Après le meurtre de Jack, Erin avait été assignée à résidence. Les membres du haut Conseil jouissaient d'une immunité qui leur garantissait de ne pas finir leurs jours en prison. Cela faisait déjà deux jours qu'elle essayait de comprendre ce qui avait bien pu l'amener à tuer Jack, l'homme pour qui elle avait eu des sentiments quelques années auparavant.

Depuis son entrée dans le Refuge, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, encore bouleversée et terrifiée par l'horreur qui s'était abattue sur Terre. Il lui avait fallu toute la patience de Jack, avec qui elle travaillait au sein de l'équipe scientifique du Refuge, pour qu'elle reprenne peu à peu confiance en elle. Elle était admirative de sa vivacité intellectuelle et de son charisme. Un soir, elle avait essayé de l'embrasser mais Jack l'avait repoussé. Maladroitement, il avait décidé de prendre ses distances ; une décision qu'Erin avait mal vécue avant de lui proposer, quelques mois plus tard, de la rejoindre au sein du haut Conseil. Jack n'avait pas su lui dire non, espérant ainsi se faire pardonner le mal qu'il lui avait fait.

Cela faisait deux nuits qu'elle n'avait pas fermé l'œil, hantée par les images de Jack défiguré par la balle qu'elle avait tiré et qui avait traversé sa tête ; le sang qui en avait jailli et son fils Harry qui hurlait sa douleur de perdre un père. Il lui semblait qu'elle était devenue un monstre sans pitié, guidée seulement par son besoin d'être absolument protégée après la fin du monde. Fatiguée, elle s'allongea sur son canapé. Elle se couvrit d'une simple couverture et attendit que le sommeil vienne la chercher. A peine venait-elle de s'endormir quand on frappa à sa porte d'entrée. Elle se leva avec peine pour l'ouvrir. C'était l'inspecteur Tobias. Elle le fit entrer, non sans avoir hésité un instant.

L'inspecteur Tobias resta debout, faisant face à Erin.

« - Erin, la situation est, comment dire... Délicate.

- Tu crois que je ne m'en doute pas ? Quelle est la température dans le Refuge ?

- C'est le chaos. Les habitants du Refuge font la révolution. Ils veulent mettre en place une démocratie comme dans le Refuge numéro 3. » L'inspecteur Tobias leva les yeux au ciel. « Tout cela est ridicule. Ils ont commencé par dissoudre le haut Conseil, puis lever le couvre-feu. Ils sont épris de liberté alors que c'est l'ordre qui leur a sauvé la vie jusqu'à présent. Ton autorité aussi.

- Comment va le fils de Jack ? »

L'inspecteur Tobias fut surpris par cette question.

« - D'après toi ? Tu as tué son père. Il est au plus mal. La crémation de Jack a eu lieu hier. Il essaie de rester digne, de ne pas trop montrer sa douleur mais il est bouleversé, c'est certain.

- J'aimerais le voir. Lui parler et m'excuser.

- Pardon ? Tu t'égares Erin. Si vous vous retrouvez tous les deux dans la même pièce, il te tuera. Il te hait et veut venger son père. Il ne s'en cache pas d'ailleurs. »

Des larmes coulèrent sur les joues d'Erin.

« - Je m'en fiche. Je veux lui dire à quel point je suis désolé de ce qui s'est passé et que je le regrette. Jack ne méritait pas de mourir. Il ne méritait pas que je le tue de cette façon. »

L'inspecteur Tobias s'approcha d'Erin. Il essuya avec son pouce les larmes d'Erin.

« - Cela ne servira à rien. Je ne te reconnais plus Erin. Il va falloir que tu choisisses ton camp. Tu es avec nous ou alors tu es contre nous. L'anarchie va s'emparer du Refuge et nous allons tous mourir si personne ne fait rien.

- De toute façon, je vais être condamnée à mort pour ce que j'ai fait. Je m'étonne d'ailleurs d'être encore vivante avec ce que tu viens de me dire.

- Tu l'es encore car j'y veille personnellement. Deux gardes sont postés en permanence devant ta porte d'entrée.

- Si Harry veut me tuer, il y arrivera forcément. Le Refuge n'est pas très grand, je ne pourrai pas m'y cacher éternellement.

- Sauf si plus personne n'y habite.

- Comment ça ?

- Les habitants du Refuge n'ont plus qu'une idée en tête maintenant : partir vivre à la surface de la Terre. Et s'ils partent, pas question qu'ils reviennent y vivre. » L'inspecteur Tobias esquissa un sourire à Erin.

***

Refuge numéro 3

Maxime était inquiet. Il avait demandé à son gouvernement de se réunir en urgence. Il était tard mais la situation dans les quatre autres Refuges était préoccupante. Les conflits faisaient rage et il y avait eu beaucoup de morts.

« - Mes chers amis. Je vous ai demandé de me rejoindre car la situation est critique. Très critique partout autour de nous. Même si Erin est hors d'état de nuire désormais, nous savons très bien que ses alliés feront tout pour mater les rebelles.

- Que pouvons-nous faire ? Demanda Dahliah. Comment les aider ? Comment apporter notre aide à quatre Refuges simultanément ?

- Je suis d'accord avec toi. Il va falloir qu'ils gèrent la situation sans nous, même si j'ai bien pensé à une solution que j'aimerais vous soumettre.

- Laquelle ? » Pierre, son ministre de l'énergie, sembla surpris par cette annonce.

« - Puisque la radioactivité n'est plus un problème, nous pourrions sortir de notre Refuge pour rejoindre les quatre autres et apporter un coup de main à la résistance. Dans tous les conflits, c'est le nombre de combattants qui a très souvent fait la différence. Pas la force des convictions.

- Mais Maxime, c'est de la folie ! » Pierre s'emporta. « Nous n'allons pas sacrifier les nôtres ! Je suis le premier désolé de ce qui leur arrive, surtout s'il y a des morts, mais ils ont fait les mauvais choix par le passé et ils en paient désormais le prix.

- Comment peux-tu dire ça Pierre ! » s'emporta à son tour Dahliah. « Ils ont toujours été victimes de ce qui leur arrivait. Toujours. Ils n'ont pas connu un seul jour de répit. On les a obligé à sacrifier leur liberté au nom de je ne sais quelle idéologie. Je suis d'accord pour les aider même si je ne sais pas comment le faire.

- C'est bien le problème Dahliah, précisa Pierre. Comment apporter notre aide à tous les

Refuges ? Je vous rappelle que nous sommes celui qui est le moins peuplé des cinq.

- Sauf que si nous ne faisons rien, ils nous en voudront et ils se retourneront contre nous. » Le pessimisme soudain de Maxime en surprit plus d'un autour de la table.

« - Je vous propose que nous passions au vote pour savoir qui est d'accord ou pas avec ma proposition. Nous sommes onze autour de la table. Je vous demande de ne pas vous abstenir pour ce vote très important. L'option qui obtiendra donc six votes, soit la majorité, se verra immédiatement appliquée. Très bien. Qui est pour une aide logistique et humaine apportée aux quatre Refuges ? »

Une première main se leva. Une deuxième, puis une troisième. Dahliah fut la quatrième à voter pour. Maxime attendit un instant pour voir si d'autres mains se lèveraient.

« - Si je comprends bien, tous les autres sont contre, c'est bien ça ? »

Maxime n'en revenait pas. Ceux qui n'avaient pas voté en faveur de sa proposition se regardèrent en coin.

« - Bien. La démocratie a parlé. Ou bien la peur. Je ne sais pas. Sept d'entre vous ne veulent sans doute pas perdre un proche pour une guerre qu'ils estiment trop éloignée d'eux ou de leurs préoccupations. Soit. Je vous laisse à vos réflexions. »

Maxime se leva puis quitta la salle dans laquelle son gouvernement était réuni. Il ne voulait pas leur montrer sa colère, mais aussi sa peine devant leur manque de courage.