II

Papa,

Ca fait bizarre... de t'appeler comme ça. Alors que tu ne le mérites pas. Oui, tu ne mérites pas ce surnom. En tout cas, tu ne mérites pas qu'il franchisse mes lèvres.

Pour toi, c'est quoi un père ? 

Un père, c'est, avant le lien de sang, c'est un homme présent, déjà. As-tu été présent pour moi ? La réponse est non. Ensuite, un père, c'est aussi quelqu'un aimant son fils. Et le lui montrant, un minimum. M'as-tu aimé ? Seul toi le sait, mais pour moi la réponse est encore non. 

Pourquoi ne m'aimes-tu pas d'après moi ? Tout simplement parce que chaque regard que tu m'accordes me fait l'effet d'un coup de poignard. J'ai l'impression que ton corps bout de haine envers moi. Mais je n'ai jamais su pourquoi. Je n'ai jamais su pourquoi cette haine, si c'était vraiment de la haine. Alors je te le demande. Etait-ce de la haine ? Pourquoi ? 

Pourquoi ne t'es-tu jamais réellement occupé de moi, papa ? Crois-tu vraiment que c'était en m'achetant tout ce que je voulais sans vraiment savoir ce que c'était, en n'étant presque jamais là, en donnant ton rôle de père à maman que tu t'es occupé de moi ? Maman ne peut pas être deux personnes à la fois, elle ne pouvait pas être la personne qu'elle devait être, et qu'elle a été, ainsi que la personne que tu devais être, mais que tu n'as pas voulu être. 

Quand je te regarde, je ne vois pas un père, je ne vois aucun lien de parenté entre nous... Tout ce que je vois, c'est un homme. Juste un homme. Je ne vois aucun signe que tu me connais, aucun geste pour moi, aucun sourire, aucun sentiment sur ton visage. Tu me regardes comme tu regardes une inconnue. Tu me cries dessus comme tu crierais à une inconnue qui a renversé son café sur toi, avant ton entretient d'embauche. Tu me demande quelque chose comme tu le ferais avec un esclave. Pas de merci, pas de s'il te plait. Pas de bonjour, pas de bonsoir...

Je n'ai jamais eu l'impression d'avoir un père. Dans les documents où il fallait remplir la case "père", je me demandais ce que je devais écrire. Quand les professeurs me demandaient ce que faisaient mes parents, j'hésitais toujours de la réponse pour le père. 

Toutes mes "crises", comme tu les appelle, toutes mes "mini-fugues", c'était pour essayer d'avoir un minimum d'attention de ta part. Pour voir si quelque part, au fond de toi, il restait de la place pour ce rôle de père que tu n'as jamais eu avec moi. 

Mais maintenant, après vingt-et-un ans d'existence, j'ai compris. J'ai compris qu'il ne reste pas de place, et qu'il n'en restera sûrement jamais. J'ai compris qu'au fond, ça ne sert à rien d'essayer, si c'est pour se cogner contre un mur incassable. Alors, j'arrête. J'échoue, comme tu n'arrêtes pas de me le répéter. Après tout, tu as peut-être raison, j'échoue, tout le temps, je ne réussis jamais.  Et il arrive qu'à force d'échouer, on finit par y laisser sa vie. Comme moi...

Adieu, 

Sophie.

Je ne me souviens pas de Sophie, je sais juste que c'est la jumelle d'Eléa.


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