Chapitre 39

Dans ses appartements, la reine recevait le ministre des Progrès. Depuis quelques années, Arnil se démarquait par une vision politique particulièrement hostile à l'égard des autres races. Ses stratégies étaient appréciées et de nouvelles techniques avaient conduit à la création d'armes de destruction massive.

Pourtant, le ministre remarqua bien qu'en ce jour, il n'obtenait pas l'attention de sa souveraine. Son regard fuyant comme sa respiration rapide traduisait une angoisse évidente. Derrière, Handelë se mordillait la lèvre, les bras croisés sur sa tunique blanche.

— Majesté, peut-être souhaiteriez-vous que je repasse présenter mon rapport ?

Luinil releva la tête et lui confirma d'un sourire forcé :

— Merci, Seigneur Arnil, nous reprendrons demain.

Le ministre s'inclina et prit congé.

Luinil se leva aussitôt et fit face à son conseiller.

— La prochaine fois, attends que je finisse mon entretien avant de me glisser une telle chose à l'oreille.

— Navré, Luinil, je pensais que vous alliez renvoyer votre ministre aussitôt.

— Tu sais bien que je ne dois rien laisser paraître ! Penses-tu, je ne pouvais même pas faire surveiller mon fils par mes espions, cela m'aurait trahie et tout Arminassë aurait fini par apprendre l'existence de Féathor.

Le conseiller hocha fatalement la tête. Cette tragédie ne commençait qu'à peine. Le fils de la reine avait été enlevé et le responsable devait connaître sa réelle identité.

— Je ne vous ai pas trahie, Luinil.

— Je sais, je n'ai jamais douté de toi, Handelë. Peut-être Alma ou Hyola auraient-elles parlé ?

— D'après les dires des soldats, l'homme était déterminé et puissant. Son physique correspond à celui de votre ami Ozanor...

— Ce n'est pas mon ami ! Comment a-t-il pu mettre la main sur mon enfant !

Les nerfs de la mère lâchaient. Elle se rassit dans son fauteuil et ses longs ongles noirs commencèrent à lacérer les accoudoirs. Son regard tournait dans la pièce sans parvenir à se poser ; Luinil avait souvent fait face à des chocs mais pas de ce genre. Impuissante, elle tentait de se raccrocher au moindre filet d'espoir.

Comme appelé par cette détresse grandissante, le mercenaire se pointa, dans le calme le plus insolent.

L'air vibrait sous le Vala en ébullition de la reine. Elle se contrôlait pour ne pas réduire le nouveau venu en charpie informe :

— Où est Féathor ? gronda-t-elle de sa voix grave.

— Vous parlez de votre fils ? Vous m'aviez assuré vous en être débarrassé. Décidément, vous trompez votre peuple bien souvent.

Handelë retint sa respiration de peur de voir des éclairs s'abattre sur l'impertinent. Mais avant tout, la peine à l'égard du jeune garçon lui saisissait le cœur.

— Vous n'avez pas répondu à ma question, Ozanor.

— Vous vous doutez bien que je ne vais pas vous dévoiler ma planque sans obtenir ce que je souhaite.

— Je ne vous fait pas confiance, ignoble cafard. Obéissez-moi où je me ferai le plaisir de vous étriper.

L'astre brun secoua la tête :

— Je ne suis pas le seul dans la confidence, vous vous doutez bien.

Comme elle le craignait, Luinil se retrouvait piégée. Si le Conseil apprenait la terrible nouvelle, elle verrait immédiatement son autorité remise en question. Elle avait durci sa politique sur les dernières années et s'était créée des opposants féroces, notamment chez les proches du duc Ilvanar et de la comtesse Fairÿ.

Tout ce beau monde profiterait de l'existence de Féathor pour renverser la reine.

Luinil détourna le regard, fuyant le sourire victorieux du Berserk.

— Vous savez comment acheter mon silence, Majesté. Il vous suffit de légaliser mes commerces.

— L'esclavage n'intégrera jamais notre constitution.

— Vos valeurs sont-elles plus importantes que votre fils ?

Ozanor connaissait l'attachement qui pouvait unir une mère à son enfant. Luinil sacrifierait tout, même son royaume, pour sauver le bâtard.

— Faites appel à votre ministre des Finances et celui de la Justice ; demandez-leur de réviser les textes.

— La légalisation de vos commerces vous affranchirait de Caraks, n'est-ce pas ? Vous êtes comme les autres Berserks, incontrôlable.

— J'ai plus d'ambition qu'eux tous réunis. Je refuse de rester un vulgaire mercenaire alors que je pourrais être l'une des personnalités les plus puissantes de la Dimension. Maintenant si vous hésitez à établir un marché avec moi, songez que rien ne m'empêche d'abîmer un peu votre fils.

La lèvre de la reine de retroussa sous la colère. Les émotions qui s'entrechoquaient dans son esprit ne donnaient pas un résultat très paisible.

La tension montait dans le bureau et Handelë pressentait l'issue de la conversation. La silhouette de Luinil se ramassait comme un fauve prêt à sauter à la gorge de sa cible. Ses talons aiguilles raclait le parquet alors que ses épaules se bloquaient de rage.

— Retrouvons-nous aux orgies, ce soir, dans ma loge, conclut Ozanor, j'espère qu'entre temps, vous auriez accédé à mes demandes ; j'en attendrai la preuve.

Les conditions du mercenaire clôturèrent l'entrevue. Un sentiment de satisfaction intense commençait à le saisir : face à lui, ancrée dans son large siège, la Reine Vierge ne parvenait plus à dissimuler sa détresse. Le masque d'assurance et de sérénité se craquelait pour laisser fuir le désespoir.

Le Berserk savait qu'il devait s'engouffrer dans une telle faille. Il ferait par la suite éclater l'ascendant que la femme exerçait sur lui pour renverser la situation. Il finirait enfin par la dominer.




Le séjour de l'Ilcalmë surplombait les plus beaux quartiers de la capitale grâce à la hauteur vertigineuse de ses murs. De longues baies vitrées se rejoignaient en une coupole de verre si bien que quelle que soit l'heure de la journée, les rayons du soleil baignaient l'espace chaleureux. L'art imprégnait jusqu'au moindre recoin d'architecture.

Recroquevillé dans un coin du séjour, Féathor refusait d'admirer la vue et n'avait pas daigné toucher à son assiette.

Penché à son bureau, Othélio lui jetait quelques regards, de temps à autres, sans savoir comment agir avec l'enfant. Rovenna avait quitté l'Ilcalmë mais Viroque n'avait pas osé s'aventurer dans la capitale, craignant qu'un espion de la reine ne le désintègre au détour d'une avenue.

Enfin, Ozanor passa la porte :

— Alors ? relava prestement l'hôte en rejoignant son ami, tu n'as rien ? Qu'a dit la reine ?

— Elle suivra, jamais elle n'abandonnera le gosse.

Othélio hocha la tête, regrettant avec amertume de participer à cette prise d'otage. Le pauvre gamin se murait toujours dans un mutisme inquiétant et cela le peinait.

— J'espère qu'il sera bientôt remis à sa mère. Je ne te félicite pas de ton initiative, Ozanor, c'est barbare.

Le coupable n'éprouvait pas l'once d'un regret, il s'assit dans un canapé, non loin du petit et se servit une liqueur :

— J'en avait assez de subir et j'ai décidé de me permettre quelques exactions pour me sortir des turpitudes de ma condition. Mais ne t'en fais pas, Othélio, tout sera fini avant le commencement de ton Salon. Et si ce n'est pas le cas, l'Ilcalmë est assez vaste pour enfermer Féathor quelques jours dans une pièce reculée.

— Il n'en est pas question, tu bouscules suffisamment mes affaires.

Le mercenaire grimaça et pencha la tête, comme pour lire le sous-texte de ces propos :

— Dis-moi, Othélio, tu n'as pas convié Davyan à ce salon ?

Le marchand d'art garda le silence et détourna le regard :

— Cela ne te regarde pas.

Cette déclaration ulcéra le Berserk, il se releva pour confronter son compagnon. Si la colère imprégnait son regard, c'était bien le souci qu'il se faisait pour l'astre d'Atalantë qui le faisait s'exprimer :

— Othélio, cet homme est un assassin, il va profiter de l'événement pour te liquider. Je t'en prie, renonce à cette relation.

— Je t'écouterai lorsque tu auras abandonné le projet de soumettre notre reine.

Sur ces mots, le propriétaire des lieux quitta le séjour. Exaspéré, Ozanor brisa son verre entre ses doigts. L'éclat fit sursauter Féathor et le mercenaire se réintéressa à lui. Il s'avança dans sa direction et une fois à un pas de lui, il s'accroupit pour lui relever la tête et l'observer.

Il n'avait qu'à peine croisé le prince Morgal mais une ressemblance évidente marquait les traits de son fils. Une soudaine animosité naquit dans le cœur de l'astre, comme si se débarrasser du rejeton de son rival lui permettrait d'accéder plus aisément à la reine. S'il le souhaitait, il pouvait massacrer cet être encore si insignifiant et apporter sa tête à Luinil. Mais ce serait se débarrasser de sa caution.

Ozanor sourit et dégaina un poignard. Féathor recula contre le mur, apeuré par la lueur de la lame effilée.

— Tu sais, petit, ta mère a été très vilaine avec moi. Elle m'a crevée les yeux et tranché les mains alors que je n'avais rien fait de répréhensible. Je pense qu'il serait justice que son affreux bâtard subisse le même traitement.

Il saisit la chevelure du garçon et approcha la pointe vers son œil droit. Féathor se débattit et commença à hurler de terreur. Le désespoir de l'enfant amusa Ozanor : c'était si facile d'effrayer une créature aussi pathétique. Mais il se ravisa, pensant qu'il perdrait des opportunités à défigurer le fils de Luinil. Si cette dernière refusait catégoriquement de marchander, il pourrait toujours vendre le gamin à ses plus gros clients. Mieux valait qu'il garde son adorable apparence.

Le marchand se contenta donc de seulement couper une mèche de cheveux, afin de mettre la pression à la souveraine. Car même avec toutes les cartes en main, Ozanor savait que le prochain entretien ne serait pas une partie de son plan la plus facile.

Il abandonna donc le pauvre Féathor et décida de trouver une tenue adéquate pour la prochaine orgie. Ce serait ce vêtement qui témoignerait de sa victoire, il devait donc ne pas le choisir au hasard.

Il opta pour un costume lie-de-vin assorti à une chemise noire et des bottes parfaitement cirée. Il recoiffa ses courtes mèches brunes et se dirigea vers le palais.

Le dernier acte de cette danse commençait enfin.


Othélio, astre d'Atalantë, marchand d'art, propriétaire de l'Ilcalmë.

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