É C L A I R
- … pendue.
Éden ouvrit les yeux, et fut brusquement aveuglée par l'éclat solaire du luminaire. Les diamants reflétaient telles des torches vivaces, les flammes dansantes des bougies. Des petits cristaux, semblables aux étoiles filantes griffant la nuit, accompagnaient cette lumière éclatante que nul ne pourrait égaler.
Un coup d'œil vers l'immense baie vitrée lui assura que le soir s'était déjà écrasé sur la capitale. Le ciel ténébreux s'était couvert d'épais nuages, que n'arrivaient à percer les doucereuses étoiles. La Lune n'était plus que l'ombre d'elle-même, semblant emportée par quelques bourrasques téméraires.
Son regard se porta ensuite sur le lit dans lequel elle avait été probablement portée. Il était encore plus grand que celui que dissimulait sa prison, elle n'aurait jamais cru cela possible sans en avoir eu la preuve sous les yeux. Les couvertures étaient si délicates qu'Éden s'y sentait de trop. Et les oreillers qui soutenaient sa tête n'avaient rien à leur envier. Par automatisme, elle fit glisser ses doigts entre les infimes plis des sublimes tissus, n'émergeant pas tout à fait de ses songes du sommeil.
Son visage apaisé se leva enfin de cette rivière de soie, avant de se tendre soudainement. Deux soldats traînaient la vieille domestique, dont les traits étaient tirés par l'horreur, la peur et la colère. Elle couina, gémit et supplia mais rien n'y fit. Ses pas tremblants sortirent rapidement de ses horizons. La porte fut claquée, et Éden, l'esprit embrumé, sursauta.
Devant ses obscures pupilles se trouvait un Roi assez agacé. Il était de dos à elle, les jambes contre l'extrémité du lit, et se pinçait visiblement l'arête du nez. Son uniforme luisait face à la lueur du lustre plafonnier.
Ce fut alors qu'elle réagit, après quelques secondes de réflexion. L'avait-on emmené dans la chambre de Sa Majesté ? Cela semblait plus que probable. Ses muscles se crispèrent.
- Vous êtes… surprenante, déclara-t-il enfin. Et profondément folle.
- C'est la description que l'on faisait des plus grands génies.
Le Roi rit légèrement, et ce fut la première fois qu'elle entendit un son pareil provenir de ses lèvres. Éden l'avait imaginé rauque et violent, semblable aux gémissements d'un ogre, mais il était surprenamment cristallin. Ainsi, ce monstre pouvait rire…
Elle sursauta une énième fois lorsqu'elle l'entendit s'approcher, trop plongée dans ses pensées pour s'apercevoir de ses mouvements amples mais minutieux. Il n'avait pas d'armes à la taille, mais une grande épée reposait près de son lit. Cela la rassura légèrement. S'il avait voulu couper sa langue insolente, sans doute aurait-il saisi cette lame étincelante.
Néanmoins, lorsqu'il se releva, cherchant du regard quelque chose, son cœur se serra immédiatement. Ce ne fut que lorsque le Roi lui tendit un plateau qu'elle osa reprendre sa respiration.
Sans attendre qu'il lui ordonne, ou non d'ailleurs, de nourrir son esprit achevé, elle l'entama, en tentant bien entendu de conserver une certaine élégance. Difficile lorsque l'on avait pas mangé depuis plusieurs jours.
Comme le voulait l'étiquette royale, il ne lui adressa pas la parole jusqu'à ce qu'elle eut fini. Et malheureusement pour Éden, cela arriva bien trop vite à son goût.
Le plateau fut emmené par une domestique, qui s'échappa rapidement de l'antre du démon, la laissant seule en proie à ses griffes. Elle aurait tellement voulu n'être qu'une petite souris, afin de fuir ces pupilles d'argent. Mais ce n'était pas le cas.
- C'était idiot de votre part.
- Sauf que j'avais comme choix attendre que la Mort ne vienne, ou descendre chercher de l'aide, rétorqua-t-elle.
- Vous auriez pu mourir.
- Mon sort vous inquiète-t-il tant que cela ? sourit Éden.
Elle ne savait d'où provenait ce désir intense de le contredire à chacun de ses propos, probablement de pensées suicidaires enfouies, mais troubler son expression lui procurait un plaisir inouï. Puisque son futur lui était à jamais relié, autant chercher à briser ce masque impassible.
Sa Majesté haussa un sourcil avant de saisir vivement son avant-bras. Sentir l'emprise de ce serpent contre sa peau l'effraya, mais elle se contint pour ne point le repousser. Et ce fut très compliqué de chasser l'irrépressible idée de lui lancer un coup à l'estomac, lorsqu'il commença à réduire la distance qui les séparait.
Sa respiration s'accéléra quand les doigts de ce monstre entamèrent une légère ascension vers son épaule, puis son cou. Allait-il l'égorger ? Non, il n'aurait pas gâché de la nourriture pour une future carcasse. Alors que dissimulait-il derrière ces gestes doux, mais poignants de sous-entendus ?
- Je n'ai même pas commencé à déguster ce fruit qu'il tente déjà de fuir à travers la Mort...
Son souffle se coupa lorsque les lèvres de l'ogre s'appuyèrent contre sa clavicule. Il recula, souhaitant probablement contempler les méfaits de son œuvre. Les larmes lui étaient montées aux yeux, et un frisson effrayé avait parcouru son corps. Elle ne pleurerait pas, et encore moins devant lui. Un être aussi méprisable que lui n'entreverrait jamais l'une de ses faiblesses.
- Vous… Vous...
Éden retenait de toutes ses forces ses poings qui menaçaient de s'écraser sur son visage angélique, et les milliers d'injures qu'il mériterait amplement.
- C'était simplement un petit avertissement. Continuez donc avec vos tentatives mortelles, mais ne vous plaignez pas si vous finissez enchaînée à ce lit.
Ses yeux s'écarquillèrent. Pourquoi s'entêtait-il à rejeter la faute sur elle alors qu'elle n'avait fait cela que pour survivre ? Son regard se posa sur les couvertures qui trônaient sur ce paradis des rêves.
- Songez-vous à cette proposition ? Je ne vous pensais pas aussi…
Il n'eut point le temps de finir qu'un oreiller fut projeté contre sa tête. Stupéfait, Sa Majesté laissa tomber le nuage contre le lit sans même l'attraper, et observa l'objet criminel, comme s'il ne réalisait pas ce qu'il venait de se passer.
Durant ces courts instants d'absence, Éden, portée par l'adrénaline, quitta avec hâte les couvertures chaleureuses et ouvrit la porte pour s'évader de cet enfer. Ses pas étaient précipités, et les soldats posaient un regard sceptique sur ses agissements.
La respiration haletante, les gestes brusques et peu réfléchis, elle dévalait couloirs et escaliers sans jamais s'arrêter, comptant sur son endurance hors pair pour échapper au courroux certain du Roi.
Bon sang ! Pourquoi avait-elle fait une chose pareille ? Cela équivalait à une condamnation à mort ! Elle n'avait pas réfléchi aux conséquences. Quelle irresponsable ! À présent, elle devrait le supplier afin d'obtenir son pardon, s'il était assez généreux pour le lui offrir.
Plus ses pas se précipitaient, plus elle sentait une épaisse corde se nouer à son cou, annonciateur d'une sublime pendaison à laquelle serait convié tout le royaume.
Et avait-elle pensé à sa famille dans ce désordre ? Et si ce monstre décidait d'interrompre leur accord pour tuer son père ? Et si sa famille connaissait le même sort qu'elle ? Ah ! Mais dans quel pétrin s'était-elle encore mise ? Et qui pourrait l'en tirer ?
Éden heurta violemment une domestique, répandant tous les draps qu'elle portait au sol. La culpabilité guidant ses actes, l'adolescente s'excusa maintes et maintes fois, aidant cette femme qui semblait être dans la vingtaine à ramasser le fruit de ses corvées.
Ayant pourtant de la chance dans son malheur, elle atterrit bientôt dans un local désert, où se trouvait quelques livres et majoritairement des produits ménagers. L'adolescente pria de toutes ses forces pour qu'aucun insecte ou arachnide ne rejoigne son petit paradis éphémère. Elle avait une peur bleue de ces bêtes.
Il y faisait sombre, et peu de personnes passaient devant la porte, faisant de cette faille, le lieu parfait de son évasion. Elle savait pertinemment que ce n'était que temporaire et que bientôt, les flammes infernales l'envahiraient. Le Roi n'allait guère tarder à remettre la main sur elle, et Éden subirait les conséquences horribles de ses actes.
Après un éternuement de souris comme aimait les nommer sa mère, Éden se crispa lorsqu'elle aperçut la porte s'ouvrir. Déjà ? N'avait-elle même pas le temps de dire adieu au monde ? Devrait-elle se battre ? Non, mieux valait ne pas aggraver son cas.
- Sa Majesté vous cherche, déclara une voix féminine.
Éden reconnut sans peine la domestique qu'elle avait bousculée. Celle-ci portait à présent des oreillers, au lieu de draps. Pourtant, il était tard. Les nuits des servantes étaient-elles si courtes que cela ? Ou alors, était-elle un cas unique ?
- Est-il en colère ?
- Sa Majesté n'est jamais en colère.
Cela ne l'aidait pas vraiment, et la poussait encore moins à s'évader de ces murs paisibles. Outrager ainsi le Roi était passible d'une peine de mort mais... ce n'était qu'un oreiller, non ? Avoir l'espoir qu'il soit clément était-il vain ?
- Pensez-vous que je vais mourir ?
- On meurt tous un jour, affirma-t-elle.
Rappel à soi-même : ne jamais espérer de cette personne monotone une quelconque réponse ou ne serait-ce qu'un infime soutien. C'était effrayant à quel point son interlocutrice agissait par automatisme. Elle en venait même à préférer la vieille femme, tant ce manque d'humanité et d'émotions la surprenait.
- Où est-il ?
À peine cette question franchit ses lèvres tremblantes qu'une ombre se faufila dans la pièce. La domestique fit une légère révérence avant de se retirer. Comme elle aurait aimé l'imiter ! La porte ouverte exaltait ses désirs de liberté, mais ce monstre au regard orageux ne semblait pas du même avis.
Pourquoi diable avait-elle réagi d'une manière aussi idiote ? Et comment cet homme avait-il pu faire pour la rattraper aussi rapidement ? Éden avait estimé sa mort à deux heures plus tard, mais voilà que cette faucheuse venait cueillir son âme en quelques minutes.
Sa Majesté ne paraissait pas furieux. Elle n'apercevait, à travers ses pupilles grisâtres, que l'ombre de l'amusement et du sadisme. Tenant un oreiller dans sa main droite, il avançait un pas après l'autre, se réjouissant des regrets qui nageaient dans le regard de sa victime.
Lorsqu'elle crut que le Roi allait l'étouffer avec le coussin, celui-ci se contenta de lui lancer le projectile en pleine tête. Surprise, et surtout dépassée par les évènements, Éden se laissa tomber au sol, tenant l'objet du crime entre ses bras frissonnants. Devant elle, ce monstre riait aux éclats, et aurait eu l'air d'un ange joyeux si l'adolescente ne le connaisait pas.
- Vous avez égayé ma soirée, affirma-t-il enfin. Mais trêve de plaisanteries. Si vous souhaitez tant ne pas me côtoyer, j'espère que ce placard vous plaira en tant que nouvelle chambre.
Et il ferma la porte, plongeant la pièce dans l'obscurité.
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