Chapitre 2 [part III] - Ingham & Edmund
Il faisait toujours aussi froid, mais la pièce semblait plus lumineuse que tout ce que j'avais pu constater jusque-là. Spacieuse, de grande tapisseries bleu-roi habillaient les murs tandis que le mobilier n'était composé que d'énormes meubles de bois massifs. Des canapés et fauteuils, faits de tissus paraissant plus doux que le cachemire, étaient installés autour d'une cheminée éteinte, et deux énormes bureaux avaient été placés l'un en face de l'autre, devant une fenêtre qui permettait au voile de la Lune de glisser sur les surfaces. Je remarquai, dans mon inspection gorgée d'angoisse, l'absence totale d'ordinateur ou de quelconque matériel informatique moderne. De toute façon, je n'étais même pas persuadée qu'ils disposaient de l'électricité dans ce manoir.
Face à face sur leurs fauteuils de bureau respectifs, deux hommes avaient les yeux rivés sur moi, et j'en eu le souffle coupé de stupeur. Ils se ressemblaient, tout en paraissant diamétralement opposés. Physiquement, ils n'étaient clairement pas conçus sur le même moule : l'un était immense, outrageusement musclé – ne me rappelant que trop la carrure d'Allam – aux cheveux sombres un peu trop longs et à la mâchoire puissante. L'autre avait une peau beaucoup plus pâle et était plus élancé, bien bâti mais se rapprochant davantage de la taille mannequin que du rugbyman. De long cheveux bruns étaient noués derrière sa nuque, et son visage était plus fin et plus délicat, ne masquant pas néanmoins le dessin d'une mâchoire virile et d'un front saillant. Tous deux semblaient accuser dans les quarante-cinq printemps, mais étaient beaux à tomber à la renverse. Et c'était ce détail qui les faisait se ressembler. Malgré leurs différences physiques, ils dégageaient tous deux une prestance, un ce je ne savais quoi d'hypnotique, d'absolument bouleversant, qui me fit manquer l'arrêt cardiaque. C'était peut-être leur posture, leur classe écrasante, leur calme apparent, ou bien simplement la couleur absolument inconcevable de leurs yeux. Le premier avait les mêmes iris de ce vert quasi-translucide qui m'avait ébloui chez Allam, mais plus prononcé encore. Je ne voyais que ces yeux, sur ce visage dur et froid ; un regard glacial et déroutant qui semblait absorber la lumière. L'autre me stupéfia plus encore, puisque j'eu la sensation étrange d'avoir déjà rencontré une paire d'iris similaires. Et c'était tout bonnement impossible. D'un gris-bleu ahurissant, je ne savais même plus s'il me fallait avoir peur ou simplement admirer ce phénomène hors-norme de la nature. Ce regard était saisissant, bouleversant, comme s'il était capable de voir le monde différemment, comme s'il pouvait lire dans les tréfonds de mon âme.
Pétrifiée face à eux, je détournai vivement la tête et me rendis compte que j'en avais oublié de respirer. Avec l'oxygène, mon angoisse revint en force, et je ne me sentis pas à l'aise du tout dans cette étrange pièce. Tout mon être me hurlait de m'enfuir, de sortir de là au plus vite, quitte à sauter par la fenêtre au risque d'en mourir. Pourtant je demeurai immobile, paralysée, sans voix devant ces deux hommes descendus de l'Olympe.
- Bonsoir, Léna.
La voix de l'homme aux yeux gris me fit frissonner des pieds à la tête.
Je ne répondis rien, incapable de parler de toute façon. L'homme se redressa et s'approcha tranquillement de moi, sourire tendre aux lèvres. Je me raidis et le suivis des yeux tandis qu'il entourait ma main droite entre les siennes. Elles étaient aussi froides que la mort. Je sursautai à ce contact, brusquement envahie d'un souvenir brûlant, perturbant, de longues mains glacées parcourant mon corps au son d'une musique électronique assourdissante. Je me reculai d'un bond, mon dos venant cogner contre une console de bois, manquant de renverser un énorme vase sans fleur. L'homme baissa les mains sans se départir de son sourire.
- Nous sommes ravis de te recevoir enfin. Nous t'avons attendu si longtemps.
Ce souvenir étrange donna à mon corps une toute nouvelle énergie principalement gorgée d'adrénaline, qui me rendit l'usage de la parole.
- Vous m'attendiez ?
- Bien sûr. Tu as les marques. Tu es née pour nous rejoindre.
Il me tourna le dos un instant avant de retrouver son acolyte toujours silencieux, restant debout mais appuyant doucement le haut de ses jambes sur le bureau. Pour n'importe qui d'autre, ce geste aurait donné à sa silhouette une position nonchalante et déséquilibrée. Mais pas pour lui. Lui, il ressemblait à une gravure de mode.
- Je ne vous ai pas rejoint. Vous m'avez enlevé.
Le seul qui parlait jusque-là fit un grand mouvement de poignet, comme s'il balayait mes propos.
- Simple question pratique.
- Tu ne nous aurai pas suivis volontairement, de toute façon.
L'autre homme, toujours immobile sur son fauteuil, avait une voix de basse rauque et profonde, qui décidément ne me rappelait que trop celle d'Allam. Je lui envoyai un regard hargneux qui ne lui arracha pas même un battement de cil. Il semblait s'ennuyer profondément. J'allais prendre la parole lorsque l'homme aux yeux gris se redressa d'un bond, presque surpris.
- Bon sang, nous ne nous sommes même pas présenté. Je manque à tous mes devoirs.
Il fit de nouveau deux pas dans ma direction et attrapa ma main trop vite pour que j'aie le temps de l'anticiper. Une griffure de panique et de rage glissa le long de ma colonne vertébrale, tandis qu'il portait le dos de ma main près de ses lèvres.
- Je suis Ingham, très chère Léna.
Je réussi à me dégager de sa poigne en serrant les dents, mon cœur cognant dans ma poitrine au contact de ses mains glacées. Il se redressa et dévia vers son acolyte.
- Et cette grosse brute silencieuse, c'est Edmund.
- Victoria m'a dit que vous n'avez pas de nom de famille. Pourquoi ?
Edmund et Ingham me lancèrent un regard quelque peu interloqué, ne s'attendant visiblement pas à une telle question. Ingham s'éloigna de nouveau pour retourner s'appuyer sur son bureau, et je me détendis un peu. Il s'écoula quelques secondes tandis que les deux hommes semblaient réfléchir à la façon dont ils allaient me répondre.
- Parce que nous sommes beaucoup trop vieux pour que cela ait une quelconque signification, répondit finalement Ingham.
Je fronçai les sourcils, sans comprendre. Pourquoi ces deux bombes me parlaient de vieillesse tout à coup ? Edmund dévia enfin son regard de moi et s'adressa à son collègue dans un soupir d'impatience.
- Arrête de tourner autour du pot, qu'on en finisse.
Ingham hocha la tête, presque ennuyé de ne pouvoir jouer aux devinettes plus longtemps, puis revint vers moi.
- Vois-tu, très chère Léna, Edmund et moi avons actuellement mille quatre-vingt-trois ans.
- Mille quatre-vingt-cinq.
Ingham leva les yeux au ciel.
- Après tout ce temps tu tiens toujours à tes deux ans supplémentaires ?
- Ça compte.
Ils commencèrent à partir dans un grand débat incohérent, tandis que je les dévisageais, silencieuse et abasourdie. Je ne comprenais absolument rien de ce qu'ils me racontaient. Je finis par tousser fortement pour qu'ils se souviennent de ma présence et Ingham revient vers moi en m'envoyant un sourire éblouissant.
- Excuse nous.
- Vous vous moquez de moi ? sifflai-je, commençant sérieusement à m'énerver.
Ingham eut l'air choqué.
- Bien sûr que non.
Je croisai les bras sous ma poitrine.
- Vous avez mille ans. Normal. A quel moment vous vous êtes dit que c'était drôle comme blague exactement ?
- Ce n'est pas une blague.
- Ecoutez, je veux juste rentrer chez moi. Je ne sais pas à quoi vous jouez, si vous êtes simplement complètement fêlés ou bien si...
- Tu te trouves en face d'un vampire et d'un lycan, petite. Mesure tes propos.
Je me figeai au son de la voix d'Edmund, tandis qu'Ingham lui envoyait un regard scandalisé, comme s'il lui reprochait son manque de délicatesse. Je fus secoué d'un rictus, à la limite de la crise d'hystérie. Ils se moquaient vraiment de moi, et ça me foutait les jetons. Je n'avais aucune idée de ce à quoi ils jouaient, mais cela commençait à devenir inquiétant.
Sans que je n'aie pu ajouter quoique ce soit, Ingham reprit :
- Effectivement, ce qu'Edmund a dévoilé – avec son tact et sa douceur légendaire – est réel. Et toutes les personnes présentes dans ce manoir appartiennent à l'une de ces deux races. Et toi aussi, Léna, tu vas devenir l'une d'entre nous. C'est la raison de ta présence ici.
Je demeurai silencieuse tandis qu'ils me fixaient tous deux de leur grands yeux irréels, l'air tout à fait sérieux. Je les dévisageai, attendant désespérément que l'un d'entre eux n'éclate de rire en me dévoilant la présence de caméra cachées.
Une minute. Mais la voilà, la vérité ! J'avais été piégée ! Quelqu'un avait voulu se marrer à me faire peur et je participai à mon insu à une immense mascarade devant des milliers de téléspectateurs. A cette pensée, mon cœur explosa de soulagement dans ma poitrine et j'éclatai d'un grand rire complètement incongru, Ingham et Edmund échangeant des regards surpris. Des larmes, principalement dues à ma nervosité subitement apaisée, roulèrent sur mes joues tandis que je m'étouffais dans des hoquets d'hilarités, avançant les deux mains devant mon visage pour applaudir. Les deux hommes me regardaient, les yeux écarquillés de stupeur.
- Bravo. Nan, vraiment, bravo. Vous êtes des acteurs inimitables ! Et le maquillage des yeux, là franchement, chapeau, vous m'avez flanqué la trouille de ma vie. Bon maintenant c'est bon, dévoilez les caméras et tout votre bordel, ça ne prend plus.
Ingham et Edmund s'échangèrent un regard interloqué, l'air de ne pas comprendre un mot de ce que je racontais. Ingham revient dans ma direction, s'adressant à moi avec douceur, comme s'il avait peur que je fasse une crise de nerfs :
- Léna, ce n'est pas un jeu. C'est la pure vérité. Il faut que tu l'acceptes.
J'explosai de rire plus fort encore, me retenant à la console dans mon dos d'une main pour me soutenir, l'autre sur les abdominaux.
- Vous verriez vos têtes, vous êtes trop drôles sérieux, j'adore !
- Elle se fout de notre gueule, là ? siffla Edmund, commençant à se redresser.
Je vis Ingham faire un mouvement de main pour intimer à son collègue de se calmer.
- Léna, regarde tes poignets. Ce sont les marques. Elles ont été réveillées hier, c'est pour ça que tu as tant souffert, et que tu es ici aujourd'hui.
Mes rires se calmèrent doucement à mesure que j'assimilais ses paroles, les yeux posés sur les cercles blancs dessinés sur mes veines.
- C'est du maquillage.
Je m'affairai à frotter de toute mes forces sur les cicatrices pour tenter de les faire disparaître. M'avaient-ils tatoué ? Je savais que le tatouage à l'encre blanche pouvait faire passer un dessin pour une vieille cicatrice. Les enfoirés.
J'étais encore en train de m'acharner sur les deux marques lorsque les mains d'Ingham entourèrent de nouveau les miennes. Je frissonnai et fit un bond en arrière, sans pouvoir cette fois m'échapper de sa poigne.
- Tu sens la fraicheur de mes doigts sur ta peau ? souffla-t-il d'une voix douce. C'est parce que je suis un vampire. J'ai été transformé il y a plus de mille ans de cela, et cette malédiction devait être dans les gènes de ta famille, car tu en as hérité. Tu es née avec ces marques, Léna. Cela signifie que tu es vouée à nous rejoindre, et à devenir l'une des nôtres.
Je restai muette, paralysée à la fois par le contact dérangeant et familier de ses mains, et par son incroyable visage dénué de toute trace de mensonge. Je cherchai, désespérément, une preuve de sa folie, d'une blague, une simple faille dans ce regard extraordinaire, mais n'y trouvai que de la sincérité et de la douceur. Et encore moins le dessin, discret mais habituellement reconnaissable, de lentilles de contact.
***
Hey ! Désolée pour cette fin de chapitre un peu abrupte, mais c'est une très longue scène qu'il me fallait découper pour le bien de votre motivation... :p
Nous entrons dans le vif du sujet, et Léna commence sérieusement à se demander ce qui lui arrive, et surtout qui sont réellement ces deux directeurs étranges. Comment réagiriez vous face à une telle nouvelle ? Les auriez vous cru d'emblée ?
Et qu'est-ce qu'ils vous inspire surtout, ces deux êtres étranges ? Vous mettent-ils en confiance, vous ?
Je trouve Ingham un peu plus sympathique, parce qu'Edmund, pour l'amabilité, on repassera... xD
Et surtout, voilà donc la signification de ces étranges marques ! Un héritage dont Léna se serait bien passé, je crois... Que pensez-vous qu'elle va en penser de tout ça ? Accepter son sort, ou bien se rebeller ?
Merci, comme toujours, pour votre soutien, les votes, les commentaires, et les lectures qui chaque jours augmentent un peu plus... je ne sais comment vous remercier <3
A très vite, mes louloups !
[média : Advent Rising - Muse, Tommy Tallarico]
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