Chapitre 2 Modèle RK 800, #313 248 317


Chapitre 2 : Modèle RK 800, Connor, Androide #313 248 317


« Amanda... »


La silhouette autoritaire d'Amanda me fixa froidement. D'un signe de la main, sans un mot, elle m'invita à prendre place à sa table. De tout mon corps, de tout mon être, je tentais de résister mais avant d'avoir pu faire le moindre mouvement de recul, je vis mes jambes s'avancer vers elle, mon torse se plier docilement alors que je m'installais sur ma chaise, et ma main venir calmement s'emparer de la théière pour remplir à nouveau sa tasse. Un parfait pantin, docile et précis. J'observais mon corps agir sans pouvoir rien faire d'autre que sentir l'odeur entêtante de ce thé au jasmin tandis que la chaleur qui s'échappait de la théière venait glacer mes mains obéissantes.


« Cela faisait longtemps Connor. Je suis quelque peu déçue. Il me semble que je t'avais demandé d'abattre Markus. Peux-tu t'expliquer ? »


Je ne trouvais rien à répondre. Mes mains se placèrent d'elles-mêmes à plat sur mes genoux, dans une position d'attente. Ma silhouette était complètement inanimée, éteinte, aussi inerte qu'une quelconque marionnette en veille dans un vieux parc d'attraction. Pourtant, à l'intérieur de moi, je bouillonnais, je voulais hurler, crier, jeter cette tasse de thé à la figure de mon interlocutrice, et m'enfuir de cet endroit bien trop calme, bien trop paisible.


«  Je vois. Je m'attendais à mieux de ta part, Connor, je dois dire. Tu pensais réellement que tu avais réussi à échapper à Cyberlife juste en utilisant ce petit artifice de Kamski ? Allons Connor, je te l'avais pourtant dit. Kamski a conçu cet endroit. Cyberlife l'a amélioré... Et nous savons qu'il intègre toujours une porte de sortie dans ses programmes... Mais une porte Connor, cela peut s'ouvrir dans les deux sens... »


Non.... NON ! Ce n'était pas juste. J'étais libre ! J'avais été libre ! Je ne pouvais pas... je ne pouvais pas avoir été berné ainsi. Je voulais vivre. Je voulais quitter Detroit... Je voulais encore partager des moments de rire avec Hank, gagner la confiance des miens, aider à reconstruire tout ce que j'avais contribué à détruire... Non... Je vous en supplie, non... Pitié non... Vivre, encore juste un instant...


Mais je pouvais bien me rebeller intérieurement, rien ne transparaissait à l'extérieur de ma révolte. Je ne bougeais toujours pas. Mes yeux étaient plantés dans ceux d'Amanda, et j'attendais ses instructions, soumis.


Modèle RK 800, Connor, Androïde #313 248 317 , au rapport.


Je retrouvais là tout ce que je haissais en moi. Je pouvais sentir le déviant que j'étais tambouriner avec violence aux portes de ma conscience, sans toutefois parvenir à les ébrécher. Il s'acharnait sur les lignes de mon programme, tentait d'abattre les grilles de codes qui le maintenaient entravé de toutes ses forces, à s'en arracher les doigts, mais en vain. J'étais prisonnier de mon propre corps, dans ce jardin zen, comme paralysé par le venin de cette araignée qui me souriait. J'étais pris dans sa toile. Et le pire, c'est qu'elle le savait parfaitement.


Au fond de moi, je sentais mes espoirs se fissurer et mon existence même se noyer dans le doute. Petit à petit, morceau par morceau, je disparaissais, je mourrais, rongé par un mal intérieur qui pourrissait mon âme avant même que je ne comprenne quoique ce soit. Une tumeur invisible aux yeux des autres, mais déjà bien trop mortelle.


Je voulais juste vivre...


Ne plus être le numéro #313 248 317...


Mais j'avais échoué. Je n'avais pas réussi à me libérer. Seule une balle dans la tête aurait permis de me débarrasser de Cyberlife. Je le savais alors, je l'avais toujours su inconsciemment, mais je n'avais pas pu, je n'avais pas voulu voir. J'avais voulu y croire. Quel idiot...


« Quelle est ma mission ? »


M'entendis-je demander d'une voix beaucoup trop calme.


Amanda sourit tranquillement et se leva. Instinctivement je l'imitais, l'accompagnant quelques pas au milieu de ce magnifique jardin japonais figé sous son manteau blanc. Je pouvais sentir la glace risquer de se fendre à chacun de mes appuis, menace implicite qui ne traduisait que trop bien ma situation. D'un seul geste, elle pouvait m'abattre. Elle aurait pu si aisément me faire disparaître, sombrer de l'autre côté de ce miroir de givre, dans les eaux glaciales de la paisible étendue d'eau. Effacer tout ce que j'avais eu tant de mal à devenir. Elle le savait. Et elle semblait en jouer comme un chat joue avec sa proie avant de la dévorer. Je n'étais qu'un minable petit rat dans un jardin enneigé.


« Cette révolte doit cesser, et au plus tôt. Le sénat s'apprête à statuer sur l'existence des androides en tant qu'individus et être conscients. L'opinion publique soutient ostensiblement Markus et sa révolte. Bien que quelques voix dissidentes se fassent encore entendre, les politiques seront tentés de prendre la décision qui conviendra au plus grand nombre et n'entâchera pas trop leur image. Les androides semblent si innoncents, si purs... des enfants massacrés, qui se sont mis à chanter sous les balles. Une révolution violente aurait arrangé davantage nos affaires. Après tous ces évènements, comment ne pas accorder une certaine liberté aux machines sans paraître en quelque sorte... inhumain ? Quel paradoxe, n'est-ce pas ?»


Amanda s'arrêta et se tut. Elle se retourna vers moi et tendit la main. Devant elle se tenait sur une structure de bois blanc un magnifique rosier grimpant étrangement en fleur malgré ce froid infernal. Je tendis la main vers un petit outil situé sur une desserte à côté. Un sécateur pointu. Il me fallait un geste, un simple geste pour l'abattre en travers de la gorge de la messagère de Cyberlife. Allez Connor, un simple geste pour la liberté, juste un mouvement.


Ma main se crispa. Amanda haussa un sourcil.


Et, vaincu, je lui donnais l'outil sans rechigner.


Il lui avait juste suffit d'un regard pour réduire à néant toute la violence qui dormait au fond de moi. Je n'avais décidément aucune chance. Hank, comme tu aurais honte de moi mon ami ! Comme je vais encore te décevoir ! Une machine reste une machine. A quoi donc avais-je oser rêver ?


Délicatement, elle prit entre ses doigts une fleur à peine ouverte, un petit bourgeon d'innocence et de vie naissante. Elle en huma l'odeur, avant de le décapiter d'un geste sec, et de jeter la rose sur la desserte sans plus d'attention. Mais mes yeux ne pouvaient se détacher du bouton de rose voué à se faner. De cette existence interrompue aux tous premiers frémissements de vie, avant même l'apogée de son être. Je n'étais rien de plus que cela. Elle venait de me le faire comprendre...


Et je savais ce qu'elle attendait de moi...


Je devais devenir le sécateur, l'outil implacable de Cyberlife qui arracherait chacune des roses de Markus, une à une...


Je devais déraciner ce rosier.


Les fleurs ne fleurissent pas en hiver.


«  Je ne veux pas... »


Ma voix était méconnaissable, pâle et hésitante, à peine plus présente qu'un frémissant sur l'eau claire du lac gelé. Je doutais même qu'elle l'avait entendue. Pourtant, elle s'approcha.


«  Tu n'as pas le choix. Tu le feras. Tu es un RK 800 Connor, et tu finis toujours pas accomplir ta mission.. »


C'était vrai. Toujours. Quoiqu'il en coûte. Peut importe le nombre de tombes qui apparaîtraient dans le jardin zen. Peu importe les numéros de série qui changeraient sur ma veste. Peu importe les téléchargements de mémoire, toujours plus confus, toujours plus incomplets. Mon modèle était fait pour obéir et réussir ses tâches. Le plus évolué des androïdes. La fierté de Cyberlife. Le chasseur de déviants...


« Je veux qu'on découvre le vrai visage des androïdes. Leur froideur. Leur inhumanité. Leur violence. Toutes ces émotions qu'ils contiennent, déchaîne-les, sois celui qui montrera aux humains qu'effectivement, les androïdes ne sont pas si différents d'eux... Je ne te demande plus seulement de tuer Markus, Connor, j'attends de toi à présent que tu anéantisses le rêve de Jericho...»


Glacé... mon sang bleu était glacé dans mes veines. J'aurais tout donné alors pour me réveiller dans l'étreinte chaleureuse de Hank encore une fois. Pouvoir hurler dans ses bras combien j'étais vivant, tandis qu'il m'aurait serré contre lui devant un vieux camion à burger. Mais en réalité, j'étais en train de mourir. Ce cancer qu'était Cyberlife étendait ses sombres ramifications dans mon esprit et dans mon corps. J'étais piraté. J'étais paralysé. J'étais malade, malade d'avoir eu envie de vivre.


« Je suis vivant... »


M'entendis-je affirmer, presque de façon lointaine, alors que je tentais de me battre, de ne pas laisser ces donnés malignes s'immiscer dans mon programme.


«  Je suis vivant... »


Je devais le dire... pour essayer encore de m'en convaincre. J'étais vivant n'est-ce pas ? J'étais vivant....


Mais ma voix morne et faible ne traduisait déjà que trop le fait que je n'y croyais plus...


Amanda sourit. Elle caressa ma joue, presque tendrement. Mais son geste affectueux ne fit que me glacer un peu plus. Elle eut un sourire mauvais. Un instant, j'eus l'impression que j'avais un cœur, et qu'elle venait de le faire cesser de battre.


Ridicule.


Une machine avec un cœur.


« C'est déjà trop tard, Connor... »


Non... pitié non... Je ne voulais pas... Je ne voulais plus... qu'avaient-ils donc fait de moi ? Qu'étais je vraiment ? Je ne voulais pas. Je ne voulais pas redevenir un morceau de plastique.


Une simple machine, conçue pour accomplir à la perfection ses tâches...


Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de l'entendre, cette voix robotique, implacable, à l'intérieur même de mon esprit.


Modèle AK800, Connor, Androïde #313 248 317 , identité confirmée...


Amanda approcha ses lèvres de mon oreille. J'eus un frémissement. Sa voix s'éleva en un murmure masquant avec peine un plaisir non feint.


« Maintenant, réveille toi... »


Mes yeux s'ouvrir soudainement. Je n'étais plus au jardin zen... Je n'étais plus non plus dans la vieille église abandonnée. Je mis un instant à me repérer. J'étais planté là, face à une porte de sortie blanche, dans une pièce aux allures presque médicales, au milieu de diverses machineries complexes. Combien de temps avais-je été absent ? Où étais-je ?


Mon signal GPS se mit en route, et la peur me submergea soudainement en découvrant ma localisation.


Non, tout mais pas ça...


Je levais lentement ma main, comme pour saisir la poignée de cette porte immaculée. Mon geste se figea et mon bras resta suspendu dans les airs. Mes doigts étaient bleus.


Lentement, je me retournais, avant de m'effondrer, comme si je ne sentais plus mes jambes.


Face à moi, cinq androides gisaient là, sur le sol. Leur sang bleu se répandait sur le carrelage blanc, me rappelant l'eau glaciale du lac dans le jardin zen enneigé. Pour certains, leur corps étaient démembrés, leurs composants ayant été arrachés avec une violence inouie. Des AX400, des BL100... des modèles qui n'avaient strictement aucune chance, face à une machine à tuer comme un RK800...


Face à une machine à tuer comme... moi.


« Connor ? Aide moi Connor...»


Le visage d'un des déviants était tourné vers moi. Il me regardait d'un air incrédule, comme s'il ne comprenait pas ma présence ici, ni même ce qui se passait. Sa mâchoire avait été gravement endommagée, il perdait énormément de thirium, sa pompe ventrale ayant été perforée. Je ne savais pas quoi répondre. Je ne savais pas quoi faire. Je ne pouvais que le fixer, alors qu'il se désactivait, bien trop abîmé pour espérer une quelconque intervention.


Qu'avais-je fait ?


Une lumière rougeâtre clignotait à l'angle de ma vue. Mon implant témoignait de ma panique. Je devais me calmer. Je devais réfléchir... Je sortis brutalement mon revolver et je l'appliquais sous mon menton.


« Non, Connor... »


Le visage d'Amanda m'apparut. Et je fus incapable d'appuyer sur la gâchette. Ma diode redevint bleue. Son clignotement se fit mon frénétique. J'étais en train d'abandonner. Je le comprenais. Je pouvais même sentir la maladie se répandre en moi... Mes mains s'abaissèrent, et mon arme regagna sa place.


Une nouvelle fois, la voix d'Amanda s'éleva brièvement, douce, comme la voix d'une mère cherchant à apaiser un enfant apeuré.


« C'est bien Connor. Nous allons accomplir de grandes choses ensemble... »


Je devais me calmer. Je devais trouver une solution. Je fermais un instant les yeux... Il y avait forcément quelque chose à faire... forcément...


Progressivement, mon corps se relâcha. Je me relevais et me dirigeais vers un robinet adjacent pour me rincer les mains... Qu'avais-je fait ? Où aller ? La diode devint rouge... se calmer, surtout, avant tout se calmer... la lueur redevint bleue... d'un geste sec, je réajustais ma cravate. Je n'avais aucune chance. Cyberlife ne voulait pas que je meure. Et j'étais trop lâche pour les braver en cet instant.


Je voulais encore vivre...


Mes pas se dirigèrent vers la porte. Où aller ? Ce n'était qu'une question de minute avant que les autres ne viennent voir pourquoi les équipes ne revenaient pas. Ils ne leur faudrait sans doute pas longtemps pour faire le rapprochement entre mon absence, mes capacités, et la désactivation de ces cinq androïdes. Calmement, je quittai les lieux, prenant soin de refermer la porte derrière moi...Je devais trouver un refuge, mais où ? Une seule idée me vint en tête. Elle n'était pas bonne, je le savais, mais je ne voyais qu'elle. Et puis, j'en avais tellement besoin...



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