25 : MASCARADE PUNITIVE
LORSQU'ENFIN SAMUEL posa ses yeux sur lui, Arthur éprouva un sentiment étrange. Comme un pincement au cœur, mais décuplé par l'impérieuse intensité que renvoyait son regard de jade foudroyant.
— Qu'est-ce que tu fous ici ? furent les premières paroles acides que son ami lui balança au visage.
À la façon dont il s'était figé, Arty comprit que Samuel était paumé – pour ne pas carrément dire suspicieux – et il sentit ses entrailles se nouer.
— Je sors d'un rendez-vous avec Cassiopée, répondit-il en se remémorant les paroles d'Aris pour la millième fois.
Arthur esquissa une grimace gênée en désignant le vieux cinéma d'un geste du menton.
— La séance était pas terrible. Je crois qu'elle a marché sur un chewing-gum en allant nous acheter du pop-corn.
Samuel le dévisageait avec son expression la plus détachée possible. Ses prunelles de la couleur de l'émeraude le sondaient avec une attention toute particulière et pas un frémissement ne venait ébranler la barre droite que formait ses lèvres.
— Tu te fous de ma gueule ? finit-il par cracher en s'avançant d'un pas.
Son expression – jusque là imperturbable, perplexe à la limite – s'assombrit et il se tendit comme un arc, la menace palpable dans sa posture.
— Tu veux me faire croire que je te croise tout à fait par hasard, à cette heure-ci, cette nuit précisément ? insista Samuel en jetant son mégot d'une pichenette colérique avant de lui saisir l'avant-bras. Tu veux que je te dise, Arthur ?
Arty voulut reculer mais Samuel resserra fermement l'étau de sa main et ils restèrent sans bouger, à se toiser en silence. La bouche d'Arthur était trop sèche pour qu'il ne songe à articuler quoi que ce soit.
— C'est du Aristote tout craché.
Samuel le repoussa brutalement sur le côté et entreprit de dépasser le KINƎTO quand Arthur revint à la charge en le saisissant par la capuche de son sweat.
— Attends, Samuel ! s'écria-t-il, et le désespoir qui faisait trembler sa voix l'incita à s'arrêter. Qu'est-ce que tu fais ?
Quand les doigts d'Arthur abandonnèrent le tissu de son vêtement, Samuel se retourna pour braquer sur lui un regard qui se voulait terrifiant, mais qui en réalité débordait d'inquiétude.
— C'est quoi ce bordel encore ? s'exclama Samuel en fourrant une main dans sa tignasse noire pour se l'arracher. Arty, c'est quoi ce bordel ? Toi, qu'est-ce que tu fous ?
Puis, les yeux voilés de larmes de son ami lui confirmèrent ce qu'il redoutait.
— Il sait, lâcha-t-il de but en blanc. Il savait que j'allais tout plaquer aujourd'hui. Il savait que j'allais voir Rory cette nuit.
Arthur haussa les épaules en pleurant.
— Je sais pas ce qu'il fabrique, Samuel, je te le jure ! Il m'a dit de venir ici, d'attendre ton arrivée, de t'interpeller ! Qu'il allait s'en prendre à ma sœur, que...
Samuel saisit violemment Arty par le col de sa veste et se pencha vers lui.
— Où est-il ? articula-t-il entre ses dents serrées. Où est Aristote, Arthur ? Est-ce que tu l'as prévenu que j'étais arrivé jusqu'au cinéma ?
Les sanglots de son ami redoublèrent et Samuel sentit une peur viscérale embraser l'intégralité de ses nerfs.
— T'es une diversion, bredouilla-t-il péniblement. Où est Aristote, putain ?
Le garçon aux yeux verts relâcha Arthur et tourna les talons en vacillant. En levant le regard, il distingua deux silhouettes qui s'avançaient vers lui d'un pas énergique et ses muscles se bandèrent. Pourtant, il n'eut pas le temps de détailler les nouveaux arrivants qu'Arty saisissait ses bras pour lui tordre dans le dos.
— Je dois aller chez Rory ! vociféra aussitôt Samuel en se débattant. Lâche-moi !
Arthur n'essayait pas de lui faire mal. Il tentait simplement de l'immobiliser. Les deux silhouettes continuaient de s'approcher et Samuel les reconnut comme étant deux proches d'Aris. Andy et Ethan.
— Ne lui faîtes pas de mal ! hurla Arty quand ils furent suffisamment près d'eux pour l'entendre.
Le coude de Samuel vint brusqument percuter son menton et il chancela en arrière, relâchant la prise qu'il avait sur ses bras et lui permettant ainsi de s'élancer en avant. Le premier des deux hommes – un garçon un peu plus âgé qu'eux et aux cheveux cendrés – se contenta de faire à Samuel un croche-pied quand celui-ci tenta de les dépasser en courant.
— Tant qu'il bouge pas et qu'il se contente de reste ici, je promets de ne pas recommencer, affirma-t-il en sortant un livre de poche de son large treillis.
Samuel étouffa un gémissement contre son poing.
— Andy, espèce de...
Arthur ne disait plus rien, pétrifié. Quand son ami réussit à se remettre sur ses jambes, Andy et Ethan restèrent impassibles. Le second finit par lâcher un soupir en voyant Samuel décamper et il ne le rattrapa que de longues minutes plus tard. Pour le ramener au même point, c'est-à-dire sous l'enseigne lumineuse du KINƎTO. En le traînant par la capuche.
— Aris n'en a pas pour longtemps, railla Andy en lui assénant une pichenette sur le front. Et c'est qu'un avertissement, alors arrête de chouiner et commence par apprendre de tes erreurs, Samy. Il faut dire que t'es sacrément doué pour compliquer les choses.
Et Arthur resta comme paralysé par cette vision : Samuel, recroquevillé sur le sol à saigner du nez et à attendre qu'on l'autorise à se lever, à partir. À secourir Rory ; car s'il avait du mal à bien saisir tous les enjeux de cette soirée, alors Arty ne se voilait désormais plus la face : Aristote était chez Rory, et toute cette mascarade était destinée à les punir.
Elle le punissait lui, dont le rôle avait été de capter l'attention de Samuel suffisamment longtemps pour permettre à Andy et Ethan de les rejoindre et ainsi le retenir d'aller protéger Rory. Elle punissait Samuel, en lui exposant cruellement à quel point Rory se trouvait être dans une position inconfortable sans qu'il ne puisse aller l'aider.
Et pire que tout, elle punissait Rory et l'espoir qu'il avait entretenu de voir cette nuit-là débarquer chez lui l'homme qu'il n'avait jamais cessé d'aimer.
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