Chapitre 4 - Alison
La prochaine fois, je me casserai une jambe ! Quelle idée d'accepter cette maudite interview. Je savais dès le début que ça se déroulerait mal. J'aurais dû suivre mon instinct au lieu de succomber à mon patron. Je me suis foutue dans un bourbier sans nom et je vais en payer les conséquences. On va me traiter d'incapable. Une interview bordel ! Si ça continue, je vais croire aux propos de mes collègues. Suis-je vraiment faite pour ce métier ? Aurais-je dû accepter la demande d'Elias, mon ex et mettre un trait à mon boulot ?
Je préfère penser à mon patron et oublier le temps d'une soirée mon ex. Au final, tant pis si je n'obtiens pas ma promotion. J'aurais travaillé pour rien et je serais bonne pour revoir tous mes buts à la baisse.
J'ai fait une heure de trajet pour rien. Mais au moins, j'ai essayé. C'est le plus important.
J'entends déjà la voix nasillarde de Maxime Dermen, mon supérieur et celle envoûtante de Mathieu Morant, le directeur général basé à Paris.
— Pierucci !
Oh. Cette voix grave me dit quelque chose. Le chanteur imbu de lui-même qui n'a aucun respect pour moi et mon travail. Bizarrement, il en avait plus lorsque j'étais sur ce fichu pont !
Sans me retourner, j'avance très vite sur le parking. Les pas du chanteur me poursuivent.
Ce type est incroyable.
Quand il a l'opportunité de faire une interview, il complique tout. Puis, quand il se rend compte de sa connerie, il revient en implorant une deuxième chance ?
Ne sait-il pas que j'ai une vie ? Que le monde ne tourne pas qu'autour de sa petite personne ? J'avais prévu une interview, d'assister au concert et d'aller me coucher. Pas de traîner la moitié de ma nuit dans un bar à le voir enchaîner les fans !
L'homme me contourne et se plante devant moi. C'est vrai qu'il est beau ce con. Mais, bordel, il faut que je me reprenne !
— Quoi encore ? sifflé-je avec une intonation sévère. Tout est terminé. Vous pouvez retourner au bar, je ne vous importunerais plus.
Je l'ai mauvaise et ça se ressent.
— Non, mais je ne suis pas dans mon assiette, avoue-t-il.
Si je me permettais d'avoir ce comportement, mes interviews seraient toutes ruinées et j'aurais été virée !
Je lève les yeux au ciel, décidée à ne pas l'écouter.
— Attends... attendez, se reprend-il en me rattrapant à nouveau alors que je tente de gagner ma voiture.
Sa main saisit violemment mon bras, puis mon menton. Il me force à le regarder. J'ai un mouvement de recul, surprise par ce geste inattendu et déplaisant.
— Regarde-moi, je ne vais pas te manger, bichette. Tu es bien trop coincée pour ça. On va la faire, l'interview, ne t'en fait pas. Mais à ma manière.
En fait, cet homme se croit tout permis. Il me touche sans me demander, me tutoie et ose des mots familiers. Nous ne nous connaissons pas, nous n'avons pas eu le temps pour ça. Alors, pourquoi me balancer ça à la gueule ? Pour se moquer de moi, car je n'ai pas eu le courage d'aller plus loin avec lui ?
Je bouillonne de colère. Il doit lire dans mes yeux que je n'aime pas ses mots.
— Je ne suis pas coincée, d'une. Et de deux, il était convenu d'un rendez-vous avant le concert d'une dizaine de minutes ! Pas que je vous suive à la trace pendant deux heures pour vous soutirer des réponses de force.
Le regard du jeune homme me passe au crible. Toutes les courbures de mon corps sont scrutés dans le moindre détail. Je me sens comme mise à nue.
— Tu es coincée, affirme-t-il moqueur. Regarde ta tenue. Un chemisier aux boutons tous fermés...
Il me prend pour une bimbo ou quoi ?
— Je suis là pour bosser, répliqué-je acide. Pas pour aguicher.
— Ce n'est pas en montrant tes seins que tu séduiras quelqu'un, toi. Il faut avoir l'attitude adéquate. Je comprends pourquoi aucun homme ne te reluque depuis le début et pourquoi tu es jalouse que je mate toutes les autres femmes. Parce qu'aucun type ne montre un intérêt quelconque envers toi. Je me trompe ? Alors tu joues la nana coincée et stricte pour pallier le manque.
À quel moment la conversation a-t-elle dévié là-dessus ? Il a donc décidé de se venger ainsi ; en m'humiliant physiquement.
Mes poings se serrent de plus bel. La colère affiche une couleur pourpre sur mes joues. Mes oreilles bourdonnent et je me sens sur le point de lui coller une gifle majestueuse.
— Je ne crois pas aux princes charmants. Et ce que vous dites est faux. D'un, je ne suis pas jalouse d'être matée comme un bout de viande par des types bourrés. Et de deux, je peux séduire avec mes attributs, mais ça ne m'intéresse pas. Je préfère montrer mon cœur que ma chair. Maintenant, revenons au sujet principal, vous.
Un large sourire ravageur étire les lèvres du chanteur. Sa main me libère enfin et ses doigts frottent son menton rasé de près.
Est-ce que mon corps est en train de me trahir ? Oui, je le sens tout au fond de mon estomac enflammé.
— Je crois que je t'aime bien, au final. T'as raison, ça, c'est certain, c'est avec le cœur qu'on trouve l'amour. Pourtant, ce n'est pas comme ça que ça marche pour se prendre des coups de reins, là. Ah, mais c'est vrai... ce n'est pas du tout ce qui t'intéresse. Au vu de la grimace que tu affiches, je conclus que tu es là juste pour une petite interview. Ne t'en fais pas, je vais être gentil. Allez, suis-moi, que je termine mon verre.
Il me contourne, prêt à rentrer dans le bar, fier de lui. Il m'a mouchée. À quel moment se dit-il que c'est une bonne idée de retourner au bar pour boire ? Ne peut-il pas prendre cinq minutes pour me répondre ?
Je remémore ses mots. N'est-ce pas lui qui s'amusait avec mes seins, désireux de s'aventurer plus loin ? A-t-il oublié qu'on s'est jeté littéralement l'un sur l'autre après même pas une heure de rencontre ? Je commence à croire qu'il m'a zappée. Après tout, ce qu'il s'est produit entre nous n'est sûrement qu'une poussière dans sa vie. Ou il continue bel et bien de jouer le jeu 'on ne se connaît pas, je suis une star maintenant' pour se foutre de moi.
Tout ça m'agace. Il m'énerve.
Pourquoi suis-je en train d'inspecter ma tenue ? J'aime mes vêtements. Je ne changerai pas parce qu'un type me trouve trop professionnelle. J'en ai assez bavé pour qu'on me respecte, ce n'est pas pour qu'on me renvoie à une image de bonne femme. L'aplomb de ce chanteur me détruit, visiblement.
Je suis arrivée avec mon assurance et je vais repartir avec !
— Non, mais oh ! Je n'y crois pas. Mais c'est quoi ce type ? Et mon interview alors ?
J'élève ma voix pour qu'il m'entende.
Dario émet un petit rire en se retournant.
— Suis-moi si tu la veux.
— Et vous promettez de répondre à toutes mes questions une fois que vous aurez ingéré votre alcool ?
— Tout ce que tu désires, ouaip, assure-t-il en traversant le parking.
Ça pourrait sonner comme une promesse.
***
Mon cœur bat à tout rompre lorsque je porte mon verre de Rhum à mes lèvres. Mes joues sont brûlantes et douloureuses à cause du chanteur. Ses réponses sont délirantes et je prends du plaisir à les entendre. Bon, j'ai été médisante. Il n'est pas aussi horrible que ça. Ce qui me gêne est le comportement qu'il arbore pour se donner un style bad boy. Sinon, il a un humour assez plaisant. J'ai même retrouvé l'homme qui s'était inquiété pour moi, lorsque j'étais perdue au beau milieu de la ville à pleurer toutes les larmes de mon corps.
— Et pour finir, c'est une question un peu plus privée ; un titre de musique de votre futur album a retenu mon attention. Maman. Est-ce un message ?
Dário soupire, avale une gorgée d'alcool avant de planter ses iris marron dans les miens.
— Ma mère est décédée des suites d'un cancer. C'est une chanson d'hommage. Mais je ne peux pas en dire plus. Tout ce que j'espère est qu'on me comprendra un peu mieux.
Oh. Entendre ça me foudroie de l'intérieur. Je ressens toute sa peine. Pour me rendre plus forte, j'avale une gorgée d'alcool qui me brûle la gorge.
— Merci beaucoup pour cette interview. Nous attendons avec impatience votre premier album et nous vous souhaitons une belle réussite !
Dário balaie du revers de la main mes propos et termine sa boisson.
Il est temps pour moi de rentrer chez moi. Sauf qu'un petit problème s'est pointé et je n'y avais pas pensé. Il se fait très tard et j'ai bu un verre ; assez pour que je ne prenne pas le volant. Donc la solution qui se présente à moi est de prendre le premier taxi et filer à l'hôtel. Encore faut-il qu'ils aient une chambre libre !
— Merci, je vous ferais parvenir l'interview par mail, puis vous aurez un exemplaire du magazine, déclaré-je en sortant mon téléphone.
Le chanteur me remercie à mon tour pour ma patience. Au moins, il a conscience qu'il a dépassé les bornes et se remet en question. C'est positif de sa part. Il pourrait se la jouer enfoiré jusqu'au bout !
Je note qu'il n'aborde pas le sujet qui me fâche tant. Notre début d'ébat il y a quatre ans.
Notre rendez-vous est terminé. Me voilà libre comme l'air pour trouver une chambre au beau milieu de la nuit. Sur internet, je cherche les hôtels les plus proches possibles et les contacte. Je préfère rester dans le bar, même si les gens parlent fort. Je ne souhaite pas passer des coups de fil dehors, seule. Encore moins dans ma voiture.
J'ai peur de ce qu'il pourrait m'arriver. Une peur excessive, mais que je trouve logique. Mieux vaut être trop prudente que pas assez !
Pendant mes appels, les prunelles du chanteur tombent souvent sur moi. Je le sais parce que je l'observe à la dérobée de temps à autre, quand je le sens me mater. Ça ne loupe jamais. Il me dévisage comme s'il me découvrait pour la première fois. Je suis à trois tables de lui. J'ai préféré le quitter que de rester à ses côtés, mal à l'aise. Plusieurs fans s'amusent à passer sur ses genoux, à glousser telles des dindes. Autant l'avouer, c'est un point qui me gêne. Tu m'étonnes qu'il ne se sente plus pisser. Elles ne cessent de le flatter.
Le premier hôtel m'indique qu'il est complet. Le deuxième ne répond pas et le troisième a juste des chambres familiales. La poisse. J'aurais dû prévoir ça avant.
— Hé euh, tu es bloqué là, non ?
Je détourne mes yeux du comptoir sur lequel des clients sont semi-morts ou boivent comme des trous. Dário est penché au-dessus de moi. Ses cheveux verts mi-longs lui tombent sur son front. Il me scrute de ses yeux noisette. L'espace entre nos têtes est minime. À tel point que je sens les effluves de son parfum mélangé à l'alcool qu'il a ingurgité plus tôt. Drôle de mélange, mais plutôt plaisant à humer.
— Pardon ?
Lit-il sur mon visage à quel point je suis perdue ?
— Tu cherches une chambre, non ? Avec le groupe, on en a réservé deux. Je peux dormir avec eux, et on t'en file une.
Je suis prise au dépourvu. Il se montre très charmant, c'en est à la fois surprenant et touchant.
— C'est gentil, mais je vais finir par trouver une chambre.
Sa main glisse sur mon épaule gauche. Il aborde un petit sourire. Il a vraiment un souci avec l'espace vital des gens, lui.
— Allez, pour me faire pardonner. C'est visiblement de ma faute si tu es dans cette situation, non ?
Bon. Il me tend un piège, je n'y vois rien d'autre. Pourquoi être soudainement si prévenant à mon encontre après ce qu'il m'a fait subir ? Terminer ce qu'on avait commencé ?
— J'avais effectivement prévu de rentrer chez moi après le concert. Mais je...
— Bah voilà ! m'interrompt-il en se relevant. L'hôtel est à quinze minutes en voiture.
Je pèse le pour et le contre. À moins d'un miracle, je n'ai pas d'autre solution.
— Et comment ferais-je pour regagner ma voiture ?
Le chanteur a réponse à tout. Il m'indique qu'on me conduira demain matin. Avant de foncer tête baissée, je décide de contacter d'autres hôtels. Et comme je l'imaginais, un hôtel a des chambres simples de disponibles. Le problème étant que le bâtiment se trouve à Pétaouchnok. Et je ne suis guère prête à conduire. Alors, voilà où j'en suis ? Accepter de dormir dans une chambre d'hôtel réservée par un groupe de Rock ? La présence de la batteuse, Chiaara est un élément clé ; je le reconnais. Je n'aurais aucunement confiance en eux.
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