Chapitre 28

- Est-ce que vous savez où vit mon père actuellement ? Il a dû être relâché de prison, non ?

- Oui mon chéri, me répondit maman. Il a été libéré l'année dernière.

- Un jour où tu étais à l'école, reprit Alb, nous l'avions croisé qui prenait ses affaires.

- Il est parti ? Sans même chercher à me voir ?

Ils se regardèrent à nouveau. Faut croire qu'ils aiment bien se regarder ces deux-là. J'aurais aimé avoir des parents avec la même complicité. Malheureusement je suis tombé sur une mère abattue et un père alcoolique qui ne s'aimaient pas, ou du moins, qui ne s'aimaient plus.

- Je suis fort vous savez ? Vous n'avez plus rien à me cacher maintenant. Je saurai tout encaisser.

- Comme tu as grandi ! Dit maman.

- Ton père est effectivement parti sans chercher à te voir. Nous ne savons malheureusement pas où il est.

- Et ma mère ?

- Elle a fini par sortir de l'hôpital où elle a été internée. Répondit maman. Et avant que tu ne demandes, oui nous savons où est-ce qu'elle habite maintenant.

- Je pourrais avoir l'adresse s'il vous plaît ?

Ils se jetèrent encore un regard, puis le Dr Alb nous faussa compagnie. Quelques minutes plus tard, il revint, un bout de papier à la main.

- Tiens, me dit-il en me le remettant.

- Merci.

- Mais de rien fiston.

- Pas seulement pour ça. Merci pour tout. Je vous adore.

Maman Agathe faillit verser une larmiche. Elle était émue. Le fait de m'avoir raconté toute l'histoire n'avait en rien changé ce que je ressentais pour eux. Par contre, je vouais une haine profonde à mon père. Non seulement il n'avait pas su jouer son rôle, mais en plus de ça, il maltraitait ma mère. Et en parlant d'elle, il fallait absolument que j'aille la retrouver. Papier toujours en main, je me dirigeai directement vers la porte. Je ne voulais pas attendre une minute de plus. J'avais besoin de la revoir. J'avais besoin de réponses. J'avais surtout besoin de savoir si elle connaissait la nouvelle adresse de mon père.

Contre toute attente, lorsque j'ouvris la porte, elle était là. Je me figeai sur place dès l'instant où mon regard se posa sur elle. Elle n'avait pas changé. Toujours les mêmes rides au niveau des joues, le même regard, vous savez, celui d'une personne qui avait l'air d'avoir tout vu dans sa vie, la même cheve... Ah non, elle s'était coiffée, style pixie, laissant les nombreux cheveux blancs sur sa tête bien visibles. Elle ressemblait à grand-mère. Elle avait également le même style vestimentaire, une robe surmontée d'un pull. Sa robe était violette et son pull gris. Le même cœur ? Je ne saurais le dire. Je me demande si elle me frapperait si j'essayais de lui souffler de jolis mots. Et puis zut !

J'ai beau affirmer que je suis fort, je dois avouer que cette histoire m'a bien perturbé. Elle aussi. Elle pleurait. Ma maman, la biologique, pleurait. Je me souviens que j'avais toujours détesté la voir pleurer. Mais pourquoi est-ce que ça ne me dit plus rien aujourd'hui ?

- Oscar, dit-elle d'une voix tremblante tout en essuyant ses larmes, c'est vraiment toi ? Comme tu as grandi mon chér...

- Non ne m'appelle pas comme ça.

J'étais furieux, je le reconnais. Mais beaucoup plus envers mon père qu'envers elle. Je décidai alors de me calmer et de lui alléger le poids qu'elle avait apparemment gardé dans sa conscience.

- Je... Désolé, je ne voulais pas être brutal. Dis-je pour essayer de me rattraper.

- Non, non ça va. Je me doutais bien que tu ne serais pas ravi de me revoir.

- Non, ce n'est pas ça. C'est juste que...tu ne t'es jamais vraiment comportée comme une mère avec moi, alors je refuse que tu reviennes subitement avec tes "mon chéri", d'autant que tu ne m'avais jamais appelé comme ça avant.

- C'est bien ce que je disais. Tu n'es pas ravi. Ne t'en fais pas, je ne vais pas tarder. Je voulais juste te souhaiter un joyeux anniversaire.

- C'était hier.

- Oui, je le sais. Je ne suis pas venue hier parce que je pensais que tu voudrais le célébrer avec...avec tes parents.

- Maman, je déteste les anniversaires.

- Quoi ? Depuis quand ?

- Depuis mes sept ans. Tu t'en souviens ?

- Oh. Oui. Je m'en souviens, me dit-elle d'une voix plus faible. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis venue. Je voulais attendre tes dix-huit ans pour...

- Pour me raconter que ta relation avec pap...avec cet homme battait de l'aile ? Que tu avais besoin d'aide mais que tu ne voulais pas te faire aider ? Ou alors que je suis né d'un viol ?

Offusquée par ce que je venais de dire, elle laissa tomber son sac à main gris et délavé au sol. Toujours sur le pas de la porte, je sortis puis refermai derrière moi. Hors de question que Alb et Agathe entendent cette conversation.

- Alors ? Dis-je, impatient d'entendre ce qu'elle avait à me dire.

Mais au lieu de répondre, elle se remit à pleurer. Malgré tout, elle restait ma mère et je détestais toujours autant la voir pleurer. Je pris donc son sac, puis le lui remis. Je la serrai ensuite très fortement contre moi en essayant de la calmer :

- Je n'étais qu'un enfant. Tu n'avais pas à m'infliger tout ça. Mais maintenant que je connais toute l'histoire, je sais que ce n'était pas de ta faute, c'était la sienne. Alors ne pleure pas, je te pardonne maman. Et je t'aime malgré tout.

Elle se sépara de moi et me caressa la joue.

- Ils t'ont vraiment bien éduqué. C'était un mal pour un bien au final.

Elle me regarda encore un moment avant d'ajouter :

- Je vais y aller maintenant. Je suis content de voir l'homme que tu es devenu.

- Non, attends. Est-ce que tu connais son adresse ?

Elle recula un moment, baissa la tête, se passa la main sur son visage, puis dans ses cheveux et me regarda enfin.

- Maman !

- Ce n'est pas une bonne idée, ok ? Je préfère que tu continues à vivre avec Agathe et Albin plutôt que de rechercher un salopard dans son genre.

Woo ! J'étais loin de me douter qu'elle avait gardé rancune contre lui. Mais en même temps, pourquoi lui en vouloir ? Elle aussi, avait souffert, tellement qu'elle avait essayé de mettre fin à ses jours, et pas qu'une fois ! N'empêche, il fallait que j'aille au bout de cette histoire. Il fallait que j'aille le confronter. Et pour ça, il fallait que maman me dise ce qu'elle savait.

- S'il te plaît, j'ai besoin de le voir, de lui parler et de comprendre comment est-ce qu'il a pu tomber aussi bas.

- Tu n'en as pas besoin pour continuer à vivre.

- Si. Maman, si. S'il te plaît.

Elle soupira.

- Très bien. Tu as de quoi noter ?

Je ressortis le petit papier que j'avais en main et elle me prêta un stylo. Elle me donna ensuite l'adresse de cet homme que j'appelais autrefois papa. Ensuite, elle m'enlaça en me disant de faire attention à moi, qu'elle ne voudrait pas qu'il m'arrive quelque chose. Mais pourquoi m'arriverait-il quelque chose ? J'allais juste rendre visite à quelqu'un. Je n'eus même pas le temps de lui poser la question puisqu'elle s'en alla ensuite.

                          *************************

Une heure. Non, deux. Plutôt trois ? Peu importe. Ce qui importait à cet instant était celui que j'observais depuis quelques heures déjà. Il était heureux. C'est ce que je remarquai avec amertume. Il était heureux dans sa petite maisonnette avec une AUTRE FEMME et un AUTRE ENFANT. Étions-nous si facile à oublier ? Ma mère et moi avions souffert entre les mains de ce sale pervers. Ma mère et moi pleurions souvent à cause de ce salaud. Ma mère et moi n'étions pas heureux à ses côtés. Et le plus grave, ma mère a failli mourir à cause de lui. Et lui, il était tout pénard à embrasser cette femme que je ne connaissais ni d'Adam, ni d'Êve.

Il devait être vingt-deux heures lorsqu'il mit enfin pieds dehors. Je l'entendis au loin qui disait qu'il voulait faire les cent pas, histoire de prendre un peu l'air. Lui ? Faire les cent pas ? D'aussi loin que je me souvienne, cet homme a toujours été un fainéant. Quand il n'ingurgitait pas des milliers de litres d'alcool devant la télévision, il dormait, il hurlait, il frappait mais il ne sortait pas. Jamais. Ça aurait été le cas que nous aurions fermé à clé ma mère et moi avant de lui jeter de l'huile bouillante au visage. Enfin, ça, c'est ce que je dis maintenant. Avant, je n'aurais jamais pensé à ces choses-là. Cela prouve à quel point j'étais affecté par la situation. Il fallait que ça cesse. Je décidai donc de le suivre. Grossière erreur.

Quelques mètres après sa maison, nous nous retrouvions à un carrefour presque désert si nous oublions les quelques engins à deux ou à quatre roues qui passaient. Et c'est là qu'il me repéra.

- Tu vas me suivre encore longtemps ?

- Tu comptes marcher encore longtemps ?

Finalement, il se retourna. Le ciel noir laissait déjà apercevoir quelques nuages gris. Il allait sûrement pleuvoir.

- Qui es-tu ? Demanda-t-il en me dévisageant.

- Qui je suis ? Répétai-je en riant. Quelle bonne blague !

Ne voyant pas encore où est-ce que je voulais en venir, il plissa les yeux, essaya deux trois secondes de trouver des pistes, puis écarquilla les yeux, hébété.

- C'est bon, tu as trouvé ?

- Oscar ?

- Bonsoir PAPA.

- Mais, que fais-tu là ? Tu es venu gâcher ma vie comme l'a fait ta mère ?

- Comme l'a fait ta mère ? Comme l'a fait ta mère ???

Je ne savais même pas à quel moment la colère était autant montée. J'étais arrivé à un stade où mes émotions avaient pris le dessus.

- Oui. Comme l'a fait ta mère.

- Ferme là espèce d'alcoolique sans vergogne !

- Excuse-moi ?!

- C'est TOI qui as gâché sa vie je te rappelle. C'est TOI qui l'as violée. C'est TOI qui as failli la tuer le soir même où je suis parti chez le Dr Alb.

- Elle aurait dû mourir.

Et l'intensité de ma colère monta d'un cran.

- Dès que je suis sorti de prison, j'ai laissé tout ça derrière moi.

- Oui, j'ai remarqué.

- Je ne m'attaque plus à elle et toi, tu es heureux chez Albin et Agathe. Alors qu'est-ce que tu fais là à me chercher des noises ?

- Au moins des excuses, c'est le minimum. Tu sais ce que ça fait que de vivre avec un soulard comme père ?

- Je te demande de me respecter. Je suis toujours ton père.

- Non pas du tout. Le jour où tu m'entendras encore t'appeler papa, les vaches voleront. Même si j'étais dans un aussi piteux état que toi, je ne le dirais pas.

Et l'intensité de sa colère monta aussi d'un cran, tellement qu'il me donna une claque. Il me poussa ensuite contre la porte en métal de l'entrepôt qui se trouvait derrière moi et mis sa main au niveau de mon cou en serrant très fort.

- Je te le répète, j'ai laissé tout ça derrière moi. Ta mère et toi n'êtes plus rien pour moi. Plus. Rien.

Plus il sortait des mots de sa bouche, plus il serrait et moins je pouvais respirer. J'eus alors le réflexe de toutes les femmes lorsqu'elle se font agressées par des hommes : un coup de genou en plein dans les testicules. Du fait de la douleur, il me lâcha. J'en profitai alors pour le pousser de toutes mes forces avec mes paumes, sans faire attention au camion qui arrivait à grande vitesse. Le feu était vert. N'ayant pas l'intention de s'arrêter, il le percuta de profil, le projetant jusqu'au niveau d'un lampadaire qui brisa son crâne. Les gouttes de pluie au départ faibles, s'intensifièrent, éparpillant le sang et des bouts de cervelles sur la chaussée. Comment est-ce que je me sentais à ce moment-là ? Libéré. Tout juste libéré. Pendant que toute l'attention du camionneur était sur les restes de mon... Enfin, de cet homme, je me faufilai sans un bruit et m'en allai.

Quelques années plus tard, alors que maman Agathe quittait son poste pour être affectée ailleurs, elle me proposa auprès de ses supérieurs pour la remplacer. Ah oui, j'avais oublié de mentionner le fait que j'avais suivi le même chemin qu'elle. Elle m'avait appris tout ce que je savais. Ses collègues s'amusaient même à me surnommer Agathe Junior. Malgré tout, grande fut ma surprise lorsqu'elle me l'annonça. J'allais travailler dans un grand laboratoire, relié à une université. J'aurais donc la possibilité d'enseigner mon savoir à d'autres comme maman l'a fait avec moi. J'en étais très heureux. Et figurez-vous que ma première mission m'avait été confiée le jour même. Il fallait que j'aille explorer une mine assez particulière, dans un village assez loin d'ici, avec trois autres géologues étrangers. Nous devions inspecter les lieux et apporter quelques pierres précieuses ici.

Dès que j'appris la nouvelle, je sautai de joie, on aurait dit que j'étais toujours ce gamin de six ans qui jouait encore dans la boue. Oh ! Je crois que je n'aurais pas dû la dire celle-là. Quel horrible souvenir ! Quoi qu'il en soit, nous devions nous rendre dans un lieu éloigné. Je décidai alors d'emporter mon matériel de travail et quelques fioles au cas où l'idée me viendrait de faire des tests préalables là-bas. Grossière erreur. Encore.

Arrivés sur place cinq heures après notre départ, nous descendions de la Porsche qui nous avait conduits jusque-là, tous avec enthousiasme. Oh, et j'ai oublié de vous préciser que parmi les trois autres, il y avait un allemand, un russe et un anglais. Heureusement que chacun d'eux comprenait ma langue, sinon, ma première mission aurait été soldée par un échec.

- J'imagine, dit l'allemand, quand nous aurons enfin percé le mystère de ces mystérieuses pierres. Nous serons riches.

- C'est peu de le dire, répondis-je.

J'aimais bien son accent, il était drôle. A vrai dire, l'accent allemand m'a toujours fait rire.

- Pourquoi as-tu apporté tous ces produits chimiques ? Me demande l'anglais.

- Pour faire quelques tests préliminaires avant de les embarquer.

Et puis soudain, je l'aperçus. Une plate-forme qui réfléchissait très fortement la lumière. Elle était belle. Elle était lumineuse. Elle scintillait de mille et une étincelles. Je la contemplais tout en avançant. Vous savez, cette voix qui murmure des choses dans la tête des gens, elle me disait "approche". Et une centaine de pas plus tard, je me trouvai juste au-dessus de mon objet d'intérêt.

Mes yeux scrutèrent minutieusement chaque détail de la plate-forme avec une concentration intense. Et puis tout bascula. Alors que je l'observais, un mouvement involontaire de ma main fit bouger mes flacons, mis à la va vite dans ma poche, vers l'avant. Les produits chimiques glissèrent ensuite de la poche avant de tomber bruyamment sur la plate-forme réfléchissante. Les flacons se brisèrent et leurs contenus entrèrent en contact les uns avec les autres. Le mélange imprévu fit apparaître un nuage de vapeur qui se propagea en émettant une flamme de couleur bleue, puis une autre rouge, une autre verte et ainsi de suite jusqu'à reproduire toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Elle commença ensuite à produire des étincelles. Me rendant compte que cela ne présageait rien de bon, je me mis à courir tout en hurlant pour alerter les trois autres. C'est alors qu'un bruit assourdissant se fit entendre et la mine explosa.

                          **********************

- Qu'est-ce que c'est que ça ? Où suis-je ?

C'était le comble. Je me trouvais dans une grotte dont le toit était arc-en-ciel. Comme si je n'avais pas vécu assez de choses dans ma vie ! La dernière chose dont je me rappelais, c'était l'explosion. Attendez... Suis-je mort ? Je... Je suis mort ? Dans ce cas, était-ce le purgatoire qui se manifestait comme ça ? Le pire, je ne pouvais demander des explications à personne. Il n'y avait personne. J'étais seul, dans cet endroit inconnu, où je me sentais dispersé, littéralement dispersé, comme si mon esprit était divisé en plusieurs morceaux. Ou alors, était-ce mon enfer ? Était-ce ma punition pour avoir exécuté mon père ? Si c'était le cas, je ne regrettais absolument pas. Et si je devais rester ici, autant me mettre à l'aise le temps que le bon Dieu, ou que l'autre là, me contacte.

Et puis un jour, je sentis une présence assez particulière. Elle n'était pas là. On aurait plutôt dit qu'elle était dans ma tête. Mais je la sentais. C'était une sensation qui me faisait quand même du bien. C'était comme si l'un des morceaux de mon esprit passait du gris au coloré. Le soir qui a suivi, je ne fus plus seul. Quelqu'un était venu. Il s'était positionné devant moi, sans bouger, sans dire un mot. On aurait dit qu'il avait peur. Mais moi, j'étais attiré par lui, même si je ne voyais pas son visage. Était-ce normal ? J'eus à peine le temps de me poser la question, qu'il disparut. Pouf ! Sans laisser de traces. Quel dommage ! La solitude me plombait, tellement que je m'étais fabriqué un trône.

Une journée. Non, deux. Peut-être quatre ? Je ne sais pas. Mais il venait toujours. Celui dont je parlais. Il venait et il disparaissait. Était-il mort lui aussi ? Si oui, où allait-il quand il disparaissait ? Un jour, décidé à satisfaire ma curiosité, je le lui demandai :

- Bonjour.

- Vous... Vous pouvez parler !?

- Oui. Bien sûr !

- Je ne le savais pas.

- Vous n'avez jamais essayé.

- Pas faux.

- Est-ce que vous êtes décédé vous aussi ?

- Quoi ? Non... Enfin, je ne crois pas. J'ai l'impression de venir ici à chaque fois que je m'endors. C'est assez étrange.

- Ah je comprends. Vous en avez de la chance ! Moi, je suis ici depuis longtemps. Je ne disparais pas comme vous.

- J'en suis désolé.

- Je m'appelle Oscar. Et vous ?

- Paul. Paul Walker.

...

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