez vous que Sean et sa bande vont s'en tenir à ce petit entremet ?
Et Léonard ! Que pensez-vous de lui ? Gentil, méchant ? Bien farfelu tout de même ce petit, que peut-il bien cacher sous ce caractère un peu loufoque ?
On peut tout de même dire que Léna n'a pas de bol, pour son premier jour. Mais je la trouve plutôt coriace, pas vous ?
On entre dans une phase de découverte, où Léna aura tout à apprendre du fonctionnement de ce manoir étrange... Restez avec elle, elle n'a pas fini d'en baver, croyez-moi ! ;)
MERCI, comme toujours, pour vos votes et vos commentaires, ils me font chaud au coeur, vraiment, et illuminent mes journées parfois pas marrantes de petite humaine au pays des humains <3
A très vite, mes louloups !
[média : Gasoline, Seether]
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