Chapitre 1 : Vent de nostalgie


Les cris, le bruit, l'eau teintée de sang, la pression montante, sourde et douloureuse, la peur, la colère. Le triton sentit une vrille de douleur percuter tout son être, partant de son avant bras, migrant jusque dans son ventre et résonnant dans sa colonne vertébrale. Il poussa un hurlement douloureux et tourna la tête avec inquiétude. Là, devant lui, les murènes attendaient, la fureur dans leurs yeux noirs et menaçant, chacune d'entre elles prête à le détruire et à faire voler sa vie en petits éclats de verre. Son regard noisette chercha du secours, de l'aide, n'importe quoi. Et alors il le vit. Valentin, une lame effilée à la main, plantant son arme dans le cœur de son propre frère qui gemit douloureusement. Le triton hurla le prénom de son époux et tenta de nager vers lui mais avant qu'il n'ait pu faire ne serait-ce qu'un seul battement de nageoir, Valentin siffla et les murènes fondirent sur lui, encerclant son ventre, serrant jusqu'à la mort, le privant des deux êtres qu'il eut jamais aimé plus que sa propre vie...

- Non !! Hurla Ragnor en se redressant vivement dans son lit, le corps couvert de sueur, les sens en alerte, ses yeux baignés de larmes.

L'homme aux longs cheveux blancs haleta tout en regardant frénétiquement autour de lui. Devant lui se dressait les meubles de sa chambre, cette chambre qu'il partageait avec son époux. Au mur, un cadre avec une multitude de photo dont, au centre, celle de leur fils, Magnus, aujourd'hui presque âgé de deux ans. Un cauchemar, ce n'était qu'un cauchemar. Ils s'en étaient sortit, Valentin ne les avaient pas eu, pas cette fois. L'ancien roi consort tourna la tête et vit son amant endormis à ses côtés, ses longs cheveux noirs aux reflets bleutés éparpillés sur l'oreiller comme un soleil sombre. Ragnor tendit la main et caressa la joue de son cher et tendre. Il avait eu peur, si peur de le perdre, de tout perdre ce jour là. Secouant la tête pour chasser ses noires pensées, le plus jeune se leva sans faire de bruit et marcha jusqu'à la porte fenêtre qu'il ouvrit pour se faufiler à l'extérieur. Au dehors, la mer s'étendait à perte de vue, houleuse en cette journée de pluie. Tremblant de part en part, Ragnor s'assit à même le sable, fixant l'océan avec un mélange d'admiration, de crainte, de respect et d'inquiétude, comme s'il observait un dieu vivant capable de le tuer d'un claquement de doigt.

Ils avaient emménagés dans cette maison à leur arrivée sur terre, après la naissance de Magnus. C'était une maison de plein pied située face à la mer. Elle appartenait à la famille de Ragnor lorsque celui ci était encore enfant et vivait sur terre. Au moins c'était là leur avantage, même s'il avait fallu se débrouiller aux. Les deux époux avaient dû vendre les bijoux qui ornaient la queue de Ragnor pour pouvoir acheter tous le nécessaire vital pour eux mais surtout pour leur fils qui venait de naître. Les premiers mois n'avaient pas été facile et ils avaient cherchés à reprendre contact avec leur Cité, leurs amis, en vain. Ils étaient bloqués sur terre, sans espoir de retourner un jour chez eux. Au moins, il leur restait les fond de la famille pour subvenir à leurs besoins, et Asmodee avait commencé un artisanat de bijoux qu'il confectionnait avec les produits de la mer, les coquillages trouvés sur la plage, conservant la nacre pour ses propres création qu'il offrait à son époux chaque fois qu'il le pouvait. Certes, ils ne vivaient pas dans le luxe, mais ils avaient un toit au-dessus de leur tête, de la nourriture à chaque repas, et ils étaient en sécurité avec leur bébé. Et pourtant, malgré ce petit bonheur imperceptible, Ragnor de languissait toujours de la mer, sa maison, son foyer.

- Je savais que je te trouverais ici, souffla Asmodée en le rejoignant, pieds nus sur le sable. Tu as encore fait ce cauchemar ? S'enquit-il en s'asseyant en tailleur sur la plage humide. Pourquoi tu ne m'as pas réveillé ?

- Je voulais te laisser dormir un peu, chuchota Ragnor sans cesser de regarder la mer devant lui. Elle me manque, avoua-t-il alors que des larmes venaient peupler ses yeux clairs. Mutiara...notre cité, et pourtant on en a été chassés...C'est horrible de ne pas savoir ce qu'il se passe là bas, et encore plus de...

- De savoir qu'on ne le saura peut-être jamais, compléta Asmodée d'un ton calme, doux, brisé. Je le sais. Mutiara...Notre royaume était notre premier bébé, notre création. Nous y avons mis tout notre cœur, toute notre âme. Mais aujourd'hui on a Magnus. Ragnor, Karangku, je sais ce que tu ressens, mais notre petit garçon, notre fils, à besoin de nous, comme la Cité avant lui.

- Tu crois que nous pourrons lui dire qui il est ? D'où il vient ?

- Un jour, oui. Un jour nous expliquerons à notre petit prince son lien avec la mer, notre lien. Même s'il ne pourra jamais connaître Mutiara...

Ragnor ne répliqua pas et baissa les yeux. La vérité, il s'en doutait depuis quelque temps, mais elle n'en était pas moins douloureuse à entendre. Bien sûr, ils pouvaient toujours retourner dans la mer, construire une nouvelle cité, mais Magnus n'était qu'un bébé qui serait bien incapable de supporter un tel voyage dans les profondeurs, c'était trop risqué, il ne voulait pas le perdre, pas après s'être tant battu pour le savoir en vie, en bonne santé, en sécurité. Asmodée, sentant le malaise chez son homme, passa un bras autour de sa taille et entonna leur chant d'union, ce chant propre à chaque couple et qui équivalait à la plus belle des déclarations d'amour. Ce même chant qui permettait, lorsque la mer le voulait, à de nombreuses sirènes et tritons d'enfanter leurs petits miracles. Ragnor se laissa bercer par ce chant aux notes douces et enchanteresses, se sentant flotter comme s'il dérivait au fil de l'eau, son cœur et son âme s'apaisant, son esprit se vidant peu à peu de ses angoisses. Il se sentait aimé, en sécurité, et c'était la seule chose qui lui importait. L'ancien roi de Mutiara embrassa sa tempe avec tendresse et porta son époux jusqu'à leur maison, ce dernier somnolant déjà entre ses bras. Le ramenant dans leur chambre, le plus vieux déposa son cher et tendre sur leur lit et partit chercher leur bébé qui dormait lui aussi du sommeil du juste. Le prenant dans ses bras avec douceur, Asmodee l'emmena auprès de son père et coucha Magnus sur le torse de Ragnor qui le serra doucement contre son cœur dans son sommeil. Le roi déchu observa tendrement les deux amours de sa vie et les laissa dormir en paix, filant à la cuisine préparer leur petit déjeuner.

Certes la vie sous-marine lui manquait, Mutiara était son grand chef d'œuvre, son premier enfant, en quelque sorte. Asmodée se souvenait encore du jour où il avait quitté sa famille, la cité de son enfance, afin de bâtir de ses mains son propre royaume prospère et aimant. A cette époque, il n'avait que son frère, Valentin, son petit ami, Ragnor, et sa meilleure amie d'enfance, Maryse, et le compagnon de cette dernière, Robert. Ensemble, ils avaient imaginé Mutiara et l'avaient construite de leurs rêves et de leurs espoirs. Mais tout ceci semblait remonter à des lustres aujourd'hui, et Asmodée appréciait, d'une certaine manière, cette nouvelle vie à la surface, sur terre. Même si l'océan lui manquait, ils vivaient dans une maison en bord de mer, lui travaillait les matériaux précieux et coquillages qu'il trouvait sur la plage, Ragnor avait obtenu un emploi de soigneur dans l'aquarium de la ville juste à côté. Son travail n'offrait pas beaucoup de possibilités d'évolution dans sa carrière, mais au moins le triton aux yeux noisettes passait ses journées en compagnie d'animaux marin et de poissons en tous genres et plus particulièrement avec les méduses. En effet, chaque triton et chaque sirène avait un animal totem avec lequel il ou elle pouvait communiquer en parfaite symbiose. Pour Ragnor, c'était les méduses. Asmodée, lui, avait toujours eu une alchimie avec les raies manta, ses amies de toujours. L'ancien roi de Mutiara sourit tristement, emplis d'une douce mélancolie, alors qu'il se demandait avec quel animal aurait pu communiquer Magnus s'ils étaient tous trois restés dans la mer. Peut être un animal noble, comme le dauphin.

- Ayah ! Ayah ! S'écria une petite voix fluette qui fit relever la tête du plus vieux.

Chassant ses pensées et ses interrogations, Asmodee vit avec surprise et bonheur son mari émerger de leur chambre conjugale, leur fils entre ses bras. Magnus avait désormais un an et demi et était en pleine forme. Le bambin ressemblait à son Ayah comme deux gouttes d'eau, si ce n'est ses cheveux, long et noirs aux reflets bleutés, méchés naturellement de blanc et d'argent comme ceux de son papa. Leur petit prince portait une grenouillère couleur corail, brodée de petits hippocampes multicolores et qui avait été cousue par Ragnor lui-même aux premiers temps de leur vie sur terre. Asmodée vit son fils s'agiter dans les bras de son cher et tendre, tendant ses petites mains potelées vers lui pour un câlin avec l'adulte. L'ancien roi rit affectueusement et le serra contre son cœur en embrassant son front chevelu tandis que le petit garçon tendait une main vers Ragnor pour qu'il se joigne à leur étreinte. Le soigneur sourit et enlaça les deux hommes de sa vie avec bonheur et tendresse, oubliant un instant ses angoisses, son malheur, ne se concentrant que sur les siens, sa famille, son plus précieux trésor sur terre ou sous la mer. Certes, la vie était devenue difficile, et souvent les cauchemars et la douleur revenaient le hanter, mais l'ancien prince-consort aimait par dessus tout les moments passés en compagnie de son époux et de leur fils, tout autant que les moments passés à l'aquarium auprès des animaux qu'il avait si longtemps cotoyé dans l'océan. Ils restèrent donc de longues minutes dans les bras les un des autres à savourer ces instants d'éternité et Asmodée proposa d'aller changer Magnus pendant que Ragnor préparait un petit déjeuner copieux pour eux. En effet, le triton aux longs cheveux blancs s'était trouvé une véritable passion pour la cuisine lorsqu'ils étaient arrivés sur terre et, derrière les fourneaux, il pouvait se détendre et se concentrer sur chaque tâche avec assiduité. L'ancien roi de Mutiara lui sourit amoureusement et fila dans la chambre de son fils, Magnus entre les bras. Le bambin gazouilla de bonheur, lui qui semblait être l'enfant le plus heureux du monde, et se laissa déposer sur la table à langer. Asmodée, malgré ses inquiétudes qui étaient survenues tout au long de la grossesse de son compagnon, s'était révélé un père aimant et très doué dans son rôle, doux et attentionné avec ce petit être qui était venue compléter leur existence. Le triton sortit une tenue confortable et fit face à son petit bout.

- Alors petit prince, je vais te changer, on va prendre le petit déjeuner, et tu sais ce qu'on va faire après ? Demanda-t-il affectueusement en changeant sa couche.

- Poipon ! S'écria le petit garçon en agitant ses bras, riant tout seul de son propre bonheur.

- Tu as tout compris, on va voir les poissons, affirma Asmodée en riant à son tour face à l'enthousiasme de son fils. On va aller au travail de Dad parce que c'est son jour de congé, et on va voir tous les beaux poissons des océans, lui souffla-t-il avec émerveillement. Et un jour, je te promets que je te montrerais la maison, petit prince, chuchota-t-il avec un pincement au cœur, une unique larme roulant sur sa joue.

Magnus le regarda ébahis, bouche ouverte, comme subjugué tout autant qu'il était attristé par la peine de son Ayah et alors, soudainement, il éternua, aspergeant son père de postillons et d'un autre cadeau plutôt odorant. Asmodée écarquilla les yeux, ne sachant comment réagir puis, lorsque son bébé éclata de rire en tapant dans ses mains, tout fier et guilleret, il rit à son tour en secouant la tête, le nettoyant une fois de plus.

- On ira dans la mer quand tu sera propre mon petit bonhomme, sinon je crois que le spectacle ne sera pas agréable. Tu imagines avec Dad ? "Tiens, regarde chéri, des petites limaces de mer !", on ne pourrait quand même pas lui dire que ça vient de toi, rit-il encore en se parlant à lui-même, complice de son fils.

Le bambin rit encore plus fort, laissant son père lui faire des chatouilles sur son ventre et sous la plante de ses pieds, puis Asmodée l'habilla d'un magnifique ensemble composé d'un pantalon fluide couleur sable, de petites sandales ouvertes bleu et d'un t-shirt corail qui contrasté magnifiquement avec la teinte caramel de sa peau chaude. Une fois qu'il fut habillé, le triton déposa un baiser sur le bout du nez de son fils et le porta jusqu'à la cuisine où il l'installa dans sa chaise haute. Ragnor avait déjà disposé à table un petit déjeuner de roi, composé de fruits et de pâtisseries faites maison. Asmodée fit un clin d'œil à son bébé qui se vit confier un petit pot de compote de poire, un petit pancakes qu'il tritura entre ses doigts, ainsi qu'un verre à bec canard pour boire son lait du matin. La petite famille déjeuna tranquillement, les époux se tenant la main avec quiétude, le silence paisible seulement bercé par les gazouillis enjoués de Magnus.

- Aku Cinta Kamu, Karangku, souffla Asmodée à son homme.

- Aku Cinta Kamu juga, Matahari, répondit Ragnor sur le même ton, paisible.

Magnus ne comprit pas ce que voulait dire ses pères mais, lorsqu'inconsciemment ils utilisèrent leur Chant Intime, ce chant unique qui liait un couple comme deux âmes soeur pour toute l'éternité, il n'en eut pas besoin, ne ressentant que l'amour et le bonheur. Après tout, la mer pouvait être calme aussi entre deux tempêtes. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top