L U E U R
Elle s'était jurée que plus jamais on ne la toucherait impunément. Le Roi y avait échappé de justesse mais cet homme n'avait pas eu cette chance. Peut-être que la prochaine fois, s'il y en avait une, il y réfléchirait à deux fois avant de confondre une femme et un plaisir éphémère.
Son assaillant poussa un hurlement de douleur, et l'une de ses paupières laissait échapper quelques goutelettes d'un sang écarlate. Ses muscles se tendirent, et d'horribles flammes ne tardèrent pas à envahir ses mains. Éden, se remettant à peine de ses émotions, devina qu'il était temps pour elle de s'enfuir avant qu'il ne la réduise en cendres.
L'adolescente s'élança à sa droite, passant devant les appartements du Roi, qu'elle verrouilla rapidement avant de saisir la clé. Si ces hommes cherchaient quoi que ce soit là, peut-être que ce stratagème leur ferait perdre quelques secondes. Ils ne prendraient probablement pas le risque de défoncer la porte avec leurs ardents pouvoirs, pour ne pas attirer l'attention mais également car ils ne savaient pas où était l'objet de leurs désirs. Dès que la serrure émit une légère plainte, ses pas se hâtèrent de plus belle.
Elle courut comme elle ne l'avait jamais fait, l'adrénaline et la sensation de mort imminente devant fortement aider. Son souffle restait d'une régularité exceptionnelle grâce au flux qui se régénérait sans cesse en son sein. Seule sa robe limitait ses mouvements et elle songeait d'ailleurs à déchirer ces méticuleuses coutures afin d'assurer des conditions optimales de survie.
À un croisement de ces dédales atrocement longs, alors que son corps se dirigeait cette fois à gauche, une gigantesque boule de feu frôla son épaule avant de dévaster les sublimes peintures du mur d'en face. L'intrus la poursuivait, les yeux entrouverts et d'un rouge peu réconfortant. Tout comme ses mains incandescentes. Mais il était plutôt lent, sans doute à cause de la souffrance qu'il endurait. Tant mieux, il fallait que son assaillant reste focalisé sur ses agissements. Il ne blesserait pas plus de soldats, et épargnerait les domestiques éplorées qui passaient.
D'autres gardes n'allaient pas tarder à la rejoindre et la libérer de cette course-poursuite assez spectaculaire. Néanmoins, en jetant quelques coups d'œil en arrière, elle remarqua que l'homme qu'elle venait de provoquer semblait être assez puissant pour écraser en quelques instants ses adversaires. Il les prenait comme des sacs de pommes de terre et enfonçait ses jointures rougeoyantes dans leur mâchoire. Rapide et efficace.
Son sens de l'orientation médiocre lui valut quelques cul-de-sacs, et d'affreuses crises cardiaques. Si elle continuait dans cette lancée, alors qu'il se rapprochait chaque instant un peu plus, son sang allait servir de peinture aux murs. Il était ainsi nécessaire qu'elle change sa stratégie, si l'on pouvait appeler ses actes désordonnés de la sorte.
Éden rejoignit avec peine un hall, et une main la tira brutalement. Un once d'espoir en son cœur s'éteignit malheureusement lorsqu'elle s'aperçut que ce n'était point le Roi. Sa présence l'aurait rassurée. Sa Majesté était censée être l'existence la plus puissante du palais, sinon du royaume. Mais il était probablement trop occupé pour veiller à sa survie. Jamais là quand il le fallait celui-là.
Elle releva tout de même la tête vers celui qui ne la lâchait pas d'une semelle. Ses doigts toujours enfoncés dans son avant-bras, elle fronça les sourcils lorsque ses yeux se posèrent sur son expression contrariée et inquiète. Cela devrait plutôt être à elle d'être agacée ! Éden venait d'être coursée par un intrus qui demeurait sous leurs responsabilités, et il osait la tenir comme si elle était fautive.
Et à vrai dire, et c'était ce qui expliquait son manque de réactions, peu osaient lui parler et encore moins la toucher. Si ce garde à l'apparence féroce s'y risquait, alors cela signifiait qu'il possédait un grade qui le lui permettait.
- Que faîtes-vous ici ? Sa Majesté avait ordonné que vous ne quittiez pas ses appartements ! s'exclama-t-il.
- J'ai rencontré l'un des intrus. Il ne devrait d'ailleurs pas tarder à arriver. Je lui ai malencontreusement crevé les yeux, alors il est fort probable qu'il souhaite m'éliminer. Il est assez puissant, et a probablement emmené une vingtaine de vos soldats aux portes de la Mort.
Il cligna des paupières deux fois, semblant intégrer une à une les informations qu'elle lui fournissait. Éden se défit enfin de son emprise, et recula, dérangée par leur proximité. Mais un pas de plus lui aurait coûté la vie puisqu'une énième boule de feu s'écrasa à sa droite. Retenant son souffle, et priant pour que les gardes ici présents soient plus efficaces que les précédents, elle continua sa course, sous le regard ardent du nouvel arrivant.
D'autres hommes se précipitèrent en sa direction et bientôt, le hall fut comblé. L'intrus avait laissé tomber toute discrétion afin de la détruire et il semblerait que ce désir l'ait conduit à sa perte. Il se faisait attaquer de toute part et même ses capacités extraordinaires ne suffirent plus face aux crocs ravageurs de l'armée du palais.
Les yeux entrouverts, des flammes à gauche et à droite l'empêchaient de riposter. Et sa respiration haletante n'aidait en rien ses performances qui s'abaissaient, alors que son dos se courbait sous les assauts. Son mur de feu était couvert de failles où ses assaillants frappaient sans pitié. Chaque coup était plus violent que le précédent. Et elle comprit, alors que le sang de son futur feu ennemi se répandait dans la salle, qu'ils n'appartenaient pas aux gardes communs, mais plutôt à une autre unité plus performante et plus… sauvage. Ils ne s'arrêtèrent que lorsqu'il poussa son dernier souffle.
Éden s'approcha, guidée par une curiosité macabre. Il ne ressemblait plus à un être humain. Des brûlures grignotaient sa chair, la teintant de mille et une teintes. Ses vêtements étaient si déchirés qu'on leur aurait volontiers refusés le rôle de torchons. Ses articulations étaient tordues, sinon brisées en mille morceaux.
Ils l'avaient tué.
Elle ne vivait pas dans un monde rose et pourtant, ce genre d'acte la laissait toujours aussi mal. Cette férocité presque animale dont ils avaient fait preuve la dérangeait. Cela ne semblait pas humain. C'était monstrueux. Ces attaques avaient été monstrueuses. Ils avaient été formés pour éliminer, telle une armée de poisons humains qui écrasaient tout ce qu'ils touchaient.
Comme elle l'avait fait auparavant. Était-elle aussi un monstre ? Une abomination ? Non ! Éden se força à prendre de grandes respirations. Tout était différent. Elle n'était plus dans cette maison. Elle n'était plus entre ses bras, piégée par son regard ravageur. Elle frissonna, chassant tous les souvenirs de son esprit.
Ses mains s'aggripèrent à la rambarde des escaliers, afin qu'elle puisse calmer ses tremblements. Elle avait frôlé la mort... Cela allait-il devenir son quotidien ? Parce qu'elle n'était pas sûre que son cœur pourrait supporter tous ces rebondissements. Bien qu'elle n'avait pas vraiment le choix de toute manière.
Décidant finalement de retourner aux appartements du Roi, elle songea que ce n'était probablement qu'un avant-goût de ce qui l'attendait. Ses pas retracèrent les frayeurs qu'elle venait de vivre, entre deux couloirs en proie aux flammes. Elle s'arrêtait à chaque fois devant les blessés, qui lui avaient permis d'échapper à ce fou furieux, et prenait parfois un temps fou pour les soigner. Dans un sens, sa lâcheté les avait utilisés, et la culpabilité montrait à présent le bout de son nez. Ses actes n'étaient que justes rétributions.
Éden pensa s'enfermer pour le reste de la journée dans les quartiers de Sa Majesté, afin d'éviter de croiser le deuxième intrus, jusqu'à ce qu'elle entendit un hurlement percer le silence. Encore une fois, les soldats accoururent et deux d'entre eux vinrent surveiller la porte qui la séparait de ce remue-ménage.
- Que se passe-t-il ? tenta-t-elle toutefois.
Aucune réponse ne vint l'accueillir. Ils étaient tels deux piliers, grands mais surtout muets. Une expression impassible fièrement accrochée à leur visage, ils repoussaient inlassablement ses interrogations par d'interminables silences. Prenant enfin conscience que toute négociation serait impossible, pour le plus grand bonheur des gardes, elle retourna dans sa cage de verre et attendit... jusqu'à ce que trois flammes survolèrent le ciel.
Éden s'élança dans le balcon et se tint fermement contre le garde-corps. C'était probablement un signal. Et comme confirmant son hypothèse, une silhouette, qu'elle soupçonnait être le second intrus, se rua dans les jardins royaux, poursuivis par une dizaine d'hommes assoiffés de sang. Les attaques enflammées fusèrent, défigurant à jamais les roses sublimes qui avaient conté tant d'histoires.
Elle ferma les yeux, se laissant emporter par la légère brise qui annonçait le crépuscule. Son impuissance l'agacait terriblement. Ce n'était que par chance qu'elle avait pu échapper aux poings de la faucheuse tantôt. Si seulement elle avait pu hériter du brasier époustouflant de son père, alors d'ici, ses pouvoirs auraient pu plaquer son ennemi au sol.
Éden sursauta lorsqu'elle aperçut un gigantesque arc de feu danser à sa gauche. Le Roi, d'un sérieux implacable, put lancer une flèche d'un magnifique rouge qui atterrit à l'épaule de l'intrus. Ce dernier tomba et ne tenta même pas de ramper tant il était en proie à d'immenses douleurs. Elle l'observa gigoter tel un animal blessé avant d'être assailli par une dizaine de soldats. Ses chances d'évasion venaient d'être réduites à néant par un seul homme. Il fut emporté elle ne savait où, certainement dans un endroit où elle ne le reverrait plus jamais.
L'adolescente s'arracha de sa contemplation et admira une scène plus majestueuse encore. Un arc que de douces flammes léchaient langoureusement. Elles semblaient si dociles, si douces qu'elle ne put réprimer le désir de les toucher. Il fit disparaître cette magnifique œuvre avant qu'elle ne put sentir une quelconque douleur.
- Avez-vous perdu la tête ? Seul un maître du feu peut toucher ces démons, s'exclama-t-il. Vous auriez pu perdre l'usage de cette main !
- Elle se serait régénérée.
- Là n'est pas la question.
Éden ne l'avait jamais aperçu comme cela, ou alors avait été trop terrifiée pour l'admirer. Ses mains étaient encore légèrement rouges, témoignant d'une récente utilisation de ses capacités phénoménales. Et ses yeux… ses yeux autrefois grisâtres brûlaient à présent, et le reflet d'un incendie teintait ses pupilles. Qu'ils étaient beaux, ainsi illuminés.
Inconsciemment, elle s'était rapprochée, pour apercevoir de plus près ces deux orbes inestimables. Tel un papillon attirée par une délicate bougie, l'adolescente était absolument fascinée par ces danseuses solaires. Cela lui rappelait son père qui avait, avant toute cette mascarade de tournoi, adoré égayer leur soirée par des spectacles enflammés.
- Le devoir m'appelle.
Et il s'en alla, un léger sourire aux lèvres.
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