F L A M M È C H E S
Éden avait passé une nuit affreuse. Outre le sol extrêmement dur qui avait massacré son dos, le moindre son l'avait plongée dans une angoisse folle. L'ombre, sous ses craintes injustifiées, prenait tantôt des airs de grands mille-pattes tantôt ceux d'araignées velues.
Lorsque la porte fut ouverte, elle s'était précipitée à l'extérieur, se jurant solennellement que jamais elle n'y retournerait. La blancheur immaculée de sa robe avait pris quelques nuances de gris dans ce nid peu confortable, et en l'époussetant, toute la poussière attaqua son visage épuisé, la faisant doucement tousser.
Ses mains glissèrent pour démêler et ordonner ses cheveux. Ceux-ci retombaient en une cascade de boucles, frôlant à peine ses épaules. Elle finit cette petite toilette improvisée par deux petites claques simultanées sur ses joues, afin de se donner un peu d'énergie.
Bonne nouvelle : le Roi n'avait pas ordonné sa mort. Il aurait pu. Peut-être même qu'il aurait du d'ailleurs. Pas qu'elle souhaitait mourir, mais un affront pareil n'avait pas d'antécédents. Une fois lui avait-on dit qu'une pomme était tombé de son pommier, sur le pied du Roi. Et ce dernier, de sa grande candeur, avait décidé d'éliminer la famille propriétaire de cet arbre fruitier. Alors pour un coussin, elle s'était attendue à pire qu'une nuit dans un placard.
Ne sachant pas où poser l'oreiller, et ne voulant pas déranger les domestiques du palais, Éden décida de l'emmener avec elle. Errant entre les étages, telle une enfant perdue dans le monde des adultes, son regard se posait sur toute chose un temps soit peu intéressante. Un tableau. Un vase. Un miroir. Un portrait. Elle déambulait comme une âme en enfer, au milieu de démons aux uniformes sophistiqués qui ne lui adressaient que de brefs regards indignés.
Dans ce palais aux allures fantastiques, il était vrai qu'une adolescente d'à peine dix-sept ans, vêtue d'une robe de chambre d'un blanc grisâtre et tenant un oreiller froissé, qui volait d'œuvres en œuvres, n'y avait pas sa place. C'était ainsi qu'Éden se sentait. Étrangère à ce monde d'artifices, d'illusions et de sourires trompeurs.
Ce fut plongée dans ses pensées qu'elle se retrouva dans les jardins royaux, accompagnée d'un coussin peu bavard et de ses pensées un peu trop noires. En une semaine, Éden ne s'en était pas trop mal sortie. Elle s'était attendue à de la torture, des viols à répétition, une humiliation constante et une pression psychologique immense. Au lieu de cela, ces six derniers jours avait été bouleversés par des dizaines d'heures de jeûne forcé, une tentative assez réussie d'escalade et une courte nuit dans un local désert. Ce n'était pas si extraordinaire que cela.
Souhaitant tout de même profiter des paysages de toute beauté, sa robe se mêlait aux parfums envoûtants des roses, des daphnés et des gardenias. Les couleurs égayaient ses yeux émerveillés, les faisant miroiter de rouge, de bleu ou de blanc.
Ces reines étaient si belles, pourquoi n'y en avait-il pas au château ? Peut-être que le Roi les haïssait. Après tout, il ne semblait pas être le genre de personnes à déambuler dans les champs, une couronne de fleurs accrochée au front. Ou alors y était-il tout simplement allergique. Son frère, Kensey, ne supportait aucun bouquet et dans leur précédente demeure, ramener ces anges inoffensifs était interdit.
Éden s'engouffra dans la forêt, souhaitant découvrir les horizons qui l'occuperaient jusqu'à la fin de ses jours. De gigantesques arbres la protégeaient des rayons solaires, qui glissaient contre les feuilles, telles les gouttelettes téméraires de la pluie.
Quelques gardes croisèrent sa route, mais nul ne fit de commentaires. Sans doute la croyaient-ils folle. Qui, dès l'aube, s'aventurerait dans ces bois au lieu de déguster les délices matinaux des cuisiniers du palais ? La vérité, c'était qu'elle ne souhaitait pas croiser le Roi. Il était imprévisible, manipulateur et d'un sadisme sans nom. Pour sa santé mentale et cardiaque, mieux valait éviter les confrontations.
Balançant tel un pendule l'oreiller à sa main droite, Éden marmonnait quelques douces mélodies de son enfance. Certaines provenaient de sa mère, d'autres de la famille des patients qui souhaitait rassurer leurs enfants. Ses pas se mouvaient avec la musique, qu'elle chuchotait du bout des lèvres, semblant ne pas vouloir déranger le silence de la forêt.
Tout était si paisible. Elle déambula jusqu'à ce que l'astre solaire atteignit son point culminant, avant de songer à son retour. Et en contemplant la distance qui la séparait de sa prison dorée, Éden sut que cette promenade avait été une immense erreur. Il lui faudrait au minimum quelques heures pour qu'elle puisse se glisser dans ses appartements. Et si le Roi s'apercevait de sa disparition, elle n'osait pas imaginer sa réaction.
Si Éden possèderait le pouvoir de l'eau, de la terre, du feu ou de l'air, elle aurait pu invoquer une titanesque colonne de son élément afin d'alerter sur sa position. Mais seule résidait dans le champ de ses capacités la guérison. Et cela ne lui servirait à rien dans la situation présente.
Alors qu'elle réfléchissait déjà aux longues excuses dédiées au souverain, quatre silhouettes s'étaient détachées des arbres. Quatre hommes, vêtus de la même combinaison noire, venaient de se dresser sur sa route, avec des intentions visiblement hostiles à en voir leur regard farouche.
Nul besoin d'être un génie pour savoir qu'elle était vraisemblablement en danger. Éden resta cependant figée. Ses affrontements s'étaient toujours limités au un contre un. Là, ils étaient quatre, armés, et d'une musculature assez imposante. Et même si elle était très confiante en ses capacités, la situation demeurait critique. Des gardes devaient l'aider. Elle n'était pas devenue la propriété du Roi pour finir en brochettes.
- La robe, Joy, la robe, fit l'un en la pointant du doigt.
Elle se retint de lui dire que cela était assez malpoli, car ce n'était guère adapté au moment. Les trois autres fixèrent intensément ses vêtements, et un sentiment de gêne l'envahit. C'était une robe de chambre. Certes magnifique, mais une robe de chambre quand même.
Décidant de rester sur la défensive, Éden esquiva sans peine les différentes tornades de feu qu'ils lui avaient brusquement lancée. Elle jeta de toutes ses forces l'oreiller contre le visage de l'individu le plus proche, ce qui le paralysa de surprise une seconde. Et ce fut tout juste assez pour que ses mains saisissent la lame qu'il tenait à la hanche, avant qu'elle ne recule.
Derrière elle, le feu avaient envahi le feuillage des centenaires, et l'espoir qu'une aide vienne la rejoindre naquit en son sein. Bien que cela ne servait à rien si son cœur cessait de battre. Et celui-ci fut mise à rude épreuve lorsque ses assaillants vinrent l'entourer de flammes. Un dôme croissant de ces démones ne tarda pas à se manifester, l'encerclant dans un enfer terrestre difficilement soutenable.
Alors, décidant de tenter le tout pour le tout, elle saisit le poignard et le projeta là où l'une des ombres s'approchait. Le brasier disparut, tandis qu'un hurlement vint percuter son ouïe. Réflexe de future médecin, ou stupidité maladive, elle accourut vers la voix, analysant d'un œil connaisseur les points vitaux qu'aurait pu toucher la lame. Dans son malheur, elle avait clairement bien visé : en plein dans l'artère de la jambe. Il perdait abondamment du sang, souffrait terriblement et son ennemi semblait n'en avoir plus pour très longtemps.
Des bras la retinrent en arrière, l'empêchant de réaliser ses desseins. Mais Éden n'était pas une meurtrière, bon sang ! Elle pouvait… non ! elle devait le sauver. Ses mains n'étaient faites pour tuer mais pour guérir. D'un coup de tête puis de deux coups de poing bien placés, elle sut se délivrer de leur emprise grâce à l'effet de surprise.
Immédiatement, l'adolescente posa ses paumes contre le mourrant, tentant de se remémorer les conseils de sa mère. Une transmission parfaite était la clé : un flux ni trop dense, ni trop rapide et continu.
- Qu'est-ce que…
- Laisse, Joy.
Éden ferma les yeux. La moindre perturbation pourrait avoir des effets dévastateurs autant sur lui que sur elle. Sa respiration se fit plus calme que jamais, suivant la brise qui soufflait. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, la plaie s'était refermée à travers son pantalon, et elle put laisser échapper un soupir de soulagement... qui fut de courte durée.
Les soldats venaient d'arriver, plus robustes que jamais. Et parmi eux se détachait le Roi, qui de ses yeux observateurs, avait parfaitement du deviner ce qu'elle avait osé faire : aider une faction ennemie. Et cette dernière, ne se laissant guère abattre par le fil des évènements, la saisirent alors qu'elle était totalement vidée de ses forces, et l'un d'eux placèrent une dague ensanglantée à quelques millimètres de son cou.
Éden, loin de se laisser aussi aisément faire, balança violemment son coude en arrière, faisant tomber son opposant, attrapa le manche de l'arme en plein vol… avant de se faire aisément maîtriser par ses coéquipiers.
Au moins avait-elle essayé. Sa respiration était haletante, et sa vision de plus en plus obscurcie. Comment sa mère faisait-elle pour enchaîner tous ces malades à longueur de journée ? Était-ce l'habitude ? Le talent ? La pratique ? Si elle aurait pu posséder son incroyable endurance, peut-être que gérer ces quatre hommes lui serait aussi aisé que de marcher. Mais ce n'était pas le cas.
- Laissez-nous partir, ou nous la tuerons, déclara l'un des intrus.
- Vous pouvez la tuer, lança le Roi, gardant son éternelle expression amusée.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top