Chapitre 37
Viroque n'avait pas compris la présence de Rovenna. D'habitude, son colocataire amenait des courtisanes bien plus dévêtues.
Ozanor et son invité s'assirent à la table et un domestique de Caraks vint les servir.
La journaliste descendit son foulard, dévoilant le bas de son visage. Un petit nez étroit au-dessus d'une bouche aux lèvres noires s'accordait parfaitement avec un menton en triangle. Armé de sa délicatesse habituelle, Viroque prit place à leur table et scruta la nouvelle avec un intérêt déplacé.
— Tu n'es pas convié, grogna le mercenaire.
Le mage défroqué ignora superbement la remarque et se tourna vers l'inconnue :
— Tu n'es pas une astre, n'est-ce pas ? Tu es trop petite et ton aura diffère vraiment !
— Très perspicace, murmura-t-elle en s'intéressant au contenu de son assiette.
Ozanor claqua sa langue contre le palais pour rappeler son colocataire à l'ordre. Il profita d'un bref silence pour lui demander :
— Tu t'y connais en géopolitiques humaines ?
L'astre échevelé grimaça avec le désintérêt le plus total.
— Un peu... J'ai pas mal arpenté Fanyarë lorsque j'étais jeune.
— Tu penses pouvoir reconnaitre cet édifice ?
Il déplia le parchemin sous les yeux du sorcier, exposant les fleurs fanées par la même occasion.
— Quelle est cette horreur artistique ? J'espère qu'Othélio n'a pas régressé à ce point.
— Non, c'est réalisé par un enfant.
— Une progéniture humaine ?
— Il a dessiné le château. La forme des murs et des arcades me parait facilement reconnaissable.
Viroque se pencha pour analyser les tracés incertains et déclara :
— Je ne mettrais pas ma main à couper mais... C'est bel et bien Doulam. Je connais ces fleurs ; j'en ai cueilli dans le coin. À l'époque, je m'y rendais souvent parce qu'il y avait une jolie humaine blonde...
— Tu es sûr de la ville ?
— Non... Mais ça y ressemble... Je peux vous y accompagner, je connais le chemin !
Rovenna comme Ozanor s'interposèrent.
— Nous savons lire une carte, merci. Et je crois qu'une orgie t'attend ce soir.
— Tu pourrais m'accepter, après cet indice juteux que je viens de te donner. De plus, je te rappelle que notre cher propriétaire attend certaines choses de toi. Tu sais, une certaine Lys...
Ozanor roula des yeux, se rappelant que Caraks convoitait la même femme que lui. Décidemment, il devait vraiment se débarrasser du ministre des Affaires interraciales. Ou alors, l'impliquer intelligemment dans une machination où il en sortirait gagnant, comme à chaque fois.
— Rappelle-toi que si tu lui déplais, il pourra te dénoncer pour tu sais quoi.
Le Berserk grinça des dents. Ces derniers temps, il ne pouvait compter sur la gratitude de Caraks ni même de la reine à cause de ses divers échecs. Les deux n'auraient aucun avantage à le soutenir et le protéger.
— Mais je peux le convaincre si je vous accompagne, proposa le sorcier dans un grand sourire.
— Entendu...
— Quoi ? releva Rovenna, il n'est pas question qu'il vienne !
— Viroque est compétent, il pourra nous aider si l'un d'entre nous se blesse. Nous ignorons d'ailleurs ce que nous allons trouver là-bas.
Le sorcier se leva d'un bon de sa chaise, la faisant tomber au passage et effectua trois bonds avant de clamer quelques vers aux pieds incertains. Il semblait heureux de faire partie de l'aventure.
— Quel est le propos de l'expédition ? demanda-t-il après s'être enfin ressaisi.
— Nous allons découvrir ce que cache la reine.
— Hein ? C'est à Doulam qu'elle partirait ?
Viroque écouta les explications de ses deux compagnons et la fièvre du danger le prit. C'était une mission à risque mais la curiosité devait être rassasiée.
C'est sans perdre plus de temps que le groupe décida de partir avant la tombée de la nuit. Plus ils s'attardaient au palais, plus ils avaient de chances de voir leur expédition découverte.
Ozanor loua deux nouvelles montures pour Rovenna et Viroque. Les murs de la capitale s'éloignaient maintenant derrière eux et ils s'enfonçaient dans la profonde forêt dense. Petit à petit, les routes se firent plus silencieuses, plus désertes. Dans l'obscurité, les yeux de la journaliste brillaient fortement, ce qui traduisait sa possibilité à distinguer les formes de ce qui les entourait.
— Quelle est ta race ? demanda Viroque dans la finesse la plus totale.
— Je ne suis pas une astre, répondit-elle laconiquement.
— Je sais bien. Tu aurais presque pu être une gnome par ta petite taille mais ton Vala est actif...
— Je suis plus grande qu'un gnome !
— De pas grand-chose... Je suis un sorcier brillant ; je commence à cerner ton aura.
— Je n'ai pas envie.
— Dis-moi, ma jolie Rovenna, tu n'aurais pas d'adorables oreilles de chat sous ta capuche, hein ? Tu empestes la cathors.
Si le silence corroborait bien les suppositions de l'astre, le regard incendiaire de la concernée l'empêcha de continuer son interrogatoire.
— Nous devrions arriver à Doulam dans la journée, lâcha Ozanor pour changer de conversation.
— J'espère que nous ne perdons pas notre temps, soupira Rovenna.
— J'en doute. Tout porte à croire que c'est de cette ville que nait le mystère.
La traversée continua sans encombre jusqu'à ce que la matinée soit bien entamée. Un doux parfum floral embaumait les sous-bois avant que la lisière dégage une vue sur Doulam. Les maisons de pierres et de bois s'élevaient dans un certain désordre et des fumées épaisses s'échappaient des cheminées tordues. Immédiatement, les effluves malodorants assaillirent les narines des voyageurs, comme pour les inviter à rebrousser chemin. Sur une colline, ils reconnurent la demeure seigneuriale, la même que sur le dessin. À leurs pieds, des boutons d'or fleurissaient parmi les campanules.
— Enquêtez discrètement dans les rues de la ville, proposa Ozanor, je m'occupe du manoir.
— Tu penses interroger le bourgmestre ?
— Si la reine passe sur ses terres, il doit le savoir.
Sur ces mots, il talonna sa monture et longea la lisière pour trouver une planque adéquate où attacher le cheval. À la suite de ça, il comptait bien s'introduire dans les murs et cuisiner un peu le seigneur des lieux. Recourir à la torture ne le gênerait pas, après tout, il avait suffisamment subi ces derniers temps pour ne pas avoir à en revendre. Faire couler le sang lui ferait du bien.
Bientôt, il parvint au pied de l'enceinte. Le manoir se fortifiait d'épais murs sombres mais l'assassin savait en venir à bout. Après un regard vers les créneaux pour déceler la présence de potentiels gardes, il s'élança dans une escalade ardue. L'exercice lui était familier et c'est sans mal qu'il parvint à se hisser jusqu'au faîte. Un jardin luxuriant s'étendait derrière, un lieu parfait pour s'y glisser jusqu'à destination.
Agilement, il redescendit et se planqua un moment derrière un épais buisson pour souffler. À sa ceinture, ses deux sabres patientaient sagement avant de pouvoir enfin servir. Au cas où les choses dégénèreraient, il pourrait toujours matérialiser son bâton astral pour détruire ses ennemis, après tout, les humains étaient si faibles.
Lentement, il s'extirpa de sa cachette et s'avança avec précaution dans la direction du logis. Il ne tarda pas à entendre des cris aigus qui malgré leur écho discordant, ne traduisaient pas la peur ou la violence. Ses souvenirs lointains lui rappelèrent les voix d'enfants. Comme sur le dessin, plusieurs humains au stade évolutif jouaient sous les arbres. Ils ne devaient pas avoir plus de dix printemps pour la plupart. Connaissaient-ils la reine ?
Pourquoi Luinil venait-elle en ces lieux ? Ces ignobles gamins lui rappelaient-ils son bébé qu'elle avait choisi de tuer ?
La réponse était bien plus simple.
L'un des enfants n'était absolument pas un humain. Son physique irréel comme son aura vibrante le dissociait immédiatement de ses pairs. La puissance du Vala, encore endormie, ne trompait pas. Ozanor ne voulait y croire mais plus il observait le petit jouer, plus il trouvait des points communs avec la reine. Le calcul, même à la louche, était vite fait. Le fœtus avait survécu, il n'y avait pas d'autres explications. Luinil avait accouché du prince et cette créature bâtarde résidait à Doulam, probablement le temps qu'elle grandisse suffisamment pour se fondre dans la masse astrale.
Cette découverte changeait la donne ! Et sur beaucoup de points ! Le mercenaire imagina tout ce que cette information pouvait lui donner. L'application de chantages, la liberté, la légalisation de ses commerces, l'accès à la reine et bien d'autres choses... Et s'il repartait avec cette progéniture insoupçonnée ? La reine se retrouverait à ses genoux, prête à lui exaucer ses moindres envies pour la survie de son fils.
Il devait saisir sa chance, c'était maintenant ou jamais.
Avec patience, il attendit que l'enfant s'éloigne un moment du groupe. Bien qu'apprécié des autres, il semblait assez solitaire ; les différences raciales se voyaient déjà et sans doute ne se reconnaissait-il pas dans les autres.
À pas de loup, Ozanor s'approcha. Il savait étouffer le son de ses pas même sur des feuilles mortes et des brindilles sèches. Mais le bâtard sentit sa présence et se retourna d'un coup.
Pendant une seconde, le mercenaire fut soufflé par ces yeux verts, si identiques à ceux de Luinil.
— Qui êtes-vous ? glapit-il en attrapant une branche qui trainait à sa portée.
L'astre tendit aussitôt les mains, les paumes ouvertes en signe de paix :
— Ne crains rien, je suis envoyé d'Arminassë. C'est ta mère qui souhaite que je te ramène au palais.
Bien qu'il n'ait pas plus de cinq ans, le fils de la reine ne crut pas son interlocuteur ; ses petites jambes s'arquaient, prêtes à se tendre dans une fuite imminente.
— Maman ne m'a jamais parlé de vous. Et le seigneur Calaros ne m'a pas demandé de préparer mes affaires.
Ozanor se pinça les lèvres, ne sachant comment parler à un enfant.
— Écoute, petit, je te dis qu'il y a urgence. Personne n'a pu être prévenu. Suis-moi maintenant. Personne ne doit être au courant.
— Mais Maman me dit que je ne dois pas aller au palais.
Perdant patience, l'astre attrapa le bras du gamin et lâcha :
— Je t'expliquerai en route, le temps presse !
Sur ces mots, il se saisit de Féathor et l'emporta avec lui. L'enfant se débattit et cria pour être lâché mais en vain. Il ne parvenait à échapper aux bras musclés de son kidnappeur.
Lassé par les hurlements et les coups de sa proie, Ozanor lui jeta un sort. À la suite de ça, il attacha le petit corps dans son dos et se rattaqua à la muraille. Sur les remparts, des soldats remarquèrent l'intru ainsi que son précieux fardeaux. L'alerte fut donnée mais il était déjà trop tard. Ozanor avait atteint le chemin de ronde. Il dégaina ses deux sabres et s'en prit aux gardes dans une violence implacable. Les malheureux ne purent contrer la puissance de l'ancien Berserk malgré leur courage. Sans la moindre once d'hésitation, l'assassin leur trancha la tête et les pourfendit sans mal. Pour ceux qui s'apprêtaient à le percer de leurs traits, il fit appel à son bâton magique et les anéantis à distance.
Ne lui restait plus qu'à profiter de son récent massacre pour s'enfuir. Il passa les créneaux et se laissa choir de l'autre côté. L'enfant n'eut rien de cassé dans la chute mais l'astre accusa mal l'atterrissage et sa cheville droite le brûla à chaque pas.
Heureusement pour lui, la monture n'était pas loin. Avec peine, il se traina jusqu'à elle et se hissa sur la selle après avoir calé l'enfant sur le garrot. Il devait désormais retrouver ses deux compagnons et établir une stratégie à l'abri des regards.
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