Chapitre 2 [part II] - Ingham & Edmund
Contrairement à la chambre, tout était illuminé de multiples lueurs ocre, rouge et topaze, dû à l'abondance de chandeliers allumés le long des murs. Le sol était fait du même somptueux parquet de bois sombre qui se trouvait dans la chambre, et les murs, immensément hauts et puissants, étaient peints dans une couleur plus claire, tirant vers le nacre, laissant d'imposantes moulures dorées sillonner le plafond et donner du relief à la pièce. La décoration était étonnement plus moderne que la pièce que je venais de quitter, même si éclairée à la bougie et reflétant nettement une architecture vieille de trois cent ans. Je décidai de ne pas m'attarder davantage sur la beauté stupéfiante des lieux et repérai plutôt l'accès à un énorme escalier de marbre qui s'effaçait dans un virage, longé par une rampe de bois et de fer-forgé somptueuse. Il semblait donner accès aux étages inférieurs et supérieurs. Sans réfléchir, je m'y engouffrai, en courant, et dévalai le torrent de marches. J'arrivai au nouveau palier que déjà quelques voix me firent tressaillir d'angoisse et j'accélérai le pas. Dans le virage pour dévaler un nouvel étage, je cru apercevoir des silhouettes, du coin de l'œil, mais ne m'arrêtai pas pour autant. J'avais peur, j'avais froid, et je n'avais aucune envie de parler à qui que ce soit dans cette demeure. Je voulais rejoindre la côte, rejoindre la forêt, n'importe quoi qui me mènerait à la liberté.
J'atteints l'étage suivant et priai pour que mon estimation fut bonne en ayant déterminé la chambre comme étant située au deuxième étage, car une nouvelle volée de marches me donnait encore accès à un palier inférieur. Je m'arrêtai néanmoins à ce niveau et repérai aussitôt deux énormes doubles portes, à l'autre bout de l'immense pièce qui me faisait face. Je n'entendais plus rien, ne voyait plus rien. J'avais élu ces portes comme étant le symbole de ma liberté et m'y élançai à toute allure, refusant de voir ou même d'entendre les sombres voix qui résonnaient partout autour de moi. J'étais à deux mètres de la sortie lorsqu'une immense silhouette me barra la route, m'obligeant à lui foncer dedans de plein fouet. Sonnée, je chancelai automatiquement vers l'arrière et m'écroulai au sol dans un gémissement de douleur, mon chandelier s'écrasant un peu plus loin.
Je relevai lentement les yeux vers l'homme qui m'avait fait barrage. Du moins, si c'était bien un homme. Il était plus grand que tout être que j'avais pu rencontrer dans ma vie, et plus massif qu'une montagne. Vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise de même couleur, il semblait étouffer dans ses vêtements. Chacun de ses muscles roulaient au moindre de ses mouvements, son torse se gonflait au rythme de sa respiration comme s'il était sur le point d'exploser, ses épaules semblaient plus larges que mon bras tout entier et ses mains paraissaient être capables de réduire ma tête à l'état de bouillie en une simple pression du poing. Terrifiée, je m'attardai sur son visage et rencontrai la paire d'yeux verts la plus éclatante que je n'avais jamais vue. Ils étaient saisissants, surréalistes. Malgré la pénombre des lieux, j'étais à peine capable de distinguer sa pupille de cette couleur amazonite époustouflante, presque indécente. Le reste de son visage était à l'image de son corps ; entourée d'une touffe de cheveux noirs emmêlés, sa mâchoire était carrée, solide, comme celle d'un animale, son front robuste et droit, ses sourcils ombrageant des pommettes parsemées de petites taches brunes, et sa bouche pleine arquée en une grimace de pur dégoût. Il me regardait comme si j'avais été un insecte répugnant, une petite chose futile et écœurante. Mais dans ma terreur, je discernai tout de même comme une pointe de méfiance, un petit quelque chose qui faisait vriller le regard de glace qu'il posait sur moi. J'étais un insecte peut-être, mais dans ses yeux, j'étais un insecte dangereux.
Je me redressai aussi vite que mes membres tremblants me le permirent, et me postai face à lui, ne sachant que dire ou faire. S'il m'attrapait, il me casserait en deux en une pichenette, j'en étais persuadée. Il fallait que je récupère mon chandelier. Si c'était lui mon ravisseur, ou bien quiconque pouvait-il être, s'il m'empêchait de sortir, il fallait que je me défende. Et aussi robuste était-il, si j'arrivai à lui enfoncer mon arme de métal dans le crâne, il me laisserait passer.
J'ignorai la petite voix angoissée à l'intérieur de moi qui m'affirmait que je n'arriverai jamais à atteindre sa tête de toute façon, et m'élançai brusquement en avant, la main tendue vers mon arme. L'homme fit un simple pas et m'agrippa le bras, avant de m'envoyer valser en arrière de nouveau. Je tombai à la renverse dans un cri de rage et de douleur, mes coudes en feu d'avoir amorti ma chute.
- Laisse-moi passer ! hurlai-je, maîtrisant tant bien que mal mes larmes.
- Non.
Il avait une voix rauque, profonde, qui fit vibrer chacune de mes cellules d'une terreur sombre. Dans ma détresse, je remarquai l'emprunte brûlante qu'il avait laissé à mon bras, et je fus surprise par la déferlante de haine qui découla de cette observation. Qu'il m'ait touché m'était insupportable. Et pour une raison obscure, quelque chose en moi rêvait de lui faire payer cet affront.
Je me redressai de nouveau, laissant mon regard courir sur la pièce qui s'étendait autour de nous. Dans mon dos, je remarquai avec ravissement les exactes deux mêmes portes que l'homme s'affairait à ne pas me laisser franchir. Peut-être y avait-il deux sorties vers l'extérieur. Après tout, cette espèce de manoir était immense, c'était probable qu'il y ait plusieurs moyens d'y entrer. Je déviai à nouveau vers l'inconnu qui continuait de me toiser, désormais presque amusé de me voir si démunie. Je serai les dents et fis volte-face, m'élançant à toute vitesse vers mon nouvel espoir. Je cru entendre l'homme marmonner un « elle ne s'arrête jamais de courir ? » d'une voix las et nullement paniquée, mais décidai de ne pas m'en inquiéter. J'étais de nouveau à quelques mètres de la sortie qu'un nouveau corps me fit barrage, mais nettement plus féminin. Je ne fus pas projetée en arrière cette fois-ci, mais deux mains se refermèrent sur mes épaules, m'imposant une intolérable brûlure qui me fit aussitôt reculer, les poings serrés comme des étaux, prête à me battre. Je ne me reconnaissais plus. D'où me venait cette attitude combative ?
La femme baissa les bras le long de son corps et posa sur moi un regard beaucoup plus doux que l'homme-montagne. Elle était grande elle aussi. Comme pour l'homme, tout son corps semblait fait de muscles et respirait la puissance. Elle était vêtue sobrement, comme si elle était en route pour un récital de piano. Pantalon noir et chemise ajustée de même couleur, mettant en valeur des formes absolument parfaites, qui en comparaison me donnait l'allure d'une adolescente. De long cheveux châtain descendaient jusqu'à sa taille dans des ondulations somptueuses, et son visage au teint froid était moucheté de tache de rousseur, laissant briller des lèvres généreuses maquillées de rouge et des yeux verts, eux aussi, légèrement plus sombres que l'homme dans mon dos, mais tout aussi irréels. Elle était une insulte à toute les femmes de la terre à elle toute seule. Il n'était même plus utile de faire des efforts pour paraître belle après avoir rencontré une telle créature, c'était peine perdue.
Je lui envoyai un regard à mi-chemin entre la fascination, la colère et la peur. Alors elle détourna les yeux et les rivèrent sur quelque chose dans mon dos, que j'identifiai rapidement comme étant l'homme-montagne, s'avançant tranquillement vers nous. Je me décalai d'un bond, pour les avoir tous les deux dans mon champ de vision. Ma respiration s'agitait et mon cœur tambourinait dans ma poitrine, comme s'il cherchait une échappatoire. Et il n'était pas le seul.
- Je t'avais dit qu'il était plus sage de laisser une femme l'aborder en premier lieu, dit-elle calmement, d'une délicieuse voix d'alto.
- Tu plaisantes, t'as vu sa tête ? Tu lui fais plus peur que moi !
La femme ricana légèrement et ils posèrent leurs deux paires d'yeux époustouflants sur moi. Je reculai par instinct de survie, et levai les poings en l'air, par un autre instinct sortit des tréfonds de ma bêtise. L'homme fut secoué d'un rire sombre à ce mouvement.
- Vous êtes qui ? sifflai-je d'une voix aigüe, témoin de mon angoisse.
- N'ait pas peur, on ne te veut aucun mal.
- Pour le moment, grogna l'homme en réponse à la femme.
Elle lui asséna une tape sur le bras accompagné d'un regard lourd de reproche, puis revint vers moi. Elle me semblait plus douce, plus compréhensive que l'homme-montagne qui trônait à sa gauche. Néanmoins, je ne pouvais me résoudre à lui accorder si facilement ma confiance, et n'en demeurai que plus alerte.
- Je suis Victoria, reprit-elle. Et voici Allam.
- Je suis où ?
- Tu es dans le manoir d'Ingham et Edmund.
Je marquai une pause. C'était quoi ces conneries ?
- C'est quoi leur nom de famille ? sifflai-je, méfiante.
Si j'arrivais à m'échapper, il me fallait un nom, que je puisse renseigner la police.
Le dénommé Allam roula des yeux en croisant ses énormes bras sur son énorme poitrail, et Victoria hocha la tête en souriant, comme si ma question était toute justifiée, même si amusante.
- Ils n'en ont pas. Tu comprendras bientôt.
- Je veux sortir d'ici. Laissez-moi partir.
- Sinon quoi ? Espèce de sale petite...
- Allam ! Ferme là un peu !
L'homme se renfrogna et dévia son regard un peu plus loin, boudeur. Victoria fit un pas vers moi, et je m'obligeai à ne pas reculer de nouveau, rivant mon regard au sien. Elle faisait presque une tête de plus que moi, et j'étais décidément ridicule à côté d'elle, mais je ne voulais pas me laisser impressionner. Du moins, j'essayais de ne pas le montrer. Elle m'envoya un nouveau sourire renversant et désigna les escaliers d'un mouvement de tête.
- Nous allons t'accompagner voir les directeurs. Ils répondront à tes questions mieux que nous.
- Je ne veux pas aller voir vos directeurs, grognai-je. Je veux rentrer chez moi.
Elle soupira, à la fois sincèrement désolée, et commençant à perdre patience.
- Je sais, mais ça, ça n'arrivera pas. Maintenant viens.
Je vis sa main s'avancer vers mon épaule mais tout mon corps bondit en arrière pour l'esquiver. Je perçu une lueur de défi dans son regard, qui se demandait si j'allais recommencer à courir dans tous les sens, mais me contentai d'hocher la tête, acceptant de la suivre. Pour une raison étrange, j'étais persuadée que même en y mettant toute la rapidité et tout l'esprit tactique que je possédais pour rejoindre ces fichues portes, Allam et Victoria réussiraient toujours à m'attraper. Et je n'étais pas particulièrement tentée par un nouveau vol plané.
J'avançai donc, entre Victoria qui ouvrait la marche, et Allam dans mon dos. Aucun d'eux ne m'adressait la parole, et si la femme se contentait d'avancer d'un pas tranquille, je sentais néanmoins le regard brûlant de la brute épaisse derrière ma nuque. Elle me fit remonter les innombrables marches que j'avais descendu à toute allure quelques instants plus tôt, et j'eu davantage le loisir d'observer les lieux.
Tout était semblable au palier qui m'avait accueilli en sortant de la chambre. La décoration était moderne tout en gardant une touche baroque, et le premier étage semblait d'autant plus immense qu'il donnait accès à de nombreuses salles – dont je ne pouvais encore apercevoir l'utilité – par le biais de grandes arches ouvertes. J'entendais une mélodie voluptueuse jouée au piano dans une pièce annexe et des voix s'élever calmement de tous les côtés. Mais combien étaient-ils dans ce manoir ? La panique, qui était ma meilleure amie depuis mon réveil, fit vaciller mon rythme cardiaque dans ma poitrine, et je m'obligeai à garder une respiration convenable pour ne pas attirer l'attention des deux être irréels qui m'escortaient.
Arrivés sur le palier, Victoria emboita le pas sur une nouvelle volée de marches, et ce durant deux étages supplémentaires. Une fois tout en haut, j'étais essoufflée à la fois d'avoir grimpé jusqu'ici en suivant le rythme soutenu de la déesse, et aussi parce qu'il m'avait semblé apercevoir quelques silhouettes dans l'ombre des murs, qui ne présageaient rien de plus rassurant que celle d'Allam. Lorsqu'ils furent tous les deux à mon niveau, je m'éloignai d'un bon pas sur la gauche, avant de leur lancer un regard méfiant.
- Il ne va rien t'arriver, Léna, souffla Victoria en me couvant d'un regard tendre. Détends-toi.
Elle connaissait mon prénom. Parfait. Vraiment parfait.
- Ingham et Edmund se trouvent derrière cette porte, ils t'attendent. Ils vont pouvoir t'expliquer la raison de ta présence ici.
Elle désigna une immense porte de bois d'un élégant signe de main et revint vers moi, attendant que je bouge. Un peu en retrait, Allam ne me lâchait pas du regard, visage fermé mais teinté d'une sombre méfiance.
- Qu'est-ce qu'ils vont me faire ? soufflai-je, sans m'avancer d'un iota.
- Seulement te parler, je te le promets.
- Après ça je pourrai rentrer chez moi ?
Allam grogna et Victoria laissa échapper un faible soupir, avant de faire un léger pas en arrière et de m'encourager, silencieusement, à bien vouloir passer cette porte. Elle n'avait pas répondu, mais son silence était limpide. Je m'avançai à pas mesurés vers elle et levai le bras pour frapper. Dans mon mouvement, j'aperçu le cercle étrange qui brillait toujours sur la peau blafarde de mon poignet, et suite à une grande respiration, j'ouvris la porte.
***
Introduction de nouveaux personnages, assez particuliers. Qu'en pensez-vous ? Allam et Victoria sont-ils digne de confiance ? Et surtout, qui sont-ils ?
Ou plutôt... que sont-ils ?
Léna est à deux doigts d'avoir des réponses, et je doute que ça lui plaise... :p On commence doucement à plonger au coeur de l'intrigue, j'ai hâte de savoir tout ce que vous en penserez !
Merci comme toujours, pour les votes et commentaires <3
A très vite pour la suite, qui promet plein de révélations !
Je vous aime mes louloups ! <3
[média : Decode, Paramore]
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