Chapitre 2 - Alison

Je n'ai jamais vécu une telle humiliation de toute ma vie. Pour qui ce chanteur de mes deux me prend-il ? Pour une groupie ? Est-il aveugle ou amnésique ? C'est sûrement l'un des deux, il n'y a pas d'autre option. Cet abruti vient de signer l'une de mes feuilles où je comptais retranscrire ses propres mots.

L'interview démarre très mal. Je me sens déjà à cran. Vivement que tout se termine. Il doit sûrement se venger de ce qu'il s'est produit des années auparavant, touché dans son ego.

Le chanteur me plante et rentre, poursuivi par ses fans. Les hurlements sont déments. Toutes les jeunes femmes tentent d'avoir quelques instants avec le chanteur ou le guitariste en criant. Comment dire qu'en étant bousculée, limite inexistante, je ne me sens pas à ma place. À vingt-neuf ans, j'ai passé l'âge de me dandiner dans une robe moulante pour appâter les hommes. D'ailleurs, je ne me souviens pas avoir commis cela plus jeune.

J'ai eu une enfance banale, des parents autoritaires et des amis de confiances. Depuis petite je suis très bonne élève. Le genre avec des lunettes et à lever la main en classe à tout-va. Mes professeurs m'ont toutes et tous appréciée. Calme, première de la classe. Même au collège, qui a pourtant été le passage de ma vie le plus compliquée, j'étais sérieuse. Ce qui m'a même fait défaut. Être acceptée par les autres élèves a été la croix et la bannière. On me voyait comme l'intello, incapable de m'amuser. Autant l'avouer, oui, faire des farces ou se moquer des autres ne m'a jamais intéressée. Alors, j'en ai pris pour mon grade, mais je n'ai jamais regretté.

Je suis celle que je suis. Je ne changerai pas.

— Alison Pierucci, journaliste pour Morgan Magazine, me présenté-je à l'un des deux lascars qui surveillent l'entrée d'Arena. J'ai une interview de prévus avec le groupe.

L'homme le plus imposant, à la beauté digne d'un acteur et à la musculature surdéveloppée, vérifie sur un papier. Son menton hoche lentement en signe d'accord. Au moins, le manager du groupe m'a bien ajouté à la liste des vips !

Je n'arrive toujours pas à y croire ; le leader a oublié le rendez-vous. Ou alors, était-ce une technique pour se moquer de moi ? Pour me rendre la pareille ? Il est connu pour être moqueur et humiliant envers les femmes. Il n'a aucune pitié. Dire que je doutais de sa réputation ! Il avait été gentil avec moi alors que j'étais très mal.

Le karma s'est joué de moi !

Les portes s'ouvrent et dévoilent l'entrée du hall. Je me sens tout de suite intimidée par l'immense espace et les personnes déjà présentes. C'est la première fois que je vais assister à un concert de rock. Un concert tout court, d'ailleurs. Je suis à la fois stressée et excitée comme une puce. Tout ce que je sais sur ces soirées provient de blog et de vidéos.

— Par-là, m'indique une femme de son index manucuré avec soin une porte à droite.

Mes yeux traînent sur chaque détail ; des moulures aux plantes vertes dans les coins jusqu'à la poignée de porte. Dans le couloir réservé aux célébrités et aux employés, je me sens enveloppée d'un étrange sentiment. Un peu comme si j'étais plongée dans une bulle où tout résonnait différemment.

Pourquoi suis-je à la fois énervée et impatiente d'être de nouveau face à cet idiot de chanteur à deux balles ? Je ne devrais pas me laisser distraire pour si peu. Après tout, il aurait pu m'insulter ou refuser de me parler. Même s'il m'a prise pour une groupie et m'a zappée, je suis toujours en un morceau. Le sentiment d'humiliation vient de quitter mon être. À force de me rassurer, au fur et à mesure que j'avance, je me sens sereine.

Devant la porte, la femme qui s'est chargée de m'accompagner, je me tords les doigts. Elle m'explique que je dois attendre qu'ils finissent de se préparer. Je la remercie et la dame s'éloigne dans une démarche féminine et envoûtante. Ses hanches marquées par sa robe noire moulante se tortillent sous mes yeux.

Le bruit derrière la porte est explicite. Le groupe fait quelques vocalises avant de prendre place sur scène. Je suis émerveillée par la voix grave qui résonne dans mes oreilles. OK, le gamin a du talent. Je comprends pourquoi le groupe de Rock est en vogue depuis ces dernières années.

La patience n'est pas mon fort. Quand la porte s'ouvre, je lâche un profond soupir que je retiens aussitôt en voyant le groupe. La batteuse m'accueille avec un large sourire. À contrario, le guitariste et le chanteur tirent la gueule. Ce dernier prend la parole le premier.

— Bah alors, on arrive à se faufiler jusqu'ici ? plaisante-t-il en avançant.

Bon, il ne m'a peut-être pas oubliée et il me fait payer l'arrêt de nos ébats.

Il dépasse la batteuse appelée Chiaara à la peau parfaite et se plante devant moi. Sa grande taille devrait m'impressionner – et c'est le cas, à dire vrai – pourtant, je lève mon menton en arquant un sourcil. Hors de question de perdre à nouveau mes moyens devant un petit con de vingt-sept ans.

— Ma présence ici est...

— Oui, oui, me coupe-t-il en plaquant son index sur mes lèvres. Le concert m'appelle. Attends-moi là, tu ne seras pas déçue.

C'est de pis en pis. Pense-t-il que je reviens, quatre ans après, pour reprendre là où on s'était arrêté ? Si oui, il se met le doigt dans l'œil ! J'ai commis une erreur en l'invitant chez moi, ça ne se reproduira pas. Il n'est qu'un inconnu, populaire, certes, mais un inconnu avant tout !

Je le repousse avec force. Instinctivement, je recule de deux pas. Tout au fond de moi, j'ai besoin de mon espace vital. Je me sentais en danger, sur le point de lui sauter à la gorge – pour le défigurer, voyons ! – en le percevant si près.

La réaction des deux autres membres me réconforte dans mes pensées. Chiaara Lawson affiche une mine anxieuse et Zackaria flaque un coup sur l'épaule de son ami.

— Allez bourreau des cœurs, on doit y aller, siffle Zackaria Gomez.

Visiblement, ce n'est pas le moment pour l'interview. Je suis pourtant là depuis une heure et demie, attendant comme prévu sur le parking. Puisqu'aucun n'est venu à ma rencontre, j'ai décidé de les retrouver. Si j'avais su, j'aurais pointé directement mon nez ici. En même temps, comment savoir s'ils allaient zapper le rendez-vous ?

— Bon concert, lancé-je un peu déçue.

Le plus important est l'interview. Qu'elle se déroule avant ou après le concert ne devrait pas me poser de problème. Cependant, j'aime bien quand tout se déroule comme prévu. Lorsqu'un changement de planning survient, ça me contrarie. Dans ma tête, tout doit être carré. Un défaut venant de mon père, qui aimait tout contrôler.

Mon père était docteur dans un cabinet. Il aimait beaucoup son travail et n'abandonnait jamais. Il était à fond jusqu'à sa retraite. Il a cédé, à contrecœur, sa place pour un jeune médecin. Désormais, il vit avec ma mère au sud de la France. La distance étant importante entre nous, je me contente de leur rendre visite chaque été.

Ma mère, quant à elle, était boulangère avant d'être à la retraite. Comme mon père, elle était acharnée dans son boulot.

J'ai toujours été admirative de mes parents. Ils se sont battus, sont restés ensemble depuis le début. Si leur relation forte m'inspire, j'ai préféré me concentrer sur mes études. Ce qui a payé, aujourd'hui je fais le métier qui me plaît ; journaliste.

Le concert démarre. Au lieu de rester dans le couloir, j'ai suivi, sans honte, le groupe. La batteuse, beaucoup plus aimable que les autres membres, m'a invitée à patienter dans les coulisses. Je pense qu'elle a saisi la raison de ma présence ici, mais n'ose pas s'imposer face aux hommes. Je la comprends. Le chanteur est flippant, humiliant, quant au guitariste avec qui elle sort, ce dernier a l'air de suivre son ami. Au vu des quelques articles que j'ai lus sur le groupe, j'ai vite compris que le leader a ce rôle pour une raison. Il contrôle tout.

Ce serait facile de se croiser les doigts en attendant que les chansons se terminent. Ce serait plus qu'idiot de prétendre ne pas aimer ce que j'entends. Je suis assez vite emportée par une vague d'excitation. La première chanson qui est chantée est leur nouveau single. Je le connais approximativement, ayant dû l'écouter pour l'interview. Les paroles sont compliquées à retenir, les instruments résonnent, cela dit, merveilleusement bien.

Les chansons défilent. Je me prends au jeu en me dandinant, malgré moi, sur les différents tempos. Mes pupilles sont fixées sur le groupe. Ils se donnent à fond. Je ressens une forte énergie positive m'envahir de la tête aux pieds.

Que ça fait du bien de lâcher un peu prise !

La colère est passée. L'humiliation ressentie plus tôt est loin derrière moi. À la place, je suis éblouie par la découverte du groupe de Rock. Lorsque le concert est terminé, mes orteils dans mes talons hauts sont en purées et mon dos est douloureux. Cela n'enlève en rien le mélange d'angoisse et d'appréhension qui naissent dès que le groupe rejoint les coulisses.

Ils sont en sueur, exténués par l'effort qu'ils viennent de produire pour satisfaire leur fan. Ils passent devant moi, sans même me voir. Je suis comme inexistante tellement ils sont plongés dans leur monde.

C'est assez impressionnant de les voir dans leur élément. Le professionnalisme qui se dégage d'eux me donne envie d'en apprendre plus. Ont-ils vraiment commencé dans un garage ? Pourquoi se sont-ils séparés plus jeunes pour se reformer huit ans après ? Toutes ces questions n'ont jamais été répondues et je compte bien découvrir la vérité. Ça fera la une et me permettra d'obtenir enfin la promotion que je désire depuis trois mois.

L'argent n'est pas ma motivation. J'aime mon métier. J'aimerai plus de considération, ne plus être prise pour la petite fille parfaite, qui ne décolle pas son museau de son travail et qui n'y connaît soi-disant rien. Non. Je suis compétente et ce n'est point-là de la prétention. Je n'aurais pas signé chez Morgan Magazine suite à un stage pour mes études juste après l'obtention de mon diplôme si j'étais nulle. L'opportunité que m'a offerte mon patron est énorme. Ce qui n'a pas plu à mes collèges qui m'imaginent être passée sous le bureau. Bien sûr, ce n'est pas le cas. J'ai mérité ma place, mais pas les harcèlements et les moqueries de mes collègues !

— Excusez-moi, pouvons-nous commencer ?

J'ose les déranger. Le groupe se tourne dans ma direction.

— J'arrive, souffle le chanteur avant de parler à ses amis. Une femme m'appelle, comme vous voyez. On se rejoint au bar, prenez-moi...

La batteuse lève son index pour interrompre Dário Baker.

Je vais lui tordre le cou. Pourquoi agit-il ainsi ? Sous prétexte qu'il est devenu une star, il doit agir comme un idiot tout le temps ?

— Je ne pense pas qu'elle soit là pour ton petit cul, se marre Chiaara Lawson.

Le chanteur roule des yeux, guère convaincu. Il m'adresse un mouvement de menton auquel je réponds par un petit sourire.

J'ai enfin compris. Ça ne lui ait pas venu à l'esprit que j'étais là pour le travail et non pas pour passer dans son lit. Cette nouvelle me réconforte malheureusement dans ce que je vis au quotidien. On me voit comme une femme bonne à baiser et incapable de bosser.

Merde. Je prends ça trop à cœur. Ce Dário a l'habitude d'enchaîner les plans culs. Normal pour lui de m'avoir confondue avec sa prochaine conquête. Il doit se jurer de m'avoir, puisqu'il m'a ratée la dernière fois. Je répète ce mantra en boucle, jusqu'à m'en persuader.

— Effectivement. Je suis madame Alison Pierucci, journaliste. Nous avions rendez-vous avant le concert pour une interview... Je vous ai attendu sur le parking et vous n'êtes jamais arrivé.

Dário Baker perd de sa superbe. Les muscles de sa mâchoire tressautent et ses yeux rétrécissent.

Me présenter en tant que la femme qu'il a trouvée en larme et qui s'est jetée sur lui n'est pas une bonne idée. Je dois rester professionnelle jusqu'au bout, peu importe le passé.

— Ah merde, j'ai oublié.

— Super, lui lance le guitariste en secouant son visage avec un air agacé. T'as un truc à penser et tu l'oublies pour courir après une nana.

Le leader donne un coup de coude en plein dans les côtes de son ami et lui intime le silence. Quand il revient sur moi avec ses yeux noisette m'implorant de le pardonner, je me jure d'être sympa avec lui. Il m'a prouvé pas plus tard que dix minutes qu'il était bourré de talent. Ce petit malentendu ne ruinera pas mon interview !

— On peut faire l'interview dans un bar ? Je vous offre un verre pour me faire pardonner.

Plutôt inattendu et gentil de sa part. Malheureusement pour lui, je ne me fais pas acheter ainsi.

— Je ne bois pas pendant mon travail, mais d'accord.

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