Chapitre 40
Cette fois-ci, ce fut Ozanor qui du haut des escaliers, observait la foule des convives. Les orgies sévissaient toujours de la même manière au palais mais ce soir, elles seraient le théâtre de sombres négociations.
Armé de confiance, l'astre sourit en apercevant Lys franchir une porte dérobée. Elle tenait une serviette de cuir dans sa main et comme convenu, personne ne l'accompagnait. Après un bref regard vers le haut des marches, elle commença l'ascension sans laisser paraitre la moindre émotion. Ozanor reconnut qu'elle était ravissante dans sa belle robe bleu roi qui glissait sur le sol dans un effet presque liquide. Il appréciait lorsque la taille de la souveraine était parfaitement enserrée, cela accentuait ses courbes séduisantes. La splendeur de la femme absorbait toute concurrence si bien que beaucoup de regards se posaient sur sa silhouette parfaitement dessinée.
— Si vous voulez bien me suivre, Lys, l'invita Ozanor en lui prenant la main, ma loge nous attend.
Elle acquiesça sans mot dire et lui emboita le pas. Ils ne croisèrent pas le groupe de courtisanes, ni Caraks ou Fendrell. Ils étaient seuls en ce lieu lourd de souvenirs sanglants.
Luinil soupira et posa la serviette sur une console avant d'en sortir les documents attendus.
— Voici l'annulation de l'interdit, lâcha-t-elle d'une voix glaciale, d'ici quelques jours, tout le royaume d'Arminassë sera prévenu de la légalisation de l'esclavage.
— Merci bien... vous verrez, c'est un choix judicieux pour l'économie du pays.
— Un choix sale.
Ozanor haussa les épaules et ouvrit les battants du bar pour se servir de l'alcool.
— Vous n'êtes pas non-plus sans reproche, très chère : une dictature, c'est légèrement liberticide.
La reine serra les dents et baissa la tête dans une aversion palpable. Enfin, elle demanda :
— Où est Féathor ?
— Au chaud.
Peu satisfaite par cette réponse, elle le rejoignit en faisant claquer les talons aiguilles de ses sandales.
— Vous deviez me rendre mon fils, Ozanor, j'ai exaucé votre souhait.
Un sourire amusé étira les lèvres pleines de l'homme :
— Et vous croyiez réellement que j'allais vous redonner si simplement votre petit bâtard ? Vous sauteriez sur l'occasion pour me liquider dans la foulée. Je pense que je devrais le garder un moment afin que vous restiez bien sage avec moi.
Sur cette déclaration, il présenta la mèche brune du garçon sous le regard de la mère éplorée. Un éclair de panique traversa les iris émeraude avant de laisser place à une impassible amertume.
— La prochaine fois, je lui couperai les mains, puis lui supprimerai les yeux. Cela vous rappelle quelque-chose ?
— Mon fils est innocent, cracha-t-elle, ramassez le peu d'honneur qu'il vous reste et libérez-le.
Ozanor secoua la tête et vida sa coupe d'une traite avant de faire face à son interlocutrice :
— Dîtes-vous, ma chère Lys, que rien n'arrivera à Féathor si vous vous montrez docile avec moi.
Elle plissa les yeux et recula d'un pas avant de croiser les bras ; c'était à prévoir. Mais elle n'avait guère eu d'autres choix.
— Vous me voulez aussi, n'est-ce pas ?
— Vous êtes acculée, Luinil, et vous savez que je peux exiger ce que je veux de vous tant que votre fils est entre mes mains. C'est votre triste réalité.
Un goût âpre remonta dans la bouche de la reine. Se sentir si impuissante la révoltait. Mais la sécurité de son garçon passait avant le reste. Sans broncher, elle fit glisser les bretelles de sa robe, délassa la fermeture et laissa le tissu dégringoler à ses chevilles, dévoilant sans pitié la lingerie érotique. D'un léger mouvement de poignet, elle se débarrassa du masque pour exposer sa réelle identité à son ennemi.
— Merci d'avoir rapidement compris, murmura Ozanor en reposant son verre, je ne comptais pas perdre plus de temps.
La tournure des événements le rassasiait amplement. Avec ça, il n'était pas près d'abandonner l'enfant ; tant qu'il l'aurait avec lui, Luinil accepterait tous ses moindres désirs. Le futur devenait soudain bien plus alléchant avec l'assurance de cette soumission inespérée. Avoir une des plus puissantes créatures de la Dimension à sa merci aussi facilement le comblait de satisfaction.
Il s'assit sur la couche où la reine le rejoignit pour l'embrasser. Malgré son désespoir, la beauté surnaturelle de la femme demeurait. Sa chevelure abondante se relevait dans un chignon lâche, serti de perles et de diamants. Le collier réglementaire s'accompagnait de splendides bijoux sur le reste du corps jusqu'à ses souliers d'argent.
— J'apprécie de voir l'effort que tu as fournis, murmura familièrement le Berserk, je suis toujours autant charmé, même après tout ce que tu m'as fait.
Luinil détourna le regard ; son cœur accélérait dans sa poitrine et les battements tambourinaient entre ses tympans. Elle aurait souhaité étriper son amant indésiré.
Doucement, il la coucha sur le lit sans rencontrer la moindre résistance. L'affliction qui finissait par paraitre rendait la femme encore plus belle, il la voyait comme une biche qui savait pertinemment ce qui l'attendait, qui savait que le prédateur allait la dévorer.
La déchéance était spectaculaire. Passer au rang de reine, véritable déesse de beauté, à simple esclave prête à être souillée.
— Tout ça à cause de ton chiard, gloussa Ozanor en basculant au-dessus d'elle, j'espère que tu regrettes intensément la nuit passée avec l'elfe. Tu aurais dû supprimer le gosse avant qu'il ne naisse. Remarque... J'y vois mon avantage.
L'ivresse de sa situation commençait à lui brouiller la raison. Aucun de ses semblables n'avait pu enchainer la reine de la sorte. Il était le seul à avoir trouvé la faille chez cette créature aussi puissante que magnifique.
Et désormais, la Reine Vierge participait elle-même à l'échange. Certes, c'était dans l'espoir de retrouver son fils mais les résultats étaient là, elle l'embrassait et se montrait enfin ouverte aux caresses. Ses gestes délicats comme ses baisers timides amusèrent le Berserk. Prudes, ils étaient en totale inadéquation avec l'apparence sulfureuse de leur commanditaire. Après tout, Luinil n'avait guère d'expérience une fois l'étape de la séduction passée. Ozanor appréciait de savoir que peu avant lui avait marché sur la vertu de la belle ; en oubliant ce maudit prince, il était le premier à s'aventurer sur ces terres délicieusement envoûtantes.
Il glissa les doigts dans la lourde chevelure noire et répondit aux doux baisers tout en respirant le parfum captivant qui imprégnait ses narines. C'était un véritable enchantement. Sa partenaire attrapa son col et commença à retirer la veste pour glisser les mains sous la chemise.
Si la pudeur de la reine ressortait durant ces instants d'intimité, son charisme ensorcelait le mercenaire ; c'était la sensation de sombrer entre les bras d'une créature aux pouvoirs aphrodisiaques. Une lourde torpeur le prit où ses sens se mélangeaient dans une jouissance certaine, happés par le plaisir que suscitait le corps de la femme.
Ainsi dans ses bras, il perdait pieds car l'attention de Luinil pour lui valait finalement toutes ses envies de domination et d'outrages. Il n'avait qu'à se laisser aller, simplement savourer cette présence captivante. La beauté de la reine l'ensorcelait tant, il ne parvenait à élimer cette sacralité, ne serait-ce que briser la bulle étroite et onirique qui se dégageait de cette féminité aussi tentatrice qu'intouchable.
Désormais, il ne souhaitait plus retirer le corset en dentelle, il ne désirait plus attenter à cette image qu'il se faisait d'elle, comme si la faire sienne gâcherait le sublime de cette proximité inespérée.
Ainsi dans ses bras, il ferma les paupières et se laissa bercer par le contact chaud de Luinil. Jamais il n'aurait pensé trouver un tel confort et une telle paix contre cette chair si douce. Les doigts fuselés glissaient sur sa peau, emportant ses sens dans une volupté tourbillonnante.
Sa partenaire profita de sa passivité pour inverser les positions. Les lèvres écarlates eurent raison de lui ainsi que ces gestes soudain plus passionnés. Avoir la plus splendide créature qui se consacrait entièrement à lui suffit, il n'en fallut pas plus pour son corps de le trahir et il laissa son plaisir se manifester.
Luinil n'attendit pas qu'il reprenne son souffle pour descendre de la couche, dégoûtée par cet échange peu consenti.
Encore étendue sur les draps, Ozanor la attrapa par la main pour la retenir.
— Reste avec moi, murmura-t-il, cette fois-ci, je veux que cette nuit soit l'apothéose de notre relation.
— Pourquoi ?
Le mercenaire se leva et enroula son bras puissant autour de la taille fine de la reine :
— Je t'aime, c'est pour cela.
Elle se retint de pouffer. Décidément, l'homme face à elle nageait dans un parfait déni de la réalité, uniquement préoccupé par ses pulsions insensées.
Il se pencha pour l'embrasser langoureusement avec une telle force qu'il ne remarqua pas la présence d'une tierce personne.
— Ozanor, je vois que ton retour à la capitale se déroule à merveille.
Le couple sursauta aux mots de Caraks. Luinil voulut se détacher du Berserk mais ce dernier la tenait étroitement contre lui.
— Lys ? s'étonna le ministre des Affaires interraciales, te revoilà enfin...
Si la découverte de la femme aimée dans les bras d'un autre amena colère et déception au cœur de l'aristocrate, la surprise ne tarda pas à remplacer les premiers sentiments.
— Majesté !
Il venait de surprendre son assassin privé avec la reine d'Arminassë. Il ne fallait pas être un génie pour deviner la nature de leur rendez-vous dans la loge ; Ozanor était complètement débraillé et la lingerie érotique de Luinil ne trompait pas sur ce qu'il venait de se passer.
Le ministre resta ébahi par la scène pendant plusieurs longues secondes. Ce fut Ozanor qui mit fin au malaise en se détachant enfin de sa compagne.
— Ta présence dans ma loge me contrarie, Caraks. Mais en fin de compte, je vais profiter du moment pour m'affranchir de toi.
Caraks reprit ses esprits
— Tu as perdu la tête, j'ai suffisamment de preuves pour t'inculper.
— L'esclavage n'est dorénavant plus prohibé et quant à mes crimes, je doute que tu veuilles être impliqué aussi ; tu étais bien le commanditaire. Après tout, je m'en moque, je possède la protection de la reine.
Caraks garda le silence quelques instants. Son regard s'attarda sur l'astre d'Atalantë puis sur sa souveraine. Le visage fermé de cette dernière traduisait parfaitement sa contestation.
Comment avait-elle pu se soumettre de la sorte ? Le politicien ne concevait pas une relation charnelle entre elle et le Berserk mais il devina bien qu'une raison plus obscure entravait la Reine Vierge.
— Majesté, articula-t-il difficilement, condamnez cet homme. Vous ne pouvez protéger les actes d'un assassin.
— Elle n'en fera rien, le coupa Ozanor en flattant la hanche de l'intéressée, elle a trop à perdre, n'est-ce-pas ?
Luinil refusa d'accorder plus de crédit à ces mots et détourna la tête. Elle avait honte que ces déboires soient exposés de la sorte aux yeux de son ministre. Mais que pouvait-elle faire d'autres que se taire ?
— Quel que soit le chantage que tu exerces, cracha Caraks, tu devrais respecter Sa Majesté.
Ozanor ricana :
— Mais j'adore notre reine. Comme la plupart des hommes ici, je lui ferais bien l'amour toutes les nuits. Pour ma part, j'y vois une certaine justice. Arminassë a bien refusé d'aider Atalantë lors de sa chute sur l'initiative de sa reine ... Et en plus de voir ma cité d'origine trahie par son alliée, j'ai été défiguré et estropié par leur magnifique monarque.
Il glissa ses doigts dans le chignon épais et referma sa prise pour forcer la femme à s'agenouiller.
— La vérité, continua-t-il, c'est que Sa Majesté ne nous a jamais respectés, et qu'elle ne s'est pas respectée elle-même pendant l'ambassade. Si je la tiens en laisse aujourd'hui, c'est uniquement à cause de ses choix, notamment ceux concernant le prince des Falaises Sanglantes.
Il jeta un œil au regard dévasté de sa victime. Comment parvenait-elle à demeurer si sublime après une telle chute ? Comme un oiseau blessé entre les griffes du félin, le désespoir se lisait dans ses iris de jade. Elle aurait pu balayer l'orgueil de son oppresseur mais la raison de sa soumission était plus forte.
Ulcéré par le comportement scandaleux du mercenaire, l'aristocrate intervint :
— Ça suffit, Ozanor. Tu as dépassé tout entendement !
Le bâton astral se matérialisa entre ses mains, prêt à éliminer l'ennemi. Ozanor contre-attaqua aussitôt et recourut au même procédé. La magie ne tarda pas à se manifester dans l'espace étroit, balayant le mobilier au passage des manifestations valiques.
Luinil se redressa vivement pour séparer les deux hommes. Même face à deux astres aguerris, elle l'emportait.
Un sortilège violent mit fin à l'affrontement en envoyant les deux combattants à chaque extrémité de la chambre. Mais c'était trop tard, Caraks gisait au sol, le torse ouvert. Des flots de sang s'échappaient de la plaie béante pour s'écouler sur le marbre clair.
Luinil se précipita vers lui pour l'aider à tenir mais en vain. La vie s'échappait à nouveau. Caraks n'avait pas la grandeur d'âme que Lagordus, ses intentions auprès de la reine pas aussi nobles, toutefois, il avait aussi voulu la protéger du prédateur. Comme la dernière fois, elle se retrouvait seule face au danger. Et elle perdait.
Ozanor n'avait pas dépensé son Vala dans une juste mesure. Pour tuer ainsi un astre aussi important que le ministre, il avait vidé ses réserves et en payait désormais le prix.
Loin de vouloir le soutenir, la reine ramassa sa robe, renoua les lacets et posa son masque sur son visage pour quitter la loge.
À moitié avachi contre un buffet, Ozanor siffla difficilement :
— Reste-là, je n'en ai pas fini avec toi.
Luinil s'arrêta et se tourna pour l'observer. Derrière, le corps de Caraks partait en cendres sans daigner laisser d'autres traces qu'une tâche écarlate.
— Attends que je sois remis, grinça le blessé, tes charmes m'ont envoûté, cette fois-ci. La prochaine fois, tu ne t'en sortiras pas si aisément.
Un certain calme marquait cette fois-ci le visage de la reine. Elle tourna les talons sans s'inquiéter davantage de cette sombre menace et se replongea dans le chaos des orgies.
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