N A V E L
Son regard s'attardait sur la porte désormais verrouillée, dont la serrure ne lâcherait pas peu importe combien de fois elle s'acharnerait dessus. La clé reposait entre les mains du frère de Sa Majesté, qui la glissa, sous son regard empli d'appréhension, dans sa poche. Elle disparut alors, engloutie dans les plis de luxueux vêtements, et Éden releva ses yeux vers l'individu qui l'avait enfermée. Elle commençait à craindre que cela ne devienne une habitude.
Leurs pupilles se croisèrent, sans que ni l'un ni l'autre ne se détourne. Et c'était différent. La lueur dans ses iris n'était pas celle du souverain. Elle était intéressée, bien que la honte semblait également y nager, tandis que celle du Roi demeurait plus sauvage, comme un chat ayant trouvé un nouveau jouet. Oui, c'était cela. Sa Majesté possédait une allure prédatrice, dangereuse et intimidante. Et elle ne retrouvait, bien heureusement, pas ce côté chez cet homme. Un lui suffisait amplement de toute manière.
Il était effrayant à quel point ses pensées dérivaient toujours vers le souverain. Elle secoua la tête, brisant leur contact visuel, et s'efforça d'avoir d'autres songes. Déjà que le dirigeant du royaume la côtoyait quotidiennement, il ne manquait plus qu'il puisse également s'insinuer dans son esprit.
- Que voulez-vous ?
Peut-être que son ton avait été plus froid que nécessaire, puisqu'une expression mécontente vint épouser ses traits. Le jeune homme fronça les sourcils et poussa un court soupir avant de commencer à retirer ses vêtements. Ses longs doigts déboutonnèrent avec minutie et rapidité le col de sa chemise, et elle vit avec horreur tomber au sol, un par un, tout ce qui avait autrefois recouvert son torse.
D'horribles souvenirs ne tardèrent pas à l'envahir, vestiges du passé que le temps ne ferait jamais partir. Ses sens furent chamboulés, terrifiés par les œuvres terribles de son imagination. Des frissons la griffèrent. Sa respiration se fit plus haletante et rien ne put arrêter son cœur de battre à un rythme effréné.
Éden, agrippant fortement les draps du lit, eut toute la peine du monde à se calmer, mais elle réussit, lorsque son regard tomba sur un tableau peu appréciable. Son visage, à présent dénué de toute anxiété, se ferma, pour afficher une expression professionnelle.
Ses pas la portèrent jusqu'à lui, alors qu'elle souhaitait observer ces uniques phénomènes de plus près. Entre ses muscles saillants se propageaient de gigantesques gonflements, dont la couleur variait du blanc, pour les nouvelles marques, au noir, signifiant que la peau était irrémédiablement lésée. Des centaines de bulles avaient envahi sa peau, et atteignaient son cou. Ce qui expliquait pourquoi il portait d'aussi grands cols en été.
Dissimuler cette invasion sous d'épais vêtements n'était guère une bonne idée. Les frottements avaient probablement accentué les plaies. Et la chaleur ainsi générée avait servi de stimulant pour cette infection ravageuse.
Peut-être n'était-ce pas le moment pour s'extasier devant ce paysage que peu apprécierait, mais elle trouvait cela fascinant. Le corps était une œuvre tellement complexe que chaque petite faille était un véritable plaisir à voir.
Néanmoins, elle recula. La pathologie était certes très intéressante mais la santé du patient était à prioriser. Son esprit se mit à songer à sa mère, qui avait pu voir défiler dans sa vie des centaines de cas mystérieux qu'Éden aurait aimé croiser. Seuls les rhumes, les bras cassés et les luxations d'épaules lui étaient laissés lorsqu'elle souhaitait s'entraîner avec sa mère. Peu captivant.
- Alors, qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il avant de se renfrogner. Oh ! Et puis je n'en ai cure ! Soignez-moi.
Il lui intima d'un regard appuyé de se hâter, les traits tirés d'impatience. Elle n'avait guère apprécié la manière dont il le lui avait demandé, mais allait s'y appliquer tout de même. Ce n'était pas comme si elle avait son mot à dire de toute façon.
- Je veux quelque chose en échange.
Sa mère l'aurait égorgée si elle avait su qu'un jour, sa fille allait marchander ses services. Un médecin se devait d'agir de façon désintéressée. Mais visiblement, elle était encore loin de cet état d'esprit.
- Accordé, tant que cela n'entame pas les richesses du royaume.
Jamais l'adolescente n'aurait osé une telle chose. L'argent n'avait que peu d'intérêt à ses yeux, tant il n'apportait que d'autres ennuis. En réalité, bien qu'elle paraissait assurée et déterminée, elle n'avait aucune idée de ce qu'elle allait demander. C'était une simple tentative qui lui avait paru désespérée.
Éden, l'esprit emmêlé par des dizaines de souhaits imaginables, posa ses deux mains contre le torse du jeune homme qui frémit à son contact. Était-ce la douleur ? Ou alors n'avait-il pas l'habitude d'une telle proximité ? Peut-être les deux, bien que les membres de la famille royale étaient reconnus pour leur folle résistance.
L'on racontait d'ailleurs que le Roi se faisait souvent empoisonner, mais qu'aucun n'avait réussi à le terrasser plus de deux jours. Il était une véritable forteresse, et son système immunitaire devait être très efficace pour contrer tous ces poisons. Sûrement avait-il été entraîné depuis l'enfance à repousser ces fléaux.
Elle secoua la tête, souhaitant se débarrasser de toutes les pensées autour de Sa Majesté. Il s'était insinué dans son esprit tel un serpent et ne paraissait plus vouloir la quitter. Une véritable infection dont il fallait qu'elle trouve l'antidote. Mais à part les bras de Morphée, rien ne semblait pouvoir arrêter cette bataille acharnée.
Le flux qui parcourait inlassablement son corps rejoignit ses doigts, puis les pectoraux de son ami d'un temps. Cela ne prit que quelques instants, puisqu'il n'y avait rien de très sérieux. Elle recula pour admirer son œuvre, et constata que chacune des vilaines marques qui l'avaient ornée, avaient disparu.
Le frère du souverain mêlait stupéfaction et satisfaction. Ses yeux firent le tour de ses muscles, comme si un nouveau monstre blanc allait mystérieusement apparaître. Ce n'était bien entendu pas le cas. Bien qu'Éden n'égalait pas sa chère mère, son talent était indéniable. Finalement, il hocha la tête, un air de contentement pendu à ses lèvres.
Soudainement pudique, il saisit ses vêtements et se vêtit à une vitesse incroyable, comme si chaque seconde qui passait le déshonorerait à vie. Elle lui aurait bien conseillé de s'habiller d'autres chemises, puisque celles qu'il portait étaient contaminées par sa précédente infection, mais cela était hors de question. Se promener torse nu aurait engendré de vifs débats. Alors elle demeura muette.
- Que voulez-vous ? lança son interlocuteur, enfonçant déjà la clé dans la serrure.
Ses paupières clignèrent et ses sourcils se froncèrent légèrement avant que sa mémoire ne lui revienne. Il était vrai qu'ils avaient convenu un marché, et qu'elle venait d'achever sa part. Ne manquait plus que la sienne.
Que devait-elle demander ? Qu'on ramène de force s'il le fallait, sa famille à la capitale ? Qu'on cesse ses leçons avec l'horrible sorcière qui lui était d'une inutilité remarquable ? Qu'on lui donne enfin l'accès aux jardins royaux ? Qu'on lui... Ah ! Il y avait tant de choses qu'elle ne savait plus où donner de la tête. Et le temps avançait. Alors Éden dit les premiers mots qui lui vinrent ensuite à l'esprit.
- La couleur préférée.
- Excusez-moi ?
- La couleur préférée de Sa Majesté, précisa-t-elle, consciente que c'était une question absolument ridicule.
Il parut surpris, avant qu'une mine songeuse ne vint lentement l'envahir. Éden voulait actuellement cogner sa tête contre un mur, tant sa bêtise l'enrageait. Sa couleur préférée ? Vraiment ? Qui voulait savoir une telle chose ? Et pourquoi ce fichu souverain demeurait-il aussi souvent dans son esprit ?
- Il me semble que cela soit le bleu roi.
Et il partit, laissant toutefois la porte entrouverte. Elle s'y faufila quelques instants plus tard, avec d'amples réflexions qui ne menaient comme d'habitude à rien, et tomba nez à nez avec une domestique. Celle-ci lâcha le plateau, tant sa surprise était grande. Les verres se brisèrent au sol, et ce qui semblait être une infusion de thé se répandit à ses côtés.
Seulement, le regard de la servante alla d'Éden au dos du frère du souverain, qui marchait très rapidement dans le couloir, et y fit quelques aller-retours lourds de sens et d'accusations muettes. Ses yeux écarquillés ne tardèrent pas à faire une expression déçue et exaspérée.
Sans dire un mot, elle ramassa le carnage que son étonnement et sa maladresse avaient causé et partit, non sans lui lancer des pupilles assassines. Éden mit un certain temps à comprendre et ce ne fut que lorsqu'elle rejoignit les escaliers menant aux étages supérieurs, qu'elle comprit comment la situation avait pu être mal interprétée.
En effet, un membre de la famille royale était sorti d'une chambre fermée à clé, habillée à la va-vite et avec l'expression satisfaite et pressée. Et de cette pièce close, l'adolescente s'était également enfuie, l'air un peu perdu. Avec toutes les histoires qui parcouraient le palais royal, voilà qui alimenterait nombre de théories farfelues. Peut-être qu'au lieu de la fixer, la mine confuse, Éden aurait du calmement expliquer la situation à cette femme. Bien que cela n'aurait pas changé grand chose.
Avec tous ces événements, elle avait envie d'être aux côtés du Roi. Celui-ci devait probablement composer de nouvelles œuvres dans la salle des instruments. Le soir, l'adolescente venait parfois l'écouter des heures durant, ne se lassant pas ni des poignants sanglots des violons ni du visage parfaitement concentré du souverain.
Attendez, non ! Qu'avait-elle dit ? Qu'elle avait envie d'être aux côtés de Sa Majesté ? Et qu'elle appréciait le voir jouer ? Oh. Ça, ce n'était pas bon signe du tout. Tout annonçait la pire des maladies, celle qu'Éden ne pourrait jamais avoir l'audace de guérir. Parce qu'il lui faudrait probablement arracher son cœur pour espérer s'en sortir en vie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top