Chapitre 1.2
Je m'arrêtai à l'arrêt Civic Center, Grand Park. À cette heure-ci de la journée, le métro était le moyen de transport le plus rapide. Les ailes de Georgia n'étaient pas lourdes, mais très encombrantes. Il serait temps qu'elle s'en débarrasse une bonne fois pour toutes ! Malheureusement, cet accessoire était si important pour elle... Elle portait ses ailes d'ange en permanence, du matin jusqu'au soir, et ce, depuis plusieurs mois maintenant. Ma fille ne les retirait jamais, sauf pour aller se coucher. Celles-ci lui donnaient une certaine confiance et elle se sentait sûrement plus proche de son père avec. Je ne pouvais lui retirer ça.
De l'autre côté de la rue, Elijah était assis pas loin de l'entrée du Hill Street Bar. Je ne pus m'empêcher de sourire légèrement en le voyant et aussitôt, une arrivée d'oxygène regonfla mes poumons. Il parlait encore tout seul... enfin non. Il devait sûrement être en pleine discussion avec Condor. Je traversai la rue à la hâte pour le rejoindre.
— Mais, fous-moi la paix ! Je n'ai aucun conseil à recevoir de toi. Tu crois toujours...
Elijah s'arrêta de parler lorsqu'il s'aperçut que j'étais à côté de lui.
— Zoé, ma beauté ! Comment ça va ? Nous sommes déjà mardi ?
— Déjà ? Les jours me semblent si longs en ce moment, déclarai-je en m'asseyant par terre, à ses côtés, le dos contre le mur du restaurant.
— Dis-moi que tu m'apportes mon sandwich, crevette et avocat.
Je sortis de mon sac le repas de mon ami. Ce dernier l'attrapa sans perdre une seconde.
— Ah ! Tu es la meilleure, s'exclama Elijah, les yeux brillants. Je n'ai rien trouvé dans les poubelles ce matin pour mon petit déjeuner. J'ai une faim de loup.
— Pourquoi ne viens-tu pas à la maison ? demandai-je, le cœur serré en entendant ses paroles. Tu fais partie de la famille depuis plusieurs années maintenant.
Mes yeux se tournèrent sur les passants qui jetaient des coups d'œil curieux, bienveillants ou exaspérés à l'encontre de mon ami. Celui-ci ne s'en souciait guère, trop occupé à dévorer bruyamment le sandwich avec appétit. À force de vivre dans la rue, il avait appris à supporter le regard des gens. Elijah n'aimait pas parler de lui. Un peu sénile, il avait l'habitude de se parler à lui-même et de râler contre le monde entier. Il avait beaucoup de colère en lui, mais il était différent quand il était avec nous.
— Des plumes sont encore tombées ? déduit mon ami en découvrant l'accessoire qui dépassait de mon sac.
Je me rappelai alors que j'avais avec moi les ailes de Georgia.
— Oui, soupirai-je en les donnant à ce dernier. Il faudrait que tu les répares, s'il te plaît.
Elijah avait l'air ennuyé.
— Comment va faire ma princesse sans ses ailes pendant ces deux prochains jours ? grommela celui-ci tout en les examinant.
— Elle sait que toi et... Condor, allez faire vite, répondis-je sans croire à ce que je disais.
— Ce bon à rien ! s'écria-t-il, cet incapable ne saurait même pas enfiler un fil dans une aiguille.
— S'il existait... peut-être qu'il le saurait, prononçai-je à voix basse.
Mon ami leva ses yeux, ses yeux d'une extrême limpidité. Son visage anguleux à la peau foncée et mince était sans âge. En effet, cet homme ne paraissait ni trop jeune ni trop vieux. D'après ce que je connaissais de son parcours de vie, il avait certainement la quarantaine passée.
— Pourquoi j'écoute tes bêtises ! grogna Elijah qui n'était pas content de ma remarque. Après tout, c'est toi qui prétends être une Déesse. Que le monde est peuplé d'anges de la mort et de Leviathans. Bon sang, Zoé ! Tu es encore plus barge que moi. Toi et Condor devriez bien vous entendre.
J'explosai de rire malgré moi et posai ma tête sur l'épaule de mon ami qui, contrairement à ce que l'on pouvait penser, avait une odeur agréable, un mélange de musc et d'ambre.
— Tu n'as pas oublié pour demain ? demandai-je, la tête toujours posée contre lui.
— Non, je sais que je dois garder ma princesse, car tu as ta représentation de Hip-Hop.
— Georgia est impatiente que tu lui fasses ta recette de macaronis au fromage.
Mon ami pouffa doucement :
— Elle est plutôt facile à nourrir. J'espère juste que Condor restera à sa place sans faire son intéressant !
Je levai discrètement les yeux au ciel en me retenant d'émettre le moindre commentaire.
— As-tu vu les filles depuis la semaine dernière ? demandai-je.
— Oui, ces drôles de bêtes sont venues me voir hier soir.
— Arrête de les appeler comme ça, elles t'adorent.
— C'est les deux seules personnes qui arrivent à me mettre dans un état d'exaspération pas possible. Hier, elles se sont disputées sur une histoire de chiffre : le quatre-vingt-dix-huit plus exactement. Asarys a dit que la langue française était une langue pour les fous, comment pouvaient-ils autant compliquer les choses ? Quantifier autant de chiffres pour n'en faire qu'un seul !
Je relevai ma tête pour observer mon ami, un sourire au coin des lèvres.
— Lexy lui apprend à parler le français, Eli. Asarys est courageuse, car j'avoue que cette langue n'est pas simple.
— Et ensuite, elles ont parlé d'autre chose, lâcha ce dernier à voix basse, les yeux tournés vers le sol.
Je l'interrogeai du regard en soulevant un sourcil.
— J'attendais que tu m'en parles, continua celui-ci. Apparemment, le méchant monsieur est revenu ?
Débosselée, je me recroquevillai et détournai instinctivement le regard en direction de l'entrée du restaurant. Un coup m'aurait fait moins mal. Elijah voulait parler de Faïz. Il l'avait surnommé ainsi, depuis notre première rencontre. À cet instant, je me revis en cette matinée grisâtre, peu de temps après notre retour de Éros. Ce fut au moment d'ouvrir la porte de cet endroit, pour tenter de me nourrir correctement, que mon regard avait rencontré celui d'Elijah pour la première fois. Ce dernier était assis au même endroit qu'aujourd'hui, à tenter de récolter quelques pièces, dans un petit gobelet en carton.
— Oh, ce regard, je ne le connais que trop bien, avait-il prononcé doucement, sur un ton compatissant.
Un sentiment de douleur et de peine prédominait tout à cette période-là.
— J'ai tout perdu, me rappelai-je avoir répondu, la voix tremblante.
— Tout ? Non ! Pas encore, m'avait alors rétorqué Elijah. Allez, venez donc vous asseoir à côté de moi.
Le jour de notre rencontre, je lui avais tout déballé sans pouvoir m'arrêter : la légende, Victoria, les démons, Éros et Faïz. Surtout Faïz. Bien sûr, il m'avait prise pour une folle et à ses yeux, je l'étais toujours ainsi que ma bande d'amis. Il s'était dévoilé à son tour et m'avait présenté Condor... son ami imaginaire. Depuis, nous nous traitions chacun de barjot. Ce jour-là, il m'avait sauvé la vie. Il avait été ma bouée de sauvetage et il l'était encore aujourd'hui. Elijah faisait partie de mon existence.
— Il est en ville, lui avouai-je en revenant au moment présent. Nous devons tous nous réunir pour parler du Maestro, et de comment l'anéantir, une bonne fois pour toutes.
Mon ami secoua la tête, désapprobateur :
— Je ne pense pas que tu sois prête à le revoir, Zoé. Cinq ans, cinq longues années... c'est du temps. Tu es encore fragile. D'ailleurs, tu devrais prendre tes distances avec le méchant monsieur, mais aussi avec le reste de ta secte.
— Ce n'est pas une secte ! m'écriai-je. Je ne te demande pas de prendre tes distances avec Condor, cet empoté, d'après tes dires. Soutiens-moi, s'il te plaît.
— Très bien, soupira celui-ci. Mais ne me demande pas d'être aimable avec ce mec si je suis amené à le rencontrer. Et Georgia ?
Le prénom de ma fille dans la bouche de mon ami sonnait étrangement. Son ton grave soulignait une inquiétude qu'il essayait tant bien que mal de dissimuler.
— Ne t'en fais pas pour elle, répondis-je. Faïz ne compte pas s'installer à L.A. Sa vie et son travail sont à New York. Il y a peu de chance pour qu'il croise Georgia. Personne n'a envie de chambouler son quotidien. Nous voulons la préserver de tout ça.
Elijah n'insista pas devant mes certitudes. Nous étions tous la cause de l'exil de Faïz. En effet, il avait tourné la page et nous avait rayés de sa vie, depuis longtemps.
— Viens-tu à la maison ce soir ? demandai-je à mon ami, pressée de changer de sujet de conversation.
— Je passerai prendre une douche.
— Je présume que tu ne resteras pas dormir ?
— Non, rien ne vaut la liberté, déclara Elijah en fermant les yeux et en ouvrant grand les bras.
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