Chapitre 7

Dans la salle du trône, l'ambiance demeurait pour le moins glaciale. Depuis la virée à Baal Soudak, Handelë restait froid et distant envers sa souveraine. Ce comportement blessait Luinil autant qu'il l'insupportait. N'avait-elle pas besoin de l'attention de son premier conseiller alors que sa folie se faisait toujours plus présente ?

Elle se sentait abandonnée, rejetée.

Même Kaliss, à sa droite, ne lui accordait que de brefs regards. La lieutenante s'était murée sous sa lourde armure de métal, insensible au désarroi de son amie.

C'était à croire que tout le monde lui avait tourné le dos mais que ses proches comme ses sujets restaient juste par respect vis-à-vis de son rang royal. C'en était que plus humiliant.

Au bas des marches, quelques conseillers s'agitaient dans leurs toges blanches, tentant vainement de raisonner la reine.

— Inutile d'insister, déclara-t-elle sèchement, ma décision est prise.

— Majesté, s'interposa le ministre des Finances, nous ne pouvons pas débloquer de telles sommes pour la guerre.

— Peut-être préférez-vous finir esclave des elfes ou des astres de Lombal ? grinça-t-elle.

L'astre déglutit mais n'abandonna pas face à la gravité de la situation :

— Majesté, il est temps de se concentrer sur notre propre peuple. Je rappelle que les maladies et les famines nous touchent chaque année toujours plus. Nous ne pouvons pas lever plus d'impôts ! Les révoltent grondent dans tout le pays et c'est pire encore dans la capitale !

Luinil se leva de son trône et descendit lentement les marches pour rejoindre son sujet. Le silence s'abattit sur l'assemblée. Seul le cliquetis des bijoux et le froufrou de la cape royale se perçurent dans l'assemblée pétrifiée. Elle s'arrêta sur le dernier niveau pour pouvoir toiser au mieux son interlocuteur.

— J'ai été claire sur ce sujet, murmura-t-elle froidement, les révoltes seront matées par la force. J'ai ordonné que tous les fauteurs de troubles finissent dans les fosses. Dois-je me répéter ?

Le ministre s'inclina fébrilement :

— Non, Majesté.

— Bien. Alors ouvrez un peu vos coffres qu'on puisse gagner cette guerre.

L'homme releva la tête et lâcha :

— Notre économie s'effondrera à la fin de cette dernière, Majesté ! Et je doute qu'inonder les rues de sang soit la meilleure idée pour calmer la révolution qui vous menace !

— Petit insolent.

Luinil referma la main sur son sceptre avant de foudroyer l'impertinent d'un sort puissant. Le ministre poussa un hurlement strident et s'effondra à moitié calciné sur les dalles. Le buste et la tête s'étant transformés en véritable bouillie informe, il allait sans dire que cette boucherie avait signé l'arrêt de mort de l'homme.

Tous les courtisans présents ne pipèrent mot, abasourdis par la scène.

Seul Handelë osa briser le silence :

— Majesté, vous allez trop loin.

Luinil fit volteface, le visage déformé par le mépris :

— Je ne me suis pas entourée d'un gouvernement pour être à la moindre occasion limitée dans mon exercice de reine ! Vous êtes tous ici pour me conseiller et me servir, pas pour me donner des ordres ! Que le sort de ce ministre incompétent vous serve d'exemple !

— Les exemples ont tendance à trop se répéter, dernièrement, souligna aigrement Handelë.

La reine remonta les marches pour lui faire face. Derrière Kaliss se mordait les lèvres, ne sachant comment appréhender la situation.

— Ne me forcez pas à vous châtier, Handelë, siffla Luinil, je ferai couler le sang autant que nécessaire pour préserver mon trône ! Trop longtemps j'ai eu à faire avec les traîtres et les opportunistes. Je ne supporte plus la moindre tromperie, le moindre mensonge. Alors ne vous écartez pas de ma volonté ou les têtes continueront à tomber !

Sur cette déclaration, la reine quitta la salle avec assurance. Les ministres et les conseillers ne purent que se soumettre à ce discours mais Handelë secoua la tête : avec l'instabilité grandissante de leur maîtresse, un soulèvement était à attendre. Et Arminassë n'avait clairement pas besoin d'une révolution en cet instant.




— Tu es si irritable, Luinil, se désola Alma, tu broies du noir en permanence.

— J'ai de bonnes raisons, crois-moi.

Installées dans la serre privée de la reine, les deux femmes profitaient des derniers rayons du soleil, assises sur le gazon fraichement coupé.

— Tu ne devrais pas, contredit la courtisane, nos armées surpassent celles de toutes les autres races et nos stratégies militaires sont parfaites.

— J'ai confiance en nos forces, Alma, mais pas en mes sujets. Les révoltes croissent et je me rends bien compte que je ne fais qu'empirer la situation par la violence...

Son amie hocha la tête et se laissa choir sur l'herbe ; ses belles boucles brunes se dispersèrent autour de son visage fardé :

— Tu ne digères toujours pas l'ambassade, ma chérie.

Luinil se tendit à ces mots.

— Arrête avec ça.

— Je t'en parle parce que je suis la seule à pouvoir évoquer ce sujet avec toi sans craindre d'être découpée en morceaux !

— Ne me parle plus de cette histoire, tu sais que l'entendre m'agace profondément et me blesse.

Alma sourit machiavéliquement :

— Tu penses encore au prince ?

— Qu'importe, il est mort.

— Si j'étais toi, je m'empresserais de le remplacer avec un autre amant.

Luinil haussa les sourcils sans jeter le moindre regard vers sa compagne :

— Tu veux me trouver un homme ?

— Et pourquoi pas ?

— N'importe qui voudrait profiter de ce statut pour ensuite se servir de moi.

Alma se redressa soudain :

— Rien ne t'oblige à dévoiler ta vraie identité ! La plupart des orgies se déroulent sans qu'on ne distingue les visages d'autrui. Il te suffit juste d'un bon masque.

— C'est idiot... En plus, j'ai une tache de rousseur sur le sein gauche et tous les hommes le savent.

— Ces détails se maquillent, Luinil.

L'idée d'Alma était pour le moins distrayante, de quoi oublier le temps d'une nuit la charge et les enjeux du royaume. La belle souveraine était pour une fois tentée par l'expérience. Après tout, si elle avait aimé un homme par le passé, elle n'aurait pas de soucis à se trouver un deuxième pour oublier le précédent.

Lors de l'ambassade, elle avait découvert les plaisirs de la chair et si cette aventure s'était soldée par un accident funeste, elle devait bien reconnaitre qu'elle ne refuserait pas une autre opportunité similaire.

— Tu as une idée d'un homme qui ferait l'affaire pour moi ? demanda-t-elle simplement à son amie.

— Quelques-uns, oui.

Une ride d'embarras se creusa entre les yeux de la reine :

— Et tu crois que... que c'est pareil, que ce soit un elfe ou un astre ?

Alma s'esclaffa :

— Ma foi, je n'ai jamais couché avec un gnome ! Ton précédent amant était-il si bien monté au point que tu craignes d'être déçu avec les prochains ?

Luinil rougit de confusion :

— Arrête, tu es vulgaire. Et puis, je n'en sais rien, je ne l'ai pas particulièrement observé dans le feu de l'action.

— Ah... Tu n'as pas à t'en faire, j'ai déjà testé les hommes que je vais te présenter et crois-moi qu'ils seront parfaits.

Cette déclaration la fit grimacer. Elle avait l'impression que son amie sélectionnait des chevaux pour une course.

— Je ne veux pas me donner à un homme qui a déjà copulé avec des dizaines de courtisanes. Ça me dégoute ; j'aurais l'impression d'être un simple nom dans une liste de conquêtes.

Alma haussa les épaules :

— On s'en fiche, non ? Et le prince Morgal avait probablement soulevé quelques jolies princesses avant toi.

— Non, il était vierge aussi. Je ne suis peut-être pas une experte dans le domaine mais ça se voyait qu'il n'avait pas d'expérience.

— Respecte un peu sa mémoire, veux-tu.

— Non, il ne le mérite pas.

— Bon... Tu veux quand même tenter une petite nuit avec un nouveau partenaire ? S'il te plait tu pourrais même en faire un régulier.

Cette possibilité dérangeait la reine ; elle n'était pas habituée à profiter de son rang pour obtenir des faveurs sexuelles puisqu'elle s'était refusée à l'amour tout ce temps. Maintenant que les choses avaient changé, elle ressentait toutefois la tentation de soumettre de riches et influents aristocrates à ses moindres désirs. C'était aussi immoral qu'attrayant.

— Eh bien, je peux essayer. Mais je cacherai mon identité pour cette fois.

Tout excitée, Alma tapa des mains :

— Tu vas voir, on va bien s'amuser !

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