Chapitre 2 [part V] - Ingham & Edmund
- Alors c'est... ça, un vampire ?
Je jetai un coup d'œil inquiet à la silhouette d'Ingham, redevenu ce quadragénaire absolument somptueux. Réaliser qu'un tel monstre était caché sous cette carcasse délicieuse me retournait l'estomac.
- Tout à fait, répondit Edmund.
- Rien à voir avec Twilight.
Les deux hommes s'envoyèrent un regard gorgé d'incompréhension. Je leur fis un petit mouvement du poignet, à la manière Ingham lorsqu'il balayait des remarques inutiles.
- C'est juste un bouquin, avec des vampires qui brillent au Soleil et des loup-garous qui ressemblent à de grosses peluches.
Ingham lâcha un soupir presque scandalisé, tandis qu'Edmund était secoué d'un petit rire sec.
- Nous sommes des êtres de légendes, qui ont profité à la plume d'un bon nombre d'auteurs, admit Ingham en époussetant délicatement le dessus de ses épaules pour dégager quelques éclats de porcelaine.
Je réalisai du même coup que de lui avoir envoyer un vase en pleine figure l'avait à peine décoiffé.
- Ouais, effectivement. Vous êtes des légendes, à la base. C'est ça le problème.
Edmund haussa les épaules, comme s'il ne voyait absolument rien de perturbant là-dedans.
- Il faut bien que les légendes naissent de quelque chose, petite. Et je dois dire que le XXe siècle nous a particulièrement rendu honneur, avec ce bon vieux Dracula.
Ingham laissa un sourire naître sur son visage à la remarque de son confrère.
- Ah, la Transylvanie...
Il balançait ça comme s'il évoquait un vieux souvenir avec nostalgie. Je grognai de désespoir en masquant mes yeux du creux de mon bras. Cette histoire était hallucinante, absolument impossible à croire. Et pourtant je ne pouvais me résoudre à ignorer les torrents de peur qui inondait ma poitrine lorsque je posais les yeux sur Ingham.
Edmund revint vers moi après quelques instants.
- Bon, tout ça pour dire, petite, que tu es en route pour faire partie de notre grande famille, car les deux cercles qui sont sur tes poignets, ce sont des marques. Des marques qui étaient endormies jusque-là, et qui ont été réveillées pour lancer le processus. Nous ignorons de combien de temps exactement tu disposes, mais si un jour tu ressens de nouveau les douleurs d'hier soir dans tes poignets, c'est qu'il est plus que temps de faire un choix.
- Un choix ?
- Oui, un choix, entre devenir un lycan ou un vampire. Tu portes la malédiction, mais elle a ce petit quelque chose de pratique, c'est que contrairement à Ingham et moi, à l'époque, il t'est donné la possibilité de déterminer à quelle race tu souhaites appartenir pour le restant de tes jours. Qui seront plutôt interminables, d'ailleurs.
- Mais je ne veux pas devenir l'un d'entre vous.
Edmund et Ingham eurent le même mouvement de tête compréhensif.
- Nous comprenons ton ressentis, souffla le vampire (je ne m'y ferai jamais). Mais tu ne pourras pas y échapper. Si tu ne prends aucune décision, ces douleurs te tueront. Hier, les brûlures que tu aurais dû ressentir tout le long de ta vie à très petites doses t'ont rattrapées en quelques heures de temps, mais te retrouver ici, au contact des tiens, les ont fait disparaître.
Je sentis une boule épaisse se former au centre de ma gorge.
- Alors si je ne me transforme pas, je meurs ?
- Tu comprends vite.
La boule explosa dans tout mon corps, inondant mes tissus d'une sombre colère.
- Alors je mourrai.
Je me redressai en vitesse, ignorant mes vertiges et ma migraine, pour braquer un regard implacable sur les deux créatures. Ils s'échangèrent un bref regard, avant de revenir vers moi. Ingham souffla d'une voix douce et pleine d'espoir :
- C'est ce que tu dis pour l'instant, mais attend de nous connaître.
- Je n'ai ni envie de vous connaître, ni de vous ressembler.
- Quand les douleurs apparaîtront, tu nous supplieras de te transformer, grinça Edmund.
Je haussai les épaules, glaciale.
- C'est ce que nous verrons.
Ils soupirèrent de concert, peu enclin à continuer le débat. Tandis qu'Ingham s'installait sur un fauteuil à ma droite, Edmund reprit :
- De toute façon, tu ne sortiras pas d'ici, que tu le veuilles ou non. Alors fait avec.
Je serrai les dents et détournai les yeux. Cette histoire m'horripilait au plus haut point, pour une raison qui m'échappait quelque peu. Je n'avais ni envie de mourir, ni envie de me transformer en monstre. Pourtant, ma résolution de ne jamais – jamais – accepter ce deal prenait naissance de quelque chose de plus profond. Comme si cela dépendait d'autre chose, d'une chose plus grande, qui dépassait jusqu'à ma vie et ma simple compréhension. Un genre d'honneur, de fierté singulière, comme si une part de moi, combative, puissante et forte, préférait endurer toute les souffrances du monde plutôt que de se plier à ce destin. Je pris une grande inspiration et me laissai doucement envahir par ce sentiment pour éloigner la panique.
Enfin, je repris la parole, désormais plus calme que je ne l'avais jamais été depuis mon arrivée ici :
- Pourquoi vivez-vous tous dans un manoir ? Et d'ailleurs, on est où ?
- Nous sommes sur une île minuscule au Nord de l'Ecosse, que nous avons nommé Calcite, en rapport avec la dénommée « Pierre du Soleil » qui nous servait à voyager lorsque nous étions des explorateurs. Prends-le comme tu veux, mais c'est une ironie qui nous fait encore sourire aujourd'hui. Il est possible de venir en bateau, mais nous avons pris soin d'éliminer quiconque s'aventurait jusqu'à chez nous ces derniers siècles, cette zone n'est désormais plus qu'un espace fantôme sur une carte du monde, d'où personne ne revient jamais.
J'acquiesçai, peu désireuse d'imaginer ce qui avait pu arriver aux éventuels curieux qui s'étaient pointés ici. Edmund reprit la parole :
- En ce qui concerne le fait que nous soyons tous ici, c'est une façon de nous protéger. Cela fait presque trois cent ans que cela dure, mais ça n'a pas toujours été ainsi.
- Pourquoi ? Qui vous menaçait ?
Les deux hommes s'échangèrent un regard éloquent que je ne parvins pas à interpréter. Ingham prit une courte inspiration avant de revenir vers moi :
- La malédiction nous a rendu monstrueux, certes, mais également très forts. Au départ – après avoir royalement échoués dans notre recherche pour annuler cette malédiction – nous pensions nous venger en transformant un maximum d'humains, et ce n'est qu'après que nous avons compris qu'il ne suffisait pas de les mordre.
- Mordre un humain, reprit Edmund, est efficace. Cela le transforme, certes, mais certainement pas en un être semblable à ceux que tu as en face de toi, ou ceux que tu vas croiser dans ce manoir. Une morsure donnée à un humain lambda le rend vorace, assoiffé de sang, meurtrier et, surtout, incontrôlable. Et ils n'ont eux-mêmes aucun pouvoir pour transformer les autres. Ils tuent, simplement. Nous avons décimé des villages, voir certaines civilisations, en faisant cette erreur. Ce n'est qu'à la naissance de nos fils respectifs, Allam et Eli, que nous avons compris.
Evidemment. Allam et Edmund avaient beaucoup trop de points communs pour que cela soit le fruit du hasard. Mais cela signifiait-il que cette homme-montagne terrifiant que j'avais rencontré avait plus de mille ans, lui aussi ? Je pressai l'arrête de mon nez, ma migraine s'intensifiant par vagues.
- Ils portaient les mêmes marques que toi, Léna, souffla Ingham. Quasiment impossible à repérer à l'œil nu pour un humain à la naissance, mais qui s'intensifient au fur et à mesure des années et deviennent plus visibles. Eli est le plus âgé des deux, et les marques se sont réveillées en premier, il a manqué de mourir à cause de ça. Aux alentours de ses vingt-cinq ans, les douleurs sont apparues, et si je n'avais pas tenté le tout pour le tout en le mordant, dans un dernier espoir, nous n'aurions pas compris. Il est devenu un vampire, exactement comme moi, avec la force et le contrôle de soi qui en découle. Allam a été transformé par son père, un an plus tard, en lycan. Et nous avons compris comment nous reproduire.
Je frissonnai. L'idée que de tels monstres puissent se propager sur cette terre m'exécrait et me filait la nausée.
- Cela passe par les gènes, soufflai-je.
- Exactement. Un vampire ou un lycan se reproduisant avec un humain transmet la malédiction.
- Alors nous avons tout fait pour nous reproduire. Au fur et à mesure des années et des décennies, des vampires et des lycans sont nés des quatre coins du globe et ont construit leur propre lignée.
- Et vous étiez ensemble tout ce temps-là ?
Nouveau regard échangé par les deux êtres surnaturels. Ingham répondit :
- Non. Edmund et moi étions comme des frères, fut un temps, mais la malédiction nous a éloignés. Vampires et lycans sont des êtres antagonistes par nature, et il était impossible de concevoir une cohabitation pendant très longtemps.
- Mais...
- Il y a autre chose que cette malédiction a engendré, me coupa Edmund gravement. La naissance des chasseurs.
J'hallucinais. Cette histoire était un véritable scénario de science-fiction, avec tous les clichés bon-marchés qui faisaient vendre. Ils durent lire le désespoir sur mon visage, puisqu'Ingham enchaîna aussitôt :
- Notre race n'est pas une création naturelle. Elle a été contrainte et forcée par des procédés occultes qui ont inversés l'équilibre des forces dans notre monde. Comme nous le disions plus tôt, elle nous a certes rendu vulnérable au Soleil et à la Lune, mais elle nous a rendu puissants. Plus puissants que n'importe quel être sur Terre. Alors sont nés les chasseurs. Des êtres capables de nous combattre.
- Des monstres, eux-aussi ?
Ils tiquèrent à mon appellation mais ne relevèrent pas. De mon côté, j'étais plus que déterminée à leur faire comprendre que leur histoire de « force » et de « puissance » ne me ferait pas changer d'avis. Leur existence me répugnait.
- Non, des humains, répondit Edmund. Qui vivent et qui meurent, comme tout humain à l'habitude de faire. Mais dotés d'un certain talent, de certaines capacités... je ne saurais pas vraiment décrire ça. Ils ont du moins été capables de nous exterminer, quasiment jusqu'au dernier.
Je frissonnai, et, d'emblée, j'adorai cette histoire de chasseur.
- Nous allons t'épargner les détails, mais lycans et vampires ont trouvé un terrain d'entente pour se protéger des chasseurs, et nous avons créé le manoir de Calcite, pour pouvoir vivre en toute tranquillité.
J'acquiesçai, assimilant comme je pouvais ce trop-plein d'informations. Les loup-garous et les vampires existaient. Comme dans les livres. Ils se cachaient en meute sur une île fantôme près de l'Ecosse, pour se protéger des grands chasseurs humains nés pour les éliminer. C'était une histoire de fous, et j'espérais sincèrement me réveiller soudainement dans le vieux lit de mon appartement gorgé d'humidité, pour tout reléguer au rang de « rêve de l'année ». Mais je savais que cela n'arriverait pas.
- Vous êtes donc les seuls survivants ? m'enquis-je, plus pour faire la conversation que par réel intérêt.
Je ne savais plus quoi dire ou quoi faire pour me sortir de là, et continuer à poser des questions reculait l'instant où je me retrouverai confrontée à moi-même dans cet immense manoir.
- Nous ne savons pas vraiment, répondit Ingham. Il nous est désormais interdit de procréer, car si une nouvelle lignée prend vie, c'est également une nouvelle famille de chasseurs qui nait. Cela restreint aussi le besoin des habitants de ce manoir à sortir d'ici. Par contre, impossible de savoir si d'autres familles de vampires ou de lycans ne vivent pas reclus, quelque part sur la planète.
Il s'écoula quelques instants. Ingham et Edmund semblaient deviner que ces révélations sonnaient le glas de toutes les certitudes sur lesquelles j'avais basé mon existence jusqu'alors, et me laissaient le loisir de digérer la nouvelle à mon rythme. Je n'étais cependant pas certaine d'y arriver réellement un jour. Je continuais de trembler comme une feuille, et mon envie de vomir s'épaississait dans ma poitrine.
Je pris de grandes inspirations avant de poser l'ultime question qui me venait en tête :
- Vous avez dit que les marques devenaient de plus en plus visibles à mesure que l'on grandissait. Mais moi, je ne les ai découvertes qu'hier soir.
Ingham et Edmund hochèrent la tête, comme s'ils applaudissaient ma finesse d'esprit. Ce fut de nouveau le vampire qui me répondit :
- Cela a été différent, pour toi. Tes marques ont été endormies jusqu'à hier soir, elles sont apparues en même temps que ta douleur.
- Mais comment ça se fait ?
Ils s'échangèrent un regard et Edmund fit mine de tousser d'impatience, se redressant brusquement. Je fus un instant tétanisée devant sa silhouette immense et massive que je constatais réellement pour la première fois. Il respirait la force et la puissance, comme s'il pouvait me rompre le cou d'une simple gifle. J'en eu le souffle coupé d'angoisse. Il me tourna le dos et commença à réorganiser des papiers sur son bureau dans de grands gestes hasardeux, et soudain son jeu d'acteur me parut franchement moins impressionnant.
- Ça, c'est pour plus tard, petite. Ça serait bête de gâcher le suspens. Maintenant fous le camp, on t'a assez vu.
Je détournai les yeux pour les poser sur Ingham, qui affichait une mine désolée mais qui ne bronchait pas. Je me redressai donc, le corps aussi faible que du coton. J'avais la sensation que l'on m'avait broyé les jambes au mixeur, avant de les ré-assembler sur le reste de ma carcasse. J'hésitai un instant, pas certaine d'avoir envie de rester ici, mais encore moins à l'idée de me retrouver seule sur le palier. Le vampire me lança un sourire, ayant visiblement compris mon hésitation.
- Ne t'inquiète pas, Allam est supposé te fournir des armes pour te défendre en cas de conflit.
- Parce qu'il va y avoir du conflit ? Je croyais que j'étais l'une des vôtres.
Le corps d'Edmund, toujours de dos, fut secoué d'un petit rire, tandis qu'Ingham affichait une mine se voulant rassurante.
- Normalement, non. Mais sait-on jamais.
En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, je me retrouvai seule, abandonnée derrière la porte fermée des directeurs, dans l'obscurité de ma nouvelle prison. Et jamais de ma vie je ne m'étais sentie aussi faible.
***
Fin du chapitre 2 ! Un chapitre assez dense, je vous le concède... Mais avec pleiiiin de révélations ! Les choses se précisent concernant les marques de Léna, même si une question reste entière : pourquoi se sont-elles réveillées si tardivement ? Que s'est-il passé ? Une idée là-dessus ?
Et puis il y a ce choix, ce fameux choix que Léna refuse de prendre. Que feriez-vous, à sa place ? Accepteriez vous ce sort pour une vie éternelle, à l'abri du soleil, ou esclave de la lune ? Léna a-t-elle raison de refuser, d'emblée, ce que lui offre son destin ?
Et toute cette mythologie autour de la malédiction, qu'en pensez-vous ? Ces deux amis éloignés par leur transformation, et la naissance d'une nouvelle race : les fameux chasseurs !
Original ? Cliché ? Dîtes-moi tout !
MERCIIIIII pour les votes, commentaires et lectures, je vous kiffe de ma life - ouais, carrément. =D
A très vite pour la suite, où Léna entre dans le game, en tant que nouvelle marquée au manoir de l'île de Calcite !
Bisous à vous, mes louloups <3
[média : Helena, My chemical romance]
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