Chapitre 2

Ethan

La douce voix de la chanteuse asiatique offre au Blue Horse une ambiance différente des bars que j'ai l'habitude de fréquenter. Tout le monde semble subjugué par son timbre et sa prestance.
Il est vrai qu'elle a ce petit quelque chose qui attire l'œil.
Lyra pose sa main sur ma cuisse, libérant un frisson désagréable sur chaque pore de ma peau. Je suis contraint de la trimballer partout où je sors, sur ordre de mon père. Mais putain qu'elle m'insupporte.

Je présume qu'elle s'imagine qu'on est en couple et qu'elle finira par avoir la bague au doigt. Elle peut s'imaginer, autant qu'elle le veut, mais ça n'arrivera jamais.

— Sebastian, ton paquet de clopes est vide ?

Il passe une main dans la poche intérieure de son blouson pour en retirer un paquet de carton à moitié écrasé.

— Il m'en reste une.

Je saisis le paquet duquel je retire la dernière cigarette pour la lui laisser. Il arque un sourcil mais ne pose pas plus de questions. Je me lève en tentant de ne pas déranger l'auditoire. Lyra tente de m'amadouer avec une moue boudeuse. Même baiser avec elle ne me procure plus le moindre plaisir.
Elle m'ennuie.
Je m'ennuie.

Je m'éclipse par l'entrée principale et remercie la brise de donner à mes poumons un peu d'air. Je suis venu ici pour étudier la clientèle et repérer l'un des habitués du club. J'ai donc pu obtenir les plans détaillés du bâtiment pour me tenir prêt à toute éventualité. Il semble qu'il ne soit pas encore arrivé au club et j'ai besoin d'informations.
Quand la chanteuse a commencé, j'ai remarqué que les serveuses avaient disparu. Temps de pause sans doute. Et dans tout bar qui se respecte, il y a l'entrée des clients et celle des salariés.

En tournant à l'angle de l'immeuble, je suis ravie de constater que la brune qui nous a apporté les bouteilles est de sortie. Ca tombe bien, en plus d'informations, j'ai besoin de distraction.

De loin, je la vois ranger quelque chose sous le col de sa robe, un collier, je crois. Elle m'observe d'un air beaucoup moins cordial que celui qu'elle a utilisé pour nous servir.

— Excusez-moi, vous auriez une cigarette ?

Je secoue le paquet vide devant elle, comme s'il était nécessaire que je justifie mon approche.

— Les familiarités sont terminées ? Vous me vouvoyer maintenant ? aboie-t-elle en coinçant sa propre cigarette entre ses lèvres peintes en rouge.

Intéressant. Et amusant.

— Vous n'avez pas assez de pognons pour vous acheter des clopes ?

Il faut croire qu'elle considère sa pause comme un espace temps où les clients n'en sont plus.

— Désolé, loin de moi l'idée de vous brusquer.

Les filles se montrent rarement coriaces face à moi. Jamais, à vrai dire. J'ai bien vu comment sa copine blondinette m'a regardé et j'ai le sentiment que l'approche ne sera pas aussi simple avec celle qui me fait face. Elle me toise de haut en bas, cherchant peut-être à analyser à qui elle a affaire. Ça se comprend.
Pour autant, elle finit par soupirer en fouillant dans sa poche pour me tendre l'objet de ma demande.

— Merci, Quinn.

Elle ne cherche pas à engager la conversation et je profite du moment pour la détailler discrètement. Ses cheveux sont tressés sur le côté et lui arrivent au milieu du dos. Je crois qu'elle a les yeux verts, mais je n'en suis pas certain, la lumière de la rue est trop faible pour que je puisse les distinguer. Le haut de sa main gauche est noirci d'encre, le dessin remonte jusqu'à son poignet et se dissimule sous son blouson de cuir.

— Vous voulez prendre une photo ou vous avez besoin de mes yeux pour regarder ?

Sa répartie et son audace piquent ma curiosité. Les conversations glaciales, c'est plutôt mon domaine, mais je crois avoir trouvé une adversaire avec qui entamer cette partie improvisée.
Je m'adosse à mon tour aux briques, à quelques mètres d'elle. Pas de mouvement de recul de sa part. C'est comme si elle était habituée à ce genre de rencontre et je ne saurais dire si je trouve que c'est une bonne ou une mauvaise chose.

Je suis bien placé pour savoir qu'on ne devient pas si fermé au monde en se réveillant du mauvais pied un matin. On a tous un passé, avec plus ou moins de bavures, plus ou moins d'histoires terribles ou morbides. Et le fait qu'elle s'avère hermétique à ma présence décuple mon intérêt pour cette fille.

— Disons seulement que cette soirée m'ennuie.

— Oh. Et vous pensez que je peux la rendre plus divertissante peut-être ?

Un sourire moqueur étire ses lèvres carmin alors qu'elle s'empoisonne doucement avec les fumées de sa cigarette.

— Votre poule vous attend à l'intérieur, vous devriez éviter de la faire attendre.

Je souris à mon tour, loin d'être vexé par ses propos. Lyra est en effet assimilée à ce qu'elle pense. Je la paye pour m'accompagner dans des mondanités sans intérêt. Pour me satisfaire au lit. De la prostitution de luxe. L'avantage pour elle, si c'en est un d'exercer ce rôle, c'est qu'elle vit décemment avec l'argent de ma famille.

— Elle s'en remettra, ne vous en faites pas.

Cette fois, c'est un rire cinglant qui s'échappe de sa jolie bouche un peu trop assurée.

— Loin de moi l'idée de vous brusquer, Ethan, mais je me contre fou complètement de votre petite amie. Et de celui qui l'accompagne.

Un coup d'œil sur son téléphone doit lui rappeler que sa pause va toucher à sa fin.

— Si vous permettez, j'ai besoin de gagner ma vie par mes propres moyens.

Elle passe à côté de moi sans lever les yeux. Sa main s'écrase contre mon torse et son paquet de cigarettes avec. Il n'en reste plus qu'une. Je me retourne pour la regarder disparaître sous le néon de la porte de service. L'effluve de son parfum éveille mes sens. Cette résistance de sa part est grisante, envoûtante...
La porte claque dans un fracas audible pour tout le voisinage. Je ne me pensais pas si agaçant.

Quinn s'affaire déjà au bar lorsque je retourne à mon tour à l'intérieur. Je profite d'un moment de calme pour la solliciter de nouveau. Je n'ai pas vraiment eu l'occasion de lui demander ce que je cherchais. Sous les lumières plus intenses du club, je peux enfin voir le dessin qui habille sa main. Il s'agit d'une balle, un gros calibre si j'en crois la forme, qui se désagrège sur une nuée d'oiseaux. Pour avoir la peau noircie d'encre, je sais que les vrais passionnés de tatouages s'en servent pour raconter une histoire. Ou tout du moins, pour conserver à vie les détails que l'on ne veut pas oublier.

— Je peux vous poser une question ?

Elle relève ses yeux émeraude vers moi avec crispation. J'avais compris que je la faisais chier, mais à ce point. Je m'apprête à continuer sur ma lancée, mais je m'étonne de voir son visage prendre une autre expression tout à coup. Elle me sourit et bat des cils de la même façon que peut le faire Lyra quand elle à quelque chose à me demander. En me retournant, j'aperçois le propriétaire du bar et comprend ainsi qu'elle joue son rôle d'employée modèle.

— Qu'est-ce que vous voulez ?

A moitié.

— Est-ce qu'un certain Jason Anderson est ici ce soir ?

La brune hausse les sourcils en penchant la tête sur le côté, comme si elle ne s'attendait pas à ce genre de question.

— Je suis navrée, nous tenons à la discrétion de nos clients.

— Je comprends, j'ai juste besoin de savoir s'il est dans le bar ce soir.

— Et nous tenons toujours à la discrétion de nos clients, même si la question est posée différemment.

Je n'arriverais à rien avec cette nana, elle est encore plus fermée que le coffre fort de notre banque. Je capitule et retourne m'asseoir à la table où tout le monde m'attend depuis trop longtemps. Lyra à l'air furieuse, Sebastian m'interroge du regard et les autres sont toujours en train d'écouter le chant de la japonaise.

Une petite pochette de cuir est déposée à mes côtés quelques minutes après la fin du show. Le parfum de la serveuse chatouille mes narines pour la seconde fois, mais elle ne s'attarde pas à notre table. Je découvre la note de nos consommations de ce soir et un morceau de serviette en papier déchiré sur lequel est griffonné quelque chose. Lyra se penche vers moi en essayant de retirer ce qu'il y a dans mes mains.

— Qu'est-ce que tu me caches ? braille-t-elle en battant des mains.

— La note, tu veux payer pour nous peut-être ? grondé-je en la fixant droit dans les yeux.

Même si elle pense être assez habile pour se dresser contre moi, elle comprend vite qu'elle n'a pas les épaules assez solides. Elle se renferme alors sur elle-même, comme à chaque fois que quelque chose lui déplaît, et tourne sa chaise vers la scène pour être dos à moi.
Je saisi l'opportunité de sa crise d'adolescence pour lire le mot qui m'est adressé : Au fond de la salle, à droite. Table 12.

Mes lèvres tremblent d'envie à l'idée de faire la peau à cette pourriture d'Anderson. Il nous connaît, il sait à qui il a affaire, mais l'information doit être trop compliquée à assimiler pour son intelligence limitée. Il a été prévenu à plusieurs reprises que la maison ne faisait pas crédit. Il a cru bon d'ignorer nos diverses relances. Dommage pour lui.
J'attends que le club commence à se vider pour faire signe à Sebastian et Andrew. Mon bras droit est le premier à se lever et à s'éclipser vers le fond de la salle. Andrew le suit, quelques minutes après. Lucas se charge de raccompagner les filles à la voiture.
Quant à moi, je m'octroie un léger détour vers le comptoir où Quinn essuie des verres humides. Je dépose le carnet face à elle et lui tend ma carte bancaire. Ses doigts fins ouvrent la page du cuir pour prendre note du montant que je lui dois.

— Je ne fais pas l'aumône, murmure-t-elle en repoussant le billet de 100 dollars que j'ai glissé à l'intérieur.

— J'insiste. Cette information était importante pour moi.

Quinn mordille sa lèvre inférieure, partagée entre l'envie de prendre le billet et celui, je présume, de le faire brûler sous mes yeux.

— Profitez-en pour vous racheter des cigarettes.

Je glisse le billet entre ses doigts et me retourne vers l'objet de ma folie de ce soir : la table numéro 12.
Jason est seul, entouré de mes hommes. A voir la pâleur de son visage, il ne s'attendait pas à me voir ici.

— Jason, mon cher ami, tu n'as pas l'air content de me voir.

Il tremble déjà comme la petite merde qu'il est. Alors on va faire durer le plaisir. Mais pas ici.
Sebastian l'attrape par le col de sa chemise et le force à se diriger vers la sortie de secours. J'ai besoin qu'il comprenne qu'on ne fait pas attendre la famille Blackwood. On ne cherche pas non plus à la duper. On fait ce que l'on demande, rien de plus, rien de moins.

— Attends Ethan, je vais payer ce que je te dois. A la fin de la semaine !

Un rire guttural s'échappe de ma bouche tandis qu'Andrew lui assène un premier coup. Un hurlement étouffé résonne dans la rue déserte. Du sang gicle de son nez cassé et il se rattrape tant bien que mal à une benne à ordures derrière lui.

— Tic, tac... Le temps est écoulé Jason. La fin de la semaine, c'était avant-hier déjà.

— Non, écoute, je...

Une barre de fer s'écrase contre ses genoux et oblige son corps à s'écrouler au milieu d'une flaque d'eau croupie.

— Je n'ai plus le temps d'écouter, tu piges ? Tu ne me dois 700 000 putain de dollars. C'était maintenant ou jamais.

Ma main s'enroule avec aisance autour du silencieux. Le cliquetis de la balle qui s'engage dans le barillet fait pulser le sang dans mes veines. Je savoure toujours ces moments. Ceux où les yeux de mes victimes sont perdus entre mon visage et le canon de mon arme. Ceux où les larmes commencent à brouiller leur vision et ou le goût métallique du sang se dépose sur le fond de leur langue.
Je prends un plaisir fou à faire durer ces instants figés dans le temps entre eux et moi.
Ça servira de leçon à ceux qui pensent encore qu'il est possible de me prendre pour un con. 

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