XXIII

Ca doit franchement être la centième fois que j'écris et réécris cela. Et la centième fois que je bloque sur mes mots, parce que je n'arrive plus à m'exprimer, que les mots ne sont et ne seront jamais assez pour toi. Puis je supprime, efface, pour tout reprendre à zéro. Et même si c'est long, insuffisant, et difficile d'un côté, je persiste. Parce que tu vaux la peine que je passe des heures et des heures, des jours et des jours, devant une page blanche, les mots hésitants. Tu vaux la peine de tout, tu mérites tous les mots et les heures à penser à toi, papi.

Ca fait un an aujourd'hui, et même si je sais que je devrais appeler mamie, au moins quelques minutes, pour qu'elle se sente moins seule, je ne le fais pas. Je ne sais pas vraiment pourquoi, je n'en ai pas la force sûrement. Je me remémore assez bien toute seule les souvenirs douloureux. Et aussi les souvenirs joyeux, qui sont devenus douloureux aujourd'hui. 

Je me remémore ce moment où, gamine et ayant peur pour ma maman, je t'avais posé cette question: "Est-ce que ma maman va mourir papi?". Et tes mots résonnent dans ma tête depuis un an. Tu m'avais sorti ces simples phrases: "Bien sûr que non ma petite, personne ne va mourir dans notre famille. Nous sommes immortels". Je sais que ce n'étaient que des paroles en l'air, dites dans le but de rassurer une petite fille, mais j'y avais tellement cru. J'y croyais plus que tout. Ca c'est un souvenir qui m'est revenu à la fin de l'été dernier, et je m'y suis accrochée plus qu'il ne le fallait. Trop sûrement. Mais j'étais juste une gamine qui voulait que son grand-père reste à jamais à ce moment-là. Après t'avoir vu malade, c'était le dernier espoir que j'avais.

J'ai aussi en mémoire les soirées film en famille, où on se disputait toujours avec ma cousine pour s'asseoir sur tes genoux car il n'y avait pas assez de places. Toi tu rigolais en nous regardant nous chamailler. Je me souviens des balades de nuit, où tu nous faisais à chaque fois admirer des nouveaux paysages de ta campagne. Tu nous faisais regarder le ciel, et nous apprenais les noms des constellations. On ramassait quelques épis de blé ou des mûres au passage, et on tombait parfois sur des ronces ou des orties. Je me souviens des après-midi à jouer a l'hippodrome, des repas dans l'herbe ou sur les plages de St-Malo. Je me souviens des soirées où on jouait à la belotte jusque tard dans la nuit. Je me souviens de chaque coucher de soleil, chaque ciel étoilé, que j'ai photographié l'été dernier. Tu ne pouvais plus sortir te balader avec nous, alors je t'emmenais à travers ces clichés.

J'essaye de me rappeler tous les bons moments depuis un an, pour chasser de ma mémoire toutes les fois où je t'ai vu sans appétit, amaigri, et renfermé. J'essaye d'oublier. Et même si je sais que ce n'est peut-être pas la meilleure chose à faire, c'est ma façon de guérir à moi.

Il y a de très belles fleurs sur ta tombe, Mamie en prend soin tous les jours, et tes amis viennent souvent. Elles sont de toutes les couleurs, et de toutes les sortes. Je trouve ça très joli et métaphorique. Alors que toi, tu as arrêté de respirer, tu donnes un souffle à des plantes, toi qui passait tout ton temps dans ton jardin, à t'occuper de ton potager et de tes fleurs. Elles t'ont rejointes là-bas. 

Ca a beau faire un an, je crois que je ne réalise toujours pas. J'ai toujours l'impression que tout ça n'est qu'un mauvais rêve, et j'espère me réveiller bientôt. C'en est assez. Je m'attends toujours à te voir dans le jardin quand je viens à la maison, que tu vas surgir au croisement d'un couloir, et que je pourrais te serrer dans mes bras, au moins une dernière fois. Je regrette tellement de chose. Je regrette que tu ne m'aies jamais vue danser, de ne jamais t'avoir aidé dans ton potager parce que je préférais lire au soleil. Je regrette de m'être à nouveau engueulée avec mon père la dernière fois que je t'ai vu, je regrette de ne pas t'avoir assez aidé l'été dernier. Je regrette de ne pas t'avoir appelé, ou visité. Je regrette d'essayer de me rappeler ton visage chaque matin et de ne pas y arriver tout le temps. Je  regrette que tu sois déjà parti, tout simplement.

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