faux poètes.
Ship : heejake
Résumé : c'que j'aime la vie quand t'es dans les parages, à jouer aux faux poètes pour faire entendre mon cœur amoureux.
Keshi - Limbo.
Partie unique.
L'écume mousseuse s'abat sur la plage. Il fait chaud, la houle frappe, balaye sur son passage la chaleur harassante de la haute saison. Ça rit, danse sous le jet d'eau du tuyau d'arrosage à la station essence. Un chien aboie, tenu en laisse par son maitre. Le bitume brûle sous la paume des pieds, l'ombre des feuilles des palmiers s'étend, protège les corps de la braise des derniers rayons.
Il est là sur la plage, teint brunie par le soleil, se laissant caresser par la brise crépusculaire. Sa tignasse blonde s'envole au gré du vent porté par les vagues. Il sent la mer, la peau de sel, les yeux océans, les perles sur le corps et le débardeur en maille.
Cette vision me donne envie d'user de mon crayon, griffonner sur le papier pâle les traits de son visage ; jouer avec les ombres en y calquant sa silhouette. Or pas de matériel sous la main, appartement trop loin, la flemme d'y retourner.
Pas de bol, je continue ma marche, me fondant dans la gaieté des citadins. Mes pieds s'enfoncent dans les grains de sable qui se faufilent entre mes orteils. Sensation exquise, une impression de sérénité.
Les vagues montent, poussées par le vent, un peu plus hautes à chaque minutes. Bientôt, la mer atteint mes pieds. L'eau glacial me fait frissonner. Le sel au sein de l'air humidifié se colle à ma peau. Un trait fin se trace ; là où le ciel et la mer s'embrassent.
Jake remarque ma présence, se tourne et me sourit, puis m'invite en silence à m'asseoir. Dans une position confortable, nous fixons ce point lointain appelé horizon. Nous cherchons dans la voûte qui se couvre de noirceur, ces ampoules lumineuses nommées étoiles.
Et dans un souffle, il me lance.
" J'me lasserai jamais de cette vision. "
Dans tes yeux il y avait aussi les étoiles. Elles scintillaient, s'émerveillaient devant le vaste étendue d'eau. Et te voir aimer la mer, me rappelle à quel point je t'aime.
" C'est sûr. Tu passes toutes tes soirées ici. "
" Tu comprends pas. 'Y a un truc avec l'eau. C'est comme l'espace qui se font avec la terre. "
Je ricane. À nous deux, nous connaissons les mots qu'on aligne avec maladresse. Deux pauvres jeunes adultes qui s'aventurent sur les frasques de Molière. On empile les phrases, croyant les manier avec suavité.
C'est un peu le style des faux poètes.
" Ouais, j'comprends pas quand tu parles. "
Je pouffe. Et parce que sa susceptibilité n'a plus aucun secret pour moi, le coup qu'il assène à mon épaule ne me surprend pas. Son visage se tord sous la grimace. J'aime bien voir à quel point il se laisse ravager par mes mots aiguisés. Cette nette contrariété qui prend le dessus.
Sur sa face, sont passés toutes les émotions.
Je les connais par cœur ; je les réciterai à voix haute, à Jake. Je les dessinerai, les yeux clos. Je les ai gravé dans mon âme pour pouvoir en rêver chaque soir, me laisser couler au fond du lit dans un monde imaginaire où il y a cette réalité alternative.
Celle dans laquelle je suis avec lui.
D'une autre façon.
" Crétin ! "
Je bouge à peine quand il me pousse. Et dire que trois ans plus tôt, il était capable de me soulever. Les rôles se sont inversés et à présent, je me tiens comme un bloc de mur que l'océan n'a cessé de heurter, sans jamais le détruire.
Je souris et désordonne ses cheveux.
Ses joues rouges me confirment à quel point mon geste ne te laisse pas indifférent.
" Hee, bordel. "
Jake jure sans cesse, puis retourne à ses cheveux. Il les replace comme il faut de ses mains épaisses. J'aime voir ces mèches en broussaille, à la merci des rafales. J'aime leur odeur, celle de la mer et des coquillages.
" T'es mignon comme ça. "
" Va te faire foutre Hee. "
C'que j'aime la vie quand t'es dans les parages, à jouer au faux poète pour faire entendre mon cœur amoureux.
***
À l'heure où le dîner prend, nous sommes des âmes errantes sur un espace délabré qui conserve encore les traces effritées d'un terrain de basket. Le cerceau tient sur une tige mourante qui a subit les ravages de la pluie. L'eau s'infiltre dans le bois, le fragilise, y faire naître des champignons.
Le voilà notre havre de bonheur.
Sous un ciel à présent assombris qui accueille la nuit, le ballon s'écrase contre le sol tiède et bétonné. Le froid prend le relais mais la terre retient la chaleur de l'été. Nos baskets tambourinent presque au même rythme que le ballon. Et le cerceau tremble sous nos assauts, dunk puissants de notre sport favoris.
" Encore raté. " Dis-je.
" Crois pas. J'te laisse gagner pour pas que tu chiale encore comme quand t'étais jeune heedeungie. "
Un soupir bruyant m'échappe. Cette pique n'a pas raté sa cible. Comme si un an d'écart était si important. Tout comme ce surnom qui date de mes cinq ans et qui m'accompagne comme mon ombre. Ballon en main, on s'affronte de nouveau au un contre un.
Je m'élance dans les airs, avantagé par ma taille et marque.
" Tu disais ? "
Frappé par la défaite, sa mine se fracture et fait éclore les bourgeons de tristesse. Le ballon roule jusqu'à nous.
" Ouais bah, j'm'en fous. "
" Belle repartie hyung. "
Je pouffe tandis qu'il rejoint la terrasse. D'ici, on entends toujours la mer. Busan, ville de l'océan et des cœurs fractionnés. Jake s'échoue sur un siège, les jambes écartées, en position d'épave. Comme une étoile de mer droguée qui bronze sur la plage.
Respiration perturbée, la fatigue le cloue sur place.
Et alors que ses paupières se closent, j'autorise mes pupilles à ancrer dans mon esprit, la scène divine que j'admire en secret. Jake et sa peau hâlé couverte d'une couche de sueur. Lui et sa gorge exposée à la lune.
Je joue au feu, en m'disant que la plus cruelle des tortures, c'est l'aimer et le regarder aussi près de moi.
L'aimer en secret.
" Qu'est-ce que tu fous ? "
Je lâche le ballon sous le coup de la surprise et me retiens de justesse, étant sur le point de vaciller vers l'avant. Mon frère débarque par la porte arrière. Il vient de rentrer de son nouveau travail ; dans une cafet' qui lui permet de survivre chaque mois.
" Rien. "
Je bredouille une excuse, en priant pour qu'il ne m'ait pas vu mater le blond comme un obsédé.
" Yo kook '. "
" Jake. " le salue mon frère.
Ils se font une accolade. Ils se parlent et bientôt, leur discussion s'éternisent. Ils s'en vont à l'intérieur de la maison. Je joue à l'invisible, à regarder Jake se fondre dans le décor familiale.
D'aussi longtemps que je m'en souvienne, il a toujours fréquenté cette maison. De voisin à meilleur ami de Jungkook. Puis à frère, membre de la famille. Il s'est implanté dans mon quotidien. Et comme un con, j'en suis tombé amoureux.
Avec Jungkook, c'était les quatre cent coups dans leur jeunesse. Les voyous de la ville, ceux qui sillonnent les rues à la tombée de la nuit, provoquent les chiens des voisins grincheux. Ils étaient, voilà, libres. Enrobés dans une enfance au rythme effréné. Les cœurs joyeux, l'adrénaline dans leurs veines.
Puis l'âge vient frapper. Et le monde adulte est tout ce qui nous attends. La destination c'est la tombe. Kook' a changé à partir de ce moment. Plus d'aîné qui te file des billets de won et couvre des bêtises. Qu'un adulte aux cernes creuses frappé par la maladie des cheveux blancs.
Mais Jake, lui, n'a pas changé.
Il rit aux éclats dans notre cuisine, vit au jour le jour comme s'il avait fuit la malédiction de la vie d'adulte. Pas que sa vie lui facilite la tâche. Il choisit ses priorités et s'extirpe de tout fardeau sociétal.
Plus jeune, je l'admirais.
Il était grand, il était fort, il savait tout. Et aujourd'hui, je le dépasse. Et je veux être assez fort, en savoir assez pour être à ses côtés.
" Hé Hee on s'fait un film ce soir ? "
Je souris en pénétrant la maison à mon tour.
C'qui est cool avec Jake, j'me prend pas la tête quand il est là. Les sentiments sont compliqués ; je l'aime, et je réfléchis pas.
***
Quelques heures devant l'écran pour s'abrutir le cerveau.
Du sang, des découpeurs d'organe et un jeu d'acteur désastreux. Ô tourment céleste ! Me voilà damné sur ce canapé à subir le supplice divin. Ce film est une horreur. Et pas dans le bon sens de la catégorie. Outre le sang qui gicle à souhait, pas de trame, pas d'intrigue, que d'histoires fades sans début ni fin. Un train qui erre dans la brume à l'aveugle.
J'ai du m'assoupir un nombre incessants de fois ; toujours tiré du sommeil naissant par les hurlements de l'homme censé être plus âgé que moi. À chaque instant, je pivote vers le blond pétrifié. C'est l'unique être humain qui se noie dans la terreur devant un échec pareil. Un film indigne des trois étoiles attribués par les cinéphiles.
Je soupire et éteint la télé d'un coup.
" Wesh qu'est-ce que tu fous ? "
" C'est une daube ton film. "
" Parle mieux ! C'était effrayant. J'vais finir par croire que t'es insensible ou un truc du style. "
Je réagis pas. À quoi bon. Cette soirée cinéma qui tourne en fiasco a rendu mon esprit propice au sommeil. Et je n'ai qu'une envie, rejoindre mon lit, m'abandonner à Morphée. Qu'il me compte ses plus beaux rêves. Ceux là où Jake m'enlace.
" Ouais, t'as aucune émotion en fait. T'es qu'un vampire. "
" C'est ça. Et toi un pigeon sans goût. "
Je me moque, mes épaules secouées par les soubresauts.
" Attends que j'te reface le portrait sale fils de— ! "
Sans terminer sa phrase, je lui lance un majeur puis m'échappe à l'étage. J'étouffe les rires pour pas réveiller les parents. C'est qu'ils bossent tôt demain. Mon frère aussi bosse tôt. Il n'a pas voulu nous rejoindre. Je me réjouis en un sens qu'il se soit peu à peu éloigné.
Depuis, je m'accapare l'attention de Jake.
La vie est belle alors l'euphorie m'emprisonne.
" Putain, reste là ! " Chuchote le blond.
Les escaliers nous sentent passer, malgré notre bonne volonté à vouloir paraître inaperçu. Je longe le couloir étriqué où le parquet grince à chaque pas. En quelques enjambées j'ouvre ma porte. Mon lit est là, devant moi. Je me saisis d'un coussin.
Jake arrive, il ferme derrière lui.
À peine se tourne-t-il qu'il reçoit un coup d'oreiller. Nous éclatons, nous abandonnons à l'extase que procure ce moment ; nos oreillers qui s'entrechoquent, les rires qui se meurent dans nos gorges. Certains, incontrôlables qui s'échappent et se répercutent contre les murs.
Bientôt, les morceaux de coton s'éparpillent.
Lui et moi sur mon matelas, à tenter de s'étouffer. Jake était plus fort avant. Le hyung âgé aux muscles robustes qui me battait au bras de fer. J'ai pas l'impression l'impression qu'il ait tant changé que ça. Et pourtant, me voilà capable de le maintenir sur place.
Dans le creux de mes bras, sa taille fine se cambre à mon geste.
" Mais fermez là ! Y en a qui veulent dormir ! " Entends-t-on par delà les murs.
On se regarde, ses yeux dans les miens, laissant les secondes défiler. Puis, nos rires s'élèvent de nouveau, malgré nos tentatives. Nos visages rougis, en proie à l'hilarité, nos corps à quelques centimètres l'un de l'autre, nos jambes s'emmêlent sans qu'on ne s'en rende compte.
Et je m'affaise, peu à peu, ma tête s'échoue contre son épaule.
J'entends son cœur battre. Le mien implose. Une étoile qui se réduit en poussières. L'amour vibre, ruisselle sous la peau. Et puis, l'envie fugace d'empoigner ses hanches, plonger dans le creux de son cou et respirer l'odeur de la mer qui fait partie de lui me serre au cou.
Je visualise la scène comme si elle était réelle.
Je le vois ainsi sous mes mains, à chercher de l'oxygène, haletant, et moi priant les cieux pour que ce moment dure éternellement. Un contact physique, un peau contre peau, nos gestes qui s'emboîtent.
On dira que les enfants du crépuscule se font l'amour comme on peint notre muse jusqu'à l'épuisement.
Le silence s'est imposé en maître. Là où seuls les échos de la nuit résonnent, s'accompagnent du rythme cardiaque effréné. Nos souffles se mélangent, je me redresse, nos regards se lient comme un fil qui rencontre un autre fil. Ils se tournent autour, s'entrelacent, et tissent un lien.
Jake es là, sous ma paume, le corps tiède et la face rougie. Cette chaleur nous embrase. Je rêve de plus, je meurs d'un piètre toucher, je regarde dans ses yeux tout ce qu'il ne ressens pas.
Les choses auxquelles je pense auxquelles lui ne penses pas.
" On devrait faire moins de bruits. " me chuchote-t-il.
Vois-t-il cette position ambiguë comme moi je l'aperçois ? Où alors, je suis le seul de nous deux qui rêve. Jake ne vois pas l'amour. Il regarde le monde sans chercher à le comprendre ; y errant en s'habituant au vice de l'humain, émerveillé devant le plus petit bout de nature.
Je hoche la tête en retraçant du doigt sa mâchoire.
" On va sur le toit ? "
J'me dis qu'il est dans ce monde tout en étant ailleurs. Qu'il y a tant sous son nez, et que je ne suis qu'une infime particule dans la masse. De ce fait, je ne suis qu'un invisible au milieu des milles et une chose qui te fascine.
Damné à l'aimer en silence ; rêveur fou, poète de trottoir.
***
" La voie lactée est belle. "
Tout comme toi.
Nous sommes perchés sur le toit de ma maison, devant la voûte illuminée.
" Eh, tu sais quoi, quand j'étais gosse, ma mère m'disait que les étoiles étaient les vœux des gens. "
" Oh c'est mignon. " Me dit Jake, agitant sa chevelure blonde.
Ses yeux de chiot brillent dans le noir. Il a toujours eut une allure de chiot qui affectionne les caresses.
" Ouais. Du coup, si une étoile meure, c'est que ton vœu ne se réalisera pas. "
La lueur admirative dans ses mirettes s'éteint aussitôt. Tandis que je m'étouffe entre deux éclats singuliers, il me gratifie d'un regard blasé par mes bêtises.
" C'est hyper méchant à dire à un gosse. "
" Le truc méchant c'est de penser que la vie c'est de la magie. Tu débarque dans le monde et pouf, la réalité te frappe. "
" Il y aussi de très belles choses ! "
" Comme ? "
" Le coucher du soleil... cette vue là par exemple... "
D'un air rêveur, Jake tend les yeux vers le ciel. Il les admire, les astres esseulés qui déambulent dans le vaste univers, les astres regroupés qui animent le même ciel en prenant plusieurs formes. Ils s'étendent à perte de vue.
Ce sont des rêves, des espoirs, des enchanteurs.
Je ferme les yeux et la houle porte jusqu'à nous leurs murmures. Les étoiles sont malicieuses, commères. Il paraît que tout là haut, tout un monde s'active. Le monde de l'imaginaire.
C'est si apaisant de se laisser bercer sous leurs rayons lumineux.
J'ouvre les yeux, remarquant que ceux de Jake sont aussi fermés. C'est un connecté de la nature. Et j'admire tant sa capacité de voir le bon dans la plus petite parcelle de ce qui nous entoure. Il est de ceux qui sont encore capable de s'émerveiller devant ces choses banales.
Il est aussi éthérée que la beauté mirifique de la nature.
Parfois irréel, lointain. Si proche, et pourtant, si loin de mon cœur. Je le regarde, encore et encore, et mes yeux demeurent insatiables. Comme si même une vie passé à décortiquer chacun de ses traits ne suffirait pas pour nourrir mon âme.
Mes palpitations cardiaques se multiplient.
Parfois, il m'arrive de rêver de l'embrasser. Ou non, j'y pense tout le temps. Comme ce soir. Et les soirées suivantes. Le vent se lève, soulève sa crinière dorée, un sourire s'étale sur ses lèvres. Je souris à mon tour.
" Eh, tu sais quoi ? "
" Heeseung si tu dis encore une bêtise j'te fais bouffer le... "
Jake quitte sa transe après que j'ai redémarré la conversation, me fixant de ses orbes noircies et sa mine boudeuse, prêt à me menacer. Et j'attend qu'il finisse sa phrase.
Or visiblement, il ne trouve pas de mot assez solide pour combler sa phrase. Un sourire moqueur m'échappe.
" Me faire bouffer quoi ? "
" Bref, t'as compris ! " Claque le blond pour échapper à la conversation.
Mon sourire s'accentue. Ce n'est pas l'envie de le taquiner qui manque.
" Non mais t'inquiètes, cette fois-ci c'est vraiment un truc poétique. "
" Ok. Vas-y. "
" Quand j'étais petit et qu'avec ma mère on voyait des étoiles filantes, elle me parlait des étoiles vagabondes. Tu vois, elles parcourent l'univers à la recherche d'une nouvelle galaxie. C'est comme si elles cherchaient une famille ou leur âme sœur. "
Jake m'observe un long moment tout en étant cimenté dans son mutisme, comme pour être sûr que je ne tache pas l'ambiance poétique instaurée. Et après avoir laissé quelques minutes filer, il finit par soupirer.
" C'est beau. Tu devrais dire des trucs comme ça plus souvent. "
Je pourrais lui réciter milles choses sur lui que j'ai appris par cœur.
" Hm. On rentre ? Ça caille. "
" D'acc'. "
Nous descendons. Je le regarde se faufiler sous les draps et se blottir le plus chaudement possible, dès qu'il pénètre ma chambre. Pendant ce temps, je ferme la fenêtre. Je me dirige ensuite vers ma table. Jake me demande, non sans bailler au milieu de sa phrase.
" Tu viens pas ? "
" Plus tard, J'dois ranger des trucs. Mais vas-y toi, dors. "
Un doux sourire fleurit sur ses lèvres. Il hoche la tête et se frotte les yeux.
" Ok. Veille pas tard... "
Ses paupières retombent déjà. Il se repositionne comme un chat et tiens avec fermeté le tissu qui le garde au chaud. J'éteins la lumière et actionne la lampe de chevet pour ne pas le déranger. J'attends, un peu, beaucoup, voulant m'assurer qu'il a déjà rejoint Morphée.
Ce n'est pas compliqué car Jake a un sommeil lourd. J'ai déjà fait des expériences par le passé pour en venir à cette conclusion. Du coup, après le premier ronflement, je sors mon calepin et mon crayon.
Nouvelle page, nouveau dessin. Le crayon érafle la surface vierge, formant bientôt son visage endormi.
***
J'ai pas appris la poésie. J'avais trop d'mal avec ma langue.
Je parlais, tant qu'on pouvait me comprendre. Et je trouvais ça amusant quand les autres perdaient le fil de la conversation. Mon prof' de coréen me trouve bizarre quand je chante les mots et que parfois, je m'emmêle au point d'embrouiller la classe.
Les lettres dansent sous mes yeux durant les heures de dissertations et parfois, les chiffres s'en mêlent. J'me retrouve sur une putain de planète bizarre à me demander à quoi sert l'école. Comme un bon vieux matelot, j'me suis accroché à la coque usée du bateau.
C'est ce qu'on fait tous au lycée. On s'accroche, on continue de naviguer tout en sachant que le bateau coule. Une fois diplômé, on se jette à la mer, puis dévoré par un requin. L'avenir idéal de la future génération.
Siméon s'amuse à éclater des têtes avec des boules de papiers mâchés qu'il souffle dans une paille. Un vrai gamin à la chevelure hirsute, un faciès aux traits européens qui divulguent son pays d'origine. Ses yeux océan contrastant avec la noirceur de ses cheveux.
Jisung plie des avions en papier qui voyagent dans toute la classe. Certains retombent sur la table des filles ciblées. Elles rougissent, les nymphettes, gloussent après avoir lu les mots cachés au cœur du papier.
Il est comme ça Jisung, un dragueur.
Mes yeux sont rivés sur l'horloge. Encore quelques heures et je pourrais quitter cet endroit. Les vacances d'été étaient longues. Encore quelques mois et j'aurais mon diplôme en poche. Je rejoindrai le clan adulte, comme me le dit si bien Jungkook. Les responsabilités qui vont avec, et tout ça.
Il croit que je ne serais capable de rien. Il compte sur Jake pour me chaperonner. Jake. Je veux le revoir. Même si nous nous sommes vu ce matin, avons déjeuné comme s'il avait toujours vécu dans notre maison.
" 'Y a chan qui organise une fête ce samedi. T'es chaud ? "
Je décale mon regard du mur vers Jisung.
" J'sais pas, on verra. "
" Allez, t'es toujours partant de base. "
" Sauf que cette année, y a le bac. "
Et je ne veux surtout pas rater les examens, ainsi que mon ticket d'entrée pour l'université de Séoul. J'irai là bas, étudier le dessin.
" C'est dans quelques mois relax' t'aura le temps d'apprendre, le nerd. "
Je roule des yeux.
" Parle pour toi, le génie. "
Il s'esclaffe. Le rire de Jisung me donne l'impression qu'il s'étouffe. Ça résonne avec aigreur à mes oreilles. Je n'ai aucune idée de comment il arrive à réussir alors qu'il donne l'air d'apprendre le moins possible.
Enfin bon, je me désintéresse de lui. Je griffonne, armé de mon crayon, des formes dans les marges de mon cahier. Il n'y en a pas un que je possède depuis la maternelle, qui ne contient pas de dessin en tout genre. C'est mon passe-temps favoris.
Un moyen de me concentrer lorsque je m'éparpille.
Soudain, la cloche sonne. Personne hésite. Les cahiers sont rangés à la volée. Le prof hurle, nous rappelle les devoirs à rendre la semaine prochaine. Mais personne n'entends. C'est le weekend, chacun s'imagine déjà gaspiller son temps aux divertissements peu fructueux.
Jisung me donne une tape sur l'épaule.
" Pense quand même à l'invit'. "
" On verra. "
Je ne pense pas y aller. La bande à Yeonjun pourrait y trainer. Ce n'est pas bon pour moi. Je m'élance dans le couloir en slalomant entre les élèves le plus vite possible. J'atterris devant le lycée. Quelques élèves gloussent et chuchotent entre eux.
Je n'ai pas à être surpris lorsque je vois la cause de toute cette agitation. Jake aux allures de motard. En perfecto, des lunettes de soleil et des gants en cuir. Il se tient près d'une bécane qu'il emprunte souvent au garage.
" Alors beau gosse, prêt pour un tour ? "
Je roule des yeux. Quel charmeur.
***
Il y a beaucoup de choses que j'ai appris à aimer aux côtés de Jake. Les ciels azur aux rayons crépusculaires qui peignent la voûte en rose, en jaune et en orange. Ces couleurs qui confèrent une allure fantaisiste aux nuages, qu'il a l'habitude de capturer dans son téléphone.
Ainsi, chaque soir à ma fenêtre, j'observe l'astre flamboyant disparaître à l'horizon. L'hiver approche, les tests de fin de semestres aussi.
Je redéfinis les contours du visage de Jake sur mon calepin, entre deux exercices de mathématiques. Jisung me file quelques tuyaux par message. Ma mère s'étonne de mon caractère assidue depuis que j'ai atteint le douzième grade.
Il est vrai que ma famille a connaissance de ma fainéantise.
Et pourtant, une fois motivé, je suis capable de m'appliquer avec le plus grand des sérieux. J'use de ce crayon au bout mâchouillé par mes dents, lorsque la sonnerie de mon téléphone tranche le calme académique que je me suis imposé.
" Quoi ? "
Jisung, habitué à mon ton sec, va droit au but. Cependant, je n'aurais pas prévu que sa nouvelle m'alerte autant.
" C'est Jake. Il est bourré et j'crois qu'il est pas bien. "
***
Je slalome au milieu de la foule dansante. Les néons m'aveuglent, l'alcool sature l'atmosphère. Et vient s'ajouter à ça, l'odeur fétide du tabac froid. Je ne tarde pas à le réparer.
Jake est avachi sur le divan.
Autour de lui, c'est le groupe de Yeonjun. Un soupire s'envole de mes lèvres. J'avance en gardant l'assurance et m'approche du corps abattu par l'éthanol du garçon qui hante mes rêves.
" Jake. "
Il me faut plusieurs tapes contre son épaule pour attirer son attention.
" Wow mais qui vois-je là. "
Ignore cette voix. Je me répète la phrase en boucle, dans mon esprit. Espérant que ce soit suffisant pour Lia.
" Ça fait un bail mec. "
" Jake, on doit rentrer. " Chuchoté-je à l'oreille du blond.
" J'crois qu'il t'ignore meuf. "
Mes paupières retombent un instant, puis se redressent à nouveau.
" Salut. " Lancé-je à la jeune femme.
En espérant que ça suffise pour détourner leur attention de moi.
" Bah voilà. " Me répond Lia, satisfaite. " Les études, ça passe ? "
" Tu deviens un p'tit nerd askip'. " Yeonjun se rajoute à la conversation.
" C'est qu'il prend ses études au sérieux le p'tit Hee Hee ! "
Ils s'esclaffent. Je les ignore, forçant sur l'épaule de Jake pour l'aider à se redresser. Ses paupières bougent, révèlent une moitié de ses pupilles, puis les recouvre la minute d'après.
Et ce cycle dure, encore et encore. Il somnole, loin, dans un autre monde, l'organisme épris de l'addictive cigarette.
" Fais un effort putain. "
Je jure dans ma barbe. En le redressant, Jake s'effondre aussitôt contre mon épaule. Ses jambes ne sont plus opérationnelles.
" Oh, hic, H-Heeseung, c'est toi ? Eh mais, tu fais quoi, hic, là ? "
Je me retiens de souffler.
" Rentrons. "
Mais j'avais oublié. Une fois ivre, Jake perds la maîtrise de son esprit, à un degré élevé. Il glousse, arbore un sourire béat, l'haleine puant l'alcool, les iris incapables de se focaliser sur un objet trop longtemps.
" Woa t'es pas drôle. J'veux danseeeeer. "
" On dansera à la maison. "
" Promis ???? "
" Je te le promets Jake. On y va maintenant ? "
Il hoche la tête.
Je passe son bras tout autour de mon épaule. Il se plaint, se débat dans ses brefs moments d'élan de force, se ramollit, puis se sert de moi comme appuie. Je reste insensible à ses mots brouillons, le traînant jusqu'à l'extérieur.
La bande à Yeonjun me connait plutôt bien. J'étais des leurs. De ces gamins un peu prétentieux, un peu vagabonds, enchaînant les soirées et s'adonnant à l'ivresse des fêtes au rythme effréné. Le soju dans les veines, l'adrénaline qui fait pulser le cœur.
Adulés par les autres, parfois craints, parfois détestés, jeunesse phobique des aînés de la ville. J'crois qu'on vivait sans penser au lendemain. Tant que l'extase du moment présent était comblé. Puis, je m'en suis détaché, quitte à perdre en popularité.
De peur de crever mes poumons. Jake continue de fréquenter les soirées de Chan. Et parfois, je me demande pourquoi lui le garçon qui aime tant la mer, préfère se noyer dans les vices alcoolisés.
***
Plus d'une quinzaine de minutes se sont écoulés depuis qu'on déambule dans ces sentiers étroits. Incapable de marcher, j'ai du porter Jake au dos. Autrefois, il était capable de faire voler le gamin chétif que j'étais dans les airs. Les rôles s'inversent ce soir, je sens à peine son poids.
Ses souffles alcoolisées heurtent ma tempe. Ses lèvres chaudes sont plaqués contre ma peau, de même que son visage. Je trottine sous la lune de craie qui éclaire la nuit. Un lampadaire cassé orne la ruelle. Les enseignes sont éteintes, les boutiques, closes.
Un chat noir erre droit devant nous. Si Jake avait été lucide, il m'aurait forcé à suivre tout une formation pour échapper à la malchance provoquée par l'animal. Je l'imagine et un rire se décolle de mes lèvres, voyage sur le dos du vent, et meurs parmi les innombrables mots prononcés par la population.
" Hee, j'veux descendre. "
Mon cœur frétille. Il marmonne dans le creux de mon cou. Les frissons ondulent contre ma peau. L'affection que j'ai pour lui étreint mon cœur. Je suis victime des flèches d'Eros. Damné à chercher Anteros*, pour qu'enfin mon amour me soit rendu.
" T'es pas en état de marcher. "
" Si. "
" Je te promets que non. "
" J'veux descendre quand-même. "
Je me pince les lèvres, la frustration sillonnant dans mes veines à cause de ses caprices.
" Tu veux vomir c'est ça ? "
" Non, j'veux danser. "
" On le fera à la maison. "
Sauf que Jake n'a pas l'air de mon avis.
" S'il-te-plait, arrête-toi. "
Ses gestes soudains dans le but de me déstabiliser et obtenir ce qu'il désire, me font presque perdre l'équilibre.
" Bordel tu joues à quoi ? "
Il demeure sourd à ma voix. Je me sens obligé de stopper mes pas. Il descends aussitôt et se lance dans une démarche chancelante et désordonnée. Intrigué, je le fixe s'éloigner.
J'ai, à de nombreuses reprises, vu Jake sous l'emprise de l'alcool. Or ce soir, il expose une facette de son état d'ivresse qui me laisse pantois. Je le talonne en remarquant l'écart entre nous qui se creuse.
" Attends, qu'est-ce que t'as ? "
Il s'enferme dans un mutisme, ramenant ses bras contre son torse et les frottant délicatement pour se protéger du froid. Je décide de retirer ma veste et la mettre sur ses épaules. Il me foudroie d'un regard qui me rend perplexe.
" J'en veux pas de ta veste. "
" Qu'est-ce qui te prends ? Tu te bourre la gueule et te met dans des états pas possibles ! Si tu continue comme ça, tu risques de clamser. C'est vraiment toi le hyung entre nous ?! "
J'explose, la colère ancré dans mes nerfs. Elle remonte tout en lenteur, éclate les vaisseaux sanguins sous ma peau à son passage, colorant en rouge, mon faciès heurté. Ma voix s'élève et résonne en écho dans cette rue froide et silencieuse.
Yeonjun et ses amis ont souvent été sujet de conflits entre nous. Les vices dans lesquelles ces individus nous entraînent, sont éternelles, gorgées de lourds conséquences. Et lui, s'entête à fréquenter les soirées de Chan. J'ai peur, parfois, qu'il touche plus qu'à l'alcool et la cigarette. Qu'il décide un jour de tester la drogue.
Mon cœur tambourine. Mes pensées s'entremêlent. Rien ne va. Ce soir, nous, lui. Ses yeux sont vitreux, son regard morne se harponne au mien. Il me dévisage, une fissure dans ses iris dévoilant une profonde tristesse. J'ai peur d'avoir été trop loin dans mes mots.
J'ai peur du pourquoi, de façon soudaine, les étoiles se sont éteintes dans les yeux de Jake.
Pourquoi d'un coup, ils se ternissent, me donnent l'impression qu'ils n'ont jamais été aussi heureux comme je le pensais. Moi qui croyait le connaître sur le bout des ongles, pensait l'avoir inscrit si profondément en moi, qu'aucune facette de sa personne ne m'était inconnue.
" Rentre chez toi. Je n'ai pas besoin d'un baby-sitter. "
Avant même qu'il ne me tourne le dos, je le rejoins.
" Tu peux pas me demander d'aller me faire foutre. "
" T'as école demain. "
" Arrête de me voir comme un gamin ! Bordel j'ai grandis ! "
Les mots m'échappent, si chaotiques, si fébriles. Nous nous infligeons cette peine qui fissure notre lien. Autrefois, nos discordes se solvaient d'elles même. Car il était si dur de s'en vouloir au delà d'un temps donné.
Ce soir, tout me semble si sérieux, au bord de la dérive.
" Je... "
Les pupilles de Jake s'écarquillent. Il recule de quelques pas, déglutit, et finit par baisser la tête.
" Rentre chez toi, Heeseung. "
" Pas tant que tu ne m'auras pas dit ce qui ne va pas. "
" Je t'ai dis qu— "
" Alors je te suivrai jusqu'à ce que tu me parles. " Insisté-je en tenant son bras.
D'un geste brusque, il se détache de ma prise et s'éloigne.
" T'es aveugle ! Voilà ce qui ne va pas ! Tu es putain d'aveugle et ça me rend dingue. "
Je suis sous le choc. Son cri tranche le calme olympien. Sa voix, d'habitude si solide et assurée, vacille à la fin de sa phrase. Étonnement, je sens les prémices de ses pleurs. Mais avant qu'il ne laisse une larme couler devant moi, il s'élance dans une course folle.
Je suis long à la détente. Avant de le suivre, désespéré de comprendre. Comprendre cette phrase si mystérieuse. Cependant, j'arrive en retard lorsqu'il grimpe dans ce bus qui démarre aussitôt, l'emmenant loin de moi.
***
Mon cœur est lourd.
L'insomnie me livre bataille. Mes pensées vagabondent, puis tourbillonnent autour d'une seule et même personne.
Jake.
Deux jours sans s'adresser la parole, deux jours qu'il a disparu des environs. Le manque se creuse, s'enracine tout au fond. J'ai beau croiser l'icône de son compte connecté, je me retiens de lui écrire.
Suis-je aveugle ? De quelle façon ?
Je ne cesse de décortiquer cette phrase pour en trouver le véritable sens. Celui, caché, qu'il n'a pas voulu me dévoiler ce soir là. Jake demeure un mystère. C'est une brise qu'on ne peut pas attraper, un rayon impossible à capturer.
Il est de ceux qu'on ne peut pas lire, à moins d'avoir été convié à le faire. Son univers est scellé sous une couche de protection épaisse. Parfois, j'essaie de le comprendre. Ce labyrinthe aux multiples secrets.
***
J'ai autant de mal que la veille à trouver le sommeil.
Notre dispute torture mes pensées, à coup de rediffusions de souvenirs exagérés par mon imagination morose. Sa présence est une part de mon souffle essentiel. Et ne plus le voir, ne plus lui parler, me conduit dans une lente agonie.
" Heeseung, sors de cette chambre, pour l'amour du ciel. "
Je serre ma couverture contre mes membres, m'enfonçant en dessous en me noyant dans l'obscurité.
***
Lorsque je dors, je rêve de lui.
De nos escapades quotidiennes à la plage. De son rire et sa peau de sel. Le garçon de la mer, amoureux de l'horizon. Et moi, je suis amoureux de lui.
Sim Jake.
***
Les cours s'enchaînent, l'ennuie me frappe.
L'ennuie ? Le manque ? L'absence de motivation ? Je ne suis qu'un robot qui exécute les exercices dans le but de décrocher mon diplôme. Jisung me parle parfois de lui, de sa nouvelle copine, des soirées de Chan.
De Jake. Il le croise souvent, esseulé au milieu de la foule, une bouteille en main. Parfois, je pense à aller vers lui. Et je finis toujours par abandonner, en toute lâcheté. Je replonge alors dans les cours pour taire mes envies de le revoir.
Pensant qu'ainsi, tout finirait par s'arranger.
***
Aujourd'hui, un signe s'est manifesté.
Trois points se sont alignés, indiquant un message en cours d'écriture au sein de notre espace discussion. J'ai attendu, un peu, beaucoup, longtemps, le cœur battant. Milles pensées m'ont transpercées. Les sens en alerte, j'ai patienté.
Au final, aucun message ne m'est parvenu. Je me suis accroché à mon téléphone, l'esprit tourmenté. À me demander ce qu'il comptait envoyer. La raison pour laquelle il s'est arrêté.
Peut-être que Jake veut prendre ses distances. Peut-être que Jake a des problèmes. Peut-être que Jake ne me supporte plus. Peut-être que Jake ne sait plus comment revenir. Peut-être que Jake n'est pas doué pour couper les ponts. Peut-être que Jake est tout aussi terrifié que moi.
Peut-être qu'il n'a jamais été question de nous. Ce nous ne fut qu'un rêve.
Rien de plus, rien de moins.
***
" Tiens moi ça. "
" Vous en faites trop. " Dis-je à leur égard.
Comme d'habitude, on m'ignore. Nous sommes en plein mois de mars. La neige se disperse de plus en plus. Les tests de fin d'année se sont bien passés. J'ai eu mon diplôme ainsi qu'une recommandation pour une université privée d'art. Je ne pensais pas ça possible.
Pour marquer le coup, les parents ont organisé une fête.
Mon père grogne, aurait voulu un fils médecin. Encore heureux qu'il ne s'oppose pas à mon parcours universitaire.
" Le champion de la soirée ! T'as tout déchiré. "
Un faible sourire orne mes lèvres.
" Merci Noona. "
Yuqi m'arrache un câlin que je lui accorde volontiers. Ses félicitations contribuent aux rougeurs qui s'étalent sur mes joues. Ses bras tenaces encerclent les miens. Je respire jusqu'au plus profond de mes poumons, l'odeur ambré qu'elle porte.
Et dire que plus jeune, j'avais un sérieux crush sur elle.
Elle recule, non sans laisser un baiser sur ma joue.
" Oups, j'ai mis un peu de rouge à lèvres. "
Étourdie, son pouce efface la fameuse trace vermeille.
" Dis-moi, tu es bourrée ? "
" Absolument pas ! Je suis plus que lucide ! "
J'ai du mal à y croire.
" Yah Yuqi ! "
Au loin, elle se fait interpeller par des amis à mon frère. C'est censé être une célébration à mon honneur. Je reconnais certaines têtes, d'autres me sont inconnues.
Et le seul que je désire revoir n'est pas là.
J'espérais, tout au fond, comme un con. À croire qu'après autant de mois, Jake aura miraculeusement envie de me revoir. Ce ne sont que des conneries. Des aspirations vaines qui drainent mes espoirs et les réduisent en cendres.
Je feins le personnage euphorique au sein de la foule, me prête à un rôle pour cacher ma peine. Peut-être que j'aurais dû être plus courageux. Je me suis résigné en apprenant l'horrible nouvelle.
Celle de sa mise en couple.
Malgré la douleur, je me suis noyé dans mes cours, trompant ce cerveau déprimé car tout était bon pour me distraire. Je m'extirpe de la foule, des sourires. Dehors, l'air froid heurte ma peau. La tige soutenant le cerceau semble s'accrocher à la vie, sur ce terrain délabré.
Nous avions disputé nos meilleurs matchs ici.
Les souvenirs prennent vie. Je nous revois ensemble, nos rires qui s'élevaient jusque là haut sous les rayons opalescents de la lune, lorsque nous tentions de nous dérober le ballon l'un à l'autre. Tout me manque. Mon cœur sonne si creux.
Soudain, un ballon m'arrache à mes rêveries et traverse le cerceau. Surpris, je me retourne, pensant croiser Jungkook. Ce n'est pas lui. Mais des mèches blondes ondulantes qui encadrent son visage.
Les mains plongées dans ses poches, il m'observe, un mystérieux sourire aux lèvres. Mon cœur explose. Ou tremble. Ou fond. Je n'arrive pas à me décider. Occupé à me demander s'il n'est qu'un mirage. Serais-je devenu fou à l'imaginer ?
Or bientôt, sa voix, bien trop réelle, m'enlève tout doute.
" Félicitations pour ton diplôme, beau gosse. "
Jake est là.
***
C'est silencieux entre nous.
Je l'observe, il a changé. Physiquement. Il a maigrit. Mais étrangement, il semble plus reposé. Il me paraît aussi usé. Quelqu'un qui aurait trop lutté et qui se retrouve à peine. La question me brûle les lèvres ; à savoir ce qu'il a pu bien vivre ces derniers mois.
Et pourtant, je me retiens, muet.
Nous avançons sur la plage. Les astres nocturnes sont éparpillés dans le ciel. Nos chaussures sont retirés. Jake a l'air plus joyeux que moi, du moins, en apparence. Les pommettes rehaussés par ses rires, il sautille sur le sable, aspirant avidement la brise humide.
" Ça fait si longtemps qu'on était pas venu ! "
J'acquiesce en silence, comme craignant les mots qui sortiraient de ma bouche. Son regard se pose sur moi. Ses yeux sont inhabituels. Un éclat de tristesse scintille tout au fond. Ils sont tout aussi épuisés que les miens, à force de pleurer.
" Alors ? Tu comptes vraiment t'orienter vers le dessin ? "
Je hoche la tête.
" Ça te va bien. Je t'ai toujours trouvé excellent. "
" Merci... "
Ma voix fluette arrive jusqu'à ses oreilles. Il a toujours été de ceux qui m'ont encouragé. Si ce n'est le seul qui me supportait de toutes ses forces. Il disposait toujours de ces mots qui savaient me consoler, me donner l'impression que le monde était à ma portée.
Je le rejoins. Pourquoi ce soir, le sourire qui orne ses lèvres me semble cousu à ses derniers, simplement dans le but de tromper les autres ? A-t-il senti le vide le ravager lui aussi ? Bien sûr que non, qu'est-ce que je raconte ? Jake est en couple, heureux, aimé.
" Ça y est, t'es officiellement un adulte. "
Je hoche la tête, une fois planté devant lui. Lui qui me paraissait si grand à l'époque, me semble plus petit à présent.
" Tu n'as pas trop l'air heureux. "
Je ne lui suis pas. Mon avenir me paraît si moindre, sans sa présence à mes côtés.
" Et toi, tu l'es ? "
Ma question le prend de court. Son sourire meurt. Il me fuit du regard, ramenant ses bras contre son torse.
" Honnêtement, hyung. " Insisté-je.
Le vent siffle dans nos oreilles. La mer s'acharne au loin, déploie ses vagues qui s'écrasent contre la côte. Mes émotions, autrefois enfouis pour moins souffrir, me submergent. Il redresse la tête, me fixe. Et je les vois, les vagues mélancoliques tout au fond de ses iris.
" Non. " Me dit-il en secouant la tête. " Pas sans toi. "
***
Je ne comprends plus rien.
Mon esprit se disloque. Je déglutis. La raie de lumière pâle de la lune met en évidence son visage, qui se détache de la noirceur de la nuit. Toute la sincérité est condensé dans ces iris. Elle fait luire ces derniers à la même intensité que les étoiles.
Ses paroles s'éparpillent, comme des mots trop étouffés depuis un long moment, qui peuvent enfin s'exprimer. Il parle si vite que je perds le fil. Je me sens déconnecté de la réalité, ne regardant que ses lèvres bouger.
Jake est si beau.
Et c'est sur cette pensée que je plaque mes lèvres sur les siennes. La plus belle connerie jamais faite. Je veux dire, il est en couple, il a quelqu'un. Je n'ai aucune idée de d'où je tire ce courage, ou culot, de poser un acte pareil.
J'en avais tellement rêvé. De pouvoir sentir ses lippes contre les miennes. Une douce texture dans laquelle je veux fondre. Je veux faire durer ce moment le plus longtemps possible.
Il m'est arrivé de penser à la façon dont je pourrais lui avouer mes sentiments. J'ai tourné la scène de mille manières. Aucune d'elle ne me convenait. Et il y avait aussi cette peur du rejet. J'étais terrifié qu'en le faisant, je gâche notre amitié.
Je me surprend à l'embrasser actuellement, me demandant par quel courage j'ai cédé. Je recule, expirant, mon cœur tressaute dans sa cage thoracique. Nous nous perdons dans le regard de l'autre. Je n'ai jamais été aussi fier d'avoir commis une erreur.
" Désolé. Je, t'as un mec, c'est une connerie. "
Je me perds dans mon excuse foireuse et décide de me casser le plus vite possible. Cependant, il m'arrête, se saisit de mon poignet et me ramène à lui.
" Tu m'as vraiment... "
Je voulais le faire. Juste une fois. Je sais que je l'ai perdu. Et peut-être même qu'après ça, notre amitié aussi disparaîtra.
" Désolé, je le voulais. "
C'est devenu si difficile de respirer, j'ai l'impression. Mes poumons se compriment, rendant mon souffle laborieux. C'est pire que le bac à ce stade. Avouer ses sentiments, c'est un putain d'acte courageux.
L'acte d'un fou prêt à avoir le cœur piétiné.
Ou celui d'un poète désespéré, qui crée de vers pour combler le vide en lui. Je fuis le regard de Jake, bien trop peureux ce soir pour le confronter. Je redeviens le petit gamin qui fait face à son aîné. Son silence est pire que toute réponse.
Doucement, sa prise faiblit. Ses doigts enserrent ma paume. Il supprime l'espace qui nous sépare. Je le sens d'ici, sa peau qui sent la mer. Sa paume se harponne à ma joue, acte de douceur qui me rend fébrile.
Jake a toujours été le hyung, peu importe à quel point je le dépasse en taille, vitesse, force. Je ne me suis jamais senti aussi petit entre ses mains. Tête baissée, la honte embrase mes joues. Mes cheveux ondulent au dessus de mes paupières, cachant ainsi mon visage.
Je suis assez courageux pour l'embrasser. Pas assez pour le regarder.
" Heeseung... " Souffle-t-il.
L'intonation de sa voix me fait fondre. Mon ventre se tord d'une drôle de façon. L'angoisse grimpe et gagne du terrain au fil des secondes. J'ai peur d'entendre les mots fatidiques. Lorsque je serais rejeté, lorsqu'il me dira que mes sentiments ne sont pas réciproques.
Jake lâche finalement ma main. Son toucher me manque déjà. Or sa paume demeure contre ma joue. Son autre main remonte et saisit mon visage en coupe. Mon cœur palpite, entre le bonheur que procure cette proximité.
Et ma crainte à l'égard du rejet que je subirai dans les prochaines minutes. Je déglutis tandis que son souffle s'écrase contre mon faciès. Il remonte ses doigts jusqu'à la racine de mes cheveux et les rehausse, de telle sorte à me dégager la vue.
" Regarde-moi, allez. "
Sa voix est si douce, glisse comme du velours contre ma peau. Elle est fluide, fluette, murmurée comme un enchantement. Son ton me stimule, m'encourage à le fixer, comme si j'étais un enfant effrayé qu'il tentait de convaincre.
" N-non. "
Jake trace en boucle de petits cercles imaginaires dans le but de me détendre. Il l'a toujours fait dans ces moments où je me sentais partir, loin, dans les tréfonds des crises de panique.
" S'il-te-plait. "
Je ne me sens pas capable de résister quand c'est lui. Peu importe à quel point j'ai envie de fuir, je finis par croiser son regard. Il est bienveillant. Je n'y vois aucune trace de colère. Un sourire trône sur ses lèvres.
Le plus vrai que j'ai eus à voir depuis ces derniers mois.
" Depuis quand ? "
" Ne me demande pas... " Soufflé-je dans ma peine.
Il n'y a rien qui rend aussi vulnérable que l'amour. L'impression d'être à nu, autant le corps que l'esprit. L'impression de donner l'accès à cette part si précieuse qui nous constitue. On remet notre cœur entre les mains d'un autre humain.
Et l'histoire nous a bien appris que l'homme était le moins digne en termes de confiance.
Or Jake n'est pas n'importe quel humain.
" Depuis un moment. " Finis-je par avouer.
" Hey, arrête de trop penser. C'est, c'est réciproque Heeseung. "
Un battement cardiaque me fait sursauter. Mes pupilles s'écarquillent, le fixant avec surprise. Le sourire de Jake s'accentue.
" Je t'ai toujours aimé idiot. "
" Mais, tu, quoi ? "
Il pouffe, lâchant un rire similaire à des carillons qu'on secoue.
" Pardon. C'est ta tête ! Elle est hilarante. "
" Te moque pas de ma tête. Tu t'es vu ? "
" Ah non, pour le coup c'est toi qui a une tête vachement chelou. "
" Ok vas-y, je m'en fous. "
" Bah alors, comme ça on était amoureux de moi en secret ? "
Je roule des yeux, ennuyé, ne prêtant pas attention à l'atmosphère qui a changé d'un coup. Un éclat malicieux nait dans ses pupilles. Mais avant qu'il ne dise quoi que ce soit, je rétorque.
" Tu m'aimes vraiment, hyung ? "
Jake soupire, puis se mord la lèvre. Lui aussi n'est pas si serein. Je détecte ses gestes nerveux.
" Je pensais que c'était évident, mais apparemment, pas assez... " Dit-il en remettant une mèche son oreille.
Tu es aveugle Heeseung.
" Mais tu as un copain. "
" Oh, tu parles de l'autre idiot de Sehum ? On n'a même pas tenu un mois ensemble ! C'était qu'un idiot, il fallait voir ! "
Je ne peux pas m'empêcher de gentiment me moquer. Je vis pour ses expressions amusantes.
" J'irais lui casser la gueule pour toi si tu veux. "
" Ouh là non, on se calme le poussin. Et puis, ton frère s'en est déjà chargé. "
L'information ne me plaît pas. Mes sourcils se froncent. Jungkook a fait quoi ?
" C'est à moi de te défendre, pas lui. Qu'est-ce que ce salaud t'as fait ? "
Je ne me rend pas vraiment compte d'avoir été aussi sec en parlant. Jake roule des yeux, revêtant un air exaspéré.
" Chromosome xy. "
" T'en est un toi aussi. "
" Ouais, c'est chiant. Bref, c'est du passé"
Je compte toucher deux mots à Jungkook à ce sujet. Je suis inquiet. À quel point ce Sehum était un connard pour mériter des coups de poings ? Qu'est-ce qu'il a fait à Jake ? J'ai l'impression qu'il ne me dira rien. Autant cuisiner mon frère dans ce cas.
Le savoir en danger me met hors de moi.
Jake se rapproche encore plus. Il soulève la tête, et son regard oscille entre mes yeux et mes lèvres, avant de s'arrêter sur ces dernières. Il se stationne dessus, battant des cils, puis se mord ses propres lèvres.
Il dissimule si mal ses envies que ça me fait sourire.
" Ils sont plus haut mes yeux. "
" Oh— " fait-il, sortant de sa transe.
Le visage cramoisi, le blond arbore une mine boudeuse.
" Si tu veux m'embrasser, il suffit de me demander. "
Une lueur amusé anime mon regard. Jake pousse un souffle de frustration.
" Il est passé où le Heeseung qui paniquait tout à l'heure après m'avoir embrassé ? Il était bien plus mignon ! "
Un grondement m'échappe. Blasé, je hausse le sourcil. Jake continue de marmonner dans sa barbe pour se détourner du réel sujet. Alors, sans plus tarder, je l'attire vers moi et plaque de nouveau mes lèvres sur les siennes.
Je demeure figé, comme pour attendre son signal. Je l'obtiens dès qu'il bouge en premier. Ma main glisse alors dans son dos et appuie sur ce dernier pour le garder proche de moi. De façon timide, il remonte lentement ses mains vers mes épaules.
Ce baiser est moins innocent que le premier.
Lorsque je me décolle, je sens son souffle chaotique contre lequel il se bat, et ses joues en feu. Jake se réfugie contre mon torse et cherche à se calmer. Un léger sourire s'envole de mes lèvres. Je caresse sa nuque. Nos torses collés me permettent de sentir son cœur qui bat rapidement.
" T'es dans cet état juste pour un baiser ? "
" Ta gueule. "
" Je t'aime Jake. "
C'est ainsi qu'ils s'aiment, les faux poètes. Ils se confessent sous les étoiles, pour faire entendre leur cœur amoureux.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top