Chapitre 4

Un peu d'ordre était nécessaire. Luinil avait abandonné ses peignoirs et chemises de nuit pour retrouver une rigueur vestimentaire qui l'aiderait à coordonner ses pensées.

Dans sa longue robe noire à dentelles, elle tentait de cacher ses rondeurs anormales. Hyola étant dans le secret, elle pouvait proposer des tenues adaptées pour ce changement de morphologie.

Une épaisse couche de maquillage recouvrit les traits tirés et la pâleur maladive de la femme, comme pour lui garantir un masque impassible face aux événements.

Luinil voulait en découdre.

Pour l'aider, Handelë lui avait fait secrètement porter des livres scientifiques sur son état. Malheureusement, ils se contredisaient la plupart du temps. Et le contenu de ces ouvrages plongea la reine dans un profond malaise. Elle aurait sans doute préféré ignorer à quoi ressemblait « son parasite ».

D'apparence humanoïde, la créature était apparemment dotée d'un crâne bien trop gros pour le reste de son corps. Les dessins la représentaient sans doigts, avec des membres minuscules et des yeux de grenouille. C'était fort laid.

Mais après tout, toutes les races passaient par ce stade de développement hormis celle des astres.

Quoiqu'il en soit, ce ne serait plus que de l'histoire ancienne lorsqu'elle s'en serait débarrassée.

Excédée par son destin si funeste, elle prit la décision de contacter Djinévix. Sans doute cette maudite bigote aurait-elle un remède pour elle ? Une potion ou un sortilège adéquat pour enfin avancer et oublier la désastreuse ambassade et ses conséquences.

Après s'être assurée que ses caméristes et servantes étaient parties, Luinil se rendit dans sa serre privée où quelques bassins séparaient différents bouquets de fleurs. Une bassine d'or reposait sur un guéridon, non loin d'une humble fontaine.

La reine était une Réceptacle, à l'instar de la sorcière. Cette seconde nature les liait et permettait l'accès à différents pouvoirs fort pratiques.

Cependant, l'astre ne prenait guère sa charge de Réceptacle à cœur. Elle savait que c'était plus un poids qu'un honneur. De plus, le secret était exigé afin que personne ne sache la puissance valique qui recelait en elle. À vrai dire, si elle trépassait, la race des astres se seraient retrouvée sans magie. C'était d'ailleurs étonnant que Morgal n'ait pas saisi cette chance. Ce dernier avait deviné que la Reine Vierge était un pilier incontournable de l'équilibre magique dimensionnel.

Mais il avait préféré la plonger dans ce cauchemar.

Luinil soupira ; elle se pencha au-dessus de la bassine et effectua un geste circulaire de la main. L'onde se troubla et une fumée rouille commença à s'échapper du récipient. Après de longues secondes, le visage de Djinévix apparut dans le reflet.

— Ma jolie ! s'exclama-t-elle, comment te portes-tu depuis notre dernier entretien ?

L'astre serra la mâchoire :

— Cesse de me provoquer. Tu savais ce qui arriverait !

La sorcière haussa innocemment les épaules :

— Peut-être...

— Viens au palais et soigne-moi immédiatement.

— Je suis trop occupée en ce moment, ma chérie. Si tu as besoin de moi, viens me voir à Baal Soudak.

Perdant patience, Luinil attrapa les hanses de la bassine et éructa :

— Tu ne respectes donc rien !

— Je vois que tu as changé ! Tu n'es pas plus douce qu'avant. Mais n'oublie pas que je ne t'obéis pas...

— Si tu ne peux pas venir, peux-tu au moins me donner les ingrédients d'un remède ?

— Et que t'arrive-t-il donc de si funeste ? Ne me dit pas que ce sont encore les effets du poison.

Luinil grinça des dents :

— Le prince Morgal m'a laissé un très désagréable souvenir dont je souhaiterais me débarrasser.

À l'évocation de l'elfe, le visage de la sorcière se chiffonna dans une expression imperceptible :

— Morgal était un Réceptacle. Le tuer est passible d'une grave condamnation au Cercle !

— Je n'appartiens pas à cette ridicule secte de Réceptacles. Le roi Nahôm n'est qu'un gourou comme un autre.

— Tu aurais pu supprimer le Vala de toute une race !

Lassée, la reine fit claquer ses longs ongles noirs sur le bronze du récipient. Ses lèvres se pincèrent de dédain :

— Il m'a porté suffisamment préjudice. Il a mérité son sort... Désormais, je voudrais exercer mon rôle sans être ramener en permanence à lui.

Un tremblement supplémentaire d'ondes et le visage de Djinévix reprit son air malicieux et jovial :

— Bien-sûr, ma chérie ! Tu sauras où me trouver. Je serai ravi de t'aider !

Sur ces mots entraînants, la sorcière disparut dans un tourbillon duquel s'échappa une ignoble fumée rouille, porteuse d'effluves nauséabondes.

Luinil chassa le nuage de la main et ne tarda pas à retrouver ses traits harmonieux dans le reflet de la bassine.

Après un long soupir, elle se détacha du guéridon et regagna sa chambre. Avec la fatigue qui l'assaillait, la tentation de se coucher était grande mais elle s'interdit cette faiblesse. Elle devait passer au-dessus et rejoindre le Conseil pour consolider un pouvoir chancelant.

Cependant, une terrible lourdeur l'abattait et ses chevilles chauffaient sur les talons aiguilles. Son buste engoncé à l'excès exigeait de l'air mais elle ne pouvait se permettre de dévoiler son ventre arrondi. Certes, aucun homme ne devinerait la présence du parasite qui grossissait dans son corps, mais tout changement physique serait relevé et accrédité à sa folie.

Luinil prit une grande respiration : la double porte de ses appartements la séparait de la cour. Il ne fallait pas flancher.

Oui, ce soir-là, elle se battrait pour sa couronne, pour la maintenir et dominer ses adversaires.

Et le lendemain, elle partirait avec quelques proches à Baal Soudak pour éliminer le parasite.




Baal Soudak ne se démarquait pas des autres bourgs par son luxe, c'était le moins que l'on puisse dire.

Encaissé entre deux larges collines peu verdoyantes, il s'accrochait à un petit cours d'eau à la propreté douteuse. La forêt dense qui s'étalait autour ramenait avec elle son lot de moustiques et autres insectes nuisibles.

Les astres avaient déserté depuis bien longtemps le village, laissant derrière eux des ruines macabres. Le souffle des dragons elfiques avait suffi pour appauvrir en quelques jours l'une des plus importantes forteresses du royaume. Seules les maisons de chaumes s'étaient reconstruites à la suite du drame et quelques familles humaines y vivaient sans se soucier du joug de leurs anciens oppresseurs.

À l'image de cette région abandonnée, les routes ne se distinguaient pas non plus par leur entretien.

La voiture cahotait laborieusement et Luinil était à bout. Déjà que les nausées se répétaient inlassablement, tous ces mouvements lui donnaient encore plus l'envie de recracher son repas.

Aussi ne fut-elle pas mécontente lorsque le chef de sa milice secrète sonna la pause.

Hyola sortit se dégourdir les jambes à l'instar de Kovitch, tous deux exaspérés par le comportement bipolaire de leur maîtresse.

La porte capitonnée de l'habitacle se referma sur Luinil et son premier conseiller.

— Je vais en profiter pour fermer l'œil, murmura-t-elle en refermant les pans de son manteau de soie.

— Votre état l'exige, j'ai l'impression.

— Sans doute à cause de ce qui est en moi...

Handelë décolla son dos du dossier et bascula légèrement vers la reine, pour mieux lui faire face. Il cala ses coudes sur les genoux et ajouta :

— Luinil, ce n'est pas un parasite que vous portez, comme le dit votre mage. C'est un enfant. Votre enfant.

Une ride de contrariété vint barrer le front de la reine :

— Pourquoi me dis-tu ça ?

— Je vous dis ce qu'il en est et je ne veux pas que vous vous cachiez derrière des mots farfelus.

— Qu'importe les mots ? Ma décision est prise.

— Vous n'avez pas pensé à le garder ?

Elle écarquilla les yeux. Pourquoi cet homme était-il son conseiller ? Voilà bien la décision la plus insensée qu'il proposait.

— Garder le rejeton de mon violeur ? s'indigna-t-elle en se détournant de son interlocuteur, et que veux-tu que j'en fasse ? Je suis une reine, mes enjeux sont politiques, sociaux et militaires. J'ai autre chose à faire que de me laisser déchirer les entrailles par cet « enfant ».

— Il vous ressemblera peut-être...

— Autant qu'à son géniteur. Et merci mais je ne tiens pas à voir mon corps gonfler davantage. Je suis une astre, pas une princesse elfe faite pour être engrossée comme une pouliche !

Cette déclaration mit fin à la conversation. Cependant, elle vit bien qu'Handelë ne semblait pas convaincu. Il lui lançait des regards inquiets de temps à autres.

Cette attitude agaça la reine ; pourquoi ne pouvait-il pas la soutenir ? Déjà qu'elle appréhendait la manière avec laquelle Djinévix l'opérerait... Ne manquait plus que la pluie reprenne.

Fatiguée, elle se cala dans un coin du carrosse et s'endormit.

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